Jackie Young, rendu orphelin par la Shoah, a douloureusement cherché l’identité de son père biologique pendant la plus grande partie de sa vie. En vain.
Il savait depuis des décennies que sa mère était une Juive de Vienne d’une trentaine d’années qui avait été déportée en juin 1942 au camp de Maly Trostenets, un camp d’extermination nazi situé à proximité de Minsk, en Biélorussie, où elle avait été assassinée. Le nom de sa mère, Elsa Spiegel, figurait sur le certificat de naissance original de Young. Le certificat notait qu’elle n’était pas mariée et aucun nom d’homme n’apparaissait dans la case réservée à l’identité du père.
Young, petit orphelin, avait miraculeusement survécu à deux ans et huit mois d’incarcération dans le camp-ghetto de Terezin (Theresienstadt) situé en Tchécoslovaquie.
Mais aujourd’hui, grâce à l’aide de deux femmes spécialistes en généalogie génétique juive, Young a appris non seulement le nom de son père mais aussi qu’il a de la famille encore en vie aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Israël et peut-être même en Hongrie.
« Cela fait six décennies que j’attends ça. Je ne suis plus seul », s’exclame cet octogénaire qui habite à Londres, un chauffeur de taxi à la retraite. Il ajoute qu’à sa connaissance, il était le seul enfant de ses parents biologiques. Il a aussi été l’enfant unique de ses parents adoptifs, Ralph et Annie Young (Yanofsky).
Les généalogistes américaines Jennifer Mendelsohn et Adina Newman ont découvert Young et sa quête éperdue grâce à un article du Times of Israel qui était consacré à l’apparition de l’homme dans l’émission « DNA Family Secrets », qui avait été diffusée sur la chaîne BBC. Mendelsohn et Newman sont les administratrices d’un groupe Facebook consacré à la généalogie et aux recherches généalogiques au sein de la communauté juive qui compte 10 000 abonnés.
La généticienne intervenant dans l’émission de la BBC, Turi King, avait été en mesure d’apaiser les craintes de longue date de Young – qui redoutait que son père puisse avoir été un nazi.
Young avait déterminé que la seule hypothèse expliquant au mieux sa survie à Terezin était que son père était lui-même un nazi qui l’avait protégé des mauvais traitements et de la déportation dans les camps d’extermination qui se trouvaient à l’Est. 9 001 enfants avaient été envoyés à la mort depuis Terezin.
« Le résultat a été très clair », a déclaré King en commentant les résultats du test ADN de Young. « Vos origines sont à 99 % juives ashkénazes. Nous pouvons donc penser avec une quasi-certitude que votre père n’était pas un nazi. »
L’équipe de « DNA Family Secrets » a réussi à localiser deux cousins issus de germain (un frère et une sœur) du côté paternel de Young. Heureuse coïncidence, ils ne vivent pas très loin du lieu de résidence de l’octogénaire, à North London. Young et son épouse, Lita, les ont depuis rencontrés et ils entretiennent des contacts réguliers.
« Nous avons pensé qu’avec nos expériences et nos connaissances toutes particulières de la généalogie juive, et de la généalogie génétique juive plus précisément, nous pouvions apporter un plus dans la quête de Jackie, » a déclaré Mendelsohn, la généalogiste, au Times of Israel.
Selon Newman, la recherche généalogique juive, réalisée à l’aide de documents et autres registres historiques, nécessite un savoir-faire particulier – et l’ADN juif est complexe à étudier. « Dans la mesure où les Juifs ashkénazes sont une population endogame, les gens peuvent sembler être des parents plus proches sur la base de leur ADN qu’ils ne le sont réellement sur la base des registres historiques et des arbres généalogiques », précise-t-elle.
Début juin, cinq jours seulement après avoir demandé à Young l’autorisation de l’aider dans ses recherches et les résultats de son test ADN, Mendelsohn et Newman ont obtenu des réponses. Non seulement elles ont identifié le père biologique de l’ancien chauffeur de taxi, mais elles ont aussi pu rétroconcevoir un arbre généalogique qui s’est basé sur des correspondances trouvées dans des bases de données ADN et dans des documents historiques. L’arbre remonte ainsi au début du 19e siècle et aux arrière-arrière-grands parents de Young. La famille était établie à Lackenbach, qui faisait partie, à l’époque, de l’empire austro-hongrois et qui se trouve de nos jours en Autriche.
