Pour les 70,8 millions de personnes déplacées dans le monde – avec 2,6 millions d’entre eux piégés dans des camps surpeuplés, sans hygiène appropriée – les mesures de prévention de base contre le COVID-19, comme la distanciation sociale et le lavage fréquent des mains, sont presque impossibles à respecter.
Avant la crise actuelle, les réfugiés, les personnes déplacées dans leur pays (IDP), les demandeurs d’asile et autres apatrides étaient d’ores et déjà les populations les plus vulnérables du globe. Elles risquent dorénavant de souffrir de la pandémie mondiale à des taux disproportionnellement élevés.
Les organisations juives humanitaires et d’aide aux réfugiés qui soutiennent ces populations se retrouvent, elles aussi, en territoire inconnu – s’adaptant rapidement à une situation sanitaire en constante évolution, à des conditions économiques qui ne cessent de se détériorer et à des restrictions renforcées sur la liberté des déplacements dans chaque pays.
Les camps de réfugiés grecs ont d’ores et déjà été confinés. Le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) ou les autorités nationales ont pris la décision de n’autoriser que la distribution de produits alimentaires ou médicaux. Ce qui oblige tous les autres travailleurs humanitaires locaux et internationaux à trouver d’autres moyens de fournir les services qu’ils assurent habituellement tout en prenant des initiatives qui visent spécifiquement à limiter la propagation du coronavirus.
Les travailleurs humanitaires américains, israéliens et autres qui, à l’ordinaire, se trouvent dans les camps de réfugiés les plus sensibles ont reçu l’ordre de repartir vers leurs pays d’origine et de travailler à distance, en utilisant le plus possible les technologies à leur disposition.

« C’est différent de tout ce que nous connaissons. C’est un phénomène global qui ne cesse d’évoluer et il est donc difficile pour nous de dresser l’ordre des priorités », commente Yotam Politzer, directeur-général d’IsraAID, une organisation à but non-lucratif internationale, basée en Israël, qui se consacre au développement à long-terme et à l’aide d’urgence dans plus de 50 pays. Elle a actuellement 15 missions en place dans le monde entier.
Les défis posés par la pandémie pour les communautés de réfugiés, de personnes déplacées et de demandeurs d’asile sont nombreux. En commençant par le manque d’accès à l’eau potable, à des structures sanitaires et au savon.
Par exemple, Moria, le plus grand camp de réfugiés de Lesbos, en Grèce, avait été construit pour accueillir un peu plus de 3 000 personnes. Elles sont maintenant 20 000 personnes à y vivre – ce qui signifie qu’il y a un robinet pour 1 300 personnes et une douche pour 142 personnes.
« Il y a peu d’accès à l’eau à Kakuma, » déclare Annet Apio, directrice de l’IsraAID pour le Kenya et l’Ouganda, en évoquant le camp de réfugiés de Kakuma et l’implantation intégrée de Kalobeyei, située dans le nord-ouest du Kenya. Le camp accueille 194 000 réfugiés, majoritairement en provenance du sud-Soudan. IsraAID a mis en place trois centres de ressources, notamment un à destination des enfants, à Kakuma.

« L’accès au savon ou au gel anti-bactérien pour les mains est un luxe dans un endroit comme celui-là. Et les gens doivent faire la queue pour accéder à l’eau potable alors c’est impossible de respecter une règle de distanciation sociale », clame Apio depuis son habitation de Nairobi, où elle travaille à distance depuis le début de la pandémie.
Pour tenter d’alléger le problème, IsraAID travaille avec des partenaires locaux pour installer des robinets supplémentaires où se laver les mains. D’autres organisations d’aide juives travaillent également en partenariat sur le terrain pour pouvoir élargir l’accès à l’eau potable, au savon et au gel anti-bactérien pour des communautés de réfugiés variées.
Melanie Nezer, vice-présidente aux Affaires publiques de la HIAS, une association juive américaine qui se consacre à l’aide aux réfugiés avec presque 1 000 employés déployés sur le terrain dans le monde entier, note que les risques posés par le coronavirus résultant du surpeuplement sont également élevés dans les centres de détention pour demandeurs d’asile en Amérique du nord.

