Israël en guerre - Jour 365

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Photo d'illustration : Des membres masqués et armés des "Comités populaires de protection", créés par le Hamas et d'autres groupes terroristes, patrouillant dans les rues de la ville de Rafah, dans le sud de Gaza, le 7 mars 2024. (Crédit : AP Photo/Fatima Shbair)
Photo d'illustration : Des membres masqués et armés des "Comités populaires de protection", créés par le Hamas et d'autres groupes terroristes, patrouillant dans les rues de la ville de Rafah, dans le sud de Gaza, le 7 mars 2024. (Crédit : AP Photo/Fatima Shbair)

Israël veut des clans locaux à la tête de Gaza après la guerre – mais ceux-ci refusent

Jérusalem tente de se frayer un chemin vers une gouvernance qui ne serait pas celle du Hamas, mais l’espoir de travailler avec les puissantes familles de la bande est piétiné par les crainte de représailles du groupe terroriste

Reuters — Le plan pour l’après-guerre qu’Israël a présenté à ses alliés américains est celui d’une gouvernance de l’enclave en coopération avec les puissantes familles locales. Mais il y a toutefois un problème de taille : Sur un territoire où le Hamas jouit encore d’une influence impitoyable, personne ne veut être aperçu en train de collaborer avec l’ennemi.

Washington presse Jérusalem de réduire progressivement son offensive militaire, presque neuf mois après le pogrom commis sur le sol israélien par le Hamas, le 7 octobre – mais il n’est pas question, pour Israël, que le groupe terroriste conserve le pouvoir au sein de l’enclave côtière lorsque les armes auront été déposées.

Les responsables israéliens tentent donc de trouver une solution susceptible d’être mise en pratique quand la guerre sera terminée.

Un pilier majeur du projet israélien, selon des déclarations qui ont été faites par des responsables de premier plan au sein de l’État juif, est la mise en place d’une administration civile alternative qui impliquerait des acteurs palestiniens qui n’ont pas évolué jusqu’à présent dans les structures du pouvoir, qui n’entretiennent aucun lien avec les organisations terroristes et qui affichent la volonté de travailler aux côtés d’Israël.

Toutefois, les seuls candidats plausibles pour tenir ce rôle – les chefs de puissantes familles locales – ne désirent pas s’impliquer, selon les échanges qu’a pu avoir Reuters avec cinq membres de ces familles et notamment avec un chef de clan qui regroupe plusieurs d’entre elles.

Israël « a cherché de manière active des tribus et des familles locales, sur le terrain, pour travailler avec elles », explique Tahani Mustafa, analyste de la question palestinienne au sein de l’International Crisis Group, un think-tank dont le siège est à Bruxelles. « Elles ont refusé ».

Elles ne veulent pas s’impliquer dans la mesure où elles craignent des représailles du Hamas, ajoute Mustafa qui est lui-même en contact avec certaines de ces familles et avec des acteurs locaux de Gaza.

Et la menace est réelle parce que – malgré l’objectif poursuivi par Israël dans le cadre de sa guerre, qui consiste à détruire le Hamas – le groupe terroriste palestinien compte encore des hommes qui lui permettent de conserver sa mainmise dans les rues de Gaza, selon six résidents de l’enclave qui se sont entretenus avec Reuters.

Des membres masqués et armés des « Comités populaires de protection », créés par le Hamas et d’autres groupes terroristes, patrouillant dans les rues de la ville de Rafah, dans le sud de Gaza, le 6 mars 2024. (Crédit : Saïd Khatib/AFP)

Et quelles seraient les conséquences pour ces chefs de ces familles influentes à Gaza s’ils devaient accepter la coopération avec Israël ? A cette question, Ismail Al-Thawabta, directeur du service de presse du gouvernement du Hamas, répond simplement : « Je m’attends à ce qu’elles soient mortelles ».

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a reconnu ces difficultés, la semaine dernière, déclarant dans un entretien accordé à la Quatorzième chaîne de droite que le ministère de la Défense avait d’ores et déjà tenté de tendre la main aux clans de Gaza mais que le Hamas « les a éliminés ».

Il a noté que le ministère de la Défense avait un nouveau plan, ne donnant aucun détail et se contentant de préciser qu’il ne souhaitait pas faire entrer dans le jeu l’Autorité palestinienne (AP), qui gouverne actuellement la Cisjordanie.

