Golan Buchris, qui habite la ville de Kiryat Shmona, dans le nord du pays, était en vacances avec sa famille à Eilat, l’année dernière, à l’occasion de Simchat Torah, la journée qui marque la fin de la période des grandes fêtes juives. Il devait en compagnie des siens quitter l’hôtel et rentrer chez lui dans les jours suivants.
Ce n’est jamais arrivé.
Ce jour-là, le 7 octobre 2023, des milliers de terroristes placés sous l’autorité du Hamas avaient commis un pogrom dans le sud d’Israël. Les hommes armés avaient massacré 1 200 personnes – des civils en majorité – et ils avaient kidnappé 251 personnes, qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.
Dès le lendemain de cet assaut barbare, le 8 octobre, le groupe terroriste du Hezbollah avait commencé à attaquer des communautés israéliennes et des postes militaires situés le long de la frontière nord avec le Liban. Israël avait promptement réagi.
La famille Buchris avait décidé de rester un peu plus longtemps à Eilat – espérant ainsi traverser cette période agitée – mais le 20 octobre, le gouvernement avait officiellement ordonné l’évacuation de Kiryat Shmona.
Depuis, ils vivent tous à Eilat.
Aujourd’hui, alors que la nouvelle année scolaire commence ce 1er septembre et que les évacués du nord du pays sont dans l’impossibilité de retourner chez eux, le Hezbollah poursuivant sans relâche ses frappes quasi-quotidiennes contre Israël, la famille Buchris, comme beaucoup d’autres familles dans la même situation, ne sait pas si elle pourra retourner un jour dans ses foyers.
« C’est une crise énorme. Dire que la situation n’est pas simple est un euphémisme. »
« C’est une crise énorme. Dire que la situation n’est pas simple est un euphémisme », confie Buchris au Times of Israel au cours d’un entretien téléphonique.
Selon des données qui ont récemment été publiées par le Taub Center, 68 500 Israéliens environ ont quitté les communautés du nord du pays, s’installant dans des appartements en location, dans des hôtels ou chez des membres de leur famille sur tout le territoire. Parmi ces déplacés, environ 17 000 sont des enfants en âge d’aller à l’école, selon le ministère de l’Éducation.
La plus grande partie de ces élèves ont rejoint des écoles préexistantes dans les nouvelles localités où ils vivent dorénavant ou ils se sont inscrits dans ce que le ministère appelle des « cadres éducatifs temporaires » – des établissements scolaires qui ont été ouverts à des endroits divers, en Israël, pour accueillir les jeunes évacués.
Depuis le début des hostilités à la frontière, Buchris – qui est le directeur de l’association des parents d’élèves de Kiryat Shmona – s’efforce de garder un œil sur les enfants de la ville et de les aider au mieux.
« Lorsque tout a commencé, personne ne pensait que ça durerait aussi longtemps », s’exclame Buchris qui ajoute que de nombreuses familles de Kiryat Shmona ont plusieurs enfants : « Tous ont des besoins différents. Un enfant va avoir un moral à toute épreuve, un autre va avoir peur et ne pourra pas le supporter. Un enfant sera plus performant au point de vue scolaire, l’autre moins ».
« C’est un problème », ajoute-t-il. « Ça fait déjà un an et les enfants n’ont pas appris tout ce qu’ils devaient apprendre au programme, il y a donc de grosses lacunes ».
Les écoles temporaires qui ont été ouvertes par le ministère de l’Éducation « ne sont pas aussi bonnes… Ceux qui ont rejoint des écoles existantes ont eu plus de chance », estime-t-il.
De nouveaux établissements scolaires ont ouvert leurs portes pour accueillir les enfants de Kiryat Shmona à Eilat, Tibériade et Tel Aviv – mais elles n’ont commencé à recevoir les élèves qu’au mois de novembre de l’année dernière et, compte-tenu d’une situation à la fois inattendue et traumatisante, elles se sont initialement données pour objectif de proposer des activités, des espaces sécurisés et une prise en charge psychologique, explique Buchris.