« Nous travaillons beaucoup avec les demandeurs d’asile sur la frontière sud des Etats-Unis. Les gens forcés d’attendre de l’autre côté de la frontière, dans des camps de détention du Mexique, vivent sous des tentes avec un niveau d’hygiène et sanitaire médiocre, ce qui accroît le risque pour eux d’être exposés au virus », continue Nezer.
Manque d’informations claires
Tandis que les Occidentaux ont été bombardés via les médias d’informations et d’actualisations en termes de prévention face au coronavirus, cela a été le contraire dans un grand nombre de populations réfugiées. Certains camps, comme Kakuma – qui se situe à 16 heures de route de Nairobi – sont extrêmement reculés. Même si presque tous les réfugiés, en Europe, ont des smartphones et un certain accès à internet, de nombreux autres, ailleurs, en sont privés. Même parmi certaines familles de réfugiés sur le continent européen, certains n’ont pas de téléphone cellulaire – et beaucoup ne possèdent pas d’ordinateurs.

Samantha Wolthuis, directrice de la réponse humanitaire et des opérations internationales à l’AJWS (American Jewish World Service), souligne pour sa part l’importance de la confiance dans la dissémination d’informations sur le virus et sur la prévention de l’infection.
L’AJWS, une ONG travaillant dans la défense des droits de l’Homme et dans la réponse aux catastrophes, soutient 487 organisations de changement social dans 19 pays. Elle apporte notamment son aide aux réfugiés et aux personnes déplacées dans plusieurs nations, notamment au Sri Lanka, au Kenya, en Ouganda et en Birmanie.
En Indonésie, elle travaille avec des personnes déplacées au sein même de leur pays.
« Quand on travaille avec les réfugiés et les personnes déplacées de ce type, on travaille avec des organisations locales en qui la population a confiance dont un grand nombre sont gérées par des réfugiés ou des personnes déplacées et dont les activistes ont généralement des racines dans ces communautés », explique Wolthuis.
« Parce que ces organisations sont dirigées par des membres de la communauté des réfugiés, on leur fait confiance en ce qui concerne la délivrance des informations et l’identification des besoins. Ce qui est particulièrement important lorsque la propagation de fausses informations est effrénée et que les messagers dignes de confiance sont rares », poursuit-elle.

L’AJWS a préparé un kit d’éducation sur le COVID-19 qui explique les mesures d’hygiène et de distanciation sociale, le contrôle des symptômes et les soins à apporter aux proches touchés par le coronavirus. Ce kit a été traduit en sept langues : le bahasa, le birman, l’anglais, le français, le créole, le rohingya et l’espagnol. Les partenaires locaux de l’AJWS disséminent les informations en déployant des bénévoles de santé communautaires originaires eux-mêmes des camps de réfugiés et par le biais de diffusions radiophoniques, via les réseaux sociaux et des annonces par haut-parleurs dans les camps.
Indépendamment des efforts livrés pour éduquer à éviter la contagion, une fois que le virus pénètre à l’intérieur des camps de réfugiés, il peut alors se répandre à une vitesse effrénée – rendant malade et tuant d’innombrables personnes.
On estime que c’est un gros problème aux Etats-Unis et en Europe mais on n’a encore rien vu tant que le COVID n’entre pas dans les populations de réfugiés
« On estime que c’est un gros problème aux Etats-Unis et en Europe mais on n’a encore rien vu si le COVID n’entre pas dans les populations de réfugiés », commente Adam Coutts, chercheur en santé publique à l’université de Cambridge, auprès du New York Times. Coutts pense que le virus a déjà infiltré certains camps. Les camps et les pays qui les accueillent ne sont pas suffisamment équipés pour prendre en charge une épidémie, avertit-il.

Combattre l’insécurité alimentaire
Les organisations alimentaires juives et israéliennes font tout ce qu’elles peuvent pour obtenir des matériels médicaux, et en particulier des équipements de protection pour les personnels soignants. Elles s’efforcent aussi de combler les lacunes qui ont été identifiées par leurs partenaires de santé dans les camps. Par exemple, à Kakuma, il faut gérer la malaria au cours de la prochaine saison des pluies qui s’étendra du mois d’avril au mois de juin, et la malnutrition est un problème chez les enfants de moins de cinq ans à cause de la sécheresse. Ces facteurs seraient susceptibles d’exacerber une apparition virulente du COVID-19.
« Nous oeuvrons actuellement à nous procurer des tests de dépistage à la malaria et des suppléments alimentaires », explique Apio d’IsraAID.
Selon Nezer, la HIAS travaille avec des supermarchés locaux, en Equateur, pour trouver des produits alimentaires à distribuer aux réfugiés du Venezuela et de Colombie. « Notre ligne téléphonique d’urgence reçoit 600 appels par jour, avec des questions et des demandes en urgence de nourriture et de médicaments », dit-elle.

