JTA — Alors qu’elle lit la nouvelle de la possible imminence d’une attaque contre Israël de la part de l’Iran et de ses proxies, Adi Tamer fait face à plusieurs dilemmes : Doit-elle partir, comme elle l’avait prévu, sur les rives du fleuve Jourdain, ce week-end, pour prendre un peu de vacances ?… Elle vit dans une ville située à proximité de la côte du nord d’Israël – à la portée des pluies de roquettes du Hezbollah : Serait-il plus prudent qu’elle ne quitte pas son domicile ?
Elle trouve un compromis. Elle n’ira pas, comme elle l’avait programmé, sur la frontière que partage Israël avec la Jordanie pour prendre un peu de repos – mais elle ne restera pas non plus cloîtrée chez elle.
« Je ne vais pas défier le destin à ce point-là », explique-t-elle, évoquant son renoncement à son plan de vacances.
« Mais je vais sortir », affirme-t-elle. « Je ne vais pas arrêter de vivre à cause d’un ‘Et si ?…’. Nous sommes actuellement dans une situation complètement pourrie mais je pense que ce qu’on a de mieux à faire, c’est de comprendre qu’on a aucun contrôle là-dessus et l’accepter, tout simplement ».
Cela fait des mois que les Israéliens de tout le pays doivent prendre des décisions de ce type alors que le quotidien continue, malgré tout, dans un contexte de guerre sur plusieurs fronts qui déborde régulièrement sur les centres de population majeurs. Autre conséquence, des sites de loisirs, très populaires dans le passé, ont été complètement désertés. Les Israéliens se sont habitués à une dissonance cognitive constante – ils vivent dans un environnement où tout rappelle la guerre, les personnes qui ont été tuées ou prises en otage mais ils continuent à aller au travail, à envoyer les enfants à l’école et, souvent, à sortir pour aller au restaurant ou ailleurs, en quête d’un moment de plaisir en dépit des risques. Les tensions, chez les citoyens, ont encore grimpé d’un cran alors que l’État juif se prépare à une attaque de la part de l’Iran, après une frappe qui a entraîné la mort d’un chef de premier plan du Hamas à Téhéran.
« Ici, c’est comme vivre deux réalités en même temps », a écrit sur Instagram, la semaine dernière, Karin Hershkovitz, influenceuse israélienne qui vit aux États-Unis mais qui se trouve, cet été, en Israël, où elle rend visite à sa famille. « Le travail, les enfants, la routine, la fête et la vie qui continue, tout simplement – avec, de l’autre côté, le chagrin, les menaces et l’incertitude permanente ».
Et le contraste est parfois particulièrement frappant. Quelques heures après l’explosion, le mois dernier, d’un drone en provenance du Yémen qui s’était abattu à quelques blocs d’immeubles de la plage de Tel Aviv – l’attaque avait fait un mort, Yevgeny Ferder, un immigrant venu de Biélorussie – la plage avait été prise d’assaut par les habitants qui étaient venus profiter d’un week-end particulièrement ensoleillé.
Un groupe de familles s’était réuni pour son cours hebdomadaire de surf – un seul cours avait été annulé dans le sillage de cette frappe – et la circulation des voitures, des vélos, des scooters et des piétons avait été aussi embouteillée et dense que d’habitude. Difficile pour un passant, à la vision des cafés animés et des magasins remplis de clients, de croire que les lieux avaient été visés par une attaque terroriste le matin même.
« J’ai pensé ne pas venir pendant au moins une demi-seconde mais pour être honnête, les méduses m’inquiètent bien davantage, » s’exclame Ofer Zimri en riant.
Et le nombre d’Israéliens venus profiter du soleil et de la chaleur, sur la plage, indique clairement que nombreux sont ceux qui partagent le même sentiment que Zimri. Près de l’eau, un couple est assis sur le sable, une bière à la main.
« La vie ici passe à un rythme tellement dingue que vous oubliez les choses. Un jour, il y a une attaque et le lendemain, tout se passe comme d’habitude », déclare Amit Mizrahi.
Mais comme de nombreux autres Israéliens, il a procédé à des changements dans sa vie depuis le 7 octobre. Il a obtenu un permis de port d’arme, puis il a acheté une arme. Il dit qu’il reste vigilant quand il se rend dans des lieux publics, cherchant constamment d’éventuels échappatoires et restant à l’affût de toute activité suspecte.
