Israël en guerre - Jour 432

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L'ancienne députée travailliste britannique Joan Ryan à Jérusalem, le 15 décembre  2019. (Autorisation : Sivan Farage)
L'ancienne députée travailliste britannique Joan Ryan à Jérusalem, le 15 décembre 2019. (Autorisation : Sivan Farage)
Interview

Joan Ryan sur le Labour, l’antisémitisme et son nouvel emploi chez ELNET

Après avoir quitté le parti britannique pour protester contre la haine antijuive sous Corbyn, l’ex-parlementaire dirigera la branche d’une ONG prônant les liens israélo-européens

LONDRES — Peu de voix, au sein du Parlement britannique, ont été plus passionnées et constantes dans leur soutien apporté à Israël que celle de l’ancienne députée du Labour, Joan Ryan.

Ryan, qui a quitté la formation travailliste au paroxysme de la crise de l’antisémitisme qui a frappé le parti, alors placé sous l’autorité du politicien d’extrême-gauche Jeremy Corbyn, a quitté la Chambre des Communes il y a 18 mois.

Ce mois-ci, elle va prendre la direction du nouveau bureau d’ELNET, à Londres – une organisation à but non-lucratif qui s’efforce de renforcer les liens entre l’Europe et Israël. C’est l’occasion pour elle de revenir au sujet qui lui tient particulièrement à cœur [je précise, pour être tout à fait honnête, que l’auteur de ces lignes a travaillé avec Ryan sur des discours et des articles lorsqu’elle était députée].

Et le départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, estime Ryan, rend l’installation de ce bureau d’ELNET à Londres encore plus légitime.

« Je pense que l’ouverture de ce bureau est une démarche très importante parce que le Royaume-Uni était une voix très positive pour Israël au sein de l’UE. Aujourd’hui, alors que le Royaume-Uni a quitté l’UE, nous ne voulons pas que cette voix se fasse moins entendre et nous ne voulons pas que ces relations disparaissent », explique Ryan au Times of Israël. « Je pense que nous avons quitté l’UE mais que nous n’avons pas pour autant quitté l’Europe. »

ELNET, qui rassemble des décisionnaires et des leaders d’opinion européens et israéliens issus de l’ensemble du spectre politique, facilite les discussions politiques sur des questions stratégiques déterminantes. En plus de son nouveau bureau de Londres, l’ONG est d’ores et déjà implantée à Paris, Berlin, Bruxelles et Varsovie.

« Je pense que le point fort d’ELNET ou, en langage marketing, son USP [unique selling point, proposition unique de vente, NDLR] est ce réseau européen formidable qu’il a réussi à construire et tous ces leaders, tous ces politiciens et tous ces intellectuels que l’organisation est parvenue à rassembler », continue Ryan, qui a été ministre dans le gouvernement de l’ancien Premier ministre Tony Blair.

Les délégations de haut-rang d’ELNET en Israël, pense-t-elle, ont joué un rôle crucial pour renforcer le soutien à l’État juif et pour permettre de mieux comprendre les défis que le pays doit relever.

« [Les élections de 2019] n’ont pas seulement été un vote pour les conservateurs. Elles ont été aussi un vote contre… l’antisémitisme endémique au sein du parti du Labour – les gens le disaient aux portes. Ils disaient : Je ne peux pas voter pour cet homme et pour ce genre de politique »

Se référant au conflit qui a opposé, à la mi-mai, Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas, elle indique que « c’est toujours si facile et si simple d’immédiatement entrer dans ce scénario du ‘gentil et du méchant’ en faisant d’Israël le vilain de l’histoire. Et c’est précisément pour cela qu’emmener les gens en Israël pour qu’ils voient la situation sur le terrain – la géographie, les menaces qui planent sur le pays – est d’une telle importance, de manière à ce qu’on puisse juger par soi-même de la réalité de la situation. Il y a une règle du deux poids, deux mesures quand on juge Israël par rapport aux autres pays ».

