Israël en guerre - Jour 466

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Andrea de Caires, à gauche, avec son mari Salvador, l'un des deux juifs connus dans la nation anglophone. (Crédit : Andrea de Caires/JTA)
Andrea de Caires, à gauche, avec son mari Salvador, l'un des deux juifs connus dans la nation anglophone. (Crédit : Andrea de Caires/JTA)

Au Guyana, il y a au moins deux Juifs qui jouissent de la tradition de tolérance

Ce pays pauvre, de 800 000 habitants, se targue d’une riche diversité culturelle ; ses quelques résidents juifs sont les bienvenus au sein du gouvernement guyanais

JTA – Lorsque Janet Jagan, une immigrée des États-Unis, est entrée dans l’Histoire en devenant la Première ministre du Guyana en 1997, on pensait qu’elle était la seule juive du pays.

Mais un autre Juif avait récemment acheté une île au large de la côte guyanaise. Et 25 ans plus tard, il y a toujours au moins deux Juifs qui vivent dans la petite nation sud-américaine. L’un d’eux est l’acheteur de l’île susmentionnée – un exploitant de pension de famille guyanais-britannique-israélien qui travaille au Guyana depuis les années 1970. L’autre est un ancien cadre marketing de Madison Avenue, originaire de Chicago, qui dirigeait jusqu’à récemment le plus grand tour-opérateur du pays.

Tous deux offrent une fenêtre sur trois dynamiques qui définissent le Guyana, à savoir un gouvernement qui embrasse toutes les croyances, une économie basée sur les industries extractives et une vaste forêt tropicale alors que l’industrie de l’éco-tourisme est en pleine croissance.

La Guyane, pays anglophone d’environ 800 000 habitants, s’est fait connaître sur la scène internationale en 1978 en tant que lieu du massacre de Jonestown, au cours duquel plus de 900 adeptes du gourou Jim Jones ont été tués, soit par suicide, soit par meurtre.

De nos jours, cependant, le pays attire l’attention pour la récente découverte de pétrole au large de ses côtes. ExxonMobil a annoncé la découverte en 2015 et a rapidement commencé à exploiter les ressources pétrolières du Guyana. Avec plus de 11 milliards de barils de réserves et une production de plus de 350 000 barils par jour, la Guyane est en passe de produire plus d’un million de barils quotidiens d’ici 2030, ce qui pourrait révolutionner l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud.

C’est une industrie extractive antérieure qui a amené Raphael Ades au Guyana. Né à Tel-Aviv en 1951 d’une mère juive italienne et d’un père juif syrien, Ades a eu une enfance mouvementée. La famille déménage d’abord à Milan quand Ades, qui se fait appeler Rafi, a 11 ans, après que son père Meyer s’est lancé dans le commerce des diamants, puis deux ans plus tard dans le sud-ouest de l’Allemagne. Ils ont atterri à Pforzheim, connue à l’époque sous le nom de Goldstadt en raison de l’importance du commerce de bijoux et de pierres précieuses dans la région.

Mais la famille n’est pas encore installée. En 1967, Meyer les emmène à Londres, où Ades termine ses études secondaires et passe ses examens d’entrée à l’université, excellant dans toutes les langues qu’il a apprises – anglais, français, italien, allemand et hébreu. Étudiant en psychologie à l’université de Londres, Ades a commencé à aider son père, qui tenait un bureau dans le quartier des diamantaires de Londres, dans son travail. Son père sous-traitait le polissage, et l’un des polisseurs était indo-guyanais.

« Ce jour-là, mon père a sorti un atlas et a commencé à se documenter sur la Guyane », se souvient Ades. « ‘C’est un endroit où je veux aller’, m’avait-il dit. »

Lors d’un voyage pour rendre visite à un ami israélien au Venezuela, Meyer a fait un voyage de prospection au Guyana, et a enregistré la société Guyana Diamond Export. Lorsqu’il a été victime d’une crise cardiaque, Ades et sa mère se sont envolés vers Georgetown pour être à ses côtés. À peine âgé de 21 ans, Ades a pris un rôle plus important dans l’entreprise. Il s’est rendu avec d’autres acheteurs de diamants dans les zones minières rurales et a appris que les exploitations produisaient des milliers de carats de diamants.

