Israël en guerre - Jour 345

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Une sentinelle armée monte la garde dans un camp d'internement des "ennemis étrangers"  en Angleterre, le 2 juin 1940. (Crédit : AP)
Une sentinelle armée monte la garde dans un camp d'internement des "ennemis étrangers" en Angleterre, le 2 juin 1940. (Crédit : AP)

Fuyant les persécutions nazies, ces Juifs allemands que Londres a mis dans des camps

Un livre raconte l’histoire peu connue de milliers de réfugiés juifs allemands détenus dans des camps britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale – parmi eux, mes aïeux

C’était le mois de mai 1940 et une vague de panique s’était abattue sur les citoyens britanniques qui craignaient que l’Allemagne n’envahisse les côtes anglaises à n’importe quel moment.

Terrifié à l’idée d’une attaque imminente, le gouvernement britannique avait autorisé l’arrestation de tous les citoyens allemands qui résidaient au Royaume-Uni, ainsi que leur mise en détention. 30 000 ressortissants allemands environ avaient été alors envoyés dans des camps d’internement – la vaste majorité de ces nouveaux prisonniers était constituée de réfugiés juifs qui avaient fui les nazis, un grand nombre d’entre eux, d’ailleurs, avec l’aide des Britanniques.

Parmi eux, il y avait eu mon grand-père, mon arrière-grand-père et mon grand-oncle. Tous les trois avaient figuré parmi les 2 000 prisonniers approximativement qui avaient été envoyés dans le camp d’internement de Hutchinson, sur l’île de Man, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Mon arrière-arrière-grand-père, le rabbin Paul Holzer, et mon grand-père, Otto Levy, sont morts avant ma naissance. Selon mon entourage familial, ils n’évoquaient guère ce qu’avait été la vie dans le camp – mon grand-oncle, Marcus Horovitz conservait également un silence pudique sur cette partie de son existence.

Un nouveau livre écrit par le journaliste britannique Simon Parkin, The Island of Extraordinary Captives, lève le voile sur les vies de ces hommes détenus dans le camp de Hutchinson après avoir échappé aux nazis – avec ce traumatisme d’être emprisonnés par ceux à qui ils devaient initialement la liberté.

Considérés comme « des étrangers ennemis », les réfugiés enfermés au camp de Hutchinson avaient été arrêtés dans le cadre de rafles massives en 1940. Ce n’était pas la première fois que la menace d’un internement avait plané sur eux : Ils avaient déjà bénéficié auparavant d’une exemption qui leur avait permis d’échapper à une possible mise en détention. L’Angleterre, jusqu’à ce moment-là, avait été un refuge : Certains étaient arrivés par le biais des Kindertransports quand ils étaient adolescents ; d’autres – comme mon arrière-grand-père – avaient été emprisonnés dans des camps de concentration et ils étaient parvenus à s’échapper et à rejoindre le Royaume-Uni.

Et ce refuge leur avait offert une nouvelle fois un horizon coupé par la vision des fils barbelés.

Les étrangers ennemis arrêtés lors d’une importante rafle policière quittent Londres, en Angleterre, sous une lourde escorte militaire à destination des camps d’internement, le 17 mai 1940. (Crédit : AP Photo)

« Au mois de mai 1940 – ce moment où la paranoïa nationale a atteint son paroxysme en Angleterre… Il y a ce mélange de peur de l’invasion, de ces peurs aussi que les tabloïds britanniques ont attisé à l’encontre des réfugiés autorisés à entrer dans le pays », dit Parkin au Times of Israel lors d’un entretien téléphonique récent accordé depuis le Royaume-Uni. « Et c’est ce qui permet au gouvernement – ou ce qui oblige le gouvernement – à prendre cette mesure ».

Environ 80 % des arrestations avaient concerné des réfugiés juifs et la plupart d’entre eux avaient été placés en détention dans un certain nombre de camps différents de l’île de Man, située dans la mer d’Irlande, entre l’Angleterre et l’Irlande. C’est le camp de Hutchinson qui est resté le plus célèbre : Jusqu’à plus de 1 200 personnes y avaient été détenues, avec parmi elles un grand nombre d’artistes, de musiciens et d’intellectuels renommés.

Un périple accidentel

Parkin, journaliste au Royaume-Uni, a découvert pour la première fois l’histoire du camp de Hutchinson alors qu’il faisait des recherches sur les prisonniers de guerre britanniques dans les archives nationales. A ce moment-là, il avait l’intention d’écrire un livre complètement différent.

« C’est en cherchant des documents sur ces prisonniers de guerre que je suis tombé sur ce numéro du journal ‘The Camp,’ qui était fait à Hutchinson, une sorte de fanzine très artisanal, avec des illustrations à la main… Il semblait avoir été écrit par des prisonniers mais il était clairement anti-nazi, c’était quelque chose de très étonnant », explique Parkin. « Et c’est ce qui m’a fait entrer dans ce monde des camps d’internement ».

