Jetant un regard acerbe sur l’écheveau de désastres et de résilience qu’a constitué la guerre du Kippour, un nouveau livre du professeur Uri Bar-Joseph de l’université de Haïfa dépeint l’armée de l’air israélienne en 1973 comme un géant désorienté, un pâle descendant de l’armée de l’air qui avait étonné le monde lors de la guerre des Six Jours, six ans auparavant.
Le livre écrit en hébreu, dont le titre se traduit comme ceci, Sa propre guerre : l’armée de l’air dans la guerre du Kippour, repose sur le personnage du général Benny Peled, alors commandant de l’armée de l’air israélienne, un personnage qui a jusqu’à présent échappé à tout blâme public bien qu’il ait été amèrement critiqué par les officiers supérieurs de l’armée de l’air à l’époque.
Bar-Joseph, connu pour ses précédents ouvrages bien accueillis sur la guerre du Kippour, a basé son dernier livre sur des archives récemment publiées, des enregistrements de briefings de combat pendant la guerre et des entretiens avec d’anciens officiers supérieurs de l’armée de l’air.
La nomination de Peled, au poste de commandant de l’armée de l’air, cinq mois avant la guerre, en a surpris plus d’un. Son parcours dans l’armée de l’air concernait essentiellement la technologie et il avait beaucoup moins d’expérience opérationnelle que ses collègues officiers.
Contrairement à nombre d’entre eux, il n’avait jamais abattu d’avion ennemi, alors que lui-même avait été abattu par des tirs lors de la campagne du Sinaï. Brillant, sûr de lui et à la langue acérée, il dédaignait les officiers de l’armée de l’air qui n’avaient pas étudié l’ingénierie ou l’aéronautique.
Selon Bar-Joseph, Peled passait outre l’avis des officiers d’état-major chevronnés, sur des questions dont il ne connaissait pas tous les détails, et insistait pour avoir le dernier mot dans les débats. Il contrôlait l’arme la plus puissante de l’arsenal israélien – près de 400 avions de guerre haut de gamme – mais ses décisions se révélaient parfois des erreurs de jugement coûteuses.
Des décisions rapides ont été prises quelques heures avant le début de la guerre, dans l’après-midi du Yom Kippour. Israël avait été averti que l’Égypte et la Syrie prévoyaient de lancer une attaque vers 18 heures, mais Washington avait mis en garde Jérusalem contre une attaque préventive.
Le chef d’état-major israélien, le général David Elazar, a dit à Peled que si les Américains ne donnaient pas le feu vert à une attaque préventive avant 15 heures, il devrait dépouiller ses Phantom – le cœur de la flotte aérienne – de leurs bombes et convertir ces avions polyvalents en intercepteurs. Peled décide d’entamer ce processus complexe à 13 heures plutôt que d’attendre 15 heures. Les Arabes ont attaqué juste avant 14 heures. Les Phantom étaient maintenant partiellement dépouillés et ne pouvaient pas être rééquipés à temps pour la puissante attaque prévue pour eux.
L’auteur cite l’officier supérieur de Peled : « Même dans leurs rêves les plus sombres, les chefs de l’armée de l’air, n’avaient pas imaginé un scénario aussi tragique – des armées arabes attaquant le long de frontières non défendues [Note de l’auteur : les réservistes n’avaient pas été mobilisés] et l’armée de l’air privée de son arme principale. »
Peled ordonna à tous les avions restants, de décoller et de commencer à patrouiller, au cas où les forces aériennes arabes tenteraient d’essaimer les bases aériennes du Sinaï et d’Israël, tout comme Israël l’avait fait à l’Égypte lors de la guerre des Six Jours. Les officiers d’état-major, ont protesté, en disant qu’il y avait déjà suffisamment d’avions en vol pour la défense, et que les avions devraient plutôt attaquer les bases aériennes syriennes avant que la lumière du jour d’octobre ne diminue.
Mais la journée décisive se terminera, sans qu’une attaque israélienne significative ne soit lancée sur l’un ou l’autre des fronts, laissant les troupes, en infériorité numérique sur les lignes de front, se débrouiller seules. Les forces arabes, écrit Bar-Joseph, étaient les plus vulnérables le jour de Yom Kippour, avec leurs troupes en mouvement et leurs avions de guerre qui rentraient à peine à la base après leur attaque initiale. « Les ordres qu’il a donnés, ce jour-là, ont piégé l’armée de l’air dans une situation impossible et ont gaspillé son énorme potentiel », écrit-il.
En raison du danger que représentent les missiles, la participation de l’armée de l’air aux escarmouches terrestres restera minime jusqu’aux derniers jours de la guerre. Les plans pour faire face à une traversée du canal par l’Égypte n’ont pas été mis en œuvre dans la tourmente, qui a suivi l’attaque surprise, permettant aux Égyptiens d’établir deux têtes de pont sur la rive du Sinaï, protégées par des missiles anti-aériens.
