L’année dernière, Alon Goren a été évacué de sa maison du kibboutz Eilon, à deux pas de la frontière nord d’Israël avec le Liban.
Il vit aujourd’hui dans le kibboutz Gaaton, en Galilée, où il est assis devant un miklat – abri anti-atomique – , nous demandant de ne pas nous interposer entre lui et son téléphone, situé à quelques mètres de là. Il est connecté à un appel Zoom avec l’école du kibboutz Kabri, où il enseigne le théâtre et où il est le professeur principal de la classe de Terminale.
Goren fait partie des quelque 60 000 habitants du nord du pays qui ont été évacués peu après le 7 octobre 2023, lorsque quelque 6 000 Gazaouis dont 3 800 terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël le 7 octobre, tué plus de 1 200 personnes, principalement des civils, enlevé 251 otages de tous âges, et commis de nombreuses atrocités et en utilisant la violence sexuelle comme arme à grande échelle.
Les craintes de voir le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah mener un assaut similaire se sont accrues après qu’il a commencé à attaquer quotidiennement les communautés israéliennes et les postes militaires le long de la frontière avec des roquettes, des drones, des missiles antichars et d’autres moyens le lendemain, le 8 octobre, affirmant qu’il le fait pour soutenir Gaza dans le cadre de la guerre contre le Hamas qui s’y déroule. Des dizaines de milliers d’Israéliens vivant dans le nord du pays ont été évacués peu après, et les missiles du Hezbollah n’ont cessé de déferler sur leurs villes, pour la plupart désertées.
« Nous avons emménagé dans une maison sans mamad [pièce sécurisée] et ma fille refuse d’y rester. Elle court donc dormir dans le miklat [abri anti-atomique] et je la suis », explique Goren.
« Les deux derniers jours ont été difficiles. Il y a des toilettes et un lavabo en état de marche en bas, et la sœur de ma compagne vit à proximité, elle s’occupe donc du thé et du café », ajoute-t-il.
À l’intérieur du miklat, quelques matelas et effets personnels sont éparpillés sur le sol, ainsi que des piles de chaises en plastique.
« Même plusieurs mois avant le début de la guerre en octobre dernier, nous avons commencé à inspecter les abris et à les préparer, anticipant le début de l’opération militaire dans le nord. Nous avons acheté de nouveaux matelas, vérifié les toilettes et réparé les fuites. En ce sens, la guerre nous a préparés », explique Smadar Tal, responsable de la communauté de ce kibboutz verdoyant niché au cœur de la Galilée occidentale.
Seules les interceptions de missiles ou les tirs des batteries d’artillerie stationnées dans la région perturbent occasionnellement la tranquillité du kibboutz.
Les attaques transfrontalières du groupe terroriste chiite libanais ont fait payer un lourd tribut à Israël au cours de l’année écoulée, entraînant la mort de 28 civils.
En outre, 43 soldats et réservistes de l’armée israélienne ont trouvé la mort lors d’affrontements à la frontière et au cours de l’opération terrestre lancée dans le sud du Liban à la fin du mois de septembre.
Des coûts massifs pour la communauté
Les maisons des quartiers plus anciens, construites avant les années 1990, ne sont pas fortifiées et les habitants – membres fondateurs ou jeunes locataires – comptent sur les abris collectifs. La plupart d’entre eux, cependant, ne veulent pas ou ne peuvent pas se rendre dans les miklatim ne disposant que de quelques secondes de préavis avant la chute ou l’interception du projectile. Par ailleurs, certains jardins d’enfants ont besoin d’être fortifiés, mais l’État ne finance que ceux qui sont placés sous les auspices du ministère de l’Éducation.
« Le 22 septembre, l’État a fermé les établissements scolaires et, depuis lors, les parents restent à la maison avec leurs enfants. Lorsque la guerre a éclaté, nous avons vérifié l’état des cinq jardins d’enfants : aucun d’entre eux ne disposait d’abris convenables. Certains avaient des pièces sécurisées datant des années 1980, mais sans fenêtres ni portes anti-explosion », explique Tal.
Gaaton est situé à neuf kilomètres de la frontière avec le Liban, ce qui lui confère le droit à un financement de l’État pour la fortification des bâtiments publics, alors que les communautés plus éloignées n’y ont pas droit. Le terrain de basket a été rénové ces dernières années, mais il ne dispose même pas d’un petit abri fortifié, et le centre communautaire doit être rénové prochainement, ce qui inclura l’ajout d’un miklat. Les caisses de santé Clalit ont fermé le dispensaire local au début de l’escalade, le mois dernier, demandant aux habitants de se rendre à Maalot pour y recevoir des soins médicaux.