Ce journal écrit et publié par les prisonniers, très simplement appelé ‘The Camp’, offre de nombreux aperçus des attitudes et de l’état psychologique des détenus qui vivaient dans le camp de Hutchinson – des aperçus qui transparaissent clairement malgré les restrictions qui étaient imposées par les autorités britanniques et malgré leur travail de supervision.

Mon grand-père, rabbin d’une congrégation pendant très longtemps, avait, en 1940, écrit un petit article en allemand dans le journal, juste avant Rosh HaShana, évoquant « l’arrachement » d’avec les siens et disant qu’il ne parvenait à tenir à distance « la douleur brûlante de la séparation » qu’avec « l’espoir que nous serons tous bientôt encore une fois réunis ».

Dans un autre article, il avait écrit un article joyeux saluant l’arrivée au camp d’un rouleau de Torah, qu’il était parvenu avec difficulté à obtenir au bénéfice des prisonniers juifs qui désespéraient de pouvoir pratiquer leur religion.

Une missive écrite par le rabbin Paul Holzer dans l’édition du 21 septembre 1940 de ‘The Camp,’ le journal du camp de Hutchinson. (Crédit : © Crown Copyright Images, reproduit avec l’autorisation des National Archives, Londres, Angleterre)

Les articles, les notes et même les lettres adressées au responsable du journal expriment la colère, la perplexité et un sentiment de trahison face à cet emprisonnement par les Britanniques, en plus d’un sentiment de désespoir face à l’incapacité des prisonniers de prouver leur profond rejet du nazisme – en témoignent d’ailleurs des dessins utilisant l’humour noir pour tourner Hitler en dérision. Dans une lettre ouverte mise en première page de ‘The Camp’, en date du 15 octobre 1940, le rédacteur en chef du journal avait émis un appel en direction du commandant du camp, suppliant ce dernier d’autoriser les détenus à participer par le travail à l’effort de guerre et à « prouver notre loyauté à l’égard de la Grande-Bretagne et notre haine à l’encontre du nazisme ».

Dans d’autres camps similaires – et en particulier dans le camp réservé aux femmes – le mélange de réfugiés juifs et de partisans de l’Allemagne nazie était encore plus prononcé, et plus terrible encore pour ceux qui avaient fui les camps de concentration et les persécutions nazies

Tandis que la majorité des prisonniers, au camp de Hutchinson, étaient Juifs, d’autres étaient soupçonnés de nourrir de la sympathie à l’égard de l’Allemagne nazie et la défiance était forte. Dans d’autres camps similaires – et en particulier dans le camp réservé aux femmes – le mélange de réfugiés juifs et de partisans de l’Allemagne nazie était encore plus prononcé, et plus terrible encore pour ceux qui avaient fui les camps de concentration et les persécutions nazies.

« Il y avait beaucoup de paranoïa dans les camps ; les gens s’inquiétaient à l’idée que les autres n’aient pas vraiment dit qui ils étaient en réalité », indique Parkin. « Avec ce climat d’angoisse face à une possible invasion imminente de la Grande-Bretagne, il y avait une peur énorme : celle que si les nazis devaient arriver dans un contexte où les Britanniques avaient d’ores et déjà raflé tous les Juifs en les plaçant dans les camps, les Britanniques, d’une certains manière, auraient déjà fait tout le travail pour eux ».

Hutchinson avait quelque chose d’unique avec son éventail de prisonniers brillants et mondains. Comme l’écrit Parkin : « Les jeunes hommes dans leurs uniformes, les vieillards qui marchaient en claudiquant, les hommes d’affaires bien habillés, l’intelligentsia à la coiffure négligée, les religieux portant la kippa ou leur chapeau de fourrure au beau milieu de l’été : soit les nazis avaient orchestré un savant et comique mélange de déguisements pour leurs espions ou plus probablement, les autorités britanniques avaient arrêté des milliers d’hommes qui étaient très exactement ce qu’ils prétendaient être : Des innocents piégés dans le chaos de l’Histoire en mouvement ».

Malgré une situation catastrophique, un grand nombre des réfugiés emprisonnés avaient choisi d’exploiter au mieux le temps passé dans le camp – organisant des activités de loisir, des expositions ou des concerts. Ils avaient même ouvert un café. Les récits du temps passé au camp de Hutchinson sont tragiquement surréalistes : des réfugiés enfermés, séparés de leurs familles et de leurs proches, qui tentent d’oublier le temps qui passe en assistant à des concerts, des conférences, des événements sportifs ou à vocation artistique.

Les documents du Home Office britanniques qui détailles l’emprisonnement de plusieurs de mes proches, qui avaient été préalablement exemptés d’une mise en détention. (Crédit : © Crown Copyright Images, reproduit avec l’autorisation des National Archives, Londres, Angleterre)

« Aucun soleil abondant, aucun loisir n’était en mesure d’apaiser l’esprit de ces hommes, mariés et pères de famille, qui avaient abandonné leurs entreprises et qui ignoraient comment leurs familles feraient pour vivre sans leur revenu, qui comprenaient très bien combien leur situation était précaire et combien la situation de la Grande-Bretagne l’était aussi de manière plus générale », écrit Parkin dans le livre.

