L’interview a été publiée le 29 octobre en anglais.
PARIS — Ces dernières semaines, les tensions entre le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre Benjamin Netanyahu ont atteint leur paroxysme, à un moment où Israël poursuit son offensive dans le sud du Liban – avec pour objectif de démanteler les infrastructures du Hezbollah – et où la France, de son côté, a appelé à un embargo sur le réarmement de l’État juif.
Pour mieux comprendre les agitations qui secouent le Moyen-Orient, les médias français se tournent souvent vers Ofer Bronchtein, le conseiller spécial de longue date d’Emmanuel Macron en ce qui concerne les affaires israélo-palestiniennes. Et cette fois-ci, l’homme est particulièrement bien placé pour donner son point de vue sur la dynamique qui sous-tend actuellement les relations entre les dirigeants israéliens et français.
Bronchtein détient trois passeports : Israélien, français et palestinien. Ce dernier lui a été remis, en 2011, par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Il parle couramment le français, l’hébreu, l’anglais et l’espagnol – et il a fait son service militaire au sein de l’armée israélienne.
« Leurs relations s’empirent », confie Bronchtein lors d’un entretien accordé récemment au Times of Israel. « Macron se demande pourquoi il lui est demandé de défendre les intérêts et la sécurité d’Israël – et il le fait – compte-tenu de la manière dont Jérusalem lui répond. Il a beaucoup de respect à l’égard d’Israël mais il demande à être entendu et respecté en retour. Au point où nous en sommes, il ne comprend pas les objectifs et la stratégie qui sont ceux d’Israël dans la poursuite de la guerre à Gaza. Netanyahu avait promis de se montrer plus réaliste, mais il n’a pas tenu sa promesse ».
Ofer Bronchtein, chargé de mission par Emmanuel Macron pour le rapprochement Israélo-palestinien, s’est vu remettre le rapport « La Paix autrement » le jeudi 24 octobre 2024. pic.twitter.com/Rc8ORcVjmI
— Forum International pour la Paix (@ForumPaix) October 29, 2024
Militant convaincu pour la paix, Bronchtein est à la tête du Forum international pour la Paix, qu’il avait co-fondé en 2001. Ses positionnements, qu’il ne dissimule pas, entraînent la colère de certains membres de la communauté juive française qui considèrent qu’il fait preuve d’une sympathie excessive à l’égard des Palestiniens et que ses critiques à l’égard d’Israël sont outrancières. Mais les agressions verbales et physiques dont il a été victime de la part d’activistes juifs d’extrême-droite et les menaces de mort qui ont pu être proférées à son encontre n’ont rien changé à ses convictions.
Dans le contexte des frictions récentes entre les deux pays – des frictions dues, en partie, à des propos tenus par Macron qui ont été mal reçus en Israël – Bronchtein insiste sur le fait que son patron est souvent mal compris.
« Le Macron-bashing est contreproductif en ce qui concerne la relation entre la France et Israël », explique Bronchtein. « La querelle qui a éclaté suite à ses propos récents au sujet d’Israël est stupide. La manière dont les choses peuvent être mal interprétées est absolument surréaliste. Macron n’a jamais prononcé le mot ‘Boycott’, il n’a jamais dit que la France ne vendrait pas d’armes à Israël. Il a simplement dit qu’il serait contradictoire, pour lui, d’appeler au cessez-le-feu – comme il le fait – tout en vendant en même temps des armes à Israël, des armes qui sont susceptibles d’être utilisées à Gaza ».
Bronchtein assure que Macron se préoccupe véritablement d’Israël.
« Ses intentions sont excellentes », s’exclame Bronchtein, qui est âgé de 67 ans. « Macron investit vraiment du temps et de l’énergie sur les questions qui sont en lien avec Israël mais malheureusement, il n’est pas toujours soutenu par certains membres de son administration. Il a toujours été très clair sur le droit d’Israël à l’auto-défense et il a démontré son engagement à l’égard d’Israël. N’oublions pas que la France a été l’un des quelques pays qui ont aidé à protéger Israël contre les missiles iraniens au mois d’avril, et une fois encore le 1er octobre. »
Son travail avec Macron l’amène fréquemment sur le sol israélien. Il est venu à plusieurs reprises, ces derniers mois, mais il garde le silence quand on lui demande des détails.
