Quand les Américains ont voté pour les élections de mi-mandat en 2018, Meryl Ainsman, présidente du conseil de la fédération juive de Greater Pittsburgh, ne s’est pas publiquement exprimée sur la situation politique aux Etats-Unis.
Et ce n’était pas faute d’avoir quelque chose à dire. Dix jours plus tôt, un suprémaciste blanc, muni d’une arme semi-automatique, a fait irruption dans la synagogue Tree of Life de Pittsburgh et a assassiné onze fidèles. Peu de temps avant d’appuyer sur la gâchette, l’assaillant avait publié sur les réseaux sociaux une diatribe contre les immigrants aux Etats-Unis et avait pointé du doigt l’agence HIAS et son rôle dans l’accueil des migrants.
« Le discours qui émanait de la Maison Blanche à l’époque était également dirigé contre les migrants », a raconté Ainsman lundi au Times of Israël, évoquant l’affaire de la caravane de demandeurs d’asile qui, selon Donald Trump, « marche vers notre frontière pour demander l’asile aux Etats-Unis, car ils ont peur d’être dans leur pays » d’Amérique centrale. « Je pense que ce type de discours a éveillé quelque chose chez le tireur ».
Mais, en sa qualité de présidente d’une organisation caritative, Ainsman n’avait à l’époque pas le droit de prendre position sur le plan politique. Au début de cette année, elle a quitté son rôle au sein de la fédération. Et quelques heures avant l’ouverture des bureaux de vote ce mardi, à l’aube des élections présidentielles américaines, elle n’a pas hésité à être beaucoup plus franche : « Le fait que le discours de Trump alimente l’antisémitisme ne fait aucun doute. »
L’ancienne présidente de la fédération et plusieurs autres membres de la communauté juive de Pittsburgh se sont entretenus avec le Times of Israël à l’approche des élections, qui coïncident, à quelques jours près, avec le second anniversaire de l’attentat de Tree of Life.
Ainsman a été la plus ouverte et n’a pas hésité à associer son ressenti face à la tragédie qui a frappé sa communauté à son vote de mardi.
D’autres ont été plus réticents à faire ce lien et ont souligné que leurs prises de position politique étaient largement antérieures à la fusillade et que celle-ci ne les a aucunement modifiées. En revanche, ils ont été nombreux à dire que l’exercice de leur droit démocratique leur donnait une impression de contrôle, une force dont ils ont été privés le jour de la fusillade.
Un « îlot démocrate »
Pittsburgh, et spécialement le quartier de Squirell Hill, où se situe la synagogue Tree of Life, vote principalement démocrate. Audrey Glickman, une rescapée de la fusillade, a décrit la ville, et celle de Philadelphie, comme des « îlots démocrates » dans une mer républicaine qu’est le reste de la Pennsylvanie.
L’état est considéré comme crucial, pour les deux candidats de mardi. Joe Biden devance Trump de peu Trump en Pennsylvanie; selon les sondages RealClearPolitics, qui lui donnent 4,3 points d’avance.
Glickman a précisé qu’en dépit de son orientation profondément démocrate, Tree of Life compte des membres de tous bords politique et « est fière de l’entente qui y règne ».
Néanmoins, a-t-elle dit, de nombreux fidèles ont été « excédés » par la décision du rabbin Jeffrey Myers, d’accueillir Trump à la synagogue, quelques jours après la fusillade.
« Il l’a fait par respect pour le poste de président, mais nous enterrions encore nos morts », a expliqué Glickman.
Elle a été encore plus catégorique qu’Ainsman : « le tireur avait des idées de Donald Trump sur les lèvres quand il est venu [nous] fusiller », a-t-elle dénoncé.
« Dans notre communauté, certains fermeront les yeux là-dessus. Pas moi », a dit Glickman en expliquant pourquoi elle avait décidé de voter Biden.
Mais, interrogée sur la pertinence d’une corrélation directe entre la fusillade et les élections, Glickman a battu en retraite.
