Israël en guerre - Jour 65

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  • Du haut à gauche, dans le sens des aiguilles du montre : 'The Secret Music at Tordesillas' de Marjorie Sandor ; la Calle de la Juderia, ou quartier juif, à   Segovia, en Espagne ; l'auteure Marjorie Sandor (Autorisation : Marjorie Sandor) ; Ouds au Caire (Crédit : AP Photo/Nasser Nasser).
    Du haut à gauche, dans le sens des aiguilles du montre : 'The Secret Music at Tordesillas' de Marjorie Sandor ; la Calle de la Juderia, ou quartier juif, à Segovia, en Espagne ; l'auteure Marjorie Sandor (Autorisation : Marjorie Sandor) ; Ouds au Caire (Crédit : AP Photo/Nasser Nasser).
  • Une photo prise en Castille du nord en 2008 pendant les recherches menées par Marjorie Sandor pour 'The Secret Music at Tordesillas'. (Autorisation)
    Une photo prise en Castille du nord en 2008 pendant les recherches menées par Marjorie Sandor pour 'The Secret Music at Tordesillas'. (Autorisation)
  • Une cuisine dans des caves de Grenade similaires à ce qui peut avoir été utilisé par des crypto-Juifs du 16e siècle. (Crédit : autorisation : Marjorie Sandor)
    Une cuisine dans des caves de Grenade similaires à ce qui peut avoir été utilisé par des crypto-Juifs du 16e siècle. (Crédit : autorisation : Marjorie Sandor)
  • Un spécialiste des instruments musicaux égyptiens,  Khadr Dagher, 65 ans, parle de l'instrument connu sous le nom de Oud dans son magasin, rue  Mohammed Ali dans le centre du Caire, le 8 janvier 2013. (Crédit :  AP Photo/Nasser Nasser)
    Un spécialiste des instruments musicaux égyptiens, Khadr Dagher, 65 ans, parle de l'instrument connu sous le nom de Oud dans son magasin, rue Mohammed Ali dans le centre du Caire, le 8 janvier 2013. (Crédit : AP Photo/Nasser Nasser)
  • Une cour à Grenade, en Espagne. (Autorisation : Marjorie Sandor)
    Une cour à Grenade, en Espagne. (Autorisation : Marjorie Sandor)
  • Une maison ancienne à Tordesillas, en Espagne, qui a aidé à inspirer l'écriture de 'The Secret Music at Tordesillas'. (Autorisation : Marjorie Sandor)
    Une maison ancienne à Tordesillas, en Espagne, qui a aidé à inspirer l'écriture de 'The Secret Music at Tordesillas'. (Autorisation : Marjorie Sandor)
  • La Calle de la Juderia Vieja, ou quartier juif à Segovia, en Espagne, en 2008. (Crédit : Marjorie Sandor)
    La Calle de la Juderia Vieja, ou quartier juif à Segovia, en Espagne, en 2008. (Crédit : Marjorie Sandor)

Des échos de musique perdue hantent l’histoire d’amour entre deux crypto-Juifs

Marjorie Sandor, lauréate du prix du Livre juif, évoque ses recherches sur une histoire ancienne tue par la monarchie espagnole à l’époque de l’Inquisition

Yaakov Schwartz est le rédacteur adjoint de la section Le monde juif du Times of Israël

Il y a vingt ans, Marjorie Sandor avait entendu, par hasard, les mélodies d’une musique du 15e siècle dont l’origine avait été attribuée à des compositeurs juifs séfarades qui avaient fui l’Inquisition. Elle avait été tout de suite captivée par ces sons qui lui avaient été familiers même si, reconnaît-elle, elles ne les connaissait pas auparavant. Cette expérience s’était avérée si puissante, raconte-t-elle au Times of Israël, que cela avait été le point de départ d’un voyage qui devait durer une vingtaine d’années et qui devait l’amener à publier son tout premier roman, intitulé The Secret Music at Tordesillas.

