Israël en guerre - Jour 560

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Le rabbin Amichai Lau-Lavie se travestit en Rebbetzin Hadassah Gross, son alter ego, dans le film "Sabbath Queen" de Sandi DuBowski. (Autorisation)
Le rabbin Amichai Lau-Lavie se travestit en Rebbetzin Hadassah Gross, son alter ego, dans le film "Sabbath Queen" de Sandi DuBowski. (Autorisation)

Drag queen, rabbin : un film raconte l’histoire d’un Juif transgresseur

Le réalisateur de « Sabbath Queen » a suivi pendant vingt ans un descendant d’une dynastie rabbinique, Amichai Lau-Lavie – homosexuel, il a défié les normes du judaïsme traditionnel et il est devenu un leader communautaire respecté

La majorité des rabbins qui ont été ordonnés au sein du mouvement conservateur n’ont pas d’alter-ego drag. Ils n’officient pas lors d’une cérémonie de mariage mixte où les mariés, des homosexuels, se prosternent devant une déesse bouddhiste sous la houppa, et ils ne comptent pas les non-Juifs dans un minyan [quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie (NDT)].

Mais le rabbin Amichai Lau-Lavie, en tant que leader spirituel juif à la tête d’une congrégation, est aussi novateur dans la rupture des traditions que dans leur reconstruction.

Comment Lau-Lavie est-t-il devenu ce qu’il est aujourd’hui ? Quelle est la direction qu’il espère donner au judaïsme à l’avenir ? Ces deux questions sont au cœur du documentaire « Sabbath Queen » qui a été réalisé par Sandi DuBowski. Le film, qui suit Lau-Lavie sur une période de plus de 21 ans, a été présenté en première mondiale au festival du film de Tribeca, en juin 2024. Il a continué à faire salle comble dans les festivals du film et dans les salles de cinéma du monde entier. Il est sorti en salles en Floride et à San Francisco au mois de février et il sera projeté aux festivals de San Diego, d’Atlanta et de Cincinnati.

« Il y a l’envie d’un judaïsme qui puisse regarder la réalité [du 21e siècle] dans les yeux, avec un regard de compassion, de gentillesse et d’inclusivité… En même temps, qui sait ce que l’avenir réserve à Israël ? Qui sait ce que l’avenir réserve au judaïsme américain ? Pour être honnête, en faisant preuve d’humilité, je l’ignore. J’ai le sentiment que mes convictions sont réelles. Je viens d’un milieu où il est impératif que je me mette au service des autres. Mais qui sait ? », répond-il, interrogé sur la manière dont l’Histoire pourrait appréhender le chemin de vie qu’il a choisi.

Lorsque Lau-Lavie était né en Israël, il y a 55 ans – son père était un survivant de la Shoah et sa mère était une immigrante venue de Grande-Bretagne – il était hautement probable qu’il allait suivre le modèle traditionnel qui était celui des hommes de sa famille depuis un millénaire. Ainsi, Lau-Lavie est le descendant de 38 générations consécutives de rabbins. Son oncle Yisrael Meir Lau et son cousin David Lau ont été grands rabbins ashkénazes d’Israël, et son frère Benny Lau est un rabbin orthodoxe, auteur et chef communautaire bien connu.

Toutefois, quand son homosexualité avait été révélée – contre son gré – au grand jour alors qu’il était encore jeune, il était devenu évident pour Lau-Lavie qu’il n’allait pas s’intégrer dans le monde auquel il appartenait dans son enfance. Il avait compris qu’il devait trouver sa propre voie juive pour l’avenir.

Amichai Lau-Lavie dans « Sabbath Queen » un film de Sandi DuBowski (Autorisation)

« Je m’imagine en train de regarder mon grand-père [le rabbin Moshe Chaim Lau, qui avait été tué à Treblinka avec ses fidèles] dans les yeux, ainsi que tous les autres rabbins qui ne manqueraient pas de considérer ce que je fais comme une faute dont ils seraient responsables », dit Lau-Lavie.

« Je suis totalement ‘autre’ et c’est quelque chose que je comprends et que j’intègre parfaitement, » indique-t-il.

