La nature sauvage de la Haute Galilée est riche d’arbres, de vignobles, de sources d’eau douce et de traditions juives.
C’est à cet endroit, assure le Talmud, que le sage juif du 2e siècle Rabbi Shimon Bar Yochai et son fils se sont cachés dans une grotte pour échapper à une condamnation à mort de l’Empire romain. Pendant 13 ans, tous deux se sont nourris d’un caroubier et abreuvés à une source apparus miraculeusement, tandis qu’ils se plongeaient dans l’étude sans relâche de la Torah.
Aujourd’hui, ces mêmes bois attirent mystiques et marginaux, la plupart venus pour se recueillir devant la tombe de Bar Yochai ou profiter de cet endroit boisé, à l’écart du monde, situé sur la plus haute montagne du pays après le Golan. La forêt du mont Meron abrite également des grottes, ici et là, abritant les tombes d’autres grands sages du début de l’histoire juive – notamment Hillel, Shamai et leurs contemporains. La nuit, les murmures des vagabonds en quête de spiritualité et les cris des nombreux randonneurs font place à ceux des loups, chacals, renards et coyotes.
Sans les moyens de subsistance accordés par une main divine à Bar Yochai, combien de temps peut-on de nos jours survivre dans cet environnement ? La question m’est venue pendant mon ascension à travers les broussailles hérissées d’épines, dans les bois situés derrière le sanctuaire au sommet de la montagne. Je me suis concentrée sur le chien malinois belge qui marchait devant moi, ignorant les coupures qui zébraient mon visage et mes bras. Le mont Meron est parsemé de sources d’eau douce et de ruisseaux, mais si on ne les trouve pas, l’espérance de vie n’excède pas trois jours, m’a-t-on dit.
La plupart du temps, le mont Meron et le sanctuaire reçoivent peu de visiteurs et de randonneurs. Mais une fois par an, lors de la fête juive de Lag BaOmer, la montagne accueille des centaines de milliers de Juifs religieux, faisant du pèlerinage le plus grand événement du pays, année après année. L’an dernier, la tombe de Bar Yochai a été le théâtre de la pire catastrophe civile de toute l’histoire d’Israël, lorsque 45 personnes, parmi lesquels de nombreux enfants, ont été tuées dans un mouvement de foule sur une passerelle défectueuse. La fête, ainsi que le premier anniversaire de la catastrophe, ont eu lieu mercredi soir et jeudi.
Les origines de Lag BaOmer sont controversées, mais la fête est de nos jours principalement associée à l’anniversaire de la mort de Bar Yochai et à la trêve d’une journée accordée lors de la terrible peste qui a emporté 24 000 étudiants de Rabbi Akiva, au deuxième siècle de notre ère. Ce dernier événement est considéré par beaucoup comme une métaphore de la répression romaine que Bar Yochai avait lui-même fuie. La partie nocturne de la fête est généralement l’occasion de grands feux de joie, de musique et de repas en plein-air, alors que la journée est propice à la pratique sportive ou à des activités « nature ».
Meron et ses environs, et notamment la ville voisine de Safed, sont depuis longtemps considérés comme le cœur mystique de la nation, du fait d’une tradition qui attribue à Bar Yochai la paternité du Zohar, le corpus de textes le plus important de la Kabbale.
Mais Meron et ses environs sont aussi le théâtre de la disparition mystérieuse de trois Israéliens depuis 1995. Les trois hommes – Avraham Moshe (Moishy) Klinerman, Moshe Ilowitz et Haviv Ben-Abu – figurent parmi les 583 personnes qui ont disparu sans laisser de trace depuis la fondation de l’État d’Israël, au grand dam des enquêteurs et des familles, suspendues entre chagrin et espoir.
Ben-Abu avait 82 ans lorsqu’il a disparu lors de la fête de Lag BaOmer en 1995. Ilowitz en avait 37 au moment de sa disparition dans la forêt de Meron, juste avant les fêtes de 2019. Étudiant de yeshiva au sein de la communauté hassidique Bratslav de Modiin Illit, Klinerman, âgé de 16 ans, s’est lui rendu à Meron avec des amis il y a environ deux mois. Puis il a disparu.
