Dépasser la caricature, déconstruire les stéréotypes tenaces, évaluer le rôle des autorités françaises pour porter, en connaissance de cause, un regard apaisé sur une histoire partagée, souvent oubliée : celle des « juifs et musulmans, de l’Empire colonial à nos jours ». C’est ce que propose une très belle exposition présentée par le Musée national de l’histoire de l’immigration, jusqu’au 17 juillet 2022.
Deux des commissaires de l’exposition, présents le jour du vernissage, ont accompagné la visite de leurs commentaires éclairants. Le Times of Israël y était. Il est à espérer que ce qui en est ici rapporté à grands traits donnera envie d’y aller car l’événement mérite, à plus d’un égard, d’être soutenu. En attendant, suivez les guides !
Posé sur un écrin de verdure à proximité du Bois de Vincennes, le bâtiment monumental évoque un temple greco-romain taillé pour signifier son poids dans la vie de la Cité : le Musée national de l’histoire de l’immigration a pour mission de rassembler, sauvegarder et rendre accessible au plus grand nombre l’histoire de l’immigration. Vocation à laquelle s’agrège la démarche, militante et proclamée, œuvrant à faire connaître et reconnaître le rôle de l’immigration dans la France d’hier et d’aujourd’hui.
Ancien président du Musée, l’infatigable Benjamin Stora est le commissaire général de l’exposition actuelle. Il fut récemment le commissaire général de celle proposée par l’Institut du monde arabe, « Juifs et musulmans, une histoire partagée », pour sa part centrée sur les pays du monde arabe.
Pour organiser ce nouvel opus qui se présente comme une suite logique de l’exposition de l’IMA, Stora s’est entouré de l’historienne franco-algérienne Karima Dirèche (commissaire associée) et de l’historien Mathias Dreyfuss (commissaire exécutif). Autant le dire en préambule, car c’est ce qui saisit d’emblée : ces trois-là ont réussi à mettre en place, sans avoir l’air d’y toucher, une conceptualisation et une scénographie dont l’élégante sobriété guide le visiteur au plus près de l’objectif qu’ils se sont fixé. Un peu à l’image de Karima Dirèche qui prévient, d’une voix douce mais déterminée : « Ce n’est pas une exposition facile. Elle s’inscrit dans une démarche d’historiens. Nous avons pris à bras-le-corps des questions sensibles et proposé un décryptage d’une histoire compliquée ».
Quand l’Etat français s’en mêle
À écouter nos hôtes, on a l’impression d’entendre parler de shalom bayit (harmonie domestique)… dans un ménage à trois. En l’occurrence, entre les juifs, les musulmans et l’Etat français, lequel s’est largement immiscé dans cette relation qui n’était de toute façon pas un long fleuve tranquille. C’est cette intrusion, ce « jeu à trois » que l’exposition donne à voir. Des documents, des œuvres d’art, des objets et des récits mettent en lumière des interactions qui, la plupart du temps, par facilité, faux savoir ou faux semblants, sont réduites aux tensions liées au conflit israélo-palestinien. « Les actions de l’Etat français ont été déterminantes. Elles ont eu un impact sensible sur la transformation de cette relation » commente l’historienne. L’exposition commence au Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc) à partir de la conquête de l’Algérie par la France (1830) puis déroule le fil de l’histoire entre la France et les pays de l’espace colonial du Maghreb jusqu’en 1962 (indépendance de l’Algérie) puis sur le sol de la France métropolitaine.
L’artiste plasticien Boltanski affirmait qu’une exposition est chaque fois une question posée. Il s’agit alors ici de s’interroger sur ce qui a perverti, compliqué et cristallisé les relations entre juifs et musulmans au point qu’elles s’immiscent aujourd’hui encore dans le débat national. Mais au-delà de la question posée, cette exposition est aussi une exclamation : « Plus d’histoire, moins de clichés » proclame le sous-titre, qui résonne comme une revendication donnant son supplément d’âme à l’évènement.