Reuters a été dans l’incapacité de déterminer si les efforts livrés par Israël en vue de travailler avec les familles étaient encore en cours.

Malgré l’insistance virulente placée par Netanyahu sur le fait que l’AP ne tiendrait aucun rôle dans l’administration de Gaza, au lendemain de la guerre, son Bureau a discrètement relativisé cette opposition ces dernières semaines, ont confié trois responsables proches du dossier au Times of Israel.

Alors même que le Premier ministre continue à rejeter cette idée en public, ses plus proches conseillers ont fait savoir, en privé, que la seule option viable pour Israël, dans sa tentative de s’appuyer sur des « locaux » – un nom de code désignant des personnalités liées à l’AP – était de recourir à des figures affiliées au gouvernement de Ramallah pour prendre en charge les affaires civiles à Gaza. C’est ce qu’ont confirmé, la semaine dernière, deux officiels israéliens et un officiel américain.

Deux responsables, au sein de l’État juif, ont expliqué que les individus concernés étaient des Gazaouis directement salariés par l’AP et qui s’occupaient de l’administration des affaires civiles, au sein de l’enclave côtière, jusqu’au coup d’État violent du Hamas, en 2007. Leurs candidatures sont actuellement examinées par Israël, ont-ils ajouté. Mais le soutien apporté à l’AP, parmi la population de Gaza, reste (très) faible, selon un sondage réalisé le 12 juin par le Palestinian Centre for Policy and Survey Research (PCPSR).

Netanyahu déclare ne pas faire confiance aux dirigeants de Ramallah qui, de leur côté, déclarent que le Premier ministre israélien cherche à empêcher l’union de Gaza et de la Cisjordanie.

Toutefois, deux officiels américains ont indiqué à Reuters que Netanyahu n’avait pas réellement d’autre choix que de confier la sécurité à l’APet, tout au long de la guerre, les États-Unis ont prôné des réformes qui permettraient de la renforcer de manière à ce qu’elle puisse prendre le pouvoir au sein de l’enclave côtière.

« Il va y avoir un conflit. Mais il n’y a aucune autre option disponible à court ou à moyen terme », note l’un des responsables.

Israël n’a pas encore mis au point de plan de gouvernance concret pour la bande de Gaza dans l’après-guerre, un plan susceptible d’assurer la sécurité sur le territoire, continuent les officiels qui ont réclamé de conserver l’anonymat en raison du caractère sensible du sujet abordé.

Ils disent tous les deux que les Israéliens examinent actuellement diverses idées, sans donner de détail.

Le ministre de la Défense a aussi abordé la question de l’après-guerre à Gaza lors d’une rencontre avec les responsables américains, la semaine dernière, alors qu’il était en déplacement à Washington.

Le secrétaire d’État américain à la Défense Lloyd Austin salue le ministre de la Défense Yoav Gallant à son arrivée au Petagone, à Arlington, en Virginie, le 25 juin 2024. (Crédit : Andrew Harnik/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/Getty Images via AFP)

Pendant un point-presse qui a eu lieu au cours de sa visite, Gallant a déclaré que « la seule solution pour l’avenir à Gaza, c’est une gouvernance assurée par les Palestiniens. Cela ne peut pas être une gouvernance israélienne et cela ne peut pas être une gouvernance du Hamas ». Il n’a pas fait d’allusion spécifique aux clans.

Contacté pour une demande de commentaire, le Bureau du Premier ministre a renvoyé Reuters aux déclarations publiques qui ont pu être faites par Netanyahu jusqu’à présent. Le ministère de la Défense, de son côté, n’a pas répondu aux questions posées par l’agence de presse.

La guerre opposant Israël au Hamas, à Gaza, avait éclaté lorsque des milliers de terroristes placés sous l’autorité du Hamas avaient franchi la frontière et qu’ils avaient mené un pogrom dans le sud du pays, le 7 octobre. Les hommes armés avaient massacré près de 1 200 personnes, des civils en majorité, et ils avaient kidnappé 251 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.

En guise de réponse, l’État juif a lancé une campagne militaire aérienne et terrestre avec pour objectif de détruire les capacités militaires et de gouvernance du groupe terroriste, ainsi que de garantir la remise en liberté des otages.