Les disparus de Meron
Le vendredi 25 mars 2022, Klinerman a appelé ses parents depuis le téléphone portable d’un ami pour leur dire qu’il se rendait à Meron pour le week-end, pour participer à une retraite de Shabbat dirigée par un rabbin de Brooklyn actuellement en Israël, Yoel Roth.
Ses parents ne s’y sont pas opposés. Mais il n’est pas rentré chez lui le samedi soir. Le numéro de téléphone qu’il avait donné à ses parents n’était plus actif, et quand ils ont finalement réussi à joindre les amis de Moishy, les Klinerman ont appris que leur fils avait disparu. Ils ont signalé la disparition à la police quelques jours plus tard.
Giti Klinerman a déclaré que son fils, deuxième de huit enfants, n’avait pas de problème lorsqu’il avait quitté la maison, quelques jours avant ce voyage. « Absolument pas, c’est pourquoi nous sommes sous le choc », a-t-elle déclaré lors d’un entretien téléphonique.
Depuis lors, chaque coup frappé à la porte leur fait espérer son retour, confie-t-elle. Mais Klinerman n’est pas revenu, pas même pour Pessah.
Au début, ses amis ont suggéré que Klinerman avait disparu en forêt lors d’un hitbodedut, une sorte d’introspection solitaire recommandée par certains mystiques hassidiques. Mais Giti Klinerman pense qu’il ne s’agit que d’une « rumeur ».
La police israélienne s’est refusée à tout commentaire sur l’affaire ou sur les pistes de l’enquête, qui se poursuit.
L’un des derniers à avoir vu Klinerman est Roth, dont il se dit qu’il fait l’objet d’une enquête à New York pour avoir marié des mineurs. Ce dernier n’a pas répondu aux multiples demandes de commentaires. Giti Klinerman précise ne pas être parvenue à joindre cet homme.
Mince, avec des mèches de cheveux sombres encadrant son visage, Klinerman arbore une grande cicatrice semblable à celle de Harry Potter au-dessus de l’œil gauche, souvenir d’une pierre reçue dans un village palestinien l’année dernière. Il avait à cette occasion été hospitalisé pour une grave blessure à la tête. Il s’était rendu à Kifl Haris, où Josué serait enterré, avec des ultra-orthodoxes dans le cadre d’une visite organisée en bus. À leur arrivée, le véhicule avait été canardé de pierres.
Sa mère le décrit comme un jeune garçon très sociable, heureux, engagé et spirituel, qui aime se rendre sur les tombes des rabbins.
Bien qu’elle assure rester optimiste, Klinerman confie ignorer où il pourrait se trouver. « J’essaie de me mettre à sa place, mais je n’en ai aucune idée », souffle-t-elle.
En cas de problème, demandez à Bar Yochai
Le sanctuaire de Bar Yochai est rarement vide, mais la forêt qui l’entoure distille un silence pesant. Le bruit des pas peut sembler incongru, la conversation presque sacrilège. Le vent est une sorte d’austère gardien du silence, ses fortes rafales une réprimande pour que tous se taisent, se taisent, se taisent.
Ainsi, lorsqu’un cri tourmenté et inarticulé a parcouru le flanc de la montagne le 3 mai, cela aurait pu nous alerter, mais personne parmi les flâneurs de cette fin d’après-midi de mai n’a paru s’en soucier. C’est à peine si un groupe de randonneurs d’âge moyen a levé les yeux. Des adolescents en train de descendre vers une rivière voisine ont haussé les épaules.
Quelques minutes plus tard, un homme hassidique aux cheveux roux, souriant légèrement, a traversé le parking pour gagner l’autre flanc de la montagne. Peu de temps après, un autre cri torturé se faisait entendre.
La thérapie du cri primal est sans doute passée de mode en Occident, depuis John Lennon, mais elle est très appréciée des hassidim dans les contreforts de la Galilée israélienne.
« Rabbi Shimon peut être invoqué dans des circonstances graves », dit le Talmud.
La phrase fait référence à la stature juridique de Bar Yochai et permet à son opinion d’être respectée lorsque les exigences l’exigent. De nos jours, la phrase est réinterprétée par certains rabbins comme une sorte de mantra appelant à prier pour son salut dans le sanctuaire.
Beaucoup pensent que Rabbi Shimon est un recours en cas de difficultés, ce qui attire sur sa tombe de nombreuses personnes en détresse.