« La semaine dernière encore, il y a eu un attentat terroriste à côté de chez moi à Rishon Lezion, » ajoute-t-il, faisant référence à une attaque à la voiture-bélier qui a fait un mort, un soldat, et trois blessés. « Mais peu importe ce qui peut arriver – je me sens en sécurité. Parce que c’est notre foyer, vous comprenez ce que je veux dire ? »
De nombreux Israéliens ont vécu de manière personnelle, voire intime, les pertes du 7 octobre et celles de la guerre entre Israël et le Hamas qui a suivi à Gaza. Les hommes armés du groupe terroriste avaient déclenché le conflit en cours lorsqu’ils avaient commis un pogrom dans le sud d’Israël, massacrant près de 1 200 personnes de tous les âges, des civils en majorité, et kidnappant 251 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.
Ziv avait un ami d’enfance qui a été tué au festival de musique électronique Supernova, le 7 octobre, et il a un autre ami qui a perdu ses deux jambes dans les combats à Gaza. Le réserviste déclare s’attendre à être à nouveau mobilisé. En attendant, Ziv raconte faire du skateboard dans un parc voisin. Entre deux kickflips, il parle avec un certain lyrisme de la vie vécue dans l’ombre de la guerre.
« La vie est la seule thérapie contre ce qui est le contraire de la vie, à savoir la mort », explique-t-il. « Ma vie est actuellement en pause mais je tente de reprendre ma routine autant que possible. Je vais chez un psy, je vais faire du skateboard. Bouger est une bonne chose parce que cela atténue à la fois la douleur et le stress. »
Certains Israéliens considèrent que sortir de chez eux est une démonstration de défiance. Lors d’un récent concert dont la tête d’affiche était le rappeur juif américain Kosha Dillz, Michelle Long a noté qu’elle avait le sentiment de devoir barrer constamment la route à la dépression ou, comme elle l’a dit, qu’elle devait enfin réussir à « lâcher prise ».
« Nous vivons des vies doubles. Quelque chose de mauvais survient ; vous avez le cœur qui chavire puis vous remettez votre téléphone dans votre poche et il faut continuer », explique-t-elle.
« Parfois, vous pouvez continuer à faire les choses comme si tout était normal », poursuit-elle. « D’autres fois, vous allez faire n’importe quoi. Et encore d’autres fois, vous ne savez même plus ce qui sera susceptible d’avoir un effet sur votre comportement ».
Noah Shufutinsky, qui a assuré l’une des premières parties du concert sous son nom de scène de rappeur, Westside Gravy, a expliqué que sa musique avait changé de manière importante depuis le 7 octobre.
« Cette nouvelle normalité implique que je ne vais pas chanter des chansons que je pourrais par ailleurs interpréter à un autre moment. Je ne vais pas faire de la musique juste pour le fun », a-t-il dit. « Pour moi, il y a eu beaucoup de transformations dans ma musique ; je parle des problèmes que traversent les Israéliens et je tente de refléter un peu la société qui est la mienne maintenant à travers la musique. »
Pour Kim Feldman, aller à un concert de rap ou à tout autre événement impliquant de prévoir une sortie et d’acheter un billet est devenu trop difficile depuis le 7 octobre. Elle dit préférer profiter de soirées plus simples avec ses amis comme, par exemple, en assistant à une projection de « The Princess Bride » dans un parc local, une projection organisée dans le cadre d’un festival hebdomadaire de cinéma en plein air gratuit.
« Je n’arrive pas à prévoir de faire la fête. J’arrive à prévoir, en revanche, d’assister à une séance de cinéma dans un parc », explique Feldman. « C’est vraiment agréable d’aller dans un lieu décontracté, avec des gens, sans pour autant devoir se donner du mal. C’est un mode de socialisation agréable, qui implique moins de pressions et moins d’attentes ».
Désignant du doigt son environnement, elle ajoute : « Regardez donc le nombre de bébés et de chiens qu’il y a ici ».
De nombreux Israéliens indiquent que l’atmosphère, en public, n’est plus la même que celle qui régnait au cours des deux premiers mois de la guerre quand le choc du 7 octobre était encore vif. « Tout paraissait terne et étrange », dit Feldman.
