Les scientifiques ont prédit qu’à un moment – dans un avenir qui ne serait pas si éloigné – les températures, dans le monde, pourraient augmenter de 4 degrés Celsius, voire plus, en moyenne. D’ici 2100, le niveau de la mer devrait grimper de 0,2 mètres dans le meilleur des scénarios ou de 2,5 mètres dans le pire, en fonction des efforts qui seront livrés pour réduire les émissions à effet de serre.
Une augmentation de seulement un demi-mètre serait néanmoins suffisante pour inonder les villes égyptiennes de Port Saïd et d’Alexandrie, selon une estimation. Une hausse d’un mètre recouvrirait un quart du Delta du Nil – le grenier du pays.
Ce désastre qui se profile lentement mais sûrement à l’horizon pourrait entraîner le déracinement de six millions d’Egyptiens, en plus des millions de personnes qui seraient dans l’obligation de quitter certaines parties du Sahel. Là-bas, la dégradation des terres a déjà des conséquences néfastes et tragiques et une insupportable chaleur y est d’ores et déjà devenue la norme, rendant invivable un large pan de l’Afrique – le continent où la croissance de la population est la plus forte et la plus rapide.
En Égypte, un combat pour des ressources amenuisées pourrait bien déstabiliser le pays, le plaçant dans une spirale de mort, les parties en guerre attisant un conflit qui pourrait se répercuter dans toute la région avec un déversement de réfugiés vers la Libye, vers la mer et vers Israël.
« Il semble indéniable que de graves problèmes environnementaux seraient appelés à dégénérer en conflit global », avaient écrit Peter Schwartz et Doug Randall dans une étude de 2003, souvent citée, réalisée pour le Pentagone, qui se penchait sur les implications sécuritaires possibles du changement climatique. Le document avait envisagé le pire scénario, celui où la « famine, la maladie, et autres catastrophes entraînées par le climat sont amenées à frapper suite à un dérèglement climatique abrupt. Ce qui ferait naître un sentiment de désespoir qui pourrait probablement entraîner une agression offensive, dans le but d’imposer un rééquilibrage ».
« Des actions diplomatiques seront nécessaires pour minimiser la possibilité de conflit dans les secteurs les plus impactés – Il est indispensable d’apprendre à gérer les populations migrantes, les tensions qui émergent aux frontières et les réfugiés qui pourraient résulter d’une telle catastrophe. De nouvelles formes d’accords sécuritaires traitant de manière spécifique l’énergie, l’alimentation et l’eau seront également absolument nécessaires », avaient-ils ajouté.

Environ 17 ans plus tard, des experts israéliens de la sécurité nationale avertissent que l’establishment militaire et de la Défense, au sein de l’État juif, n’a pas encore commencé à réfléchir sérieusement aux effets potentiellement désastreux du changement climatique sur l’instabilité régionale.
Tandis que les prouesses du pays dans le secteur des hautes-technologies pourraient bien l’aider à s’adapter à une nouvelle réalité climatique, Israël sera dans l’incapacité de se protéger des pressions extérieures ou de survivre en se séparant des autres, disent-ils.
Et le climat extrême qui peut faire fondre les routes ou paralyser au sol les avions-chasseurs auront un impact sur les capacités opérationnelles, modifiant la manière même de faire la guerre.