Le livre est raconté depuis le point de vue de Juan de Grenade – un musicien fictif abandonné quand il était enfant lorsque sa famille juive a été expulsée d’Espagne dans un contexte de conversion forcée, de torture et de meurtre imposé par la croisade religieuse ordonnée par le roi Ferdinand II et la reine Isabelle de Castille.

Dans l’histoire, De Grenade est le dernier des musiciens de cour à être resté au château après la mort de Juana la Loca, cette reine folle qu’il avait divertie pendant 47 ans, et plus précisément depuis qu’elle avait été enfermée là-bas, placée à l’isolement forcé. Le livre est construit autour de l’interrogatoire qu’il subit de la part de deux inquisiteurs espagnols – qu’il espère pouvoir monter l’un contre l’autre, avec un objectif qui sera révélé avec le temps.

« J’étais chez un ami et il y avait cette musique qui avait cette résonance tellement juive sur la chaîne hi-fi », a expliqué Sandor par téléphone, depuis son domicile de Corvallis, dans l’Oregon. « Je me suis assise et je me suis dit : ‘Mais c’est magnifique, on dirait une musique de synagogue.’ C’est là que j’ai vu la couverture du CD qui s’appelait ‘Musique pour Jeanne la Folle’. »

‘The Secret Music at Tordesillas’, un livre écrit par Marjorie Sandor. (Autorisation)

Cet album au nom mystérieux était celui d’un groupe canadien, La Nef, et quand Sandor a regardé la pochette, elle a remarqué qu’il s’agissait d’un album-concept dont le but était de faire vivre à l’auditeur l’expérience d’un voyage imaginaire dans l’Espagne de la fin du 15e siècle et du début du 16e siècle.

« Je n’avais jamais entendu parler de Jeanne La Folle, troisième fille d’Isabelle de Castille. Elle avait treize ans quand Grenade, le dernier des royaumes des Maures, avait été capturé », explique Sandor.

« Ferdinand II et Isabelle de Castille avaient tous deux défilé à travers tout le quartier juif avant, bien sûr, de donner l’ordre de convertir tous les Juifs qui, le cas échéant, devaient quitter leur royaume dès le mois d’août de la même année », ajoute-t-elle. « Et ces musiciens ont donc fait le pari que la jeune Jeanne avait entendu la musique de ces Juifs qui s’apprêtaient à partir lorsqu’elle s’était installée à l’Alhambra – une thèse qui, si elle est fantaisiste, n’est pas pour autant impossible. »

C’est ainsi qu’a commencé un long processus de recherches pour découvrir une partie de l’histoire juive que les monarques espagnols du 16e siècle avaient tenté d’éradiquer. Sandor est allée visiter les ghettos juifs d’Espagne, elle a cherché – et trouvé – les retranscriptions des procès de l’Inquisition, elle a découvert d’anciennes recettes de cuisine et s’est approchée de tous les musiciens et de tous les universitaires qui, dans le monde entier, pourraient l’aider dans sa quête visant à en apprendre le plus possible sur ceux dont l’histoire se souvient sous le nom de crypto-Juifs – ces Juifs qui étaient restés en Espagne et qui avaient choisi de conserver secrètement leurs traditions, parfois pendant des siècles.

La lauréate du prix national juif Marjorie Sandor. (Autorisation)

Sandor est lauréate du Prix national juif pour son recueil de 2003 intitulé Portrait of My Mother, Who Posed Nude in Wartime, et elle a remporté également le prestigieux Prix du livre de l’Oregon pour un essai personnel, The Night Gardener: A Search for Home. Elle enseigne la fiction à l’université d’État de l’Oregon, à Corvallis (elle a été d’ailleurs la conseillère du journaliste que je suis pendant sa thèse) et elle est aussi une musicienne accomplie.