Le ministère de la Santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, affirme que plus de 38 000 personnes ont été tuées ou sont présumées mortes dans les combats jusqu’à présent. Les chiffres publiés par le groupe terroriste sont invérifiables, et ils ne font pas la distinction entre civils et hommes armés. Tsahal, de son côté, affirme avoir tué plus de 15 000 membres du groupe au pouvoir à Gaza, en plus d’un millier sur le territoire israélien le 7 octobre et dans les jours qui ont suivi l’assaut.

Des clans puissants

Il y a, à Gaza, des dizaines de familles influentes qui fonctionnent en clans bien organisés. Un grand nombre d’entre elles n’entretiennent pas de lien officiel avec le Hamas. Elles tirent leur pouvoir de leur mainmise sur le commerce et autres entreprises et ce sont des centaines ou des milliers de leurs proches qui leur ont prêté allégeance. Chaque famille a un chef – un mukhtar en arabe.

La Grande-Bretagne, la puissance coloniale qui occupait la Terre sainte avant la création de l’État d’Israël, en 1948, s’appuyait lourdement sur ces mukhtars pour gouverner. Après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas, en 2007, le groupe terroriste avait réduit leur influence. Ils ont toutefois conservé un certain degré d’autonomie.

Israël échange d’ores et déjà avec certains commerçants de la bande pour coordonner le transfert des cargaisons à travers un poste-frontière du sud du pays – mais les résidents restent réticents à l’idée de faire part de leurs éventuelles interactions avec Israël.

Les approches de la part d’Israël, ont indiqué les membres des clans de la bande, ont été de portée modeste mais elles ont été différentes de ce qu’elles sont d’habitude : Elles ont concerné des problématiques pratiques à l’intérieur de l’enclave elle-même et elles se sont concentrées sur le nord du territoire – là où l’État juif dit vouloir concentrer le travail relatif à la gouvernance civile.

Un marchand arrange des citrons proposés à la vente sur un stand d’un marché de Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 2 juillet 2024. (Crédit : Bashar Taleb / AFP)

L’un des chefs de clan – qui a demandé à ne pas être identifié – a confié à Reuters que des responsables israéliens étaient entrés en contact avec d’autres mukhtars (mais pas avec lui) au cours des dernières semaines. Il a indiqué être au courant dans la mesure où les destinataires de ces appels lui en ont parlé.

Il a fait savoir que les officiels israéliens voulaient que « des personnalités respectées et influentes » puissent apporter une contribution dans la distribution des aides humanitaires dans la bande de Gaza. « J’espère que les mukhtars ne vont pas coopérer », a-t-il ajouté, faisant part de sa colère à l’encontre d’Israël dont l’offensive, a-t-il dit, a tué des membres de clans et a détruit des biens.

Cet individu – dont le clan tient un rôle de premier plan dans l’agriculture et dans les activités d’importation de Gaza – n’entretient aucun lien officiel avec le Hamas.

Les responsables du ministère de la Défense israélien ont aussi essayé de tendre la main à deux entrepreneurs majeurs de la bande qui évoluent dans le secteur de l’alimentaire, selon un Palestinien informé de ces tentatives.

« Il n’y a pas de vacance du pouvoir à Gaza, le Hamas est encore la puissance souveraine. »

Il est difficile de déterminer ce que la partie israélienne attendait de cette prise de contact et les deux hommes d’affaires, qui sont originaires du nord de l’enclave côtière, ont refusé d’échanger avec ces responsables, ajoute ce Palestinien.

Un membre de premier plan d’un autre clan explique que les officiels israéliens n’ont pas contacté sa famille – mais qu’ils seraient rejetés sans ménagement s’ils devaient tenter de le faire.

« Nous ne sommes pas des collaborateurs. Israël doit cesser de jouer à ce jeu », affirme ce membre de clan, qui n’entretient également aucun lien formel avec le Hamas, à Reuters.

Options alternatives

Le Conseiller à la Sécurité nationale Tzachi Hanegbi, qui s’est exprimé la semaine dernière, a indiqué que le gouvernement avait autorisé l’armée à trouver « des gouvernants locaux qui sont désireux de vivre côte à côte avec Israël, et qui ne consacrent pas leur existence à tuer des Israéliens ».