« Je suis resté au Guyana pendant la seconde moitié de 1972 et je suis tombé amoureux de l’endroit », se souvient Ades. « Je suis allé au marché [principal] de Stabroek à Georgetown et j’ai vu tous les iguanes et les aras. Lorsque mon père s’est rétabli, j’ai repris mes voyages au Guyana. »

Le complexe de Raphael Ades, sur l’île des paresseux. (Crédit : Seth Wikas/JTA)

Son entreprise minière a prospéré. En 1997, il a acheté Sloth Island, un avant-poste de près de 650 000 m2, situé à environ deux heures de route de Georgetown, la capitale du Guyana. Il faut, pour s’y rendre, compter une heure de voiture pour traverser les petits villages qui parsèment la côte atlantique, puis une heure de bateau pour descendre le fleuve Essequibo qui s’élargit, en passant devant des forêts vierges bordées de mangroves et des villages indigènes.

Quand Ades a acheté la propriété, elle était en grande partie sous l’eau. Il a fait venir des ouvriers des villages voisins pour pomper l’eau, construire la terre et les murs de soutènement et ajouter des structures. Les paresseux étaient déjà là, mais il a fait venir des ocelots et des singes des îles voisines, ainsi que d’autres oiseaux.

« Les ocelots avaient l’habitude de manger les fils électriques et d’ouvrir le réfrigérateur », a-t-il expliqué.

Sur Sloth Island se trouvent désormais une maison d’hôtes bleue et blanche, une série de huttes couvertes pour manger et se détendre dans des hamacs, ainsi qu’une passerelle en bois permettant de faire des promenades dans la nature à travers une forêt partiellement défrichée. Des guides indigènes identifient et répertorient les nombreuses espèces de plantes et d’oiseaux. La pandémie n’étant plus une menace pour les affaires, l’île accueille des touristes tous les week-ends, mais le dérèglement climatique pose de nouveaux problèmes.

« Il arrive souvent que la rivière inonde une partie de l’île et que je perde du sable et de la terre », a déclaré Ades. « Nous devons continuer à pomper l’eau et à réparer les dommages causés aux bâtiments lorsque cela se produit. »

Rafi Ades est né en Israël, a grandi en Europe et s’est installé sur Sloth Island, en Guyane. (Crédit : Raphael Ades/JTA)

L’année suivant l’achat de l’île, sa mère – devenue veuve – qui vivait alors en Belgique, s’est cassé la hanche. Lorsqu’elle a été suffisamment rétablie pour voyager, elle s’est installée au Guyana pour être auprès de son fils, partageant son temps entre Georgetown et Sloth Island. Lorsqu’elle décède en 2009, Ades est désemparé face à l’absence de cimetière juif, de synagogue et de minyan [quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie (NDT)]. Il souhaitait l’enterrer en face de Sloth Island, sur une colline de la ville minière de Bartica, juste de l’autre côté de la rivière. C’est alors qu’un ami juif français l’a mis en contact avec la communauté juive du Suriname, qui a préparé le corps pour l’enterrer dans le cimetière adjacent à la synagogue principale de Paramaribo.

« C’est la dernière fois que je me suis rendu dans une synagogue, en 2010, après le décès de ma mère », se souvient Ades.

L’absence de Juifs au Guyana est une lacune notable dans un pays qui se targue par ailleurs d’un large éventail de religions. L’histoire fait état d’une communauté de Juifs hollandais qui se sont installés dans le nord-ouest du Guyana au XVIIe siècle pour produire de la canne à sucre, mais les Anglais l’ont détruite en 1666, contraignant les résidents juifs à se disperser. Les Juifs des pays arabes se sont installés au Guyana à la fin du XIXe et au XXe siècle pour échapper aux persécutions, mais ils ont ensuite émigré ailleurs. Les Juifs fuyant l’Europe sont arrivés en 1939, mais ne se sont pas installés assez longtemps pour établir une communauté pérenne.

Janet Jagan était une bizarrerie. Née Janet Rosenberg à Chicago, elle a épousé un Guyanais aux États-Unis et s’est installée avec lui au Guyana en 1947. Son mari, Cheddi Jagan, avait une formation de dentiste, mais il est entré en politique lorsque la Guyane a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne. Il a été le Premier ministre du gouvernement colonial semi-indépendant au début des années 1960, puis le quatrième président du pays dans les années 1990. Lorsqu’il est décédé en 1997, Janet Jagan a prêté serment pour le remplacer, avant de remporter son propre mandat plus tard la même année. Elle est décédée en 2009.