Une première vague, de quelque
30 000 soldats égyptiens, à bord de petits bateaux, a traversé le canal de Suez, sans interférence des avions israéliens, qui n’ont pas tenté de détruire le matériel de pontage empilé le long des rives du canal.
Le lendemain, l’aviation israélienne, devait mener une opération extraordinaire – nom de code Tagar – à laquelle elle travaillait depuis trois ans. Elle visait à détruire, en une journée d’attaques, toutes les batteries de missiles anti-aériens que les Egyptiens, avec l’aide des Soviétiques, avaient installées dans la zone du canal.
La première étape avait déjà commencé lorsque le ministre de la Défense Moshe Dayan, choqué par la percée syrienne sur le Golan, ordonna à Peled d’annuler Tagar et « d’envoyer l’armée de l’air au nord ». Peled a tenté d’argumenter mais a été débouté. Les Phantom sont rapidement envoyés au nord pour attaquer les batteries de missiles syriennes.
Les planificateurs de l’état-major de Peled, se sont vigoureusement opposés à ces changements, arguant qu’il y avait déjà suffisamment d’avions désignés pour le front syrien et qu’il était vital de terminer Tagar. Il n’y avait pas le temps de prendre des photos aériennes pour vérifier si les batteries de missiles syriennes se trouvaient aux mêmes endroits que la veille, et pas le temps d’amener du Sinaï, l’équipement électronique nécessaire pour détourner les radars ennemis.
Peled ordonne néanmoins le lancement de l’attaque. La plupart des missiles ennemis avaient été déplacés et six Phantom ont été abattus au cours de cette opération ratée. L’échec ébranle la confiance de l’armée de l’air. Tagar ne sera pas repris et les défenses antimissiles limiteront sévèrement l’activité aérienne israélienne sur les deux fronts presque jusqu’à la fin de la guerre. Les officiers chevronnés de l’état-major de Peled pensaient que son prédécesseur très apprécié, le général Motti Hod, qui avait mené l’attaque préventive en 1967, aurait trouvé un moyen de maintenir Tagar en vie, soit en expliquant la situation à Dayan de manière plus persuasive, soit autrement.
Deux ans auparavant, Hod avait été témoin du déploiement d’une division égyptienne le long du canal de Suez, comme si elle se préparait à le traverser. Les forces égyptiennes étaient alignées, en rangs serrés, sur des kilomètres, le long d’une route étroite, menant à la voie navigable – chars, véhicules de transport de troupes, camions de carburant et la myriade d’autres véhicules d’une armée allant au combat. Hod ordonna à son personnel d’élaborer un plan détaillé pour attaquer toute formation de ce type au début d’une future guerre. Le nom de code du plan était « Srita », qui signifie « éraflure » ou égratignure » en hébreu.
Lorsque la guerre du Kippour a éclaté, Hod s’attendait à ce que Peled déclenche l’attaque sur un ou plusieurs points de passage pour déséquilibrer les Égyptiens. Mais c’est l’armée de l’air israélienne qui a été déséquilibrée. Exprimant plus tard sa profonde déception envers Peled, Hod a déclaré : « Il n’avait qu’à dire [dans la radio] ‘Srita. Exécutez’. L’armée de l’air savait quoi faire. »
Ce qui troublait le plus Elazar, écrit Bar-Joseph, était le manque de soutien aérien adéquat pour les troupes sur le terrain. Au milieu de la guerre, Elazar a passé un savon cinglant au chef de l’armée de l’air pour ne pas avoir attaqué les cibles convenues. Les commandants au sol s’étaient plaints que les appels à des frappes aériennes contre les points forts égyptiens, qui leur barraient la route, n’avaient pas été entendus, – les avions attaquant plutôt des cibles périphériques.
« Cela vous convient-il de vous lancer dans toutes sortes de missions qui ne m’intéressent pas ? », a demandé le chef d’état-major à Peled. « Jusqu’à présent, je croyais qu’en guerre, on concentrait ses efforts et on évitait de dépenser ses forces sur des cibles secondaires. Dois-je comprendre que dans l’armée de l’air, cela fonctionne différemment ? Je veux être sûr que vous comprenez exactement ce qui nous intéresse, et par nous, je veux dire moi. »
Il reproche à Peled de manquer souvent les briefings quotidiens au cours desquels Elazar énonce ses objectifs pour la journée à venir, ce qui aurait dû permettre à Peled d’adapter les opérations aériennes en conséquence. Au lieu de cela, l’armée de l’air poursuivait ses propres plans.
Peled a reconnu qu’il lui arrivait de poursuivre des cibles faciles, comme des stations radar côtières, pour des raisons de moral. Il avait besoin de cibles, a-t-il dit à Elazar, qui ne soumettraient pas systématiquement ses aviateurs à une pression excessive, eux qui effectuaient souvent deux sorties de combat ou plus par jour. « Frapper des cibles [molles] est en quelque sorte une thérapie occupationnelle, mais cela donne aussi des résultats », a déclaré Peled. « La pire chose que je puisse faire est d’envoyer les équipages aériens uniquement sur des missions de vie ou de mort ».
