Il va y avoir un nouveau musée à Jérusalem, qui célébrera la vie, la culture et l’histoire juive. Et, ironie des choses, il sera installé dans un orphelinat datant du 19e siècle qui avait été construit par un missionnaire protestant allemand qui voulait créer une communauté protestante arabe en Terre sainte.
Pour les religieux pratiquants qui travaillent sur le projet du musée – baptisé Beit Hakehillot – la perspective de voir ce dernier accueilli dans le bâtiment vieux de 160 ans qui hébergeait dans le passé l’orphelinat Schneller, dans le vaste complexe du même nom, a un goût de victoire. Situé dans le centre de Jérusalem, il avait également longtemps été utilisé comme quartier-général de l’armée dans la ville.
Le bâtiment est resté vide et à l’abandon pendant de nombreuses années et les 50 millions de dollars permettront également la remise en état des lieux. C’est, à terme, un édifice de plusieurs niveaux qui emmènera les visiteurs dans un voyage au cœur de l’histoire juive à travers les siècles, en utilisant les multimédias, l’audiovisuel et la réalité virtuelle dans ses expositions.
Des objets rituels et des manuscrits juifs aideront aussi à faire revivre les noms, les lieux et les traditions du peuple juif.
Le projet tout entier est financé et créé par l’Institut Kehillot Yisrael, qui fait partie d’Ahavas Shalom, une organisation de sensibilisation juive qui a été fondée par le rabbin Yaakov Moshe Hillel, né en Inde, formé en Angleterre et devenu rabbin ultra-orthodoxe à Jérusalem. Cet homme religieux aura passé cinquante ans à établir tout un réseau de yeshivot, de séminaires pour les filles et d’institutions dont l’ambition est de rapprocher les Juifs de leur judaïsme. Il est également connu pour détenir la plus grande collection d’archives privées, qui rassemble des manuscrits écrits par les communautés juives du monde entier.
« Rav Hillel est un visionnaire », commente Hanan Benayahu, directeur du projet Beit Hakehillot. « Ses projets ont une forme de rayonnement ».
Selon lui, Ahavas Shalom est soutenu par des personnalités très différentes – allant des laïcs aux ultra-orthodoxes – mais Beit Hakehillot est un projet distinct qui ne vise aucune population en particulier.
« Nous cherchons à transmettre un message », explique-t-il. « Il ne s’agit pas d’aller voir un film au cinéma, mais d’apprendre des choses sur le monde juif ».
Les couches d’Histoire
Pour les architectes, les créateurs et les administrateurs du projet, c’est une opportunité de rêve de disposer de 50 millions de dollars pour rénover et créer un musée qui servira de portail d’accès à la culture juive.
Pour les membres du réseau Ahavas Shalom, l’idée d’une institution d’histoire juive et de sensibilisation installée dans ce qui était un complexe protestant, à la bordure d’un quartier ultra-orthodoxe, paraît aussi pertinente.
Pour la municipalité de Jérusalem, le musée est une réponse à une question qui se pose depuis maintenant 13 ans : que faire de ce complexe de plus de sept hectares, qui avait été construit en 1860 pour accueillir un orphelinat d’enfants syriens par le missionnaire protestant allemand Johann Ludwig Schneller, et qui avait été utilisé pour éduquer et prendre soin d’enfants arabes jusqu’en 1940 ?
« C’est une initiative de plus pour l’avenir de notre ville », a commenté l’adjointe au maire, Fleur Hassan-Nahoum, lors d’une conférence de presse au cours de laquelle les plans du musée ont été dévoilés.
« Ce lieu représente les couches de l’histoire de Jérusalem ». Une « ironie douce de toute cette histoire », a-t-elle poursuivi, « c’est que c’est Schneller qui a établi cet orphelinat, que c’est à lui qu’il faut en attribuer le mérite, mais qu’il n’était pas très exactement un ami des Juifs : il ne nous aimait pas, c’est le moins qu’on puisse dire. Cet endroit ne réservait pas un accueil chaleureux aux Juifs », a-t-elle indiqué.
La famille Schneller est considérée comme l’une des dynasties de missionnaires protestants les plus anciennes en Orient, selon des recherches universitaires qui ont été rassemblées par Gil Gordon, architecte et urbaniste.
Johann Ludwig Schneller avait fondé le lieu pour accueillir des petits enfants syriens, et ses fils et petits-fils allaient continuer son ouvrage de missionnaire jusqu’à la fin des années 1930, à la période du Mandat britannique en Palestine. La communauté Schneller s’est développée au fur et à mesure que la ville de Jérusalem s’est élargie, mais elle est toujours restée liée à son environnement, selon Gordon.
Le complexe incluait une église, des pensionnats pour les petits garçons et pour les petites filles, des écoles primaires et secondaires, un séminaire et un centre pour les jeunes. Il y avait aussi des ateliers d’artisanat, et notamment une usine bien connue qui fabriquait des tuiles et des briques. Il accueillait aussi une imprimerie qui produisait des œuvres en plusieurs langues et qui était notamment chargée de l’impression de Hashkafah, un journal publié par l’éminent linguiste Eliezer Ben Yehuda – celui qui a refait naître l’hébreu.
