Du 22 janvier au 5 février, ce sont dix-sept films, fictions et documentaires qui ont été diffusés dans deux salles du Ve arrondissement de Paris, le cinéma Reflet Médicis et l’auditorium de l’Espace Rachi-Guy de Rothschild (mais également en ligne sur la plateforme VOD du festival et dans quatorze villes en régions). Le choix n’a pas été évident, selon Lise Benkemoun, la directrice artistique du festival : « Nous avons vu une soixantaine de films et fait une sélection très rigoureuse avec Jo Amar et Fabienne Cohen-Salmon du FSJU, pour arriver à cette liste d’œuvres. » Pour obtenir ce résultat, l’équipe de Dia(s)porama a pu compter sur le soutien indéfectible du Festival du Film Juif de Toronto (TJFF), avec lequel elle entretient des liens étroits.
Il faut dire que ce projet de festival a eu des débuts difficiles. La première édition se déroulant en 2020, en plein cœur de la crise COVID, il a fallu contourner l’obstacle du confinement. C’est ainsi que l’équipe du FSJU a décidé de faire « un festival en ligne », transformant une catastrophe en un formidable concept. C’est aussi ainsi que Dia(s)porama est devenu le premier festival français de cinéma international accessible simultanément dans toute la France (métropole et Dom-Tom) à la fois en ligne en streaming VOD et en projection en salles. Une opportunité pour celles et ceux qui vivent le cinéma à la maison, Dia(s)porama leur a offert une grande partie de la programmation à voir chez soi, chaque film étant proposé en version originale sous-titrée.
Les membres des deux jurys (fiction et documentaire) ont d’ailleurs apprécié cette facilité. Ils ont pu regarder la totalité des films depuis chez eux, avant d’en débattre avec les autres membres. Des délibérations qui ne furent ni simples, ni apaisées selon Pascal Elbé, membre du jury fiction : « On a beau se connaître, quand on parle d’un film, on est sans frontières, c’est un rapport organique. Même si c’est ton frère qui l’a fait, si ça ne te plaît pas, tu es obligé de lui faire la gueule. Et puis, il y a un rapport avec le cinéma qui est magique. On a envie d’entendre ce que les autres pensent. On s’est fait une opinion dans notre intimité, tout seul et on veut connaître l’avis des autres…. Mais aussi défendre le sien. Nous n’étions parfois pas d’accord mais c’est génial de pouvoir en parler. On ne va plus au cinéma aujourd’hui. Avant, on pouvait sortir du cinéma et critiquer les films. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on fait ? On regarde chacun seul, on ferme l’ordinateur, on regarde un peu Instagram, on éteint et au lit. Au cinéma, ou dans un jury, on peut encore parler de ce que l’on vient de vivre. Et parfois ce que l’on vient de vivre c’est très drôle (rires), comme ce soir par exemple. Quand on donne la présidence d’un festival à Michel Boujenah, on a forcément un incident en direct (rires). Ce soir, on a découvert qu’un président prend de l’anglais pour de l’hébreu, c’est très inquiétant, je pensais qu’il avait une meilleure oreille musicale, mais bon, on ne peut pas être bon partout. »
L’incident dont parle Pascal Elbé s’est déroulé quelques instants plus tôt lors de la remise du prix fiction. Une erreur dans les fiches de Michel Boujenah, et c’est la soirée qui dérape dans une formidable crise de fou rire, emportant aussi bien les membres du jury que la salle. La spectatrice assise à côté de moi me lance : « Enfin des larmes de rires, ça fait vraiment du bien, je n’ai plus ri comme ça depuis longtemps, plus depuis le pogrom en tous cas. »