Shmuel Segal, bénévole ultra-orthodoxe originaire de Safed et membre de l’Unité cynophile d’Israël, l’équipe civile de recherche et de sauvetage, n’a pas non plus été alerté par les cris entendus.
C’est Meron, lâche-t-il en haussant les épaules et en souriant, tout en luttant contre le vent pour épingler l’affiche informant de la disparition de Klinerman.
« Il y a toujours beaucoup d’adolescents à Meron, manifestement des fugueurs », fait-il remarquer, sans évoquer spécifiquement le cas de Klinerman.
À Safed, il travaille dans la thérapie canine pour les enfants avec des besoins spécifiques. Il a rejoint les rangs de l’organisation bénévole après la disparition d’Efraim Reem, un étudiant de yeshiva de 22 ans originaire de Jérusalem. Reem avait disparu de Meron en décembre 2021 et avait été retrouvé mort trois jours plus tard. La piste criminelle avait été écartée.
Mike Ben-Yaakov, fondateur de l’Unité cynophile d’Israël, exclut tout lien entre les retraites spirituelles dans la montagne, pour prier et méditer, et les disparitions. Il affirme que, pour la plupart, ceux qui viennent pour ce genre de retraite « savent se débrouiller seuls ».
Ben-Yaakov, qui travaille avec Mike Guzovsky et Yekutiel Ben-Yaakov, a parcouru cette même zone lors des recherches lancées en 2019 pour retrouver Ilowitz, père de famille de cinq enfants.
À l’époque, la famille d’Ilowitz avait connu deux coups durs en l’espace de quelques jours. Le 18 mai, des caméras de sécurité enregistraient le passage de Moshe Ilowitz, à Meron pour le week-end avant Lag BaOmer. Ilowitz se trouvait manifestement dans un état de panique, ce vendredi soir, lorsqu’il fut aperçu se dirigeant vers la forêt. Il n’en est jamais revenu, dit Ben-Yaakov.
Quelques jours plus tard, lors de la fête de Lag BaOmer, la maison de la famille à Mevo Modiin était détruite par les incendies de forêt qui ont ravagé la communauté fondée par Shlomo Carlebach.
La femme d’Ilowitz n’a pas pu être jointe et la police a déclaré ne pas pouvoir commenter une enquête en cours.
Selon la description de la police, Ilowitz portait au moment de sa disparition une chemise verte et un jean, une casquette et des chaussures Blundstone brunes. Il mesure 1m75, a les cheveux bruns ondulés et porte une barbe.
Au crépuscule, entre la Journée du Souvenir et le Jour de l’Indépendance, je me suis jointe à l’unité cynophile à la recherche de Klinerman. Nous avons commencé par le parking situé derrière le sanctuaire. De nombreux disparus sont retrouvés à proximité des sentiers de randonnée, m’a-t-on dit, aussi les recherches se sont-elles concentrées le long d’une route allant de Meron au moshav de Kfar Shamai.
Eden, un berger belge entraîné aux États-Unis à la recherche de cadavres, ouvrait la voie sur le chemin accidenté et difficile qui a fini par longer une autoroute bordée de vignes et de vergers.
Deux adolescents bénévoles de l’âge de Klinerman complétaient l’équipe de Segal. À l’occasion d’une pause pour abreuver le chien et lui permettre de se reposer, l’un des garçons a pris une poignée de terre qu’il a égrenée au vent. Il faut marcher contre le vent, a-t-il expliqué, afin que les odeurs parviennent directement aux narines du chien. Au coucher du soleil, deux coyotes et un chacal sont passés, à une distance bien trop proche pour se sentir parfaitement à l’aise.
La zone située à proximité de la tombe où Klinerman a été vu pour la dernière fois pose problème, confie Ben-Yaakov. De là, il aurait pu aller vers l’est dans la réserve d’Amud, vers l’ouest dans la réserve du mont Meron, vers le nord vers Ein Zeitim, ou sur la route jusqu’à une autoroute où il aurait pu faire de l’auto-stop.
Pendant les recherches, qui ont duré plusieurs jours, les bénévoles ont parcouru des kilomètres dans toutes les directions. Couvrir toute la zone prendrait des mois à temps plein, assure Ben-Yaakov.
Immédiatement après la disparition de Klinerman, de nombreuses personnes ont passé la zone au peigne fin. Au fil du temps, les équipes de recherche ont donné la priorité à d’autres cas, comme ceux de personnes en danger imminent.