Cette affirmation de l’ignorance, de la part des hauts-responsables de la Défense, des dangers spécifiques qui découleraient du changement climatique, à leurs risques et périls, figure dans une étude très détaillée publiée par l’Institut des Etudes nationales de sécurité (INSS) à l’université de Tel Aviv, avec une préface qui a été écrite par le ministre de la Défense Benny Gantz.
« Où Israël devra-t-il se battre, et contre quoi ? Comment relèverons-nous ces défis ? Avec quels équipements ? », s’interroge Shira Efron, éminente chercheuse au sein de l’INSS qui est à l’origine de l’initiative qui a entraîné la rédaction de l’ouvrage « Environnement, climat et sécurité nationale : Un nouveau front pour Israël » (en hébreu). « Le changement climatique est une menace stratégique à la sécurité nationale au sens classique du terme et si nous ne commençons pas à nous y préparer dès maintenant, alors nous ne serons jamais prêts ».
La préparation à une guerre brûlante
Prédire l’avenir est la plupart du temps mission impossible. Parmi les nombreuses prévisions contenues dans un rapport destiné au Pentagone qui avait été écrit en 2003 et qui se sont avérées fausses : l’annonce que l’année 2020 serait marquée par « une migration depuis les pays du nord, comme la Hollande et l’Allemagne, vers l’Espagne et l’Italie » à cause d’un refroidissement excessif qui aurait touché l’Europe.
Mais, en même temps, il semble indéniable que la région connaît des fluctuations extrêmes en termes de climat – ce qui pourrait d’ores et déjà être un facteur supplémentaire de conflit.
Une étude controversée qui avait été réalisée en 2015 et qui se présentait comme une analyse de la guerre civile syrienne qui a éclaté en 2011 avait mis en cause « une connexion allant de l’intervention humaine dans le climat, à la sécheresse sévère, en passant par l’effondrement de l’agriculture résultant en une migration humaine massive ». (Des études ultérieures se sont interrogées sur le rôle joué par le facteur sécheresse dans le déclenchement de la guerre civile).

La plus importante sécheresse enregistrée dans l’Histoire du Levant a duré 15 ans, de 1998 à 2012 – et elle a été probablement plus accrue que n’importe quelle période comparable au cours des 900 dernières années, selon une étude qui avait été réalisée par des chercheurs de l’Institut Goddard d’études spatiales de la NASA.
La Syrie et les pays voisins ont subi cinq années successives de sécheresse entre 2006 et 2011. Si certains pays, comme la Jordanie, sont parvenus à gérer la situation, la sécheresse est venue s’ajouter en Syrie à la mauvaise prise en charge du gouvernement et à d’autres facteurs sans liens avec le dérèglement climatique.
La sécheresse et des températures dépassant les 50 degrés Celsius ont d’ores et déjà été enregistrées dans de nombreuses régions du Moyen-Orient et les journées de canicule, qui deviennent de plus en plus habituelles, mettent en péril la vie humaine, détruisant les récoltes et le bétail, exacerbant la pauvreté et les inégalités de revenus, poussant des millions de personnes à partir ailleurs pour trouver des conditions enfin vivables, mettent en garde les auteurs de l’INSS.

Le groupe avertit que la Jordanie et l’Egypte voisines, sans même évoquer l’Autorité palestinienne et le Hamas, pourraient également s’effondrer alors que des gouvernements trop faibles tenteraient en vain de s’adapter aux impacts combinés de la hausse des températures et de celle du niveau de la mer.
Et avec la chute de régimes passablement impuissants, ce sont les extrémistes islamistes et les groupes criminels qui pourraient alors prendre le relais en manipulant les détresses et en utilisant les produits alimentaires et l’eau comme armes de contrôle et comme incitation à les rejoindre.
« Notre région est hautement instable en termes géopolitiques et si vous ajoutez à cela le fait qu’elle est une zone particulièrement sensible en ce qui concerne le changement climatique, ce dernier devient alors un facteur de multiplication des menaces », commente Michael Herzog, qui travaille à l’Institut de Washington et qui est général de brigade de Tsahal à la retraite – au cours de sa carrière, il était à la tête de la Division de planification stratégique. « Il faut intégrer le changement climatique dans la doctrine de sécurité nationale en Israël. Le changement climatique est un ennemi sans visage qui ne connaît pas de frontières, et construire des barrières ne sera pas suffisant. Nous devons mettre en place une réelle collaboration régionale », explique-t-il.

Les universitaires et les groupes de pression continuent à débattre avec virulence du rôle précis du changement climatique dans un mélange explosif de causes susceptibles d’entraîner des conflits et des migrations de masse.
Mais si le Pentagone et l’Union européenne intègrent le dérèglement climatique de manière de plus en plus profonde dans leur réflexion militaire, ce processus n’a pas seulement commencé au sein de l’État juif, affirment les auteurs.
Un porte-parole du ministère de la Défense a renvoyé le Times of Israel au ministère de la Protection environnementale, qui n’assume aucune fonction dans la planification en termes de Défense nationale.
Un porte-parole de Tsahal a pour sa part déclaré que « la question du changement climatique n’est pas abordée actuellement au sein de l’armée israélienne. »
Efron, qui a obtenu un doctorat en analyse politique, indique que de nombreux problèmes considérés comme relevant du Pentagone relèvent aussi de l’armée israélienne – et ce n’est pas seulement en ce qui concerne les menaces pouvant se présenter à l’avenir. Elle souligne la nécessité de réfléchir aux capacités d’opération militaire en cas de chaleur extrême.