« Étant donné que je connais des gens qui étaient présents lors de la fusillade et qui votent toujours Donald Trump, quoi qu’il se passe, j’hésite [à en parler ouvertement] parce que je préfère garder mes amis et que l’on préfère rester unis plutôt que de nous déchirer au sujet du président », a-t-elle dit.
Ainsman a également reconnu les risques qu’il y avait à politiser une tragédie.
« La communauté a été très délicate à l’égard des familles des victimes », a-t-elle indiqué, suggérant qu’elles n’étaient pas toutes raccord sur le plan politique. « Je ne voudrais rien dire qui puisse les blesser ou qui pourrait leur faire penser que ce qui est arrivé à leurs proches soit récupéré politiquement. »
Mais la politisation de la tragédie n’offense pas seulement les familles des victimes, mais aussi d’autres membres de la communauté.
Parmi eux, Judash Samet, un survivant de la Shoah de 81 ans. Il avait quatre minutes de retard pour l’office, le matin de la fusillade. Grâce à ce retard, il s’est retrouvé en dehors du bâtiment quand le massacre a commencé.
Il a exprimé sa consternation face à l’opposition des membres de sa communauté à la visite de Trump.
« Il est venu rendre hommage. Depuis quand c’est un pays au parti
unique ? », dit-il, rejetant pleinement les tentatives d’associer les idéologies du tireur et le président.
« Le tireur a crié ‘Tous les Juifs doivent mourir !’. Associer les deux est ridicule. Le président Trump en a fait tant pour Israël », a expliqué Samet.
Voter, corps et âme
D’autres personnes, qui occupent encore des postes les empêchant de soutenir ouvertement un candidat précis, ont fait preuve de retenue au sujet de la quasi-coïncidence entre l’anniversaire de la fusillade et l’élection.
« En tant que 501(c)(3), nous ne soutenons pas de candidat en particulier, mais nous parlons de certains sujets », a déclaré Donna Coufal, présidente de Dor Hadash, en utilisant le statut caritatif de l’organisation. Sa communauté reconstructionniste occupe les mêmes locaux que Tree of Life.
Elle a mis en avant la question du contrôle des armes à feu, sur laquelle les membres de sa congrégation se sont exprimés ouvertement.
« Nous avons également intensifié notre activité avec les réfugiés, après la fusillade. C’est une valeur juive », a ajouté Coufal. « En période électorale, ces questions sont pertinentes. »
Le président de Dor Hadash n’a pas été jusqu’à suggérer que la fusillade sera à l’esprit des membres lorsqu’ils se rendront aux urnes. « Je ne dirais pas que la fusillade a changé notre façon de voter, mais son impact a été tel que [nous avons appris] l’importance de se servir de nos voix et de nos pieds pour faire une différence, de quelque manière que ce soit. »
« C’est comme ça que nous voulons honorer la mémoire de Jerry Rabinowitz et la mémoire de ceux que nous avons perdus », a-t-elle commenté, évoquant le fidèle de Dor Hadash tué durant l’attentat.
Susan Friedberg Kalson, membre de la communauté Tree of Life, a abondé dnas le même sens.
Elle a également mis en garde contre la « politisation » de la fusillade, tout en précisant que la tragédie avait « renforcé [son] engagement civique ».
« J’ai toujours été très attachée à la participation active au processus démocratique et [la fusillade] a renforcé cet engagement pour moi », a confié Kalson, directrice générale du centre de santé de Squirrel Hill et présidente de la commission de l’action sociale du mouvement réformé.
« On se sent très impuissant quand quelque chose comme ça arrive dans sa communauté, mais le vote est ce qui permet de faire entendre nos convictions et d’exprimer notre voix de la manière la plus puissante », a-t-elle souligné.
« En tant que Juifs, nous nous épanouissons lorsque la démocratie prospère. C’est la leçon de l’Histoire ».