Le pogrom, le mot est lâché. La tragédie du Shabbat noir est partout, omniprésente, pesant sur la vie des Israéliens et des Juifs de la diaspora depuis le début du conflit. Ces 124 jours de guerre auront d’ailleurs impacté l’organisation du festival de Dia(s)porama, comme le souligne Jo Amar, le directeur de la vie associative et culturelle du FSJU : « Malgré tout, on est content du bilan du festival. On est aux environs de 4 500 personnes qui ont vu au moins un film. Donc c’est vraiment plutôt pas mal pour ces 56 projections, plus la VOD. Il faut dire que la période était difficile. On a beaucoup de gens qui ne sont pas venus suite au 7 octobre. On a des gens qui ne souhaitent pas venir dans des rassemblements juifs. D’autres nous disent qu’on n’a pas le cœur à venir. Une partie de ce public nous a manqué. Il était là l’année dernière et l’année précédente. »
Même constat de la part de Patrick Braoudé, également membre du jury fiction : « J’ai l’impression qu’il y avait plus de monde l’année dernière. Je crois que les gens ont peur ou alors ils sont encore en état de choc. Beaucoup ont du mal à avoir envie de sortir, d’aller voir des films, des choses légères, de rigoler au cinéma. Ce qui va nous sauver, c’est qu’on a l’habitude de ça. On subit des drames depuis toujours et puis on revit. On a une liturgie avec plein de fêtes. On a Shabbat, on a plein de moments pour revivre, pour retrouver des moments de joie. Comme ils disent, on va danser encore, ils ne nous auront pas. Célébrer la vie, c’est un peu le propos du film auquel nous avons attribué le prix du jury. »
Effectivement « Less than Kosher » était le film qu’il fallait, au moment où il le fallait. Cette comédie musicale raconte l’histoire de Viv, une chanteuse de 30 ans dont la carrière s’annonçait très prometteuse dix ans plus tôt. Sa carrière ratée l’a contrainte à retourner dans le sous-sol de sa mère. Mais lorsque cette « méchante juive » autoproclamée décroche un emploi de chantre dans la synagogue familiale, elle se retrouve plongée dans une folle aventure d’affaires illicites, de voyages liés à la drogue, de drames familiaux, de découverte de soi et de graves bouffées juives. C’est « Fleabag » avec l’esprit juif-électro-pop-hébraïque, une référence que ne réfute pas la productrice canadienne du film, Emily Andrews : « Oh ‘Fleabag’, oui complètement, c’est le même état d’esprit. Shaina Silver-Baird est aussi magnifique que Phoebe Waller-Bridge », dit-elle en serrant le prix qu’elle est venue recevoir, ajoutant : « On a développé le film pendant de nombreuses années. On a travaillé sur ça depuis tellement longtemps et maintenant ça me semble incroyable que les gens aiment. Une belle récompense pour un travail acharné. »
Elle a raison, Emily Andrews, le public a adoré ce film, qui a été projeté lors de la cérémonie de clôture du festival. Les réactions à chaud après la projection ont été dithyrambiques. Le président du jury, Michel Boujenah a été également conquis par « Less than Kosher » : « C’était vraiment mon film préféré. On a eu des débats et je suis content parce que j’ai réussi avec d’autres, à faire qu’il ait le prix, c’est mérité. Je trouve qu’en ce moment, sur le judaïsme, on a besoin de trucs un peu gais, ça fait du bien. C’est vraiment un film très, très juif. Le réalisateur (Daniel am Rosenberg) réussit à ce que des chants liturgiques juifs soient modernisés. Il nous embarque en faisant que son héroïne chante d’une autre manière. Il nous fait aimer ces chants, il nous fait pleurer et il nous fait rire avec. C’est extraordinaire, c’est nouveau, c’est un truc qu’on n’a jamais vu. Il a une originalité. Moi, j’avais envie que cette originalité soit primée. »

D’autres films ont été primés lors de cette soirée de gala, notamment le drame réalisé par Rodrigo Cortés « El Amor En Su Lugar », d’après la pièce musicale « Milosc Szuka Mieszkania » écrite dans le ghetto de Varsovie en 1942 par le dramaturge et compositeur juif polonais Jerzy Jurandot. Au cœur du ghetto de Varsovie, début 1942. L’histoire vraie d’un groupe d’acteurs juifs qui, dans le but d’apporter une lueur d’espoir à leurs compatriotes, montent une comédie musicale. Dans les coulisses, les acteurs sont confrontés à un terrible dilemme : la possibilité de s’enfuir après le spectacle ou de rester enfermés dans le ghetto avec la mort comme unique perspective.