« Les élèves n’apprenaient pas » et les écoles n’ont commencé à « se préoccuper de pédagogie » que quelques mois plus tard, lorsqu’il a été établi que les élèves ne pourraient pas rentrer chez eux à court-terme.
Maintenant que ces écoles sont là, le ministère, les enseignants et les parents doivent « cesser de les considérer comme une solution temporaire » et faire en sorte qu’elles fournissent une éducation adéquate aux enfants évacués, déclare Buchris.
Une place pour tous – sans chez soi
Le principal défi que doit relever le système de l’éducation, cette année, est de garantir que tous les élèves évacués « auront leur place » et qu’ils pourront suivre un enseignement correct, déclare la docteure Orna Simchon, qui est responsable du district du nord au sein du ministère de l’Éducation.
Placés sous son autorité, dans les communautés qui ont été évacuées le long de la frontière nord mais aussi dans 81 conseils locaux, « les écoles fonctionnent comme d’habitude, sans problème », précise-t-elle, alors que les hostilités entre Tsahal et le Hezbollah se poursuivent sans relâche depuis le 8 octobre.
« Pour la nouvelle année scolaire, nous avons construit 13 autres écoles temporaires… où se concentreront les communautés qui ont été dispersées dans les quatre coins du pays, » explique Simchon.
A chaque fois que ça a été possible, le ministère a essayé de mettre en place des cadres éducatifs, pour les enfants déplacés, qui offrent une certaine continuité avec leur situation antérieure, ajoute-t-elle. Par exemple, à Akko, trois nouvelles écoles ont été créées pour les élèves de Shlomi, l’une des communautés du nord du pays qui a été évacuée, dans la mesure où un grand nombre de déplacés issus de la localité se sont retrouvés dans cette ville et dans ses environs.
« Les élèves sont arrivés là-bas et nous les faisons venir de la région de Haïfa pour qu’ils puissent continuer à travailler. Si ces établissements sont temporaires, ce sont des écoles dans tous les sens du terme », note Simchon.
Autre cas : Deux branches du lycée Danciger de Kiryat Shmona ont été ouvertes – une à proximité de Tibériade ; l’autre à Tel Aviv – pour accueillir les élèves évacués qui sont nombreux dans ces deux secteurs, explique-t-elle.
Cette année tout particulièrement, il est déterminant d’apporter « un sentiment de continuité à ces élèves afin qu’ils puissent apprendre et intégrer au mieux les enseignements… La création de cette régularité est notre mission principale », souligne-t-elle.
Évoquant une situation « très complexe », Simchon parle des difficultés rencontrées pour faire venir les personnels dans les écoles du nord – avec des employés qui sont souvent dispersés dans tout le pays – ainsi que la coordination nécessaire pour orienter dans la mesure du possible les activités en raison des tirs de roquettes parfois quotidiens.
De nombreux élèves, mais aussi de nombreux parents et enseignants connaissent également des problèmes psychologiques variés, avec des craintes en lien avec la guerre ou avec la possibilité d’une escalade des hostilités – une menace qui plane sur le nord depuis le début du conflit opposant Israël au Hamas, dit-elle.
« Si nous mettons en place un bon système éducatif, que la sécurité fait son retour, je suis optimiste et je pense que tout ira bien. »
Pour l’année à venir, le district du nord dispose d’un budget de fonctionnement de 140 millions de shekels. Viennent s’ajouter 140 millions de shekels pour la construction d’écoles temporaires, pour celle d’abris antiaériens supplémentaires et d’autres infrastructures, selon les chiffres qui ont été transmis par le ministère de l’Éducation. Le budget pour l’ensemble de l’année dernière et pour la période estivale s’est élevé à environ 200 millions de shekels, précise Simchon.
Elle fait remarquer que des plans sont actuellement élaborés en vue de la création d’une organisation qui sera chargée de « la reconstruction du nord » d’Israël – une organisation semblable à Tekuma, l’organisme financé par le gouvernement qui a été mis en place au début de cette année pour superviser la reconstruction du sud d’Israël.