Ryan, ancienne cheffe du groupe Labour Friends of Israel, note que le défi que doivent relever les organisations pro-israéliennes est de changer la nature du débat qui entoure l’État juif dans de nombreux pays européens.

« C’est très dur d’avoir ce débat. Les gens ont des positionnements très arrêtés qui semblent symboliser leur politique », remarque-t-elle. « Nous devons vraiment ouvrir le débat et avoir une discussion bien plus réfléchie et profonde que ces positionnements rigides qui indiquent si vous êtes de gauche ou de droite. »

Mais Ryan croit aussi que l’Europe – qui est considérée souvent comme un terreau fertile pour le mouvement BDS (Boycott, Divestment and Sanctions) anti-israélien – ne doit pas non plus être perçue comme démesurément hostile à l’État juif.

« Il y a une règle du deux poids, deux mesures quand on juge Israël par rapport aux autres pays »

La campagne de boycott et de sanctions contre Israël est « remarquablement infructueuse », se réjouit-elle. « Ce n’est pas quelque chose que nous devons ignorer et, de la même façon, ce n’est pas quelque chose que nous devons sortir de notre champ de vision ».

Le commerce entre la Grande-Bretagne et Israël est florissant, note Ryan. « Nous sommes le troisième partenaire commercial le plus important d’Israël – cette réalité en dit long. »

Elle s’inquiète néanmoins qu’à long-terme, la campagne BDS ne puisse devenir plus menaçante. « Elle s’implante dans les campus et dans les affects, elle influence et elle a un impact sur les jeunes qui, pour un grand nombre d’entre eux, pourraient devenir les leaders de demain », dit Ryan. « Cela leur donne un point de vue partial, déséquilibré et, à mon sens, cela contribue à propager la haine d’Israël. »

Ryan se sent encouragée par le fait que les Britanniques semblent se montrer largement insensibles aux campagnes anti-israéliennes menées par l’extrême-gauche.

« Les gens, à l’extrême-gauche, tentent d’entraîner l’opinion publique britannique dans leur sillage », explique-t-elle. « Mais il y a eu un sondage récent, qui a suivi l’opération Gardien des murs, et qui a montré que la majorité des Britanniques pensaient qu’Israël était en droit de se défendre. »

Des activistes propalestiniens et leurs partisans brûlent un drapeau israélien lors d’une manifestation en soutien aux Palestiniens devant l’ambassade d’Israël à Londres, le 22 mai 2021. (Crédit : JUSTIN TALLIS / AFP)

L’ancienne ministre qui soutient avec force la solution à deux États ajoute qu’il « est très important qu’Israël trouve la paix et les Palestiniens méritent la paix, eux aussi. Mais Israël n’est pas en guerre contre les Palestiniens. Israël est en guerre contre les terroristes du Hamas et du Jihad islamique qui veulent l’effacer de la carte. Je pense que les Britanniques dans leur ensemble comprennent cela. Je pense que si vous les sous-estimez, c’est à vos risques et périls ».

Ryan est préoccupée par la nette augmentation des agressions antisémites qui ont eu lieu au Royaume-Uni pendant le conflit récent qui a opposé l’État juif et le Hamas. Elle se réjouit néanmoins de la lourde défaite qui a été essuyée par Corbyn lors des élections générales de 2019.

« On a assisté en 2019 à un immense rejet de ce genre de politique et j’ai été ravie de voir que le public britannique avait pu s’apercevoir de ce qui n’allait pas », explique-t-elle.  » Les élections n’ont pas seulement été un vote pour les conservateurs. Elles ont été aussi un vote contre… l’antisémitisme endémique au sein du Labour – les gens le disaient sur le seuil de la porte. Ils disaient : ‘je ne peux pas voter pour cet homme et pour ce genre de politique’. »

Ryan a adhéré au groupe Labour Friends of Israel très rapidement après son élection au Parlement en 1997. Son soutien à Israël, dit-elle, est né de sa constatation que le pays « est une démocratie dans un environnement très difficile, c’est la seule démocratie du Moyen-Orient ». Elle note les antécédents de l’État juif en faveur des droits des femmes, de la communauté LGBTQ et de la liberté syndicale, contrairement à ce qu’il se passe dans les pays voisins d’Israël.