À ce stade, l’armée de l’air avait déjà perdu près de 100 avions et des dizaines de pilotes, mais Peled avait commencé à falsifier ce chiffre à la hausse – comme il l’admettra volontiers par la suite – pour ce qu’il appelait des raisons stratégiques.
Certains généraux s’opposaient à la traversée du canal, jugée trop risquée. Peled, qui était favorable à une traversée rapide, a déclaré à l’état-major que le nombre d’avions opérationnels avait presque atteint sa ligne rouge de 120. Si le nombre d’avions tombait en dessous de ce seuil, disait-il, l’armée de l’air ne serait plus en mesure de soutenir une opération majeure comme la traversée du canal : les avions seraient nécessaires pour protéger le ciel de la nation en cas d’attaque généralisée des forces aériennes arabes. Compte tenu de l’érosion quasi quotidienne des avions, a-t-il soutenu, une traversée du canal devrait être effectuée avant le week-end pour pouvoir bénéficier d’un soutien aérien.
Mais le nombre réel d’avions déployables était encore bien supérieur à 120. La traversée du canal se fera quelques jours plus tard mais pour des raisons sans lien avec le faux avertissement de Peled. Ben-Joseph décrit le jeu des chiffres de Peled comme sa pire offense dans la guerre, une distorsion du processus de décision. Peled, en poste depuis moins de six mois, avait une confiance injustifiée en sa propre sagesse, contrairement à celle d’Elazar, Dayan et d’autres généraux expérimentés qui comprenaient les nuances de la guerre terrestre bien mieux que lui.
Dans une tournure remarquable des événements après la traversée, ce sont les troupes terrestres d’Israël, qui ont fourni un soutien à l’armée de l’air. Les chars ont commencé à s’approcher des sites de missiles, ouvrant des pans de ciel aux avions israéliens, qui ont commencé à les élargir.
Au cours des deux derniers jours de la guerre, les missiles ayant disparu, l’armée de l’air israélienne a offert un soutien terrestre efficace, comme lors de la guerre des Six Jours. Le président égyptien Anouar el-Sadate s’empresse de demander un cessez-le-feu.
Elazar avait déclaré, avant la guerre, que si jamais il y avait une attaque arabe surprise et que les réserves n’avaient pas été mobilisées, l’armée de l’air soutenant les troupes sur la ligne serait la principale force retenant l’ennemi jusqu’à ce que les réserves puissent atteindre le front. Certains commandants aériens ont affirmé que l’armée de l’air avait, à elle seule, empêché les Syriens, d’atteindre les villes et les kibboutzim de la vallée du Jourdain dans les premières heures désespérées de la guerre, et ce récit a été généralement accepté.
Alors que des avions israéliens ont été abattus au-dessus du Golan dans des tentatives audacieuses de ralentir les Syriens, Bar-Yosef note un rapport d’un chercheur affirmant que sur les 1 500 chars laissés derrière, par les Syriens en retraite, il n’a pas été possible de déterminer si l’un d’entre eux avait été touché par les airs.
Quoi qu’il en soit, les Syriens ont été stoppés par des brigades et bataillons de chars de réserve, arrivés indépendamment après une mobilisation rapide, et qui se sont jetés en travers des chemins des divisions syriennes qui avançaient.
L’un des principaux échecs de l’armée de l’air, cité dans le livre, est son incapacité à interdire le passage des brigades de chars irakiennes, longues de près de 1 000 kilomètres, vers la ligne de front en Syrie, un échec qui a stoppé l’avancée israélienne vers Damas.
Bar-Joseph assimile Peled à deux généraux qui ont été limogés après la guerre – le chef du renseignement militaire Eli Zeira, responsable du retard de la mobilisation des réserves, et Shmuel Gonen, qui s’est révélé incompétent, en tant que commandant du front sud, et a été remplacé deux jours après le début de la guerre.
Contrairement à eux, Peled restera à son poste jusqu’à la fin de son mandat quatre ans plus tard, jouant un rôle central dans la reconstruction de l’armée de l’air. Mais son rôle controversé en tant que commandant de l’armée de l’air en temps de guerre a été peu remarqué en dehors de l’armée de l’air.
Le livre de Bar-Joseph va certainement changer cela. Les débats entre les vétérans de l’armée de l’air de cette période, des hommes aujourd’hui âgés de 70 ou 80 ans, ont déjà commencé. Pour eux et pour les amateurs de la guerre de Yom Kippour, le livre perspicace de Bar-Yosef est un must.
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Abraham Rabinovich est l’auteur de The Yom Kippur War (Schocken Press), The Boats of Cherbourg (Naval Institute Press) et The Battle for Jerusalem : An Unintended Conquest.