Depuis 46 jours, Omri Almog vit à l’hôtel Dan Panorama de Tel Aviv, où il « fait shiva », explique-t-il. Ses parents – Shlomit et Giora Almog – et lui respectent la traditionnelle période de deuil de sept jours – mais indéfiniment.
Ils sont assis aux côtés de Varda et David Goldstein, les parents de son beau-frère, Nadav Goldstein-Almog, parce qu’ils « n’ont nulle part où aller », a confié Almog au Times of Israël cette semaine.
Les maisons du kibboutz Kfar Aza, où vivaient les membres de cette famille, ont été pratiquement toutes détruites.
Nadav, 48 ans, et sa fille aînée Yam, 19 ans, ont été tués par des terroristes du Hamas le 7 octobre, dans la pièce sécurisée de leur maison du kibboutz de Kfar Aza.
L’épouse de Nadav, Chen Goldstein-Almog, et leurs trois autres enfants, Agam, 17 ans, Gal, 11 ans et Tal, 9 ans, ont été enlevés et conduits à Gaza.
Ils sont assis dans le hall du Dan Panorama, un espace haut de plafond et plein de courants d’air. En ce dimanche soir, le hall fourmille d’autres personnes évacuées en raison de la guerre, des familles de Sderot ou Kiryat Shmona qui mangent des sfinj frits, ces beignets dégoulinants de miel, offerts par quelqu’un dans des moules en aluminium.
Il a fallu plusieurs jours aux familles Almog et Goldstein pour découvrir l’ampleur de ce qui s’était passé. Les deux couples de grands-parents se trouvaient à l’étranger le jour du 7 octobre, pour un voyage à la rencontre de leurs racines, en Bulgarie, à l’occasion de la fête de Souccot.
Almog, qui vit avec sa femme et ses trois enfants dans le nord, dans le moshav Sde Eliezer en haute Galilée, dit ainsi que Kfar Aza est aujourd’hui un véritable champ de ruines.
« À tel endroit quelqu’un a été tué, là un autre », dit-il, après s’être rendu dans le kibboutz à plusieurs reprises ce mois-ci.
Le coin des enfants, où les terroristes ont commencé leur folie meurtrière, « est une vallée de la mort, avec l’odeur de la mort », confie-t-il. La maison des Goldstein-Almog est délabrée, pleine d’impacts de balles, les béquilles de Nadav jetées par terre, les vélos comme mutilés à l’entrée de la maison.
On estime de 52 à 60 le nombre des personnes tuées à Kfar Aza et à 17 le nombre des habitants pris en otage.
Le matin du 7 octobre, les Goldstein-Almog étaient ensemble dans leur pièce sécurisée, en contact avec leurs proches sur Whatsapp.
Nadav, 48 ans, triathlète qui se remettait d’une mauvaise chute à vélo en juillet dernier, boitait encore. La fille aînée Yam, commandante à la Direction des services informatiques de l’armée, était à la maison pour le week-end et envoyait des textos au reste de la famille.
L’une des sœurs de Nadav, son mari et leurs quatre filles avaient déjà quitté le kibboutz, ce matin-là, à 6h30. Ils ont entendu les roquettes et après avoir vu des terroristes traverser les champs du kibboutz en voiture, ils sont rapidement partis, échappant ainsi aux armes des terroristes avant de se réfugier dans un moshav voisin.
La famille de la sœur d’Almog était, elle, sur place lorsque 136 terroristes se sont déchaînés dans le kibboutz, « se livrant à un vrai massacre pendant des heures », explique Almog. « Ils allaient là où ils entendaient des voix : ils se sont emparés de Kfar Aza. »
La pièce sécurisée de la maison Goldstein-Almog – « une belle maison, très bien entretenue », se rappelle Almog – donnait sur une buanderie, avec la machine à laver et le sèche-linge. C’est par là que les terroristes sont entrés, qu’ils ont tué Nadav et Yam et enlevé les autres, vers 11h45.
C’est le lendemain, dimanche 8 octobre, que la famille a été informée que Nadav et Yam étaient probablement morts, mais il a fallu attendre le mardi suivant, lorsque les grands-parents sont rentrés et ont pu fournir des échantillons d’ADN, pour que leurs corps soient officiellement identifiés.
Selon le LA Times, les enquêteurs les ont identifiés grâce à la plaque métallique dans la hanche de Nadav et le tatouage de Yam, deux papillons.
La famille ne voulait pas enterrer Nadav et Yam tant qu’elle ne savait pas ce qui était arrivé à Chen, Agam, Gal et Tal. Il leur a fallu attendre 10 jours de plus pour être informé, sur la foi des services de renseignement de l’armée, que Chen et ses trois enfants étaient officiellement considérés comme des otages à Gaza.
Le 23 octobre, ils ont enterré Nadav et Yam dans le kibboutz Shefayim, où la plupart des habitants de Kfar Aza résident actuellement. Les obsèques ont eu lieu, avec une cruelle ironie, le jour de l’anniversaire de Chen.