S’exprimant par le biais d’un traducteur lors d’une conférence, il a précisé que ce processus commençait dans le nord de Gaza et que des résultats pratiques pourraient être bientôt constatés sur le terrain.

« Nous ne sommes pas des collaborateurs. Israël doit cesser de jouer à ce jeu. »

A cette fin, un programme-pilote de Tsahal, consistant à créer « des enclaves humanitaires » pour les civils non-affiliés au Hamas, devrait être mis en vigueur dans deux villes du nord de la bande dans un avenir proche, a fait savoir le Financial Times au début de la semaine – même si certains responsables doutent que ce plan soit en mesure d’ouvrir la voie à une nouvelle réalité au sein de l’enclave assiégée.

Ce plan visant à créer des « bulles » dont le Hamas est absent et où les Palestiniens locaux assumeraient graduellement de nouvelles responsabilités dans la distribution des aides humanitaires qui sera initialement mise en vigueur à Beit Hanoun et à Beit Lahia.

Selon ce programme-pilote, qui sera aussi lancé à Beit Lahia, un quartier du nord-ouest d’Atatra, les forces israéliennes conserveront la responsabilité de la sécurité pour le moment alors que les Palestiniens prendront petit à petit le contrôle de la gouvernance civile, a précisé l’article qui s’est appuyé sur six sources proches de ce plan.

Des travailleurs déchargeant un camion à Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, de l’aide humanitaire livrée par la Jordanie au territoire côtier par le biais du poste frontière d’Erez avec Israël, le 1er mai 2024. (Crédit : Jack Guez/AFP)

En plus de l’administration civile, les autres piliers du plan israélien pour l’après-guerre à Gaza comprennent la présence de forces de sécurité venues de l’extérieur pour assurer le maintien de l’ordre, la recherche de l’aide internationale pour la reconstruction du territoire et la quête d’un accord de paix à long-terme.

Les États arabes dont le soutien est nécessaire pour Israël ont expliqué, pour leur part, qu’ils ne s’impliqueraient pas dans la bande de Gaza à moins qu’Israël n’accepte un calendrier ferme en vue de l’établissement d’un État palestinien – une perspective à laquelle Netanyahu s’oppose avec véhémence.

Le Hamas s’accroche

Si certains Gazaouis blâment le Hamas qui, selon eux, a déclenché la guerre, d’autres, furieux et radicalisés par le conflit, se sont rapprochés du groupe terroriste et de son objectif déclaré qui est la destruction d’Israël, montrent des sondages effectués par le PCPSR.

Le Hamas a reconnu qu’il était improbable qu’il continue à gouverner après la guerre, mais il s’attend toutefois à conserver son influence.

Un résident de Gaza confie avoir aperçu des membres de la police du Hamas patrouiller dans les rues de Gaza City, au mois de juin, mettant en garde les commerçants contre d’éventuelles hausses de prix. Ils étaient en civil, sans leurs uniformes habituels et ils se déplaçaient en vélo, déclare cet habitant qui a demandé à ne pas être nommé par crainte de représailles.

Des membres du Hamas sont intervenus pour asseoir la mainmise du groupe terroriste sur les cargaisons d’aides humanitaires – notamment en tuant certaines personnalités appartenant aux clans et qui, au début de l’année, avaient essayé de prendre le contrôle de l’assistance qui était acheminée à Gaza City, indiquent quatre résidents de la ville qui ont échangé avec Reuters.

Le groupe terroriste a refusé tout commentaire sur ces meurtres.

Au mois d’avril, le Hamas avait fait savoir que ses services de sécurité avaient arrêté plusieurs hommes appartenant à des forces de sécurité ayant prêté allégeance à l’AP. Trois sources proches de cette dernière ont précisé que les personnes appréhendées escortaient alors un convoi d’aides humanitaires destiné à la population du nord de la bande.

« Il n’y a pas de vacance du pouvoir à Gaza, le Hamas est encore la puissance souveraine », commente Michael Milshtein, ancien colonel des services militaires de renseignement israéliens qui est dorénavant à la tête du Forum d’études palestiniennes au Centre Moshe Dayan, un centre de recherches en Israël.

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