ALUMIM, otef Aza – Là où les champs de pommes de terre du kibboutz Alumim rencontrent ceux du kibboutz Nahal Oz, l’un des agriculteurs salariés d’Alumim, Elyada Yovel – il est originaire d’une implantation de Cisjordanie située au sud-ouest d’Hébron – ouvre grand les bras pour étreindre deux ouvriers bédouins qu’il n’a pas vus depuis un certain temps.
« Ahlan ! », s’écrie-t-il en arabe. Les deux hommes, qui habitent la ville bédouine de Rahat, lui sourient et lui répondent en retour.
Le moment est venu de semer certaines variétés de pommes de terre – et Yovel plonge ses mains dans le sable, entre les sillons, pour vérifier la profondeur à laquelle les légumes ont été plantés.
« Oui, la bonne profondeur », dit-il alors qu’un tracteur s’approche avec un autre chargement de semences, qui seront enfoncées dans le sol.
Nous avons roulé jusqu’à la frontière de Gaza, en passant devant l’unique mur qui reste de la zone où résidaient les ouvriers, devant les poulaillers incendiés, les serres vandalisées et les piles calcinées de matériel d’irrigation – autant de souvenirs tragiques du pogrom commis par les hommes armés du Hamas, le 7 octobre 2023.
Aujourd’hui, dans les champs qui s’étendent jusqu’à la frontière de Gaza, des tas de décombres, à la périphérie de Gaza City, sont visibles à l’œil nu, de l’autre côté, au sein de l’enclave côtière. Juste derrière se devine le mouvement flou de la mer Méditerranée.
Ces décombres se trouvent à l’intérieur d’une ceinture de sécurité que l’armée israélienne a dégagée du côté gazaoui de la frontière – afin d’améliorer la visibilité et de garantir qu’une invasion du Hamas, comme celle qui avait entraîné la mort de plus de 1 200 personnes et l’enlèvement de 251 otages, il y a un an, ne pourra jamais se reproduire.
Nous nous arrêtons à la hauteur d’un autre champ de pommes de terre. Yovel se souvient : « Le 6 octobre, je me trouvais dans ce champ et j’avais vu les plants qui poussaient. À cause de la guerre [déclenchée par le pogrom], je n’avais pas pu aller les voir à nouveau. L’hiver avait été sec et tout était mort ».
Avant le 7 octobre, le kibboutz Alumim, situé à moins de 4 kilomètres de la frontière de Gaza, accueillait 41 travailleurs étrangers, dont 24 thaïlandais et 17 étudiants en agriculture népalais.
Les hommes armés du Hamas qui s’étaient déchaînés dans toute la zone frontalière de Gaza avaient massacré 12 ouvriers thaïlandais à Alumim. Un autre avait été blessé et quatre autres avaient été enlevés. Dix des étudiants népalais avaient été froidement abattus, quatre avaient été blessés et l’un d’entre eux avait été enlevé – il est toujours détenu en otage à Gaza. Les survivants étaient partis. Ils étaient rentrés chez eux.
Contrairement à d’autres communautés détruites par l’attaque sanglante du Hamas, le reste d’Alumim, dont l’équipe de sécurité avait combattu les terroristes pendant des heures, était resté intact.
Une année perdue
Les grandes cultures, les vergers, les serres et l’élevage sont les principales sources de revenus d’Alumim.
Les résidents déplacés ont quitté leurs logements temporaires de Netanya, dans le centre d’Israël, à la fin du mois d’août, à temps pour la nouvelle année scolaire.
Après le 7 octobre, l’armée israélienne avait interdit aux agriculteurs, dans un premier temps, l’accès aux champs pour des raisons de sécurité. Après une libération d’otages négociée au mois de novembre 2023, Tsahal avait assoupli ces restrictions, qui ont été depuis progressivement allégées. Selon Amir Dagan, le président directeur général d’Alumim Agriculture, les calendriers d’accès aux champs doivent toujours être coordonnés à l’avance avec l’armée.
« Notre blé a été gravement endommagé », explique-t-il au Times of Israel.
« Il n’a pas été semé à temps et il n’a pas reçu le traitement nécessaire. Certaines carottes, patates douces, choux et autres cultures n’ont pas pu être récoltées. Nous avions d’immenses serres pour les poivrons, mais tout a été détruit. Nous étions autrefois les plus gros fournisseurs de mini-poivrons doux. Aujourd’hui, nous n’avons qu’un tout petit champ », regrette-t-il.
Amir Dagan estime que les dommages directs causés aux équipements et aux cultures incendiés, vandalisés ou abandonnés s’élèvent à des dizaines de millions de shekels. Un an plus tard, il a toujours de « très longues discussions » avec l’agence gouvernementale chargée des indemnisations. Les responsables de l’instance veulent aider, dit-il, mais ils sont très limités par ce que la loi autorise. Par exemple, l’indemnisation des équipements sera basée sur leur valeur d’usage.
« Nous avons dépensé plus de 4 millions de shekels pour un système d’irrigation au goutte-à-goutte et pour l’arrosage parce que nous ne pouvions pas attendre », explique Dagan.
Dagan poursuit : « Nous avions pris, dans le passé, de nombreuses décisions qui n’avaient pas nécessairement de sens sur le plan économique. Mais il est important de planter beaucoup de choses pour relancer l’activité. Les gens d’ici sont très attachés à l’agriculture. Cela fait partie de leur résilience. Quand on s’arrête, il est difficile de repartir. Et cette année, mes décisions doivent être basées sur le commerce, pas sur la morale ou l’idéologie. Nous avions pensé que l’État nous aiderait… Peut-être le fera-t-il encore ».
Certains travailleurs thaïlandais reviennent – mais à l’approche de la saison de récolte des agrumes, Dagan ne sait pas comment trouver suffisamment de main-d’œuvre saisonnière pour s’assurer que tout sera bien cueilli.
D’autres problèmes datant d’avant la guerre se posent aujourd’hui avec plus d’acuité, selon Dagan. Il se demande ce qu’il adviendra des projets du gouvernement – actuellement en suspens – visant à importer davantage de fruits et de légumes, soi-disant pour faire baisser les prix. Les responsables politiques décideront-ils, au lendemain de la guerre, de renforcer l’agriculture israélienne pour garantir l’indépendance et la sécurité alimentaires ?
« Je ne crois aux promesses de personne », dit Dagan. « Cela fait 20 ans que nous subissons ça [les attaques en provenance de Gaza]. À chaque fois, ils promettent. Ils planifient des choses et rien ne se passe. Je suis responsable. Nous nous occupons de ce qui se passe – ici et maintenant. Cela fait des années qu’ils disent qu’ils vont baisser le prix de l’eau et favoriser l’agriculture, mais cela n’arrive pas. »
Interrogé sur l’avenir, Elyada Yovel, producteur de pommes de terre, déclare : « Je veux croire que notre génération ne permettra pas que le 7 octobre se reproduise. Nous étions endormis et je veux croire que nous nous sommes aujourd’hui bien réveillés ».