Selon le recensement de 2012, le Guyana est composé d’environ deux tiers de chrétiens, d’un quart d’hindous et de moins de 10 % de musulmans, avec de plus petites populations de rastafaris et de bahá’ís. Les villes et villages de Guyane sont parsemés d’églises, de mandirs et de mosquées, et le pays a inscrit la liberté de religion dans sa Constitution. Les jours saints chrétiens, hindous et musulmans sont des jours fériés nationaux.

« Nous embrassons toutes les croyances et cherchons toujours à établir des ponts entre les communautés », a déclaré à la JTA Mansoor Baksh, un dirigeant du mouvement islamique Ahmadiyya du pays. Omkaar Sharma, membre du Conseil des Pandits hindous du pays, a tenu des propos similaires. « Nous avons une longue tradition de coexistence et de célébration des fêtes de chacun. C’est ce qui rend le Guyana spécial. »

À l’occasion de la fête hindoue de Diwali le mois dernier, le président Mohamed Irfaan Ali, seul chef de gouvernement musulman d’Amérique du Sud, a souligné l’inclusivité du pays lorsqu’il a déclaré à la nation que « sous la bannière ‘One Guyana’, notre peuple se rassemble, rejette les forces de la division et de la haine, et s’unit dans la poursuite de la paix, du progrès et de la prospérité ».

Ces sentiments ont eu des implications pratiques pour les deux Juifs du pays. En 2017, alors qu’un groupe de l’autorité touristique du Guyana devait se rendre au Suriname pour une conférence sur les voyages destinés aux touristes musulmans, l’organisateur mauritanien de l’événement a protesté contre la présence de participants juifs. Il devait y en avoir deux – Ades, et Andrea de Caires, alors à la tête du plus grand tour-opérateur privé du pays, Wilderness Explorers.

« J’ai reçu un appel du ministre guyanais du Tourisme à 1h du matin, qui m’a demandé si j’étais juive, et m’a expliqué la situation. Et je me suis demandée si cet antisémitisme existait encore ? », se souvient de Caires.

Le ministre guyanais du Tourisme a refusé de respecter l’interdiction, dit fièrement de Caires, et a dit aux hôtes et organisateurs de la conférence surinamiens que « si les Juifs ne sont pas autorisés, alors aucun d’entre nous n’y ira ». Les Surinamais, connus depuis longtemps pour leur tolérance religieuse, ont également refusé d’accepter l’interdiction et ont déclaré que tous les participants étaient les bienvenus (dans la capitale du Suriname, Paramaribo, une mosquée se trouve à côté d’une synagogue et partagent un parking). De Caires et Ades ont tous deux assisté à l’événement.

La synagogue de Paramaribo, au Suriname, à côté de la mosquée voisine, partageant un parking. (Crédit :  Google street view)

« Lorsque je suis arrivée à la conférence, le ministre surinamais du Tourisme m’a accueillie, et le directeur général du ministère guyanais du Tourisme m’a donné le micro pour débuter la conférence. Nous [Rafi et moi] sommes entrés la tête haute », a déclaré de Caires.

De Caires vit en Guyane depuis 2010, mais son parcours jusqu’au Guyana a été différent de celui d’Ades. Née Andrea Levine à Chicago, petite-fille de rabbin, elle a beaucoup voyagé pendant son enfance avec son père médecin, qui lui a appris l’importance de créer un foyer juif.

« Le judaïsme a toujours fait partie de ma vie. Nous célébrions les fêtes, allumions des bougies le vendredi soir, mais mon père disait souvent qu’aller à la synagogue ‘ne fait pas de vous un Juif' », a déclaré de Caires.

De Caires s’est installée dans le New Jersey et a suivi une formation de bijoutière, travaillant avec des clients tels que Tiffany. Elle a ensuite travaillé chez Blooming, où elle s’est occupée de la vente d’articles de sport, puis chez Bloomingdale’s dans le domaine de la vente et de la gestion, avant de rejoindre la société de cosmétiques Borghese, où elle est devenue vice-présidente des ventes et du marketing.