« Tout ce que je peux dire, c’est que Macron consacre un temps considérable à œuvrer en faveur de la remise en liberté des otages et en faveur d’un cessez-le-feu », déclare Bronchtein pendant l’interview qu’il nous accorde dans son appartement du 11e arrondissement de Paris, au deuxième étage d’un immeuble.
« Nous travaillons en utilisant tous les canaux possibles. Je ne vais pas entrer dans les détails et je vais me contenter de vous assurer que Macron passe des heures à s’entretenir avec tous les acteurs, les Israéliens, les Palestiniens – pas le Hamas – mais aussi avec les Qataris, les Égyptiens, les Américains, les Émiratis, et d’autres encore. Il le fait sur une base quasiment quotidienne. Nous travaillons sur des projets et sur des initiatives à tous les niveaux – les infrastructures, l’éducation à la paix, la reconstruction de Gaza, l’assistance humanitaire mais nous travaillons aussi, bien sûr, sur des actions politiques et sécuritaires de manière à créer un leadership palestinien responsable », note-t-il.
Pas de paix à l’horizon
Grâce à ses contacts bien placés dans les camps israélien et palestinien, des relations qu’il entretient depuis longtemps, Bronchtein est en mesure d’apporter ce que peu d’autres personnes peuvent apporter dans le cadre du conflit. Quand il vivait en Israël, il avait été étroitement impliqué dans le processus de paix d’Oslo. A cette occasion, il avait effectué des missions secrètes pour le Premier ministre Yitzhak Rabin au début des années 1990. Il avait aussi assisté à la conférence de paix de Madrid, en 1991.
Il avait été au service de Rabin après un séjour dans une prison israélienne, en 1989. Il avait été condamné pour avoir rencontré Abbas, qui faisait alors partie du comité exécutif de l’OLP, en Europe – violant une loi aujourd’hui disparue qui interdisait tout contact entre les Israéliens et les membres de l’OLP.
Pour une personnalité comme lui, pour un esprit qui a eu pour souci primordial la recherche de la paix israélo-palestinienne depuis les années 1980, le pogrom qui a été commis, le 7 octobre 2023, par le Hamas et ses conséquences sont particulièrement déchirants. Ce jour-là, des milliers de terroristes avaient franchi la frontière séparant l’État juif de la bande de Gaza et ils avaient pris d’assaut le sud d’Israël, massacrant plus de 1 200 hommes, femmes et enfants. Ils avaient kidnappé 251 personnes, qui avaient été prises en otage au sein de l’enclave côtière.
Cette attaque sans précédent a été à l’origine de la guerre à Gaza.
« Je n’ai pas moins d’espoir, je ressens une douleur plus grande », dit Bronchtein, qui est assis dans son salon avec Leo, son labrador.
« C’est toujours plus difficile de travailler sur l’espoir que sur la violence. La violence est quelque chose de tangible, on peut immédiatement la ressentir, alors que l’espoir est quelque chose de plus difficile parce qu’il est hypothétique par nature. Mais nous n’avons pas le choix. Quelle est l’alternative ? Les deux parties seraient donc condamnées à se détruire mutuellement ? Je me suis toujours engagé en faveur d’une autre alternative, une alternative basée sur le respect mutuel, sur la générosité, sur la compréhension, sur l’humilité et sur le dialogue ».
C’est une attitude qu’il conserve dans son travail avec Macron, qui l’a nommé à son poste actuel en 2020 peu après s’être rendu en Israël à ses côtés à l’occasion de la commémoration du 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz.
« Je suis tout à fait conscient du fait que ce n’est pas le bon moment, pour les Israéliens et les Palestiniens, de parler de paix, voire de simplement penser à la paix », déclare Bronchtein. « Ils sont en guerre, ils perdent des personnes qui leur sont chères, ils sont en deuil. Il n’y a pas d’empathie de part et d’autre pour ce que l’autre est en train de vivre ».
« Ce que les deux parties vivent depuis le 7 octobre est terrible », dit Bronchtein qui est père de trois enfants – l’un d’entre eux vit en Israël. « La société israélienne est toujours traumatisée, les gens attendent toujours le retour des otages. Ils sont en deuil en permanence alors que des soldats continuent de perdre la vie. Les Israéliens ne comprennent toujours pas comment le 7 octobre a pu se produire. Ce qu’ils vivent n’est pas près d’être surmonté ».
