MANTUA, Italie — Quand David Reicher était âgé de seulement trois mois, son père avait quitté le domicile familial et il n’était jamais revenu. Aujourd’hui, 76 ans plus tard, Reicher, citoyen israélien né en 1943 en Italie, sait finalement quelle a été la destinée réservée à son père.
Marian Reicher, un Juif polonais, avait fait partie des 335 civils qui avaient été assassinés lors du massacre des Fosses Ardéatines, survenu le 24 mars 1944. Ces meurtres effectués de manière indiscriminée, qui avaient visé des Juifs et des non-Juifs de tous les âges, de toutes les professions et de tous les groupes socio-économiques, avaient été commis par les nazis, en représailles à une attaque à la bombe qui avait pris pour cible, la veille, un régiment SS, tuant 33 policiers allemands.
Marian avait fait partie des huit victimes de ce massacre qui, jusqu’à une date récente, n’avaient pas encore été identifiées.
Mais au mois d’avril de cette année, Reicher avait reçu un appel téléphonique de la part d’Alessandro Veltri, le général militaire en charge du Commissariat général des honneurs pour les soldats tombés au combat – une agence dépendant directement du ministre de la Défense.
L’ADN de Reicher, lui avait annoncé son interlocuteur, correspondait à celui de l’une des victimes non-identifiées enterrées sous la carrière des Fosses Ardéatines – où le groupe avait été assassiné à bout portant, dans le pur style des exécutions pour économiser les munitions.
Et savoir enfin ce qui était arrivé à son père a été un grand soulagement pour Reicher.
« Cela a été une journée très heureuse pour moi », raconte Reicher au Times of Israel. « Je suis seulement triste que ma mère et ma sœur, qui sont mortes il y a des années, n’aient jamais su ce qui était arrivé à mon père ».

L’identification a pu avoir lieu grâce à l’unité d’enquêtes médico-légales de la police militaire des Carabinieri. En 2009, elle avait archivé les données biologiques des victimes non-identifiées pour pouvoir ultérieurement les comparer avec des échantillons prélevés auprès de membres survivants des familles.
« C’est très important, pour les survivants de la Shoah, de savoir quel a été le sort réservé à leurs proches », s’exclame Reicher. « Peut-être certains d’entre eux sont encore en vie, et, chaque année, le jour-anniversaire de la mort d’un défunt, les Juifs allument une bougie pour lui rendre hommage. »
« Ignorant la date exacte de la mort de mon père, j’allumais pour ma part une bougie à Yom HaShoah. Maintenant, je sais à quelle date précise je pourrai honorer sa mémoire », ajoute-t-il.

Pour le massacre, les nazis avaient tout d’abord choisi des prisonniers italiens qui étaient dans l’attente d’une exécution. Mais cela n’avait pas été suffisant – ils avaient décidé de commettre dix meurtres en représailles pour chaque SS qui avait été tué – et ils avaient élargi leurs critères à des détenus dont la peine était longue ou qui avaient commis un crime grave.

Et ils avaient finalement fini de remplir leur quota en ajoutant des Juifs qui se trouvaient dans les geôles nazies, attendant d’être déportés d’Italie via le camp de concentration de Fossoli, près de Modène. En tout, 76 Juifs avaient été assassinés : cela avait été le massacre de Juifs le plus important en Italie pendant la Shoah.
Après la guerre, les Fosses Ardéatines – un ensemble de carrières anciennes abandonnées situées aux abords de la Via Ardeatina — avaient été transformées en tombeau et en monument national.
La famille de Reicher devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour découvrir ce qui était arrivé à Marian. L’épouse de son cousin s’était formée en généalogie et elle avait fait des recherches sur internet, ainsi que dans les archives italiennes de la Croix Rouge et dans celle des Services internationaux de localisation de Bad Arolsen, en Allemagne. La famille avait acquis d’autres documents auprès de Yad Vashem, le mémorial et musée national de la Shoah en Israël.
« Mon frère avait été déporté dans un champ, près de Bassano del Grappa, dans le nord de l’Italie, le 20 janvier 1944 », explique Reicher. « Le camp de détention de Santa Croce est mentionné dans un autre document datant du mois de novembre 1944. Mon nom apparaît sur cette liste, ainsi que les noms de ma mère et de ma sœur Rosetta, mais il n’y a aucune référence faite à mon père ».