Les bénévoles ont suivi de fausses pistes, comme l’information faisant état d’une puanteur inhabituelle près d’Ein Zeitim – qui s’est révélée provenir d’une carcasse de vache – ou la paire de lunettes noires semblable à celle de Klinerman, dont la famille a dit qu’elle ne lui appartenait pas.
La recherche effectuée le 3 mai, pas plus que celles qui ont précédé et suivi, n’a révélé aucune information sur la disparition de Klinerman.
« Je préfère penser qu’il ne se trouve pas là », a confié Ben-Yaakov, « parce que s’il est ici, il n’est pas vivant ».
« Personne ne se soucie vraiment des disparus »
Selon des conversations officieuses avec des responsables de la police, voici ce qui se passe lorsque quelqu’un disparaît en Israël.
Une fois que la disparition est signalée, les agents de police appellent les hôpitaux, les morgues et consultent les images des caméras de surveillance. Ils ont pour instruction de vérifier toutes les pistes que l’on peut leur indiquer. Des recherches sont menées à l’endroit où la personne disparue a été vue pour la dernière fois, et des drones sont parfois utilisés.
Les bénévoles se mobilisent et participent à des battues sans la police. Ils se passent le mot sur les réseaux sociaux. Seul un petit nombre de personnes disparues l’est toujours au-delà de quelques heures. Une moyenne de 5 000 disparitions font, chaque année, l’objet de signalement, pour un total de 583 cas non résolus depuis 1948.
Lorsque les disparus ne sont pas retrouvés sous quelques jours, ce qui représente 7 à 10 cas par an, le dossier reste ouvert au niveau local pendant cinq ans. Ensuite, il est pris en charge au niveau du district pour deux années de plus. Au terme de cette période de sept ans, l’affaire est officiellement archivée pour 70 ans, mais tout nouvel élément pertinent – découverte de restes humains ou nouveaux témoignages – entraîne la réouverture de l’affaire. Plus le temps passe, plus la police se fonde sur des renseignements, aux détriments des battues.
La plupart des disparitions sont prises en charge par la police israélienne, à l’exception des soldats disparus ou des personnes disparues en Cisjordanie, cas traités par Tsahal. Les personnes disparues à la suite d’une catastrophe, comme un tremblement de terre ou l’effondrement d’un bâtiment, sont prises en charge par les services d’incendie.
Les proches des disparus expriment un certain mécontentement face à la manière dont la police traite les cas, avec manifestement peu d’intérêt et un manque de main-d’œuvre certain. Beaucoup finissent par lancer leurs propres recherches ou s’associer à un groupe de bénévoles.
Les bénévoles reprochent également à la police de tarder à leur communiquer les images des caméras de sécurité qui, dans certains cas, permettraient de sauver des vies.
Klinerman a ironisé en affirmant que, si son fils avait été un terroriste, les autorités l’auraient rapidement retrouvé.
L’unité cynophile israélienne de Ben-Yaakov fait partie des nombreux groupes de recherche et sauvetage susceptibles d’être appelés en renfort par les forces de police locales ou les familles des disparus.
Fondée il y a 21 ans dans l’implantation de Kfar Tapuah en Cisjordanie, l’unité visait initialement à former des chiens de patrouille civils pour lutter contre le terrorisme au moment de la deuxième Intifada. (Ben-Yaakov a épousé les vues extrémistes kahanistes dans le passé et a été banni du Royaume-Uni il y a plus de dix ans.) L’organisation s’est lancée dans la recherche de personnes disparues il y a 11 ans, lorsque Ben-Yaakov s’est joint à une battue avec les autorités israéliennes et s’est rendu compte que « personne ne se souciait vraiment des personnes disparues ».
Beaucoup de disparus souffrent de maladie mentale, ou de la maladie d’Alzheimer, et la réalité de leur disparition peut être niée ou minimisée par les autorités, indique-t-il. Dans de nombreux cas, la police fait de son mieux, souligne-t-il, « mais la plupart du temps, ce n’est pas suffisant ».
L’organisation, basée dans l’implantation, compte aujourd’hui 350 bénévoles disponibles dans tout le pays – bien que seulement 20 à 30 soient des bénévoles « hardcore », explique Ben Yaakov – et 23 chiens spécialisés soit dans la recherche et le sauvetage, soit dans la recherche de cadavres. « Nous ne disons jamais non », précise-t-il.