« J’étais happée par Madison Avenue, mère célibataire de trois enfants quand j’ai rencontré Salvador », se souvient-elle. « Je savais qu’il était inutile de poursuivre cette relation si je ne déménageais pas en Guyane. »

Salvador est Salvador de Caires, son mari guyanais qu’elle a rencontré par l’intermédiaire de sa sœur. Elle se souvient avec émotion d’avoir vu le Guyana pour la première fois en 2008 et de sa première visite au Karanambu Lodge, dans le sud du pays, un ancien élevage de bétail devenu un centre de conservation situé au cœur des forêts, des rivières et des savanes guyanaises. Pour s’y rendre, il faut prendre l’avion depuis Georgetown, puis un 4×4. Alors qu’elle était basée au Karanambu Lodge, de Caires a continué à participer à des conférences téléphoniques pour sa carrière à New York, tout en apprenant à mieux connaître le Guyana et la gestion d’une destination touristique encore méconnue. Salvador et elle se sont définitivement installés en Guyane en 2010 pour reprendre la gestion quotidienne du Lodge.

Andrea de Caires en compagnie du président guyanais Irfaan Ali. (Crédit :  Andrea de Caires/JTA)

« Lorsque nous avons déménagé en Guyane, je n’ai jamais pensé qu’il pourrait ne pas y avoir de communauté juive sur place. Il y a une communauté juive partout », se souvient de Caires. « C’était assez surprenant. »

Donc, lorsqu’ils ont déménagé de Karanambu en 2016 pour travailler à (et finalement diriger) Wilderness Explorers à Georgetown, de Caires s’est engagée à ouvrir sa maison à ses amis et voisins guyanais pour les fêtes de Hanoukka et les seders de Pessah.

« La première année où nous avons organisé un repas pour la fête de Hanoukka, il y avait des latkes et du gâteau noir (un plat traditionnel guyanais). Nous avons reçu des ministres du gouvernement, des ambassadeurs et des amis locaux », se souvient-elle. « J’ai raconté l’histoire de la fête et nous avons allumé les bougies. »

Ce n’était pas la première fois que de Caires était responsable à elle seule du maintien des traditions juives au Guyana. Elle se souvient d’un évènement en 2012, lorsqu’un touriste colombien-juif était venu au Karanambu Lodge pendant Pessah et lui avait demandé de faire du matza breï (un plat traditionnel ashkénaze composé de matza frite avec des œufs). Sous un toit de chaume, elle a pu préparer le mets de fête pour son visiteur.

Pour Ades, c’est aussi l’accueil qui lui fait le plus apprécier la maison qu’il a choisie au Guyana.

« Je me souviendrai toujours du 1er février 1963, le jour où nous avons quitté Israël. Nous avions prévu d’y revenir un jour », a-t-il déclaré. « Mais je suis toujours là. Entre cette date et aujourd’hui, j’ai vécu dans tellement d’endroits, et le Guyana est devenu ma maison. L’une des meilleures parties de ma semaine est la rencontre avec les nouvelles personnes qui viennent sur l’île des paresseux – des gens d’horizons différents venus du monde entier. C’est merveilleux de tous les accueillir. »

De Caires prévoit de partager à nouveau ses traditions juives dans le courant du mois, en organisant un autre repas de fête à l’occasion de Hanoukka pour ses amis et voisins guyanais. Le pire de la pandémie étant derrière eux, Ades et de Caires se réjouissent d’une saison touristique en plein essor. De Caires et son mari sont également prêts à entamer un nouveau chapitre professionnel. Ils ont récemment accepté de nouveaux postes au sein d’un conglomérat guyanais pour développer ses activités touristiques dans une station balnéaire riveraine.

« Si je partais d’ici, cela signifierait qu’il y aurait une personne de moins pour soutenir les autres [y compris les Juifs] », a répondu de Caires à la question de savoir si elle a le sentiment d’avoir perdu quelque chose en s’enracinant dans un endroit où il n’y a pas de communauté juive établie.

« Je pense que c’est intéressant que Rafi et moi soyons tous deux dans le tourisme. Il faut avoir beaucoup de ténacité, mais il est important de pouvoir accueillir les autres dans ce beau pays. »

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