DuBowski, le réalisateur du documentaire, avait rencontré Lau-Lavie pour la première fois à son arrivée à New York en 1997. À cette époque, à l’aube de ses 30 ans, il voulait vivre librement en tant que queer. DuBowski espérait faire participer Lau-Lavie à son film « Trembling before God », sorti en 2021 et salué par la critique, qui évoquait la manière dont des Juifs orthodoxes, gays et lesbiennes, tentaient de concilier leur sexualité et leur pratique religieuse. Lau-Lavie avait refusé de participer au film, expliquant qu’il avait franchi le stade de l’orthodoxie et qu’il s’était affranchi de ce mode de vie. A l’époque, il était déjà impliqué dans le mouvement Radical Faeries, un mouvement de contre-culture axé sur l’homosexualité et sur la spiritualité.

« On portait une adoration à tout ce que nous apportait l’existence et on en riait », déclare Lau-Lavie dans le film.

Néanmoins, DuBowski et Lau-Lavie s’étaient liés d’amitié et le cinéaste avait commencé à filmer Lau-Lavie quand il devenait Hadassah Gross, un personnage travesti qu’il avait imaginé alors qu’il avait bu une vodka de trop à Pourim.

Hadassah Gross, raconte Lau-Lavie, a une histoire bien à elle – née dans une famille hassidique de danseurs hongrois dans les années 1920, elle est la veuve de six rabbins. Irrévérencieuse, drôle et théâtrale, elle connaît bien le judaïsme et elle entraîne l’enthousiasme du public en quête d’une nouvelle approche de la religion.

« Kinderlach (les enfants), la rédemption ne viendra que par la transgression », ne cesse-t-elle de dire.

En plus de lui donner l’opportunité de porter des robes, un maquillage outrancier et une perruque blonde particulièrement volumineuse, Hadassah Gross a permis à Lau-Lavie d’entrer en contact avec les aspects féminins ou asexués de Dieu que la tradition juive patriarcale ignore – et de leur donner une visibilité, une liberté nouvelles. De surcroît, Lau Lavie déclare que ce personnage lui a fait prendre conscience du pouvoir de la théâtralité pour atteindre les personnes à la recherche d’un lien avec les textes, avec les traditions et avec les pratiques juives. C’est ce qui l’a amené à créer Storahtelling, une compagnie théâtrale qui promeut l’alphabétisation juive en rendant les textes juifs bibliques accessibles à différents publics.

Le réalisateur Sandi DuBowski (Autorisation)

Fasciné par ce que faisait son ami, Sandi DuBowski filmait ses spectacles. Il ne se doutait pas que cela l’amènerait à suivre Lau-Lavie pendant 21 ans, au cours de son parcours d’innovation et de métamorphose.

« Je ne faisais que filmer ces rituels et ces performances. J’ai accompagné la famille [d’Amichai] en Pologne, et le documentaire est devenu plus sérieux encore parce que nous savions pertinemment que ce serait le dernier voyage de son père en Pologne », explique DuBowski.

« Il y a eu comme un approfondissement continu des choses mais je ne pense pas qu’Amichai ou moi-même savions à l’époque que nous allions vivre ensemble un tel ultra-marathon, que cela allait être une aventure incroyable et un long voyage entre moi en tant qu’artiste et Amichai en tant qu’artiste devenu rabbin », ajoute-t-il.

De nombreuses séquences brutes sont consacrées au militantisme de Lau-Lavie en faveur de la justice sociale et de la paix entre Israël et les Palestiniens – mais seulement quelques bribes ont été finalement intégrées au film. Un autre documentaire sur ce sujet et sur l’identité israélienne de Lau-Lavie pourrait être réalisé dans un deuxième temps.

Se créer une communauté

En 2013, Lau-Lavie s’est servi du succès de Storahtelling comme d’un tremplin pour lancer Lab/Shul – une expérience qui se présente comme une « communauté expérimentale de rassemblements juifs sacrés, dirigée par des artistes, accueillante pour tout le monde et ouverte à Dieu, basée à New York et rayonnante dans le monde entier ». Selon Lau-Lavie, Lab/Shul compte 450 familles partenaires dans le monde entier, attirant des centaines de personnes pour la programmation du Shabbat et 2 000 personnes pour les fêtes de fin d’année.

Le rabbin Amichai Lau-Lavie avec ses trois enfants lors de sa cérémonie de citoyenneté américaine, 2014. (Autorisation)

« Il était impossible de prévoir qu’il y aurait Lab/Shul au début de ce projet. Je n’ai pas non plus vu venir d’autres choses, comme le fait qu’il devienne le père biologique et impliqué de trois enfants [nés d’un couple de lesbiennes new-yorkaises]. Je ne m’attendais pas non plus – ni la majorité des gens – à ce qu’il s’inscrive à l’école rabbinique du Jewish Theological Seminary », dit le réalisateur.