La semaine dernière, les dirigeants du kibboutz ont réussi à trouver une solution temporaire en déplaçant le dispensaire dans un bâtiment scolaire doté d’un miklat.
« Les abris sont entretenus, mais le problème est que les résidents âgés ne peuvent pas s’y rendre en moins de 15 secondes – ce n’est pas réaliste », explique Tal. De nombreux membres plus âgés, dont certains sont des fondateurs, se sont résignés à ne pas construire de mamad, en se disant : « Si je meurs, je meurs. »
« Une femme qui vit près de chez nous a quitté sa maison pendant quelques mois parce que les détonations qui l’ébranlaient lui faisaient mal aux os, alors nous lui avons construit une pièce fortifiée à nos frais pour qu’elle puisse revenir. Rien que dans cette zone, nous avons dépensé un demi-million de shekels pour les fortifications – ce sont des coûts énormes pour la communauté, et d’un autre côté, il faut tenir compte des pertes », dit-elle.
La perte la plus douloureuse à laquelle Tal fait référence est le départ d’une centaine de danseurs de la Compagnie de danse contemporaine du kibboutz, qui opère à Gaaton sous la direction de Rami Beer.
« De nombreux danseurs ne sont pas Israéliens et, lorsque la guerre a éclaté, ils ont fait leurs bagages et sont rentrés chez eux à l’étranger », explique Tal.
« Cela représente des dizaines de logements qui ne rapportent pas de loyer, et une centaine de personnes qui ont cessé de payer les cotisations communautaires parce qu’elles ont fait leurs valises et sont parties, et qu’elles n’achètent plus dans l’épicerie du kibboutz », dit-elle.
« Nous avons perdu environ un demi-million de shekels au cours des trois derniers mois de 2023. Nous avons approuvé la construction d’un petit abri fortifié dans la zone résidentielle, en espérant que certains d’entre eux reviendront. C’est une sacrée histoire, un événement important. »
Lorsqu’on lui a demandé s’ils avaient reçu une aide de l’État, Tal a répondu : « Rien. Pour l’instant, nous n’avons rien reçu. »
Shachar Bakshi, directeur du quartier général de la planification nationale, a répondu qu’il était prévu d’étendre l’ordonnance temporaire autorisant une exemption de permis de construire pour les miklatim, mais il n’a pas précisé si la fortification d’une pièce existante dans une maison privée serait approuvée.
Le ministère des Finances a répondu à la demande de clarification du Times of Israel par la déclaration suivante : « La fortification des communautés situées entre zéro et un kilomètre de la frontière a été intégralement financée cette année. Une évaluation gouvernementale pour les communautés plus éloignées de la frontière devrait être achevée prochainement, après quoi le plan sera mis en œuvre par le Commandement du Front intérieur. »
Vingt mamadim privés construits à la dernière minute
En ce qui concerne les maisons des résidents plus âgés, la situation est encore plus inquiétante, car la plupart d’entre eux ne disposent pas de mamad.
Néanmoins, une vingtaine de ménages sur environ 150 dans les quartiers anciens ont achevé la construction de leurs propres abris anti-atomiques au cours des derniers mois, prenant à leur charge l’intégralité des coûts. Ils l’ont fait à la dernière minute, alors que le kibboutz n’avait pas été évacué mais était gravement menacé.
Ada Gurevich est l’une de ces personnes. Dans la cour menant à sa maison, un chat joue avec un petit serpent qu’il vient d’attraper. Ne se laissant pas abattre par l’incident, elle nous invite à découvrir la nouvelle quatrième « pièce » de sa maison.
« J’ai des petits-enfants et je voulais qu’ils puissent se sentir ici en toute tranquillité lorsqu’ils viennent du centre », explique-t-elle.
La fille de Gurevich, Gaya, vit dans le centre d’Israël, et son fils Nimrod, qui vient de passer pour une visite avec sa fille en bas âge, vit dans une vieille maison sans mamad. Nimrod était DJ au Festival Nova la veille du pogrom du 7 octobre 2023.