Le Times of Israël s’est entretenu avec Sandor avant une répétition – respectueuse de la distanciation sociale – du groupe de musique celtique traditionnelle dans lequel elle joue de la guitare. Même s’il est tôt, ce matin-là, Sandor conserve cette part intrigante de mystère un peu obscur qui est la sienne.

L’entretien qui suit a été revu pour plus de clarté.

The Times of Israël : L’histoire qui est à la genèse de ce roman est tellement intéressante – pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Marjorie Sandor : Pour commencer, je ne savais pas vraiment qui était Jeanne la Folle – ou Juana la Loca. Elle avait hérité de la couronne de sa mère, Isabelle de Castille, après la mort de cette dernière ; elle avait été mariée à Philippe le Bel de Bourgogne, et cela avait été le début de la scène des Habsbourg. Elle avait eu six enfants et son père l’avait enfermée à Tordesillas pendant 47 ans pour l’empêcher de régner.

Il se disait à l’époque qu’elle était devenue folle à lier après le décès de son jeune mari, à l’âge de 27 ans. Et je me souviens m’être dit que tout cela était tellement étrange – qu’avaient donc à voir les Juifs de Grenade avec cette reine cinglée d’Espagne qui avait été enfermée pendant 47 ans, à l’extrême nord du pays ? Je me rappelle aussi que je n’avais identifié aucun des noms des instruments qui avaient été utilisés sur l’album de La Nef – l’oud, le saz, le cromorne… Toute la liste avait un fort parfum d’exotisme pour moi.

Mais le plus bizarre, c’est quand j’ai commencé à me demander ce qu’il se serait passé pour un enfant juif de Grenade, dont le père aurait été lui-même un grand instrumentiste et qui aurait été abandonné, livré seul à lui-même, au moment où sa famille et tous les autres Juifs auraient été obligés de partir, n’acceptant pas de se convertir.

Et l’idée ici, comme Moïse dans le panier, c’est que vous avez été abandonné et que vous allez tenter, d’une certaine manière, de vous reconstruire dans les jardins même de l’Alhambra, que vous allez être introduit à la cour en tant que curiosité et que pourtant, jamais vous ne pourrez oublier la musique de votre enfance.

Un spécialiste des instruments musicaux égyptiens, Khadr Dagher, 65 ans, parle de l’instrument connu sous le nom de Oud dans son magasin, rue Mohammed Ali dans le centre du Caire, le 8 janvier 2013. (Crédit : AP Photo/Nasser Nasser)

Et en fait, je me suis imaginée ce gamin s’accrocher à l’oud de son père, laissé d’abord seul avant d’être découvert dans les jardins par la jeune princesse et encore avant qu’une jeune femme de la cour ne s’empare de son instrument. Pendant de longues années, Juan ignore symboliquement où il se trouve – mais ce n’est jamais bien loin, en réalité. Il est aux côtés de cette reine pendant 47 ans, qu’il distrait par sa musique à la cour. Pendant ce temps, il enrage contre la première dame de Jeanne – mais il comprend petit à petit que cette jeune femme est une crypto-Juive, elle aussi, qui pratique son judaïsme dans la clandestinité. Et c’est donc une histoire d’amour – mais une histoire d’amour véritablement bizarre.

Il vous a fallu un certain temps pour terminer ce roman – en fait, nous avions même occasionnellement débattu des difficultés de l’écriture lorsque je tardais moi-même à rendre des parties de ma thèse, en 2013.

Portrait de Juana La Loca par un artiste inconnu, aux environs de l’an 1500. (Crédit : Domaine public/Museo Nacional Colegio de San Gregorio, Valladolid)

Oui, il m’a fallu 17 ans pour terminer le livre, en fait – en partie, avant tout, parce que faire des recherches a été difficile : je ne savais rien de la musique de l’époque, je ne savais rien de l’Inquisition, vraiment. Je ne savais rien de la façon dont les Juifs – ou les nouveaux chrétiens – se faisaient attraper lorsqu’ils pratiquaient le judaïsme. Je ne savais rien de Jeanne la Folle ou de ce qu’elle avait pu traverser – c’était une histoire choquante en elle-même. Et j’ai dû découvrir comment laisser le protagoniste s’exprimer plutôt que d’écrire à la troisième personne pour présenter tous les points de vue différents, ou plutôt que de raconter les choses depuis mon propre point d’observation du 21e siècle.