« À Gaza, les logements et les infrastructures sont détruits, des milliers et des milliers de personnes sont tuées », ajoute-t-il, n’hésitant nullement à mettre le doigt sur la dureté de la réalité palestinienne. « C’est très douloureux et il y a d’énormes souffrances là-bas aussi ».
Il reconnaît qu’une éventuelle résolution du conflit n’est pas imminente.
« Nous devrons d’abord attendre que cette guerre se termine, puis il faudra livrer des efforts longs et difficiles pour éliminer tout le poison qui a été injecté dans ces deux sociétés », commente Bronchtein. « Mais en fin de compte, les deux parties savent qu’il n’y a pas d’autre solution que de changer la réalité actuelle. Je sais que personne ne veut en entendre parler aujourd’hui, mais je sais aussi qu’ils devront y faire face demain ».
Plus déçu que désillusionné
Né à Beer Sheva, Bronchtein a grandi dans cette localité jusqu’à l’âge de 9 ans – lorsque ses parents, qui avaient tous les deux vu le jour en Afrique du Nord, ont déménagé pour la France. Ils se sont installés en banlieue parisienne. À l’âge de 17 ans, Bronchtein est retourné en Israël dans le cadre du mouvement de jeunes Habonim Dror et il a vécu au kibboutz Beit Keshet, en Haute Galilée, où il a terminé ses études secondaires.
En 1992, Bronchtein est devenu le directeur de ce qui était alors la plus grande organisation pacifiste en Israël, le Centre international pour la paix au Moyen-Orient, ce qui l’a amené à travailler avec Rabin – sur des problématiques sociales dans un premier temps, explique-t-il. Puis, en 1993, dans le cadre du processus d’Oslo, Rabin l’a envoyé à plusieurs reprises en voyage secret à Tunis pour y rencontrer Yasser Arafat, alors chef de l’OLP, afin de préparer la visite du vice-Premier ministre Binyamin Ben-Eliezer qui devait aboutir aux accords d’Oslo.
Le 13 septembre 1993, lorsqu’Israël et l’OLP ont signé l’accord lors d’une cérémonie qui avait été organisée à la Maison Blanche, Bronchtein faisait partie de la délégation israélienne. Dans l’espoir d’une aube nouvelle, il a participé aux négociations des accords d’Oslo II en 1995 qui ont été signés peu avant l’assassinat de Rabin – un assassinat qui a frappé Bronchtein de plein fouet, confie-t-il.
Quelques mois plus tard, lorsque Netanyahu est devenu Premier ministre en 1996, Bronchtein a d’abord pensé qu’il poursuivrait le processus de paix.
« Netanyahu ne voulait pas avoir l’image d’un extrémiste poussant à s’opposer au processus de paix », explique Bronchtein, qui a finalement définitivement posé ses valises à Paris avec son épouse en 2001. « Il voulait en faire partie et c’est la raison pour laquelle, à l’époque, j’ai été en relation avec lui. J’étais peut-être naïf en croyant qu’il voulait poursuivre sérieusement le processus de paix. Pendant quelques années, nous avons travaillé ensemble. J’ai même organisé des rencontres entre des gens de droite – colons, membres du Likud et religieux – et des Palestiniens ».
Aujourd’hui, malgré les nombreux revers essuyés par les relations israélo-palestiniennes au fil des ans, Bronchtein ne se laisse pas abattre – mais il reconnaît nourrir une certaine frustration. Malgré tout le soutien dont il a longtemps ouvertement fait preuve à l’égard des Palestiniens, il a publiquement critiqué leurs réactions face au pogrom du 7 octobre.
« Je ne suis pas autant désillusionné que je suis déçu face au manque de compassion des Palestiniens, face à leur incapacité à reconnaître la réalité tragique et les souffrances des Israéliens », confie Bronchtein. « Les choses commencent à changer, mais il faudra malheureusement plus de temps que je ne l’espérais ».
Bronchtein reste néanmoins positif. Est-il un éternel optimiste ? A cette question, il répond : « Oui, même s’il est très difficile d’être optimiste aujourd’hui. Cela demande plus d’efforts de penser ainsi, mais le pessimisme n’est pas une option ».