« Ce qui a entraîné chez moi un sentiment de panique, ça a été de voir combien il y avait peu d’hommes jeunes dans les rues – et ensuite, cela a été de constater combien ils étaient nombreux à avoir été blessés », s’exclame Feldman en évoquant les centaines de milliers de personnes mobilisées par Tsahal. « Nous sommes neuf mois plus tard et d’une certaine manière, ça devient plus dur encore avec le temps qui passe. Vous essayez de ne pas être irrespectueux mais vous tentez de trouver l’équilibre qui vous permettra de continuer à vivre aussi normalement que possible. »
Lors d’un spectacle de standup , le célèbre comédien Udi Kagan a été interrompu par les cris d’un nouveau-né qui pleurait. Il a demandé à la mère du tout petit comment elle avait pu prévoir d’assister au spectacle alors que les billets avaient été vendus des mois à l’avance. La femme a répondu qu’elle les avait obtenus auprès d’un réserviste qui avait été mobilisé au dernier moment pour aller se battre à Gaza.
« Cela reflète l’humeur générale qui domine dans le pays », commente Idan Cohen, qui était dans le public ce soir-là. « Avant, on tenait les choses pour acquises mais ce n’est plus possible aujourd’hui. Qu’il s’agisse de quelque chose qui n’est pas important – pouvoir aller au spectacle pour lequel vous aviez réservé des billets – à quelque chose qui l’est beaucoup plus, comme savoir si vous êtes en sécurité dans votre lit pendant la nuit. »
Cohen ajoute : « Mais la vie continue, en particulier pour les enfants. C’est pendant les vacances que c’est le plus dur ».
Les Israéliens ont sans doute été les plus prompts à changer leurs projets en ce qui concerne les voyages ou les vacances. Anat Shihor-Aronson, porte-parole du ministère du Tourisme, explique cette tendance par deux raisons principales : de nombreuses compagnies aériennes ont annulé des vols pour cause de guerre et de nombreux Israéliens sont réticents à l’idée de voyager à l’étranger, un sentiment alimenté à la fois par la recrudescence de l’antisémitisme à l’international et par un fort désir de rester à proximité de leurs proches.
« Si quelque chose doit arriver – Dieu nous en préserve – ils restent en Israël afin d’être près de chez eux », déclare Shihor-Aronson said.
En résultat, les hôtels sont bondés au sein de l’État juif – 90% à 100% des chambres sont occupées actuellement – même si le nombre de touristes étrangers se trouvant actuellement dans le pays ne représente que 10% à 20% du nombre habituel en été. Le taux d’occupation est aussi plus élevé en raison des 24 000 évacués à peu près qui vivent encore dans les hôtels – ils ont été déplacés majoritairement du nord du pays, suite aux hostilités avec le Hezbollah.
Shihor-Aronson fait part de son optimiste en ce qui concerne l’avenir du tourisme international, notant une augmentation constante du nombre de touristes même pendant cette guerre. Si la plupart des voyageurs sont des touristes juifs et chrétiens évangéliques – « le marché fidèle », dit-elle – les groupes de bénévoles et de solidarité sont de plus en plus nombreux. C’était le cas, tout du moins, avant que la majorité des compagnies aériennes n’annulent leurs vols cette semaine, en réponse à la menace que fait planer l’Iran sur le pays.
Certains Israéliens, comme Tamir, renoncent à leur voyage. Cohen a annulé les vacances que la famille prend chaque année, dans un camping, dans le nord du pays, en raison des attaques fréquentes du Hezbollah.
« Il y a tant d’endroits où on ne peut pas aller », déplore Cohen. « C’est trop dangereux ».
Et si la vie est, sous de nombreux aspects, revenue à la normale dans les villes israéliennes, un visiteur a toutefois estimé que les changements reflétaient également une réalité plus sinistre.
« Les terrains de beach-volley sont pleins. La vie continue », a écrit sur Facebook Jonathan Jaffe, un rabbin de New York qui se trouve dans le pays pour la troisième fois depuis le début de la guerre à Gaza, après l’attentat de Tel-Aviv. « On peut y déceler l’histoire édifiante de la résilience d’une communauté qui refuse de s’incliner devant le terrorisme, ou l’histoire moins optimiste d’une région qui n’est que trop habituée à des aubes telles que celle-ci ».