« Il est compliqué de gérer le district du nord qui essuie chaque jour les tirs ennemis », indique Simchon. « Je suis moi-même une évacuée. Si nous mettons en place un bon système éducatif, que la sécurité fait son retour, je suis optimiste et je pense que tout ira bien, même si certains membres de la communauté envisagent de ne pas revenir ».
130 élèves et 35 sites
Le rabbin Ariel Frisch, directeur de Hamatmid Ort Kiryat Shmona, un collège religieux accueillant des garçons, habitait le nord du pays. Il dit qu’il n’y reviendra peut-être pas.
« Quand j’ai constaté que l’armée ne lançait pas de véritables attaques dans le nord, j’ai su qu’il n’y avait aucune chance que je revienne », s’exclame-t-il en évoquant les premières semaines de la guerre.
Frisch est également le numéro deux de la kitat konenut de Kiryat Shmona, l’équipe civile armée de sécurité. Ainsi, s’il s’est installé à Jérusalem après avoir été évacué avec sa famille, il raconte passer encore beaucoup de temps dans la ville largement vidée de ses résidents – il y revient souvent en toute hâte en cas d’incident sécuritaire ou de tir de roquette.
La majorité des habitants de Kiryat Shmona – dont la population est approximativement de 23 000 personnes – se sont dispersés au cours du conflit, même si certains sont restés sur place malgré les attaques répétées du Hezbollah.
« Kiryat Shmona a été évacuée le 20 octobre. Ce n’était pas prévu alors nous sommes partis dans tout le pays. La municipalité compte près de 6 000 enfants », précise Frisch.
Le groupe le plus important s’est rendu à Tibériade, où vivent actuellement environ 5 000 habitants de Kiryat Shmona et environ 1 300 élèves.
« Nous devons reconstruire et offrir des services d’enseignement partout où il y a des résidents. Mes élèves sont répartis dans 35 villes différentes et j’étais à la tête de l’une des plus petites écoles de la localité, je n’avais que 130 élèves », indique Frisch.
Certains élèves se sont bien davantage dispersés : Danciger, le grand lycée de Kiryat Shmona, comptait environ 1 300 lycéens et, malgré les deux écoles temporaires qui ont été mises en place à Tibériade et à Tel Aviv, les deux villes où se sont regroupées un grand nombre de familles, les élèves de Danciger sont toujours dispersés dans « environ 200 endroits différents », déclare Frisch.
En dépit des circonstances, M. Frisch explique « faire tout son possible pour rester utile et pour garder le contact » en tant que directeur d’école, ce qui inclut de communiquer avec les parents et de discuter régulièrement avec les administrateurs des différentes écoles où ses élèves sont actuellement scolarisés.
Il organise aussi des rencontres occasionnelles qui attirent des élèves et des familles de tout le pays – et il prévoit de continuer à le faire lorsque ses élèves, qui sont toujours sous sa responsabilité, entameront leur deuxième année de scolarité dans d’autres établissements.
« Les gens ont peur des roquettes, ils ont peur d’une invasion du Hezbollah. Ils ne sont pas prêts à se faire massacrer.3
Frisch note prendre très au sérieux l’idée de « les aider à surmonter leurs difficultés. Je ne peux pas les empêcher de subir les conséquences de la guerre, mais je peux leur faciliter le travail ».
Pour l’instant, et comme c’est le cas également d’autres évacués qui ont été interrogés dans le cadre de cet article, Frisch et sa famille ne sont pas sûrs de revenir, malgré leur attachement à Kiryat Shmona : « Nous avons effectué un sondage et 50 % des habitants ont dit qu’ils ne reviendraient pas. Les gens ont peur des roquettes, ils ont peur d’une invasion du Hezbollah. Ils ne sont pas prêts à se faire massacrer », explique-t-il.
Un traumatisme sans fin
« Depuis chez moi, à Metula, je voyais le Liban depuis trois côtés de la maison », se souvient Yoram Schleyer, psychologue qui, alors qu’il était président de l’Association israélienne de psychologie, a vécu pendant 20 ans dans la communauté la plus au sud d’Israël avant de s’installer dans le centre du pays, il y a de cela a six années.