« Une chaleur extrême peut faire fondre le béton armé, l’asphalte. On le constate dans d’autres parties du Moyen-Orient, au Koweït, au Qatar et aux Émirats arabes unis. De surcroît, environ 30 % des vols, là-bas, sont régulièrement retardés ou annulés pour cause de chaleur trop importante », dit-elle au Times of Israel.
« Des températures élevées affectent la densité de l’air – ce qui rend très difficile le décollage des avions cargo. Il faut alors soit réduire la cargaison embarquée à bord, soit décoller au milieu de la nuit, quand l’air est plus frais », ajoute-t-elle. Certains systèmes de l’appareil tombent en panne en cas de forte chaleur ».
Efron, qui est aussi conseillère spéciale auprès de la RAND Corporation et chercheuse-adjoint à l’Institut de guerre moderne de West Point, a fait du lien entre changement climatique et sécurité nationale l’une de ses spécialités. Elle a lancé un programme de recherche sur le sujet à l’INSS et, l’année dernière, elle a organisé deux conférences consacrées à cette problématique, une première dans le pays.
Sur la main-d’œuvre et sur les ressources humaines militaires, elle note : « nous savons qu’une chaleur intense affectera la santé des personnels et de la main-d’œuvre dans l’armée israélienne toute entière, ce qui peut entraîner une réduction des journées de formation et avoir des conséquences sur l’état de préparation des soldats. Un tel facteur peut aussi avoir des répercussions sur les capacités d’aller en opération ».
« On peut dire qu’on va aller manœuvrer dans le nord, où il fait moins chaud. Mais nous préparerions-nous ainsi à un scénario où l’Égypte deviendrait la prochaine Syrie ? Nous avons effectué une simulation montrant que l’Égypte – si les tendances du changement climatique et de la gouvernance actuelles devaient se confirmer – pourrait présenter une situation similaire à celle de la Syrie dès 2030 en raison de l’insécurité alimentaire et de l’insécurité de l’accès à l’eau ».
« Ces éléments peuvent avoir des implications pour les activités opérationnelles », continue-t-elle. « La technologie peut offrir des solutions mais il faut pouvoir identifier les problèmes pour les surmonter ».
Israël a eu un avant-goût du prix de l’impréparation au mois de janvier 2020, lorsque des inondations qui ont lieu sur la base Hatzor, dans le sud du pays, ont entraîné des millions de shekels de dégâts sur les avions F-16 des forces aériennes. Les chutes de pluies violentes devenant de plus en plus communes, il est probable que ce type de dommages liés aux inondations augmenteront en l’absence de l’adoption de mesures de précaution spécifiques.

John Conger, qui dirige le Centre américain pour le climat et la sécurité et qui est consultant pour le Conseil militaire sur le climat et la sécurité (IMCCS), a déclaré lors d’une conférence de l’INSS sur le changement climatique et sur la sécurité nationale, au mois de novembre, que la hausse du niveau de la mer, la recrudescence des tempêtes et les chaleurs extrêmes, tous liés au dérèglement climatique, avaient entraîné des milliards de dollars de dommages sur les bases navales, tandis qu’un ouragan, en Floride, a neutralisé le travail d’une base aérienne pendant un mois.
Herzog a rédigé la section de l’étude détaillée qui traite des implications en termes de sécurité régionale du changement climatique avec l’experte en droit Deborah Sandler et l’ancien négociateur palestinien Ghaith al-Omari, chercheur à l’Institut de Washington. (Elle va être publiée sous peu en anglais sur les sites internet de l’Institut de Washington et sur celui de l’Institut d’études environnementales Arava. Il y a aussi le projet de publier l’ensemble de l’étude en anglais).
Il explique avoir travaillé sur tous les livres et articles essentiels évoquant la doctrine militaire qui ont été écrits au sein de l’État juif au cours des deux dernières décennies et n’avoir trouvé que de rares évocations des facteurs environnementaux.