L’incertitude qui entoure une disparition peut laisser des cicatrices émotionnelles béantes au sein des familles ou des communautés, et les conséquences juridiques de la disparition d’une personne peuvent également être importantes.
Les femmes juives mariées dont les maris disparaissent, par exemple, ne peuvent pas se remarier légalement en Israël tant que la preuve de la mort de leur mari n’est pas établie, ce qui laisse des « épouses enchaînées », ou agunot.
Israël n’a pas davantage de loi régissant le statut des biens des disparus et les familles sont souvent bloquées, sans accès aux propriétés ou fonds inscrits au nom de la personne disparue. Au bout de 7 ans, les familles peuvent déclarer le décès de leur parent disparu pour obtenir la propriété de ces biens, mais beaucoup gardent espoir et refusent par principe de prendre une telle décision.
Ces lacunes et problèmes font l’objet d’un projet de loi de la Knesset, passé en première lecture l’an dernier et qui requiert trois votes supplémentaires pour être adopté. Le projet est porté par l’organisation Biladeyhem (« Sans eux »), qui représente 61 familles de personnes disparues. Varda Minivitzki, l’un de ses fondateurs, assure avoir convaincu l’Institut national d’assurance d’examiner l’indemnisation des familles et établir leurs droits à l’aide sociale. Une décision en ce sens est attendue.
Avant de fonder l’organisation en 2015, confie Minivitzki, elle ne connaissait que deux personnes disparues en Israël – le soldat de Tsahal Guy Hever, disparu en 1997, et Adi Yaakobi, 16 ans, disparu un an plus tôt. Les deux sont toujours portés disparus.
Peu à peu, elle s’est aperçue que le phénomène était beaucoup plus répandu. Aujourd’hui, son organisation sensibilise la population aux personnes disparues, se mobilise pour que des changements soient apportés à la loi et offre une aide – notamment psychologique – aux familles.
Lorsque Klinerman a disparu, Minivitzki a contacté la famille pour offrir son aide. Lors de sa conversation téléphonique avec Giti Klinerman, elle a tu que son fils aîné, Daniel, avait disparu depuis 2014, à l’âge de 42 ans.
« Je ne voulais pas lui faire penser que son fils pourrait disparaitre aussi longtemps », a-t-elle expliqué, la voix chargée d’émotion.
« Cela nous fait de la peine qu’il n’y ait pas de tombe »
Tova Avraham, une enseignante de 54 ans originaire de Tibériade, a beaucoup de souvenirs d’enfance heureux de Meron, où elle retrouvait ses grands-parents et sa famille élargie pour un repas de fête sur la tombe de Bar Yochai. Son grand-père, Haviv Ben-Abu, s’était promis, en quittant le Maroc en 1963 pour s’installer en Israël, qu’il célèbrerait la fête chaque année en abattant une chèvre au mont Meron. Il a tenu sa promesse, assure-t-elle.
Ben-Abu, né en 1914, avait été pêcheur et charpentier dans son pays d’origine. En Israël, il a travaillé dans l’agriculture, la construction et dans une usine de pneus. Mais son véritable amour, se souvient sa petite-fille, était son troupeau de chèvres à Givat Ada, la petite communauté au sud de Haïfa où il vivait.
Ben-Abu était dévoué à ses chèvres, assistant les naissances et réchauffant le lait de chèvre pour les nouveau-nés sur sa cuisinière. À l’âge de 70 ans, son troupeau lui a été volé en pleine nuit, coup du sort dont sa petite-fille estime qu’il ne s’est jamais remis. Les années suivantes, il allait être diagnostiqué avec la maladie d’Alzheimer, et en l’absence de chèvres, les voyages à Meron prirent fin.
En 1995, la tante d’Avraham leur suggéra de retourner au sanctuaire de la montagne, pour revivre le bon vieux temps. Ben-Abu rejoignit sa famille à la fête de Lag BaOmer. À un moment donné, il se plaignit d’être épuisé et dit à ses proches qu’il les attendrait sur le parking. Bien qu’un membre de sa famille ait été invité à garder un œil sur lui, Ben-Abu a trouvé le moyen de s’enfuir. Il n’a laissé aucune trace.