Un grand nombre était terrifié à l’idée d’être rapatrié en Allemagne ou rendu aux Allemands dans le cadre d’un échange de prisonniers. D’autres craignaient que les nazis n’envahissent l’île de Man, trop heureux d’y découvrir un si grand nombre de Juifs qui deviendraient autant de cibles faciles

Un grand nombre était terrifié à l’idée d’être rapatrié en Allemagne ou livré aux Allemands dans le cadre d’un échange de prisonniers. D’autres craignaient que les nazis n’envahissent l’île de Man, trop heureux d’y découvrir un si grand nombre de Juifs qui deviendraient autant de cibles faciles.

Le SS Arandora Star

Dans l’un des incidents les plus tragiques ayant touché des réfugiés de guerre au Royaume-Uni, le drame du SS Andora Star, un navire qui transportait plus de 1 500 réfugiés italiens et allemands qui avaient été placés en détention et qui étaient emmenés dans des camps d’internement au Canada. Le bateau avait été torpillé par un sous-marin allemand en date du 2 juillet 1940. Plus de 800 personnes avaient perdu la vie dans le naufrage.

Le gouvernement britannique avait initialement promis qu’il n’y avait pas de réfugiés à son bord – que seuls de vrais prisonniers de guerre et des nazis avérés s’y trouvaient. En fait, des dizaines – si ce n’est des centaines – de passagers qui étaient à bord étaient des réfugiés juifs. Un grand nombre d’entre eux avait perdu la vie.

Et certains des survivants du SS Andora Star, qui avaient été secourus, avaient été renvoyés au camp de Hutchinson.

Le naufrage du navire « a entraîné l’un des plus plus lourds bilans en termes de morts de tout le volet maritime de la Seconde Guerre mondiale ; et un nombre très, très important de réfugiés se trouvait à bord de ce navire et tous ces gens ont péri », explique Parkin. « Le bateau était rempli de gens qui n’auraient jamais dû se trouver là. Ce navire devait initialement transporter des nazis invétérés – cela n’a pas été le cas ».

Le SS Arandora Star à Southampton, en Angleterre, le 26 août 1939. (Crédit : AP Photo)

L’histoire des Kindertransports — La Grande-Bretagne avait aidé à secourir environ 10 000 enfants juifs allemands, les sauvant d’une extermination probable – est une histoire connue dans le monde entier. Elle est enseignée dans les écoles du Royaume-Uni et elle est célébrée par le gouvernement. A contrario, la décision qui avait été prise par les autorités anglaises d’arrêter, seulement un an plus tard, 30 000 réfugiés juifs allemands n’est que rarement – voire jamais – évoquée.

« La Grande-Bretagne s’est focalisée sur le narratif plus simpliste de la résistance face à ce grand mal incarné qu’était le régime nazi et à la victoire qui a été a finalement remportée », dit Parkin. « Les Kindertransports sont enseignés dans les écoles, et les camps d’internement ne le sont pas ».

Il n’est pas difficile d’établir une comparaison directe entre le comportement des Britanniques à l’égard des étrangers ennemis et le traitement réservé par les États-Unis aux individus d’origine japonaise, pendant la guerre. Plus de 120 000 hommes, femmes et enfants – principalement en Californie – avaient été raflés et placés dans des camps, soupçonnés de déloyauté à l’égard de leur pays d’adoption.

Jusqu’à présent, la Grande-Bretagne n’a jamais présenté ses excuses pour le placement en détention des réfugiés juifs allemands et elle n’a jamais reconnu avoir commis un acte répréhensible

Des décennies plus tard, le gouvernement américain avait lancé une enquête sur ce qui s’était passé, il avait présenté des excuses officielles et il avait indemnisé tous les anciens détenus qui étaient encore en vie – pour une page de l’Histoire des États-Unis qui est largement considérée comme une page de honte. (Les États-Unis avaient aussi rejeté des milliers de réfugiés juifs pendant la guerre).

Jusqu’à présent, la Grande-Bretagne n’a jamais présenté ses excuses pour le placement en détention des réfugiés juifs allemands et elle n’a jamais reconnu avoir commis un acte répréhensible.

« Le gouvernement britannique n’a jamais présenté d’excuses ou simplement reconnu, comme il aurait dû le faire, qu’il n’avait pas été capable de faire la distinction entre des réfugiés authentiques et des ‘étrangers ennemis’, » regrette Parkin.

« Je pense qu’il faut faire face, de manière ou d’une autre, à cette question des camps d’internement – parce que si nous ne le faisons pas, alors de telles choses peuvent se reproduire de génération en génération – c’est ce qui peut se reproduire si nous ne considérons pas ces histoires comme des mises en garde de ce qui est susceptible d’arriver quand la paranoïa est encouragée dans la presse nationale et que la rhétorique anti-réfugiés se déchaîne », conclut-il.

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