La police maintient un cordon de sécurité alors que des manifestants pro-israéliens se sont rassemblés aux abords de l’ambassade israélienne, dans le centre de Londres, le 23 mai 2021. (Crédit : Tolga Akmen/AFP)

De surcroît, Ryan qui, contrairement à de nombreux autres politiciens britanniques, se qualifie elle-même – et avec joie – de sioniste, dit qu’elle « a toujours eu la conviction que le peuple juif a droit à l’autodétermination ».

Avant d’intégrer le Parlement, Ryan était enseignante et elle a également été historienne, spécialisée dans l’histoire orale, au sein de l’Imperial War Museum, à Londres, dans les années 1980. Elle avait alors été amenée à interviewer des survivants de la Shoah.

« J’ai interviewé des gens qui… avaient vécu dans les ghettos, avaient été dans les camps de travaux forcés, avaient participé à des marches forcées, avaient été déportés dans des camps comme Belsen, Dachau, Auschwitz, », se souvient-elle.

« L’horreur de leur expérience, leurs souvenirs, tout ce qu’ils avaient perdu ne m’a jamais quittée, et je pense que tout cela m’a permis de comprendre profondément et de me lier au niveau émotionnel à la vie qu’ils ont eu. Je pense que cela a eu une influence sur ma pensée, sur ma réflexion, et que cela m’a aidée à mieux comprendre pourquoi Israël est si important pour la communauté juive ».

Ryan, qui n’est pas Juive, explique que ses origines irlandaises ont aussi permis de définir son attitude à l’égard de l’antisémitisme et du racisme. Ses parents ont vécu en Irlande avant de s’installer en Grande-Bretagne, en quête d’une vie meilleure.

« Leur vie de travailleur avait été très dure, ils faisaient un travail manuel et ils devaient souvent faire face à des discriminations – on savait donc ce que c’était et à quoi ça ressemblait », explique-t-elle. Ses parents, ajoute Ryan, lui ont appris ce que sont « les maux du racisme et des préjugés ».

Les anciens membres du parti appartenant dorénavant au Groupe Indépendant des députés (de gauche à droite, premier rang) : Gavin Shuker, Joan Ryan, Mike Gapes et Angela Smith lors d’une conférence de presse à Londres, le 20 février (Crédit : Niklas HALLE’N / AFP)

L’ancienne législatrice a rejoint les rangs du Labour au début des années 1980 précisément en raison de l’attachement du parti à l’égalité et de son rôle dans la lutte contre le racisme. Mais quand le parti Travailliste a été « infecté par le racisme antijuif », sous Corbyn, Ryan dit avoir « toujours su que le moment viendrait où il faudrait que je me dresse réellement contre ça ». Elle explique que la décision de quitter le parti auquel elle appartenait depuis 40 ans lui a « brisé le cœur » mais elle ajoute avoir « été très fière de le faire, je ne l’ai pas regretté une seule minute. Il fallait que je puisse encore me regarder dans le miroir ».

« Il fallait que je puisse encore me regarder dans le miroir »

Quelques députés ont abandonné les rangs Travaillistes pendant la crise de l’antisémitisme survenue sous l’autorité de Corbyn. Leur positionnement a-t-il fait la différence ?

Ryan estime « que nous avons eu un impact fort en soulevant le rideau et en montrant au public britannique combien la situation était mauvaise, et combien serait redoutable l’arrivée de Corbyn à Downing Street ».