L’approche d’Israël en termes de sécurité nationale s’appuie davantage sur la nécessité de contrer les menaces extérieures proférées par des États ennemis ou autres acteurs – comme les groupes terroristes – en utilisant des moyens militaires et politiques, continue Sandler, qui a un doctorat obtenu à Oxford.
Ce qui comprend de créer une armée puissante, des services de renseignement et des capacités de dissuasion, ainsi qu’une doctrine qui a vu le pays établir des fortifications à ses frontières à l’aide de clôtures et de barrières, notamment le long des frontières avec l’Egypte et avec Gaza ainsi que dans certaines parties de la Cisjordanie.

Mais se préparer au changement climatique – un problème où ni les frontières, ni les alliances traditionnelles ne comptent – exige une gamme entière d’outils différents de ceux utilisés pour la planification consistant à appréhender des ennemis conventionnels, ou même des groupes terroristes.
Toutes les technologies qu’Israël pourra mettre au point pour garantir que les citoyens disposeront de suffisamment d’eau et qu’ils pourront cultiver suffisamment de nourriture ne protégeront pas le pays si les États voisins ne peuvent pas faire la même chose, écrivent les auteurs.
Tandis qu’un futur article du Times of Israel évoquera les moyens susceptibles de minimiser certaines des menaces régionales susmentionnées, Herzog et ses collègues prévoient de faire une table ronde dans les deux mois à venir pour rassembler de hauts-responsables de l’Environnement et de la Défense, un prélude à la création de groupes de travail qui permettront à Israël de se pencher sur cette problématique particulière, rattrapant en cela les autres pays du monde.
L’approche d’Israël en termes de sécurité nationale s’appuie davantage sur la nécessité de contrer les menaces extérieures proférées par des États ennemis ou autres acteurs – comme les groupes terroristes – par des moyens militaires et politiques
Les auteurs soulignent le manque apparent de préparation du gouvernement à la gestion de la crise de la COVID-19 qui touchait, elle aussi, la sécurité nationale. Ils disent qu’il ne s’agit que d’un avant-goût des effets potentiellement bien plus dévastateurs du dérèglement climatique.
« Le climat doit être présent dans les simulations et dans les jeux de guerre et il doit être un facteur pris en compte dans la planification des infrastructures, chez le personnel et dans le développement des équipements sécuritaires et des armements », commente Efron qui, l’année dernière, a co-écrit Environment, Geography, and the Future of Warfare: The Changing Global Environment and Its Implications for the U.S. Air Force. Elle note que le coût élevé de la prise en charge de la crise du coronavirus ne facilite pas, à l’heure actuelle, la réflexion sur le climat, mais que « le prix de l’inaction est trop cher à payer ».
Plus chaud, plus sec, plus surpeuplé
Le changement climatique est ce que les experts comme Herzog appellent un « multiplicateur de menaces ». Il aggrave un mélange d’ores et déjà toxique de populations en croissance, de lignes de fracture ethniques, sociales et religieuses, de pauvreté et d’écart socio-économiques grandissants, de chômage sévère et, souvent, de gouvernements faibles et corrompus.
Au Moyen-Orient et en Afrique du nord – des régions qui sont déjà une poudrière – les scientifiques prédisent que la vie sera bientôt plus chaude et plus sèche, avec une concurrence accrue pour obtenir des ressources plus rares dans des conditions qui s’avèreront être de plus en plus insupportables.
Nous préparons-nous à un scénario où l’Égypte deviendrait la future Syrie ?
Les températures moyennes, dans la région, augmentent 1,5 à deux fois plus vite que dans le reste du monde, alors que le Sahara continue à gagner du terrain.
Le Panel intergouvernemental sur le changement climatique estime que les températures régionales, en moyenne, pourraient s’élever jusqu’à 4 degrés de plus au-dessus de leur niveau d’ici la fin du siècle, avec une diminution de 25 % des chutes de pluie dans certaines parties du nord du Moyen-Orient où vivent davantage de personnes et où l’agriculture est plus développée.
La région devrait être l’une des premières dans le monde à s’assécher et les ressources devraient s’amenuiser de moitié au cours des trois prochaines décennies.
La pénurie d’eau est exacerbée par les activités humaines – les pompages excessifs, la construction de puits illégaux et les mauvaises gestions de la ressource de la part des gouvernements.