Mais depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, il est en milouyim, dit-il, utilisant le mot qui, en hébreu, désigne le devoir de réserve. Il lui a été demandé de devenir « le responsable en charge de la santé psychique des évacués de Metula ».
« L’année dernière a été extraordinairement difficile et les enfants sont en réel danger », déclare Schleyer sans ambages. « On constate une augmentation des problèmes de comportement, des problèmes de concentration et des cas d’automutilation. La réalité, c’est que nous sommes tous traumatisés et le pire dans tout ça, c’est que nous n’en voyons pas la fin », s’exclame-t-il.
« La réalité, c’est que nous sommes tous traumatisés et le pire dans tout ça, c’est que nous n’en voyons pas la fin. »
Une évaluation qui est corroborée par une enquête dont les résultats ont été diffusés jeudi. Ainsi, 82,5 % des parents originaires des communautés qui ont été évacuées dans le nord du pays déclarent que « leurs enfants expriment davantage d’inquiétudes et de difficultés » en ce qui concerne leur situation par rapport à l’année dernière. 65 % ont fait savoir que leurs enfants « ont des niveaux plus élevés d’anxiété et de peur ».
Metula, une petite ville d’environ 1 700 habitants, a été officiellement évacuée le 16 octobre 2023. Au début, la majorité des habitants s’étaient réfugiés dans des hôtels à Tibériade. « Si tous les enfants ne se trouvaient pas là, beaucoup l’étaient néanmoins et il y avait des élèves en provenance d’autres endroits. Il y a donc eu une école pendant près d’un an », note Schleyer, ce qui a permis d’assurer une certaine continuité.
Mais vivre à long-terme dans des hôtels a un effet « cocotte-minute », déclare-t-il – ce qui a entraîné des « situations très difficiles » pour un grand nombre de familles. « Petit à petit, les déplacés ont quitté les hôtels, la population a changé et l’école est devenue un hall de gare », explique Schleyer.
Aujourd’hui, à l’aube de la nouvelle année scolaire, les élèves sont dispersés et leurs maisons et amis leur manquent.
Une fois qu’il a été certain que les résidents ne seraient pas autorisés à revenir avant le 1er septembre, il y a eu une tentative visant à ouvrir une école élémentaire pour les évacués de Metula à Rosh Pina, un effort dont l’objectif était de garder la communauté unie. Ce qui aurait nécessité que plus de familles déménagent à proximité et le projet n’a finalement pas vu le jour.
« Il n’y aura pas d’école primaire à Metula cette année. L’impact de cette décision est très dur, surtout en ce qui concerne les espoirs de retour des habitants », déplore Schleyer.
Ligne de tir
Depuis le 8 octobre 2023, ce sont environ 8 000 roquettes qui ont été tirées depuis le Liban en direction du territoire israélien, ainsi que des centaines de drones et de missiles antichars. Jusqu’à présent, les hostilités ont causé la mort de 26 civils du côté israélien, ainsi que celle de 20 soldats et réservistes de Tsahal. Plusieurs attaques en provenance de Syrie ont également eu lieu sans faire de blessé.
Les attaques – un grand nombre d’entre elles ont été bloquées par le système de défense antiaérienne du Dôme de fer – ont également causé des dommages aux bâtiments et aux habitations. Elles ont été à l’origine d’incendies qui ont anéanti environ 147 kilomètres carrés de végétation.
Buchris confie que la « question centrale » que se posent les habitants est celle de leur éventuel retour dans le nord. Doivent-ils rester là où ils sont ? Doivent-ils s’installer ailleurs, là où davantage d’opportunités leur seront offertes ?
Alors que l’année scolaire commence, la majorité des familles continuent simplement à évoluer là où elles se trouvent actuellement, ajoute-t-il.
« Il y a tellement de difficultés », déplore Buchris. « En fin de compte, l’État d’Israël doit gagner cette guerre. Nous n’avons pas d’autre choix ».