« Attendez, je déplace mon ordinateur », dit Young au Times of Israel avec fierté lors de notre entretien sur Zoom, montrant, accroché au mur dans un joli cadre, l’arbre généalogique qu’il a imprimé.
Une famille est née
La père de Young s’appelait Adolf Kornfein et il était né en 1884. Il semble que Kornfein, qui était tailleur de profession, ait entretenu une relation amoureuse avec Elsa Spiegel, qui était beaucoup plus jeune que lui, suite à un divorce ou à une séparation d’avec son épouse.
« Nous pouvons déduire cela des registres qui montrent que Kornfein, son épouse Hilda (née Schlesinger) et leur fils adolescent, Wilhelm, vivaient ensemble et à la même adresse de Vienne en 1938. Mais il vivait à une autre adresse en 1942 », note Mendelsohn.
Selon les registres, le 2 juin 1942, Adolf et Elsa se trouvaient tous les deux dans un transport en direction du camp de Maly Trostenets. Pour leur part, Hilda et Wilhelm avaient été déportés à Auschwitz le 17 juillet 1942.
« Nous avons réussi à établir qu’Adolf et Elsa vivaient à proximité l’un de l’autre à l’époque. Nous ne savons pas s’ils avaient pris le même transport parce qu’ils étaient ensemble ou simplement parce que les nazis avaient rassemblé tous les Juifs qui se trouvaient dans un certain secteur ce jour-là », indique Newman.
Elsa Spiegel avait confié son bébé, appelé Yona Jakob Spiegel, qui avait vu le jour à l’hôpital Rothschild-Spital (l’hôpital juif) en date du 18 décembre 1941, à un orphelinat avant sa déportation. Young a entendu deux versions différentes de son histoire, l’une disant qu’il était alors âgé de trois ans et demi et une autre affirmant qu’il avait cinq ans et demi.
Young avait été déporté à Terezin au mois de septembre 1942 et il devait y rester entre l’âge de neuf mois et de trois ans et demi. Il est parvenu depuis à établir qu’il avait été le seul survivant parmi quinze enfants sans parents qui se trouvaient à ses côtés dans le même transport vers le camp.
« La seule explication que je puisse trouver à ma survie, aux soins qui m’ont été apportés, c’est que j’ai dû être un pion dans le cadre de la propagande nazie qui voulait tromper la Croix rouge« , estime Young.
Newman partage le même point de vue, disant : « Regardez donc les photos de lui quand il était petit garçon. C’était un enfant adorable. Il peut tout à fait avoir été utilisé par les nazis pour donner le change ».
Encore en quête de ses racines maternelles
Si Young a finalement fait des découvertes déterminantes sur son père et sur sa famille paternelle récemment, il n’a eu que peu d’informations sur sa mère tout au long de sa vie.
Alors qu’il était adolescent, un proche avait laissé échapper qu’il était né à Vienne. Néanmoins, ses parents adoptifs avaient choisi de taire son passé de survivant de la Shoah. Cela n’avait été que lorsqu’il avait eu besoin d’avoir des preuves de sa judéité pour se marier à la synagogue qu’il avait découvert ce terrible chapitre de sa petite enfance. Et même dans ces circonstances, ses parents adoptifs n’avaient pas voulu qu’il lise les documents le concernant, et ils ont refusé d’aider Young dans sa quête identitaire pendant toute leur vie.
Et des années plus tard, il manque encore cruellement d’informations sur sa mère et sur sa famille.
« Malheureusement, nous ne pouvons pas aider Jackie là-dessus parce qu’il n’y a pas suffisamment de documents permettant de bâtir un arbre généalogique pour Elsa Spiegel et il n’y a pas non plus suffisamment de correspondances que nous pourrions exploiter en partant de l’ADN de Jackie dans les bases de données », regrette Newman.