En Jordanie, par exemple – l’un des pays où l’eau est la plus rare dans le monde – l’approvisionnement en eau potable ne répond qu’à environ la moitié de la demande de la population et les nappes phréatiques sont utilisées à outrance, deux fois plus vite que le temps nécessaire pour leur reconstitution. Un taux de natalité élevé et l’arrivée de réfugiés de Syrie, et d’autres zones de conflit, ne font qu’ajouter une pression supplémentaire sur le système. Les pénuries sont, de plus, accompagnées d’une gestion médiocre. Le pays perd ainsi la moitié de son eau à cause de fuites dans les canalisations, du vol et de la sous-facturation, selon l’USAID.
Des pratiques de gestion des terres non-durables – comme la surexploitation des pâturages et la déforestation – ne font qu’empirer les choses, accélérant le rythme de la désertification et de la dégradation des terres agricoles, tandis que les événements météorologiques extrêmes entraînent la famine, les maladies infectieuses, les épidémies, tout en entraînant une hausse des prix alimentaires.
Certains pays choisissent déjà d’agir de manière unilatérale pour stocker des ressources en eau en diminution. La Turquie prévoit ainsi de faire construire 22 barrages sur le Tigre et sur l’Euphrate, avec de graves conséquences pour la Syrie et pour l’Irak, au sud. Les barrages iraniens ont eu un impact sur l’afflux de l’eau en Irak.
De son côté, l’Éthiopie réfléchit à des plans pour son Grand barrage de la renaissance éthiopienne sur le Nil Bleu, ce qui entraîne des conflits avec le Soudan et avec l’Égypte.

Et pour compliquer encore les choses, alors que les ressources naturelles se raréfient, la population de l’Afrique du nord et du Moyen-Orient devrait surpasser les 750 millions d’ici 2050 et atteindre presque le milliard en 2100 contre 525 millions actuellement, indiquent les Nations unies.
Un ennemi qui n’est pas humain
Les migrations entraînées par le climat – qu’elles soient directement causées par le réchauffement planétaire ou indirectement, par le biais des conflits induits par le changement climatique – sont considérées comme l’un des défis les plus importants attendant les États, un défi qu’ils devront prendre en charge avec l’afflux de réfugiés sur leurs territoires ou des crises humanitaires qui se développeront à leurs frontières.
La bande de Gaza, qui est l’un des lieux les plus densément peuplés dans le monde entier, souffre d’ores et déjà d’un fort chômage et d’un gouvernement dysfonctionnel.
Israël a imposé un blocus sur l’enclave côtière après que le groupe terroriste du Hamas a expulsé l’Autorité palestinienne en 2007, tentant ainsi d’empêcher le groupe islamiste d’apporter des armes et des matériaux qui pourraient être utilisés pour construire des fortifications ou des tunnels d’attaque.

La doctrine sécuritaire mise en place par Israël à Gaza prend d’ores et déjà en compte la nécessité d’alléger les pressions exercées sur la population gazaouie – l’État juif autorise l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande, ainsi que l’entrée de liquidités remises par le Qatar – mais rien ne semble indiquer que le pays se soit préparé à une crise humanitaire prolongée qui serait entraînée par une hausse du niveau de la mer ou par une eau potable qui serait de plus en plus saumâtre.

« A Gaza, 98 % de l’eau n’est pas sûre à boire », explique Sanders, qui préside le Forum Environnemental Track II à l’Institut d’études environnementales d’Arava, dans le sud d’Israël. « Les hôpitaux ne peuvent pas faire d’opérations lorsqu’il y a des pannes d’électricité. Les eaux usées débordent des égouts. Que va-t-il arriver dans cinq ans, quand les mères et les pères ne parviendront plus à nourrir leurs enfants ? »
Alors qu’il est difficile de définir l’importance du rôle tenu par le changement climatique dans la guerre civile syrienne, le conflit est considéré comme un aperçu de ce qui pourrait se produire à l’avenir. La guerre a chassé environ cinq millions de Syriens de leurs habitations vers des camps de réfugiés situés en Turquie, au Liban, en Jordanie et en Egypte, exacerbant les difficultés dans tous ces pays et créant souvent des tensions avec les locaux.
Israël a largement évité cette situation en n’acceptant pas les réfugiés tout en offrant une aide humanitaire et en soignant les blessés – mais cette approche pourrait bien ne pas toujours rester une option possible.