Une fois que je me suis décidée et que je me suis dit que j’allais entrer dans la peau d’un homme espagnol du 16e siècle et que j’allais moi-même parler – une fois que j’ai fait ça, et que j’ai déterminé qu’il devait raconter son histoire à quelqu’un qui vivait à la même époque et au même endroit, de façon quelque peu journalistique, il a fallu se fixer une échéance et justifier pourquoi mon protagoniste était amené à raconter son histoire ainsi, en urgence. C’est ma bonne amie, la romancière Suzanne Berne, qui m’a suggéré : « Un inquisiteur ? Ou peut-être deux ? » C’est là que le roman a réellement pris vie. Mais ça a été vraiment curieux que cela ait été le point de vue qui semblait néanmoins être la pire option qui s’est avéré être, au final, la seule manière de raconter cette histoire – écrire en prenant la voix et en se glissant dans la peau d’un Espagnol, d’un homme du 16e siècle, vraiment ? Tu vas faire ça ?

Pouvez-vous nous en dire davantage sur les recherches que vous avez réalisées ? Elles ont couvert de nombreux sujets.

Tout a commencé dans une sorte de confusion. J’ai lu le livret délicieux du CD, j’ai cru tout ce que j’ai lu à ce moment-là et, d’une certaine manière, je suis tombée amoureuse de la possibilité de cette histoire de romance. Je pense que j’ai commencé à travailler sur les instruments – parce que je me suis dit qu’il pourrait jouer de l’Oud à la cour, parce que c’est l’instrument qui a la plus jolie résonance.

Eh bien, il m’a fallu deux ans pour découvrir ensuite qu’il n’aurait jamais pu jouer de l’oud en public – on lui aurait enlevé l’instrument qui était, à ce moment-là, lié à l’ennemi, aux royaumes conquis. Et cette information ne figure nulle part dans le livret, il faut vraiment creuser pour la trouver. Et ce n’était que le point de départ.

Une cour à Grenade, en Espagne. (Autorisation : Marjorie Sandor)

L’une des autres choses incroyables à mes yeux, c’est le sujet de l’Inquisition en lui-même. Il y a les registres des procès de l’Inquisition, et ils ont été traduits en anglais – ce qui signifie qu’il est possible, en fait, de relire ces retranscriptions des procès de l’époque de l’Inquisition. Et l’une des plus grandes surprises, ce qui m’a étonné et ce qui m’étonne encore, c’est que dans la plupart des cas, les gens se sont faits attraper alors qu’ils pratiquaient leur judaïsme en secret – ils étaient supposés être de bons chrétiens – à cause de leur alimentation et de leurs activités domestiques.

Une cuisine dans des caves de Grenade similaires à ce qui peut avoir été utilisé par des crypto-Juifs du 16e siècle. (Autorisation : Marjorie Sandor)

Les femmes prenaient souvent de grands risques – on pouvait se faire attraper pour des choses aussi simples qu’une cheminée qui ne fumait pas le vendredi soir ou le samedi matin. Ou pour un balayage de perron après avoir passé une blouse propre, un vendredi après-midi. L’Inquisition envoyait ses fonctionnaires dans tout le pays, ils restaient dans les églises une quinzaine de jours pour prendre des notes, et si vous aviez un voisin ou un domestique en colère, il pouvait venir à l’église et dire ‘Allez voir Untel pendant le week-end, il se passe quelque chose’. Et vous vous retrouviez en prison. Tout pouvait partir de détails qui paraissent innocents.