Pour sa part, Young a écrit l’épopée de sa quête de ses racines, au fil des années. Des écrits qui ont été publiés sur internet sous le titre : « Lost and Waiting to Be Found » sur le site de la BBC « WW2 People’s War: An archive of World War Two memories – written by the public. »
Membre actif de groupes de survivants de la Shoah, très désireux de rencontrer toutes celles et tous ceux qui pourraient être en mesure de l’aider, Young a toutefois dû franchir de nombreux obstacles et il s’est retrouvé dans l’impasse à de multiples reprises dans sa quête de réponses – une recherche qui l’a envoyé en Israël, à Vienne, à Prague, à Terezin ou en Biélorussie. Avec l’aide et le soutien sans faille de son épouse, Lita, il a frappé de manière répétée aux portes de diverses organisations et archives.
Malheureusement, peu d’informations ont filtré sur sa mère à part des renseignements d’état civil. Il sait qu’elle est née en 1909 à Vienne dans le foyer d’Émilie (née Schwartz) et de Leopold Spiegel, qui étaient mariés en Tchécoslovaquie. Leopold avait été déporté à Terezin alors qu’il se trouvait dans une maison de retraite, et Émilie était morte avant la guerre. Elsa était modiste et elle avait une sœur aînée qui s’appelait Hilde et un frère, Rudolph – dont les destinées restent inconnues à ce jour.
Young a été en mesure de trouver des détails sur ses jeunes années dans les registres de l’orphelinat où il avait vécu après son arrivée en Grande-Bretagne depuis la Tchécoslovaquie, après la guerre. Si la majorité était partie vers Israël, 32 des plus jeunes enfants étaient restés en Grande-Bretagne, et les six plus jeunes d’entre eux avaient été placés pendant un an dans une maison du Sussex appelée la Bulldog’s Bank. Ils avaient été placés sous la responsabilité de deux religieuses, sœur Sophie et sœur Gertrude Dann, et d’Anna Freud – la sœur de Sigmund qui devait devenir le père de la psychanalyse.
Young avait été ultérieurement emmené dans un foyer pour les enfants juifs plus âgés qui était dirigé par une femme s’appelant Alice Goldberger. Elle avait organisé son adoption par la famille Young alors que l’orphelin était âgé de neuf ans.
La science fait son entrée
Pour confirmer leurs conclusions, Mendelsohn et Newman ont eu besoin de trouver un parent proche du côté paternel de Young pour obtenir un ADN susceptible de confirmer leur correspondance génétique. Adolf Kornfein avait quatre frères et sœurs. Les généalogistes ont recherché le seul petit-fils de Samuel, le frère d’Adolf, aux États-Unis, Bill Kornfein. Ce dernier a accepté de se soumettre au test.
« Nos filles ont été adoptées et nous avons toujours espéré que si elles voulaient retrouver leurs parents biologiques, quelqu’un viendrait les aider dans leurs recherches », dit Kornfein en expliquant sa décision de fournir un échantillon ADN.
Puis il a fallu attendre de voir si les deux ADN correspondaient.
« On a été sur des charbons ardents pendant quatre à cinq semaines jusqu’à l’annonce des résultats », ajoute Mendelsohn.
Il s’est avéré que Kornfein, avocat à la retraite de la région de St. Louis, était en effet le cousin issu de germain de Young. Ses parents avaient survécu à la Shoah et il était né en Suisse, d’où la famille avait fui pendant la guerre. Il explique que lui et son épouse ont été enthousiasmés par la découverte de ce nouveau parent inattendu et qu’ils se téléphonent et échangent des photos régulièrement avec Young et sa femme, s’envoyant de nombreux courriels.
« Nous sommes si heureux pour Jackie. Nous espérons le rencontrer en personne à l’avenir en compagnie de Lita », dit Kornfein.
Mendelsohn et Newman disent avoir été particulièrement contentes de pouvoir venir en aide à des survivants de la Shoah comme Young.
« C’est un véritable exemple de la manière dont la généalogie génétique peut faire d’énormes mitzvot [« bonnes actions », en hébreu] dans ce monde. C’est le genre de choses qu’on devrait faire avec l’ADN », conclut Newman.