« Cette fois-ci, quand les Syriens sont venus à la frontière avec Israël, l’armée israélienne a été rapide à mettre en place un hôpital de campagne, en offrant un approvisionnement et en les renvoyant ensuite chez eux », précise Sandler. « Mais nous avons vu tous ces gens qui se sont précipités pour rejoindre les côtes européennes. Que se passera-t-il quand les infrastructures commenceront à s’effondrer en Jordanie, le troisième pays le plus sec au monde, et au Liban, qui ne possède de son côté aucune infrastructure appropriée ? »

Un modèle, celui du projet Jordan de l’université de Stanford, prédit que d’ici la fin du siècle, en cas d’absence de changement radical visant à juguler le changement climatique, les chutes de pluie, dans le royaume hachémite, diminueront de 30 %, les températures augmenteront pour leur part de six degrés Celsius et le nombre et la durée des périodes de sécheresse seront multipliés par deux. Le flux du fleuve Yarmouk – une importante source d’eau pour la Jordanie, qui coule depuis la Syrie – baissera jusqu’à 75 %, suggère encore l’étude.
« Personne ne s’inquiète de l’impact de l’effondrement de nos voisins sur la sécurité israélienne », s’étonne Sandler. « Nous ne faisons aucune gestion transfrontalière et il y a un manque de ressources naturelles. Nous affrontons un ennemi régional qui n’a rien d’humain, et il n’est ni de gauche, ni de droite. Il représente tout l’enjeu de notre survie ».
Personne ne s’inquiète de l’impact de l’effondrement de nos voisins sur la sécurité israélienne
Jusqu’à présent, Israël n’a eu qu’un avant-goût des migrations entraînées partiellement par le climat avec l’arrivée de dizaines de milliers d’Africains qui ont fui la guerre et la famine sur le territoire avant qu’une clôture ne soit définitivement construite le long de la frontière avec l’Égypte, en 2013.
Plus récemment, des Soudanais qui s’étaient réfugiés au Liban ont tenté d’entrer au sein de l’État juif pour échapper à la crise économique qui sévit là-bas.
Gideon Behar, envoyé spécial pour le changement climatique et le développement durable au ministère des Affaires étrangères et ancien responsable du bureau Afrique, contrôle étroitement le Sahel africain – une ceinture s’étendant de l’est vers l’ouest dans la zone liminale située entre le désert du Sahara et la savane. Là-bas, le Sahara s’élargit vers le sud de plus d’un kilomètre et demi par an.

Selon le bureau des Nations unies pour la coordination des Affaires humanitaires (OCHA), la région du Sahel expérimente l’impact du changement climatique dans ce qu’il a de plus dur, avec un cercle vicieux de sécheresses de plus en plus intenses et de fortes pluies survenant pendant la saison des moissons – avec une terre trop sèche pour absorber les intempéries, ce qui entraîne des inondations et affecte les fermiers les plus pauvres.
« Je pense que le changement climatique va devenir, petit à petit, le principal facteur définissant les contours des relations géopolitiques dans notre région », estime Behar, qui a aussi écrit un article dans l’étude détaillée, lors d’un entretien avec le Times of Israel.
Dans un article qui a été publié à la fin de l’année dernière, Behar et Haim Koren, ancien ambassadeur au Sud-Soudan et en Egypte, ont étudié la manière dont Boko Haram et al-Qaida au Maghreb islamique ont exploité des facteurs imbriqués les uns aux autres – comme l’extrême pauvreté, le chômage largement présent, la croissance rapide de la population et un accès aux ressources de plus en plus difficile – et entraînés par le changement climatique pour s’emparer des ressources naturelles, les utilisant pour rallier à leur cause une population désespérée.