Une décision qui a suscité la controverse au sein de la communauté de Lab/Shul. De nombreux membres du conseil d’administration se sont demandé pourquoi leur chef choisissait de se mettre dans une position où il ne pourrait pas célébrer de mariages mixtes (le mouvement conservateur interdit à ses rabbins d’officier ou d’assister à ce genre de mariages) alors qu’un si grand nombre de personnes avaient choisi Lab/Shul pour son ouverture aux non-Juifs et aux Juifs dans le cadre de relations amoureuses. La cofondatrice de Lab/Shul, Shira Kline, qui rejetait profondément la nature patriarcale du rabbinat, s’est sentie trahie lorsqu’elle a réalisé que son collègue, qui avait longtemps affirmé que « l’artiste est le nouveau rabbin », allait devenir un véritable rabbin.

Lau-Lavie a poursuivi ses études et il a été ordonné en 2016. Un an plus tard, il a été contraint de démissionner de l’assemblée rabbinique du mouvement conservateur après avoir célébré un mariage mixte (celui où les mariés homosexuels s’étaient prosternés devant la déesse bouddhiste). Après de longues délibérations et la rédaction d’une proposition intitulée « Joy : A halakhic and historical inquiry into interfaith marriage », il a pris la décision de continuer à célébrer des mariages mixtes, de la même manière qu’il le faisait avant de devenir rabbin. Dans sa proposition, il revendique l’ancien modèle du ger toshav [étranger résident] comme base pour les mariages mixtes modernes.

Le rabbin Amichai Lau-Lavie, vu dans « Sabbath Queen », un film de Sandi DuBowski. (Autorisation)

La rupture de son association avec le mouvement conservateur a été douloureuse mais cela a été une étape naturelle pour Lau-Lavie, qui sert la communauté extrêmement diversifiée de Lab/Shul.

« Un rabbin ne quitte pas sa congrégation », dit Lau-Lavie, faisant écho à la décision prise par son grand-père de conduire ses fidèles dans la chambre à gaz et de réciter le Kaddish et les prières du Shéma alors qu’ils se préparaient à mourir.

Le judaïsme sur le spectre

Son ordination lui a permis d’arriver là où il voulait être – c’est-à-dire au centre du large spectre du judaïsme, ce qui lui permet de se situer à l’intérieur du système conventionnel et de dialoguer avec les mouvements plus libéraux et avec les orthodoxes.

« Je suis toujours très proche de la philosophie et de la théologie du mouvement conservateur… et je voulais obtenir l’autorisation de travailler sur le terrain en tant que rabbin ordonné. Pour être l’acteur du changement que je veux être dans le monde, je dois venir de ce milieu », explique-t-il.

Le rabbin Amichai Lau-Lavie s’exprime lors d’un événement Simchat Torah à New York après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023. (Crédit : Jesi Kelley)

Lau-Lavie précise qu’il a voulu avoir une connaissance de la loi juive et du contexte historique qui lui permette d’accéder aux « failles créatrices » qui conduisent à des changements au fil du temps.

« Appelez cela des subversions de la halacha. Appelez cela une réforme. Appelez cela le changement. Appelez cela de l’adaptation. Quoi qu’il en soit, c’est ce qui nous a permis d’arriver au point où nous avons aujourd’hui des femmes dans les minyans, c’est ce qui nous a permis d’avoir des femmes rabbins et des rabbins homosexuels. Les personnes LGBT ne sont pas mises à l’écart. Nous avons même des femmes à des postes de direction dans l’orthodoxie aujourd’hui », se réjouit-il.

Tout au long du film, le frère de Lau-Lavie, le rabbin Benny Lau, sert de faire-valoir. Il remet constamment en question le fait que son jeune frère repousse les limites. Il incite les spectateurs, fascinés par son jeune frère fascinant et charismatique, à réfléchir au type de judaïsme dont ils veulent faire partie et aux lignes rouges qu’ils se fixent – ou non – à eux-mêmes.

Malgré son parcours non conventionnel et évolutif, le film montre Lau-Lavie comme un membre vital, accepté et aimé de sa famille. Sa mère et son frère ont assisté à sa cérémonie d’ordination. Lors de récentes projections de films israéliens, son frère a participé à des tables rondes.

« Comment sommes-nous restés proches ? En un mot : ma mère. Et aussi mon frère. Nous avons beaucoup insisté – moi et eux – pour dialoguer et pour laisser le temps faire son œuvre », raconte Lau-Lavie. « Je pense qu’il y a beaucoup d’amour, en fin de compte ».

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