« Chen, ma sœur, est veuve, elle a perdu un enfant et, kidnappée avec trois de ses enfants, elle se trouve à Gaza », explique Almog. « C’est ce qu’elle est désormais, pour autant qu’elle le sache. Je crois que c’est le cas. Elle est sortie de la maison, elle a vu ce qui se passait. »
Chen et Nadav s’étaient connus au lycée, à l’âge de 14 ans, s’étaient mariés jeunes et s’étaient installés à Kfar Aza, un endroit qu’ils n’avaient jamais pensé quitter, indépendamment de ce qui se passait dans la communauté frontalière de Gaza.
« Mon beau-frère me disait toujours : ‘Tu ne sors pas de chez toi’ », confie Almog. Il se rappelle qu’en rendant visite à son beau-frère, en soins intensifs cet été suite à son accident de vélo, Nadav lui avait dit : « C’est l’espoir qui meurt le dernier. »
« Aujourd’hui, ce dicton prend une toute autre dimension », affirme Almog. « Il faut qu’ils reviennent, nous ne pouvons pas perdre espoir. »
Sa sœur, Chen, est forte, dit Almog, avec suffisamment de force pour veiller sur les trois enfants qui lui restent. Les tombes de Nadav et Yam seront rapatriées à Kfar Aza lorsque la famille y retournera – il pense que c’est ce qu’ils feront.
Les parents de Nadav, Varda et Gogo, se sont installés à Kfar Aza dans les années 1960 et c’est là qu’ils y ont élevé leurs enfants. Les parents d’Almog s’y sont installés il y a une vingtaine d’années, lorsque Nadav et Chen l’ont fait.
Nadav était vice-président du développement commercial chez Kafrit Industries, la société de fabrication de plastique cotée en bourse de Kfar Aza. Chen, travailleuse sociale de formation, est mère au foyer parce que Nadav voyageait fréquemment, a déclaré Omri.
« Nous attendons tous qu’ils reviennent. Nous sommes sûrs qu’ils reviendront. »
Omri Almog paraît stoïque et fort. Assis sur le canapé du hall de l’hôtel, entouré de familles évacuées qui traînent en pyjama, il raconte ce qu’il sait de la mort de ses proches et de l’enlèvement de la famille de sa sœur, sans montrer trop d’émotions.
C’est lorsqu’il commence à évoquer les réactions du monde ou les raisons pour lesquelles les événements du 7 octobre ont eu lieu que sa voix se fait plus vive et son débit, plus rapide.
Ces six dernières semaines, Almog, en compagnie d’autres proches des 240 otages, s’est entretenu avec des représentants de l’Union européenne, de l’UNICEF en Israël sans oublier le ministre belge des Affaires étrangères.
Il n’a pas beaucoup d’espoir que l’une ou l’autre de ces organisations lui apportent de l’aide.
« L’UE est une entreprise, elle légifère sur les droits de l’homme mais ne fait rien », assène Almog. « C’est l’occasion pour eux d’agir, ou tout du moins de dire qu’ils vont le faire, mais c’est difficile. »
Parler à ces organisations, résume Almog, c’est un peu « comme parler à un mur ».
« Toutes les familles ont parlé à l’UNICEF Israël, au ministère israélien des Affaires étrangères. Ils ont raconté leur histoire et pleuré. Je me suis levé et j’ai dit : ‘Que faites-vous ici ? Pourquoi êtes-vous venus, vous n’avez jamais rien fait pour nous’ », se rappelle Almog. Il précise que le matériel médical des terroristes trouvé à Kfar Aza était recouvert d’autocollants de l’UNICEF.
« Il faut dire au monde entier qu’il y a un groupe terroriste et tous ces pipelines lui ont apporté l’oxygène dont il avait besoin. Israël est aussi à blâmer. Pendant 20 ans, rien n’a été fait : on a laissé le monstre grandir, grandir, avoir des idées et se lancer au final dans une mission maléfique digne de ce qui se faisait au Moyen Âge. »
Il ne reproche rien à l’armée israélienne, sachant qu’elle ne fait que suivre les ordres du gouvernement, qui, dit-il, a permis que soit financé le Hamas « à grands renforts de valises pleines de billets ».
Alors que des membres de la famille élargie Goldstein-Almog se rendent aux rassemblements et que d’autres proches d’otages veulent rencontrer le gouvernement de guerre, Almog assure qu’il n’a aucune envie de s’asseoir à la même table que le Premier ministre Benjamin Netanyahu ou le ministre de la Défense Yoav Gallant.
« Ça ne m’intéresse pas de les voir, qu’ils s’occupent de ramener tout le monde et ensuite nous nous occuperons d’eux », dit Almog d’un ton calme et ferme. « Nous nous occuperons d’eux, ils ne pourront pas se promener librement en Terre d’Israël. »
Grand marathonien, il évacue sa colère en courant, ce qu’il fait tous les jours. Le week-end dernier, il a été rejoint par une centaine d’autres marathoniens pour courir au nom des otages, en bord de mer à Tel Aviv.
« Je mets ma colère dans d’autres choses », explique-t-il. « Je sors courir. Mes parents sortent aussi. C’est une perte énorme, mais il est inconcevable de rester ici toute la journée, même s’il y a nulle part où aller. »