Portrait d’un pénitent dans une robe de sambenito en 1692. Artiste inconnu. (Crédit : Domaine public)

J’avoue avoir été sidérée par le fait qu’un élément aussi minime et privé puisse finir par détruire votre existence, et celle de vos descendants pour les décennies suivantes. Les Juifs qui se faisaient attraper portaient ces sambenitos, ces tuniques qu’ils devaient revêtir lors des procès, elles étaient accrochées dans l’église avec le nom de famille de la personne mise en cause et les robes restaient là pendant des dizaines d’années, indépendamment de ce qui était finalement arrivé à la personne. Et les hommes et les femmes passaient sur le bûcher – mais on brûlait aussi les effigies de ceux qui s’étaient échappés et ainsi, votre nom de famille restait sali même si vous étiez parvenu à vous enfuir.

Alors finalement, je dois dire que j’ai mené une série de recherches qui a entraîné chez moi stupéfaction et étonnement, il y avait beaucoup de choses que je ne savais pas et chaque chemin que j’ai exploré m’a réservé d’un côté son lot de surprises – mais il m’est arrivé d’avoir également un sentiment d’intimité, de familiarité avec ce que j’étais amenée à découvrir.

Et au fur et à mesure que les choses ont perdu leur qualité exotique et mystérieuse, elles sont devenues pour moi désespérément familières – et je me souviens qu’en 2016, alors que j’écrivais encore, j’ai réalisé que certaines scènes que je décrivais étaient les mêmes qui étaient en train de se produire en Amérique, avec les autorités de l’Immigration et des douanes qui venaient frapper aux portes, avec des gens qui faisaient semblant de ne pas être chez eux ou qui se cachaient à l’arrière de leurs habitations. Les politiques d’immigration de notre propre pays étaient en train de commencer à ressembler à l’Espagne de l’Inquisition !

Marjorie Sandor dans le nord de la Castille, en 2008. (Autorisation)

Êtes-vous vous-même d’origine séfarade ?

C’est une grande interrogation pour moi – et ce n’est pas la première fois qu’on me le demande. Je pense que mon père, dont la famille est venue de Hongrie, est d’origine séfarade mais je n’ai fait aucun test génétique pour le moment. Du côté de ma mère, la famille est Polonaise-Lituanienne, et ils sont roux aux yeux verts, la peau très pâle. Mon père, de son côté, a les cheveux noirs, une peau mate et des yeux bleus brillants – je ne sais pas exactement d’où il vient. Son apparence est celle d’un homme du sud de l’Europe contrairement au côté ashkénaze, et j’ai toujours voulu réaliser un test génétique. La seule chose qui m’empêche de le faire, ce sont différents amis scientifiques qui me disent : « Ehhhh. »

Vous avez pas mal voyagé grâce à vos recherches pour ce livre, mais aussi grâce à votre histoire familiale personnelle.

Je suis allée en Hongrie et en Roumanie en 2008, dans la ville dont mon grand-père est originaire, et le cimetière juif y est placé sur une colline, au-dessus d’une décharge. Il est bien fermé : il a fallu escalader un mur pour y entrer. Il avait été utilisé pour faire pousser du foin et nous avons dû dégager les pousses pour apercevoir les stèles. Et le prêtre de la ville nous a dit, quand nous y sommes allés, qu’il était dommage que nous ne soyons pas venus plus tôt, que le dernier vieil homme à avoir connu un Juif s’était éteint l’année précédente.

La Calle de la Juderia Vieja, ou quartier juif à Segovia, en Espagne, en 2008. (Crédit : Marjorie Sandor)

Ce qui m’a surpris dans ce voyage et lors du déplacement en Espagne pour y faire des recherches, ce sont les effacements volontaires de l’histoire, cette incapacité totale à trouver des preuves de ce que je cherchais : des preuves sur la vie des Juifs. Il y avait ces rues vides avec le mot ‘Juderia’ dessus, et ces cimetières qui sont maintenant utilisés pour les cultures.