Les ex-députées conservatrices et aujourd’hui indépendantes Sarah Wollaston, à gauche, Heidi Allen, 3e à gauche, et Anna Soubry (3R) posent pour une photographie avec d’anciennes membres du parti du Labour devenues législatrices du Groupe des députés indépendants, Luciana Berger, 2e à gauche, Angela Smith, au centre, Ann Coffey, 2e à droite, et Joan Ryan, à droite, après une conférence de presse dans le centre de Londres, le 20 février 2019. (Crédit : Niklas HALLE’N / AFP)

Corbyn a été suspendu l’année dernière du Labour par son successeur, Keir Starmer, après avoir suggéré que les problèmes d’antisémitisme au sein de la formation avaient été exagérés. Au début du mois, il a suscité la colère en niant que l’ancienne législatrice juive Travailliste, Luciana Berger, avait été chassée du parti.

Ryan n’est pas surprise par les propos tenus par Corbyn. « Jamais il ne reconnaîtra ce qu’il a fait parce qu’il est certain de sa supériorité en termes de moralité », dit-elle. « Il était dans une position puissante pour se dresser contre… l’antisémitisme et, au lieu de cela, il nie jusqu’à son existence. Et en cela, à mes yeux, il se rend coupable. »

Ryan estime que Corbyn, qui reste encore membre du Labour, devrait en être exclu. Elle salue les efforts livrés par Starmer pour s’attaquer à la haine antijuive. Elle déclare que les excuses présentées à la communauté par le nouveau dirigeant du parti et sa réponse à l’enquête menée par le groupe de veille britannique de lutte contre le racisme ont été des avancées importantes.

Néanmoins, affirme Ryan, la formation doit encore éradiquer l’extrême-gauche et son influence. « Je pense que Keir a beaucoup plus de choses à faire encore et je pense que le public en est conscient, lui aussi », explique-t-elle.

Photo d’illustration : Keir Starmer, à gauche, et Jeremy Corbyn à la Chambre des Communes de Londres, le 26 novembre 2018. (Crédit : House of Commons / PA via AP)

Ryan a rendu hommage au soutien apporté à Israël par le président américain Joe Biden pendant le conflit du mois dernier à Gaza. Elle pense toutefois que le parti démocrate – où le sentiment anti-Israël semble se développer et dont certains membres importants ont été accusés d’antisémitisme – devrait tirer les leçons de ce qu’il s’est passé au sein du Labour.

« Il faut affronter l’antisémitisme à chaque fois qu’il se présente, sans exception, et l’affronter dès le début, en le dénonçant tel qu’il est », ajoute-t-elle. « Quand le Labour est devenu institutionnellement antisémite… la maladie était déjà là, les dégâts avaient déjà été faits et c’était déjà trop tard pour déraciner ces antisémites ».

Ryan souligne la nécessité de mettre en place « des lignes rouges claires et sans compromis possible », – en déclarant que les luttes contre l’antisémitisme et l’antisionisme ne peuvent pas être séparées.

« Il faut dire de manière très claire que ceux qui ne s’en prennent dans leurs critiques qu’au seul État juif du monde, et qui refusent aux Juifs uniquement le droit à l’autodétermination sont des antisémites, purement et simplement. Il est impossible de dire qu’on s’oppose à l’antisémitisme si on ne prend jamais la défense d’Israël », poursuit-elle.

L’opposition de Ryan à l’extrême-gauche au sein du Labour est ancrée dans sa conviction que le combat contre l’antisémitisme n’est pas la seule responsabilité des Juifs.

« C’est un problème qui nous concerne tous. Je ne suis pas Juive et il n’est pas nécessaire d’être Juif pour défendre Israël… et pour dénoncer haut et fort l’antisémitisme », continue-t-elle.

« Je ne veux pas vivre dans un monde rongé par cette haine ; je ne veux pas que mes enfants, mes petits-enfants grandissent dans un monde comme celui-là. L’antisémitisme affaiblit la démocratie et il corrompt les liens qui maintiennent la cohésion de la société ».

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