Les demandeurs d’asile en Israël doivent également faire face à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition en résultat de la crise actuelle. Selon Julie Fisher, fondatrice du Consortium pour Israël et les demandeurs d’asile, il y a approximativement 32 000 demandeurs d’asile africains au sein de l’Etat juif – sans compter les enfants. La majorité, à environ 72 %, sont originaires d’Erythrée et 20 % à peu près viennent du Soudan.
Il y approximativement 32 000 demandeurs d’asile africains au sein de l’Etat juif sans compter les enfants
Selon Fischer, 80 % des membres de cette communauté ont perdu leurs emplois, ces dernières semaines, suite au blocage presque total de l’économie israélienne. Manquant des allocations sociales et de chômage qui sont réservées aux citoyens israéliens, et largement inéligibles au système de sécurité sociale, les demandeurs d’asile – qui vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté – sont dans une situation désastreuse.
« Les organisations qui travaillent avec la communauté des demandeurs d’asile ressentent le fardeau énorme que représentent les soins à apporter à une population sans aucune ressource, au cours d’une crise qui pourrait durer des mois avant de se terminer. Il y a eu une augmentation énorme de la faim… Nous assistons à une demande considérable portant sur les produits alimentaires, les couches, les produits pour bébé que les familles sont dorénavant dans l’incapacité de payer à cause des pertes d’emploi massives », note Fisher, qui travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept avec d’autres bénévoles à répondre aux différents besoins.

Affaires courantes sous stéroïdes
Sivan Carmel, directrice du bureau israélien de la HIAS, dit que son organisation travaille actuellement avec le groupe Médecins pour les droits de l’Homme à traduire et à distribuer des informations relatives au coronavirus aux demandeurs d’asile au sein de l’Etat juif. De plus, même s’ils doivent respecter les mesures de confinement à domicile, les avocats qui travaillent pour le bureau juridique de la HIAS s’efforcent toujours de relayer les dossiers de demande d’asile de leurs clients.
« Nos initiatives en cours pour amener le gouvernement à revenir sur la Loi de dépôt [à travers laquelle le gouvernement déduit 20 % du total des salaires versés aux demandeurs d’asile, plaçant ce pourcentage sur un compte qui sera mis à disposition quand ces derniers quitteront définitivement le pays] sont d’autant plus pressantes aujourd’hui », déclare Carmel. « Les demandeurs d’asile ont désespérément besoin de cet argent ».
Et précisément parce que la situation est particulièrement stressante pour les réfugiés du monde entier actuellement, les organisations d’aides se consacrent à amoindrir les perturbations qui surviennent dans le quotidien des adultes comme des enfants.

A Sindos, près de Thessalonique, dans le nord de la Grèce, IsraAID gère un centre communautaire accueillant les locaux et les réfugiés vivant dans des foyers. L’organisation a également ouvert une école aux abords du camp de réfugiés de Moria, à Lesbos.
Selon la directrice d’IsraAID pour la Grèce, Sarah Danby, les programmes de soutien éducatif et psychologique de l’association ont été mis en ligne en utilisant une variété de plateformes de réseaux sociaux, et notamment YouTube, Instagram, Facebook Messenger, Google Forms et WhatsApp. Des coordinateurs locaux appellent également les familles de l’école et du centre communautaire à maintenir le contact une fois par semaine et à réduire les effets nuisibles de l’isolement et du stress.
Autre danger dans les communautés de réfugiés, dans certaines parties du monde, les accusations qu’elles seraient – ainsi que d’autres populations marginalisées – à l’origine de la propagation du COVID-19. (Les études montrent que ce n’est pas le cas).

« C’est ce qui est arrivé au Liberia lors de l’épidémie du virus Ebola et c’est ce qui arrive encore avec le COVID-19. C’est une période très dangereuse pour les minorités », estime Wolthuis, de l’AJWS, qui craint une éruption des violences.
Toutes les organisations reconnaissent que lorsque la pandémie de COVID-19 se calmera, il sera nécessaire de réévaluer les méthodes de travail, la nouvelle réalité apportée par le virus exigeant des approches différentes.
« La question, c’est qu’est-ce qui a changé seulement pour maintenant – et ce qui va changer pour toujours. Il va falloir qu’on le détermine », dit Nezer, qui espère que les employés humanitaires pourront rapidement quitter leurs écrans et revenir sur le terrain dans les meilleurs délais.
« Certaines de nos activités doivent s’effectuer en face à face, pour pouvoir construire la confiance. Beaucoup de choses seraient perdues si nous devions par ailleurs perdre cette capacité à long-terme », note Nezer.