« Paris Boutique » a eu les faveurs et le prix du public. Le long métrage réalisé par Marco Carmel avec Nelly Tagar, Joséphine Draï, Angel Bonanni raconte l’histoire de Louise, une avocate française qui prend une pause dans la planification de son somptueux mariage à Paris pour effectuer un court voyage d’affaires à Jérusalem, où elle espère conclure un accord immobilier de plusieurs millions d’euros. En débarquant en Israël, elle a le malheur d’être accueillie à l’aéroport par Neta, chauffeure de taxis, fauchée, qui va tenter d’escroquer à sa riche cliente juste assez d’argent pour couvrir ses dettes.
Le prix du documentaire a été attribué à « La Dalkavo Ora » qui suit la trajectoire de Deniz Bensusan, jeune fille sépharade, qui réalise que sa langue ancestrale, le judéo-espanol, connue sous le nom de ladino, est sur le point de disparaître. Avec la perte de cette langue, la communauté risque également de perdre son identité. « Tantôt émouvant, tantôt plein d’humour, ce documentaire inédit suit le voyage de Deniz Bensusan dans des petites communautés survivantes de Juifs sépharades, à la découverte de sa culture, de sa langue et de ses racines » affirme Anne-Marie Baron, critique de cinéma, auteure d’un formidable livre La Bible à l’écran et présidente du jury documentaire : « Nous avons vu six documentaires en compétition et celui-là, c’est vraiment détaché du lot par sa richesse, par sa beauté. Celui-là, nous a plu à tous. On a visité toute la Méditerranée avec cette jeune fille qu’on a pu voir sur scène tout à l’heure. »
Le ladino était le thème central du cinquième album (« Variations Ladino ») de la guitariste Liat Cohen sorti en 2007 et qui demeure une référence en la matière. Mais pour conclure la soirée et le festival Dia(s)porama, la virtuose accompagnée du pianiste Johan Farjot, offrait un moment différent aux spectateurs de l’espace Rachi, un ciné-concert sur le thème « La guitare fait son cinéma ». Un instant de grâce où le feu des rythmes de la guitare et les notes du piano ont fait revivre les mélodies inoubliables de chefs d’œuvre du cinéma, imaginées par de grands compositeurs, parmi lesquels Lalo Shiffrin et Castelnuovo-Tedesco.

La quatrième édition du festival Dia(s)porama s’est terminée – logiquement – dans un tonnerre d’applaudissements. L’équipe du FSJU recevant ainsi la juste récompense de son travail.
Interrogé à la suite de la soirée, Fabienne Cohen-Salmon, directrice adjointe de la vie culturelle et associative et cheville ouvrière du festival regardait déjà vers l’avenir : « Dia(s)porama est le premier et le seul festival de cinéma d’envergure nationale en France ! Cette année, il s’est déployé dans quatorze villes grâce à la mobilisation des délégations régionales du FSJU, des Centres culturels et des cinémas d’arts et d’essai partout en France. C’est un objectif majeur de la direction de l’action culturelle FSJU, permettre la diffusion de la culture juive au niveau national. Ainsi, ce sont des grandes villes, comme Marseille ou Lyon, mais également des plus petites villes comme Angers, Nancy, Nantes, qui ont participé à cette édition en proposant une partie de la sélection des films. Nous souhaitons poursuivre et intensifier ce développement l’année prochaine. Par ailleurs, nous souhaitons mettre en place des outils pour garder un lien entre Dia(s)porama et notre public tout au long de l’année. »
Qui en doute ? Ce festival, son équipe, ses spectateurs, à l’image du peuple juif ont déjà fait preuve de tellement de résilience, que tout est désormais possible, même le meilleur.