Au cours des émeutes qui avaient opposé les Juifs et les Arabes en 1929, alors que les petits-fils de Schneller dirigeaient le complexe, la communauté avait été soi-disant pro-arabe, note Gordon. Certains membres du personnel allemand soutenaient l’idéologie en essor du nazisme en Allemagne, mais les principes nazis n’apparaissaient pas au sein du complexe, explique-t-il. Tous les Allemands qui vivaient en Palestine furent expulsés par les Britanniques en 1939 et, en 1940, le complexe fut fermé.
Ce n’est qu’au tournant du 21e siècle que des parents éloignés de la famille Schneller ont commencé à revenir en Israël, selon les recherches de Gordon. L’épouse de l’un des arrière-petits-enfants de Schneller avait étudié l’histoire juive de sa ville allemande natale, et a commencé à collecter de l’argent pour rénover une ancienne école juive et la transformer en un centre communautaire de dialogue interculturel.
De l’armée à l’armée
Au cours des dernières décennies, le complexe Schneller fut utilisé par l’armée britannique qui en avait fait un camp militaire fermé. Il fut ensuite récupéré par la milice Hagana, avant la création de l’État d’Israël, puis devînt une base militaire de Tsahal connue sous le nom de Camp Schneller, où une partie des structures médicales militaires étaient installées jusqu’en 2008.
Le complexe militaire est situé près du centre-ville de Jérusalem, à la bordure de Mea Sharim, l’un des quartiers ultra-orthodoxes les plus anciens de la ville sainte.
Quand le Camp Schneller fut évacué en 2008, huit de ses bâtiments historiques furent inscrits sur la liste des sites à préserver. Celui qui accueillait l’orphelinat, dans le passé, a fini par être utilisé par des squatteurs et par des sans-abris.
La municipalité a pris la décision, en 2017, de diviser le complexe pour y construire des logements résidentiels privés afin de résoudre le problème de la pénurie de logements dans la ville, explique Moshe Shapiro, principal architecte dans le projet initié par le département des bâtiments historiques de la municipalité. Un grand nombre de projets de construction ont d’ores et déjà été menés à bien et accueillent dorénavant des familles ultra-orthodoxes.
Une rénovation unique
Une idée initiale avait été de transformer ces bâtiments historiques en centre communautaire, mais aucune organisation de Jérusalem n’avait le budget nécessaire pour restaurer correctement l’édifice.
Le seul moyen de faire rénover les lieux était de recourir à des fonds privés, dit Shapiro.
« On aurait dû dire aux promoteurs immobiliers qu’il fallait qu’ils investissent dans ce bâtiment en échange des projets résidentiels qu’ils avaient obtenus dans le complexe Schneller, » regrette-t-il.
Il a fallu 13 ans pour qu’Ahavas Shalom se présente pour reprendre le projet.
« Qu’une organisation investisse ses propres fonds dans quelque chose comme ça est très inhabituel », précise Shapiro. « Elle va investir les millions qui sont nécessaires et ce qui est une bonne chose, c’est que le public tout entier peut venir – pas seulement les ultra-orthodoxes ».
C’est la plus importante rénovation historique en son genre dans la ville sainte, ajoute-t-il.
Construit à l’aide de briques fabriquées à partir de boues rouges prélevées à la source Motza, à proximité, et de tuiles faites au sein de l’orphelinat, ce bâtiment en forme de U fut créé selon un mélange d’influences allemandes et arabes, avec des cours intérieures, des fenêtres voûtées, des toits plats et une tour en forme de dôme.
« Cela a été la première maison en briques à avoir été construite en Palestine en 2 000 ans », commente Shapiro. « Ce n’est pas une construction juive, mais il s’agit bien de l’histoire générale de Jérusalem et il faut prendre soin de cette histoire ».
Pour les personnes en charge de cette restauration, il est quelque peu ironique que Schneller et ses descendants aient tenté, à leur époque, de créer une communauté protestante en terre sainte et que ces bâtiments soient finalement utilisés pour protéger le patrimoine juif et pour raconter son histoire.
« Un endroit comme celui-là, c’est le début d’une conversation », s’exclame Eddie Jacobs, co-directeur de Berenbaum-Jacobs Associates, l’équipe chargée de la conception de Beit Hakehillot. « On s’efforce de stimuler le public, de faire en sorte qu’il se pose des questions ».
Le musée sera une plateforme qui permettra d’apprendre l’histoire des communautés juives du monde entier grâce au musée et à l’organisation d’ateliers de travail et de cycles d’enseignement, explique Benayahu, qui ajoute qu’il sera ouvert à toutes les sortes de visiteurs.
« Notre mission est d’importer de l’étranger la culture juive », dit-il. « Et nous le ferons ici ».