« Au printemps dernier, nous n’avions toujours pas d’abri anti-atomique, alors j’ai emménagé chez ma sœur, qui vit ici dans la zone élargie. Cette année, j’ai décidé d’aller de l’avant. Je suis veuve et mon frère Rami m’a aidée pour les formalités administratives et les démarches. J’ai engagé l’entrepreneur Karim, de Tarshiha, et je me suis liée d’amitié avec les ouvriers arabes, tous originaires du nord. Ils ont commencé à travailler à la mi-avril et, en mai, le chantier était déjà terminé. Maintenant, tout à coup, il y a une autre salle de jeux dans la maison », ajoute-t-elle.
200 000 shekels pour un mamad
Sur le papier, un abri anti-atomique devrait coûter environ 130 000 shekels, mais en réalité, c’est beaucoup plus cher, explique Gurevich.
« Ça m’a coûté 200 000 shekels, tout compris. Il y avait une fuite dans la pelouse, et j’ai ouvert une fenêtre dans la pièce pendant que j’y étais », dit-elle.
« Nous avons été parmi les premiers à établir un système d’accession à la propriété ici, et l’infrastructure est partagée par deux maisons. Ainsi, lorsque l’on veut rénover, tout est mis en pièces et il faut tout réparer. Finalement, nous avons même replanté la pelouse. Je voulais aussi une porte intérieure en bois, et ils ont trouvé le moyen de la faire sans que le cadre ne rétrécisse l’embrasure de la porte, ce qui était important pour l’accessibilité. »
Si l’ajout d’une pièce de 9m2 à une maison peut en augmenter la valeur, dans ce cas, la « modernisation » est imposée à des personnes âgées ou retraitées. Entre la bureaucratie et la charge financière, la plupart des résidents, qui vivent de pensions de vieillesse et de revenus de retraite des kibboutzim, ne sont pas en mesure de mener à bien les travaux de rénovation. En conséquence, ils restent dans des maisons non protégées pendant les très fréquentes alertes à la roquette.
Ils n’intéressent pas l’État
« Mes parents ont 90 ans et, dans le meilleur des cas, ils se collent au mur dans la partie de la maison où il y a le moins de fenêtres – c’est tout ce qu’ils peuvent faire », explique Ofir Adar, secrétaire du kibboutz, qui a lui-même achevé la construction de sa chambre fortifiée il y a environ un mois et demi.
« Vous pouvez terminer le processus en deux mois avec une bonne planification et un permis de construire accéléré, et vous vous retrouvez avec une pièce de 9m2 en intérieur et de 13m2 en extérieur. À bien des égards, cette situation nous a été imposée. J’approche déjà des 70 ans et, depuis octobre de l’année dernière, c’est loin d’être agréable, pour ne pas dire pire. Ces derniers jours, nous avons dû nous rendre plusieurs fois dans le mamad, et nous n’avons pas d’autre choix que de le financer de notre poche », explique Adar.
« Si vous construisez avec un permis du conseil local, vous pouvez obtenir une subvention de 10 000 shekels – ce n’est pas beaucoup, mais c’est déjà ça. Aujourd’hui, il existe une procédure accélérée pour les permis, mais vous n’obtenez pas cette subvention. L’État dit :’ Construisez rapidement, mais vous ne recevrez pas d’argent.’ Nous ne comptons pas pour eux lorsqu’il s’agit de mamadim, tout comme nous ne comptons pas dans de nombreux autres domaines », déplore-t-il.
Pas d’exonération de TVA
Le problème des maisons non protégées dans des bâtiments anciens touche tous les kibboutzim et les villages du nord, et seuls quelques-uns ont réussi à construire des pièces fortifiées au cours des derniers mois. L’État a promis des fortifications pour les communautés proches de la frontière, mais n’a financé qu’une petite partie du programme.
À l’heure actuelle, les communautés proches de la frontière ont été évacuées, et il n’y a pas de solution pour ceux qui, plus au sud, restent dans leurs maisons tout en étant à portée des tirs de missiles du Hezbollah, comme l’a fait remarquer Inbar Bezek, PDG de la société de développement économique du Conseil régional de Haute Galilée.
« Les gens construisent à titre privé des mamadim, qui coûtent des centaines de milliers de shekels, parce que l’État n’a approuvé les fortifications que pour les communautés situées à moins de deux kilomètres de la frontière », explique Bezek.