Efron remarque que si le Sahel n’est pas sur la frontière israélienne, ce qui arrive dans le pays peut affecter l’État juif.
« L’effet domino est toujours présent », explique-t-il. « Regardez le printemps arabe, qui a commencé par l’immolation d’un commerçant tunisien. Le Sahel n’est pas très éloigné. Il est de l’autre côté de l’Égypte. Le secteur tout entier est très instable et il n’est pas au centre de l’attention mondiale. Les Etats-Unis observent la Russie et la Chine. Les Européens ont leurs propres problèmes. Ce qui arrive au Sahel affecte d’ores et déjà l’Europe et si Israël est entre les deux, alors cela nous concernera aussi ».
Gardons notre calme et agissons
Même si le pays a signé les accords sur le climat de Paris, Israël est à la traîne derrière les autres pays développés dans sa prise en charge de la question du changement climatique – au-delà de stratégies très basiques de réduction des émissions de carbone. Un grand rapport établi par le ministère de la Protection environnementale, en 2018, établissant la manière dont les divers ministères devaient s’adapter en prenant en compte la question, n’a été ni financé, ni mis en œuvre. L’armée israélienne, le ministère de la Défense ou le Conseil de sécurité nationale n’emploient pas de spécialistes du dérèglement climatique et le climat n’est intégré dans aucune évaluation stratégique significative, dans aucun scénario. Aucun budget de Défense n’est par ailleurs alloué à cette problématique.
Un responsable du bureau du Premier ministre fait savoir au Times of Israel que le Conseil de sécurité national a été impliqué dans « une grande variété d’activités liées au changement climatique », comme la préparation aux incendies et aux phénomènes météorologiques extrêmes dans le pays.
Alors qu’il lui est demandé s’il travaille sur les instabilités régionales qui pourraient être entraînées par le climat et sur les possibles répercussions géopolitiques du dérèglement, le responsable n’a pas de réponse à apporter.
Aux Etats-Unis, une série de rapports établis par des think-tanks sur le changement climatique, en 2006 et 2007, avait amené l’establishment de la sécurité nationale américaine à commencer à intégrer le changement climatique dans ses travaux de planification stratégique.
Le président Joe Biden a juré de faire du dérèglement climatique une priorité, demandant au gouvernement fédéral de l’intégrer dans les politiques sécuritaires nationales et étrangères. Il a également nommé l’ancien secrétaire d’État John Kerry – qui avait aidé à négocier les accords de Paris, en 2015 – au poste tout juste créé d’envoyé spécial sur la question du changement climatique et il lui a attribué – c’est une première – un fauteuil au sein du Conseil national de sécurité.

D’autres pays et d’autres alliances ont reconnu, eux aussi, l’importance d’intégrer les prévisions du changement climatique dans leurs doctrines sécuritaires.
Jens Stoltenberg, secrétaire-général de l’OTAN et ancien Premier ministre norvégien qui a dit avoir été passionné par la problématique du dérèglement climatique pendant toute son existence, a appelé son organisation à « comprendre pleinement et à intégrer le changement climatique dans tous les aspects de notre travail, de notre planification militaire jusqu’à la manière d’entraîner et de former nos forces armées ».
En Europe également, où les enjeux sécuritaires du changement climatique ont été reconnus dès 2003 dans la Stratégie sécuritaire européenne, les hauts-responsables ont été dans l’obligation de passer à l’action suite à l’afflux de réfugiés venus du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie, qui ont risqué leur vie et leur intégrité physique pour atteindre le continent.

Au mois de novembre, l’EAAS (European External Action Service) a présenté une feuille de route « changement climatique et Défense » aux délégations du Conseil de l’Union européenne.
« Le gouvernement d’Israël doit nommer un coordinateur national qui ait de la stature, qui siègerait au Conseil national de sécurité, de la même manière que Biden a nommé John Kerry, », dit Herzog. « Cette personne devra avoir la même autorité qu’un ministre et il sera chargé de coordonner les travaux interministériels sur le changement climatique, avec un budget propre, dans le cadre d’un plan national. »
« Rien de tel n’existe aujourd’hui », déplore-t-il.