Les ravages et la disparition du souvenir étaient tellement frappants

Les ravages et la disparition du souvenir ont été tellement frappants et je pense que prendre conscience, à notre époque contemporaine, de la facilité qu’il y a à effacer les choses entraîne toujours le même choc – même si on sait que c’est arrivé. Aujourd’hui, on est confronté à ces conséquences de l’effacement : il est impossible de retrouver le patrimoine dont vous pensiez, de manière un peu romantique, qu’il était le vôtre.

Pouvez-vous parler du rôle que tient la musique dans le livre ?

Oui, et un autre élément d’inspiration, pour ce livre, a été le vide ou le point d’interrogation qui s’est présenté quand j’ai commencé à faire des recherches sur les balades séfarades – les chansons qui étaient parties avec tous les Juifs d’Espagne du 16e siècle dans tous les pays, le Maroc, la France, la Turquie, dans tous ces endroits différents. La musique, bien sûr, comme la cuisine, adopte les parfums du nouvel endroit où elle s’installe, mais les chansons sont en Ladino – la langue de cette époque, en Espagne – ainsi qu’en espagnol, en Castillan, une langue qui a évolué avec le temps mais qui reste la même dans ces chansons. Et il y a des fragments de mélodies, mais la plus grande partie des mélodies sont dorénavant davantage liées aux pays d’exil.

Une rue à Tordesillas, en Espagne. (Autorisation : Marjorie Sandor)

Et lorsque j’ai commencé à demander à ces spécialistes séfarades ce qui était arrivé à la musique des Juifs et des Maures en Espagne qui avaient fait le choix de ne pas partir, mais qui étaient restés en Espagne et qui s’étaient convertis, ces spécialistes m’ont écrit les uns après les autres en disant tous la même chose : « Personne ne le sait. » Parce que jouer ou interpréter cette musique associée aux piyutim – les mélodies des prières à la synagogue ou les chansons de mariage – aurait été une condamnation à mort.

J’ai découvert un merveilleux spécialiste israélien qui consacre ses écrits à la musique pendant l’Inquisition, Israel Katz, et j’ai puisé autant d’informations que possible auprès de lui – même si beaucoup de choses restent inaccessibles pour moi – et j’ai découvert un article étonnant qui a été à l’origine d’une grande partie de ce que j’ai pu écrire en termes de mémoire et de musique – cette manière de ne jamais pouvoir oublier une musique. Et ce spécialiste, un homme merveilleux, qui est aujourd’hui nonagénaire, m’a dit : « Peut-être votre imagination peut-elle découvrir ce qu’aucun d’entre nous ne sait en réalité. »

Il s’est montré très dur avec moi en termes d’exactitude historique mais il a également estimé que le sujet abordé présentait encore de nombreux mystères. J’ai commencé à me dire que tout cela ressemblait beaucoup au Midrash – en trouvant un vide dans l’histoire, en descendant dans cette aire de battage, dans cette grotte où personne ne sait réellement ce qu’il s’est passé et où, pour ma part, je regarde autour de moi, je m’efforce d’utiliser mon imagination, je tente de déterminer comment les choses se sont déroulées puisque nous n’avons aucun moyen de le savoir.

L’acte d’écriture d’un livre tel que celui-là, c’est un acte où on s’efforce de recréer un lien qui a été rompu et qui d’une certaine manière, ne peut pas être gravé dans la pierre. Le résultat est étrange dans la mesure où, d’une certaine manière, je revendique une histoire possible. Ce n’est pas la mienne très exactement en tant qu’individu : c’est la nôtre [en tant que Juifs]. Je suis tombée amoureuse de la mélodie d’une culture qui pourrait être la mienne et, à partir de là, je suis descendue dans cette grotte comme une spéléologue et je suis remontée avec un récit à raconter.

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