« Il s’agit de communautés dans lesquelles il est actuellement trop dangereux d’entrer, de sorte que la construction a lieu dans des zones plus éloignées et est entièrement financée par les résidents, sans aucune participation de l’État. Même l’exonération de la TVA n’a pas été approuvée. »
« Il y a des communautés dans notre conseil qui n’ont même pas de jardins d’enfants fortifiés parce que l’État n’a financé les fortifications que jusqu’à neuf kilomètres de la frontière, et tout ce qui va au-delà n’est pas couvert, même pour les bâtiments publics tels que les centres communautaires ou les terrains de sport. La municipalité doit recueillir des dons de l’étranger ou d’organisations telles que le Keren Kayemeth LeIsrael – Fonds national juif – et Mifal HaPayis [la loterie nationale] pour construire des miklatim pour les jardins d’enfants et les bâtiments publics. »
Subventions basées sur la distance de la frontière
Lors d’une récente réunion de la commission des Affaires étrangères et de la Défense sur la question des lacunes en matière de fortification dans le nord, le député Zvi Sukkot a suggéré de mettre de côté le plan de fortification du nord, ajoutant : « Malheur à nous si nous vivons dans une réalité où les habitants du nord doivent se fortifier encore et encore. »
Bezek a répondu lors de la réunion en demandant : « Êtes-vous prêts à abandonner les bus fortifiés et à nous les transférer ? » Environ deux semaines plus tard, Sukkot lui-même a été photographié dans un abri fortifié lors d’une visite dans une école à Neot Mordechaï.
Dans un document de synthèse soumis à la commission, Bezek a proposé trois moyens de combler le manque de milliers de mamadim dans les maisons et les jardins d’enfants de Galilée orientale et occidentale. Tout d’abord, elle a souligné la nécessité de prolonger l’exemption temporaire de permis de construire des abris anti-atomiques, qui doit expirer avant la fin du mois d’octobre.
Plus concrètement, elle a suggéré de mettre en place un système de subvention modulaire pour les miklatim, en fonction de la distance par rapport à la frontière et du délai d’alerte. Par exemple, une communauté située entre 9 et 15 kilomètres de la frontière recevrait une subvention de 75 %, tandis qu’une communauté située entre 30 et 45 kilomètres recevrait une subvention de 55 %, ou simplement une exonération de la TVA pour les communautés encore plus éloignées.
Une autre solution qui pourrait accroître considérablement les efforts de fortification est d’autoriser la fortification d’une pièce existante dans une maison privée, ce qui ne nécessite pas de permis et, contrairement à la construction d’une pièce supplémentaire, n’implique pas la destruction de l’infrastructure voisine. Cette solution est efficace contre les éclats d’obus mais pas contre les frappes directes, ce qui la rend adaptée aux communautés qui ne sont pas adjacentes à la frontière.
Peur de revenir sans abri anti-atomique
Dans les habitations privées, la construction d’un mamad supplémentaire nécessite d’endommager l’infrastructure et est beaucoup plus coûteuse. Or, actuellement, l’État n’autorise que la fortification des pièces existantes dans les immeubles d’habitation. En outre, de nombreuses personnes, dont Bezek, estiment que l’État devrait offrir des conditions de prêt plus favorables et étendre les conditions à un plus grand nombre de personnes.
Bezek, qui réside à Yuvalim, dans la région de Misgav, entre la Haute et la Basse Galilée, note que son bureau à Kiryat Shmona n’est pas fortifié, mais qu’elle s’y rend tout de même plusieurs fois par semaine.
« Dans chaque kibboutz de notre conseil, entre 10 et 20 maisons privées ont construit des abris anti-atomiques au cours des derniers mois, à leurs propres frais », explique-t-elle.
« Les habitants évacués me disent qu’ils ont peur de revenir s’ils ne disposent pas de fortifications adéquates. Ma mère de 88 ans, qui vit dans le kibboutz Dan, n’arriverait certainement pas à rejoindre un abri en zéro seconde. »
Bezek explique que la fortification des bâtiments publics dans le nord est financée par les impôts fonciers des habitants, mais ces derniers sont évacués, les entreprises locales ne fonctionnent pas et les municipalités locales ont subi une perte énorme dans leur trésorerie.
Elle compare cette situation à celle du sud du pays, où les projets de fortification sont financés jusqu’à 20 kilomètres de la frontière de Gaza, alors que pour les habitants du nord, cette distance n’est que de deux kilomètres.
« Mais le missile est le même, qu’il vienne de Gaza ou du Liban », souligne-t-elle.
« Ils ont fait ça parce qu’il y avait de nombreux tirs de roquettes dans le sud, mais ils se rendent maintenant compte que le nombre de roquettes dans le nord est déjà plus important », ajoute Bezek.
« Il faut donc au moins adapter les conditions. »