Avraham a indiqué que la police avait traité la famille avec dédain lorsque les proches, inquiets, avaient souhaité faire une annonce pendant la fête pour signaler sa disparition. La quasi-totalité des recherches pour le retrouver ont été organisées par la famille et des bénévoles, et non par la police, a-t-elle regretté.
« C’est très triste qu’il ait disparu à l’endroit qu’il aimait le plus », a-t-elle ajouté.
Avraham a déclaré que le tragique mouvement de foule de l’an dernier à Meron avait rouvert de vieilles blessures chez les membres de sa famille.
« Je déteste cette fête à cause de ce qui s’y est passé », a-t-elle déclaré.
Chaque fois qu’un corps est trouvé dans les environs de Meron, la famille de Haviv Ben-Abu est informée et des tests ADN sont effectués sur ses proches. Aucune correspondance n’a été trouvée au cours des 27 années qui se sont écoulées depuis sa disparition.
La femme de Ben-Abu est décédée en 2003, et certains de ses enfants sont également décédés depuis.
Avraham ne pense pas que son grand-père soit toujours en vie ; il aurait plus de 100 ans.
« Je suis croyante. Je crois qu’il est au paradis, mais cela nous fait de la peine qu’il n’y ait pas de tombe », a-t-elle déclaré.
Ben-Abu n’a pas non plus de jour anniversaire de son décès. Sur les conseils d’un rabbin, ils ont décidé de se réunir le 7 du mois juif d’Adar pour se souvenir du chevrier perdu. Cette date est l’anniversaire de la mort de Moïse, dont le lieu de sépulture est également inconnu.
« Il est vivant, et en même temps il ne l’est pas »
Lorsque vous mémorisez les visages des disparus, vous croyez les voir partout, comme le visage d’un amoureux après une rupture.
Je voyais Klinerman dans ce garçon descendu du bus près de Meron, Ilowitz dans cet homme barbu faisant ses courses à Safed, Ben-Abu enfin, dans ce conducteur âgé sur l’autoroute.
Beaucoup de personnes, en Israël, souffrent apparemment de ce trouble : Klinerman a été aperçu partout, de Tibériade à Eilat en passant par le Sinaï, mais aucune de ces informations n’a été confirmée par une enquête approfondie.
Peu de temps avant la fête de Lag BaOmer, cette année, Meron a vu affluer les fidèles et les policiers. Contrairement aux années précédentes, les visiteurs ont dû se procurer un billet pour accéder au sanctuaire et des mesures de régulation de l’affluence ont été déployées afin d’éviter une nouvelle catastrophe. Cette année, les pèlerins ont été accueillis par le visage de Klinerman, visible sur les affiches délavées battues par les vents, placardées dans les arrêts de bus et sur les lampadaires.
Par l’intermédiaire d’une autre famille de disparu, Giti Klinerman a fini par apprendre que le fils de Varda Minivitzki avait lui aussi disparu. Elles ont échangé au téléphone, se sont encouragées et ont pleuré, a déclaré Minivitzki.
« Je ne pense pas qu’on le retrouvera un jour », a déclaré Minivitzki à propos de son fils, Daniel, notant les sept années qui se sont écoulées et disant qu’elle était « pragmatique ».
En ce moment, elle aimerait se concentrer sur l’aide aux autres. Pourtant, l’incertitude persiste. Minivitzki a déclaré avoir réussi à donner les vêtements de son fils à un nouvel immigrant russe mais peiner à se défaire de sa batterie et autres biens, au cas où il reviendrait. Elle qualifie cette attitude de « deuil incertain ».
« Il est vivant et en même temps, il ne l’est pas », a-t-elle expliqué.
Giti Klinerman, quant à elle, attend près de la porte et au téléphone la nouvelle du retour de son fils. Elle avait invité les visiteurs du mont Meron, à l’occasion de Lag BaOmer, cette année, à le chercher.
C’est un « garçon miraculeux », dit-elle avec assurance.
Toute information relative à Avraham Moshe Klinerman, Moshe Ilowitz ou Haviv Ben-Abu doit être signalée à la police israélienne (Hotline : 100). Pour plus d’informations concernant Klinerman, la police de Modiin Illit peut être contactée au 08-644-7200, tandis que des informations sur Ilowitz peuvent être obtenues via la police de Safed au 04-697-8345. L’unité cynophile d’Israël peut être contactée au 054-487-6709.