Reicher avait toujours pensé que son père était mort lors du massacre des Fosses Ardéatines, mais il n’en avait jamais eu la preuve. Le test ADN lui a permis de confirmer ses soupçons.
Marian Reicher était né en 1901 dans la ville de Kolomya, qui était alors un territoire appartenant à la Pologne mais qui est aujourd’hui située en dans l’Ukraine moderne. Il était devenu dentiste et il avait épousé Ethel Lachs. Le couple s’était réfugié en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Mes parents étaient arrivés au camp d’Enego, près de Vicenza, le 25 novembre 1941 », raconte Reicher. « Ma sœur était née le 8 janvier 1942 à Bassano del Grappa. Ma mère était très jeune quand elle a été veuve, avec deux enfants dont elle devait s’occuper. Cela a été un traumatisme, elle n’a jamais voulu en parler ».
En 1945, la famille devait s’installer en Israël, à Tel Aviv. Reicher s’est marié et il a eu trois enfants. Il a aujourd’hui huit petits-enfants et trois arrière petits-enfants.
Une enquête hi-tech confirme l’identité de deux autres victimes
Reicher est récemment entré en contact avec le mausolée des Fosses Ardéatines et il s’est entretenu avec le colonel Roberto Esposito, officier au Commissariat général pour les honneurs aux soldats tombés au combat.

« Certains documents établissaient que Marian Reicher était à Rome pendant la période du massacre. Nous avons demandé à David de nous fournir un prélèvement ADN pour le comparer à celui de la victime et c’est ainsi que nous sommes parvenus à identifier cette dernière », dit Esposito au Times of Israel.
Récemment, les sciences et la technologie ont aidé à identifier une autre victime du massacre. Heinz-Erich Tuchmann était un Juif originaire de Magdebourg, en Allemagne, qui s’était installé en 1930 en Yougoslavie pour des affaires, avant de partir vers l’Italie. Dans ce cas également, l’ADN aura tenu un rôle déterminant. Le neveu de Tuchmann, Jeremy Tuckman, qui vit actuellement en Angleterre, a fourni un échantillon biologique pour pouvoir réaliser l’étude.
A la fin des années 1940, le père de Tuckman, Frederick, avait bien entendu dire que son frère était mort lors du massacre des Fosses Ardéatines – mais le test ADN susceptible de corroborer cette hypothèse n’existait pas encore.
Récemment, une chercheuse italienne, Michela Mecocci, a pu retrouver la trace de Tuchmann, qui était sur la liste des victimes qui devaient encore être identifiées, en la reliant à ses proches encore en vie alors même qu’elle réalisait un documentaire consacré au massacre. Mecocci a transmis au Commissariat général les résultats de sa recherche et a mis les responsables en contact avec Tuckman.

« Je n’étais pas sûr que mon oncle ait été victime de ce massacre », confie Tuckman au Times of Israel. « Et j’ai été très heureux d’apprendre cette nouvelle, qui est venu confirmer ce que mon père avait cherché pendant toute sa vie. L’identification par le biais du test ADN a apporté la paix, le bonheur à notre famille, et l’apaisement aussi, parce qu’une réponse a été apportée à notre question. »
« Mon oncle a trouvé la dignité et la reconnaissance dans la mort », ajoute-t-il.
Lorsque les restrictions dues à la pandémie le permettront, une cérémonie publique sera organisée – en présence notamment de Reicher, de Tuckman, de leurs proches et du ministre italien de la Défense Lorenzo Guerini.