Une chronologie à 5 temps
La stratégie conceptuelle est simple et efficace, qui scande le déroulement de la visite en 5 séquences : des arches, tels des frontons chronologiques, s’ornent de dates témoignant de l’action de l’Etat français sur les relations judéo-musulmanes. Sans doute est-ce cette déambulation spatio-temporelle inédite à laquelle elle invite que l’exposition doit d’éviter toute pesanteur didactique. La dimension esthétique et élégante est au rendez-vous, ce qui relève d’une gageure au regard d’un sujet ardu, politique, dramatique, nourri d’affects et de ressentiments et aujourd’hui inscrit dans une mémoire oublieuse.
Le parcours est adossé à un nombre impressionnant de documents d’archives dont « chacun demanderait bien trois heures d’explications » explique avec une gourmandise d’historienne, Karima Dirèche, visiblement disposée à consacrer ce temps aux journalistes présents en ce jour de vernissage… Le commissaire exécutif Mathias Dreyfus tempère : « Cette exposition est riche d’archives mais elle présente également des œuvres d’art magnifiques et des documents audiovisuels qui permettent d’incarner cette histoire et de prendre conscience qu’elle est aussi le fruit d’une construction d’imaginaires. Ce sont ces imaginaires que l’exposition invite à déchiffrer pour comprendre ce jeu à trois dont l’un des acteurs – les autorités coloniales françaises- est souvent occulté. Il s’agit de voir aussi comment, après les indépendances, cette histoire se poursuit en France métropolitaine ».
De fait, l’exposition qui débute en 1830 montre, dans une première partie, combien le contexte pré-colonial et colonial a déterminé les trajectoires empruntées, sur le sol français, après les indépendances. À la veille de l’expédition d’Alger en 1830, on compte en France métropolitaine quelque 70 000 juifs, soit 0,2 % de la population française. Une gravure exposée montre Napoléon le grand qui rétablit le culte israélite en mai 1806. Citoyens depuis 1791, le culte juif est officiellement reconnu en 1808 comme l’un des trois cultes professés par les Français, aux côtés du catholicisme et du protestantisme. « Cette histoire partagée avec la France va, d’une certaine manière, déterminer le processus de francisation des communautés juives au Maghreb, d’abord en Algérie puis au Maroc et en Tunisie au XIXe siècle » explique M. Dreyfus. L’islam quant à lui ne possède pas d’institutions à l’image des consistoires israélites -révélateurs du souci de l’Etat napoléonien d’encadrer la minorité juive- et il n’est pas reconnu comme religion professée par les Français. Pour autant, l’exposition donne à voir qu’il n’est pas totalement absent du paysage politique et que, depuis l’expédition d’Egypte de 1798, l’égyptomanie trouve un écho dans l’intérêt de lettrés musulmans pour la liberté religieuse acquise en France depuis 1789.
Exit, Abraham Benchimol…
Une œuvre mérite l’attention, autant pour sa beauté que pour ce qu’elle dit des frémissements de l’époque. Il s’agit d’une esquisse d’Eugène Delacroix (Le Sultan du Maroc Mulay Adb-Er-Rahman recevant le comte de Mornay, ambassadeur de France).
L’artiste qui avait entreprit en 1832 un voyage de six mois au Maroc avait, dit-on, été fasciné par les marchés colorés mais aussi par le quartier juif. L’œuvre exposée, datant de 1832, met en scène l’audience sollicitée auprès du sultan du Maroc par une mission diplomatique française au sein de laquelle se trouvait le peintre. Deux groupes se font face : d’un côté, le sultan et sa cour, de l’autre, la délégation française. Au milieu se tient un certain Abraham Benchimol, présent sur ordre du sultan qui refusait catégoriquement d’avoir recours aux services d’un interprète européen.
À cet égard, Karima Dirèche souligne que les Juifs, souvent polyglottes, servaient fréquemment d’interprètes et d’interfaces au sein du monde colonial. Le tableau définitif que cette esquisse a par la suite inspiré à Delacroix (1845), traduit l’amorce d’un changement. Mathias Dreyfuss poursuit : « Abraham Benchimol disparaît, de même que l’ambassadeur français, du tableau de 1845 dans lequel Delacroix rend hommage à la royauté marocaine, un an après la bataille d’Isly qui constitue une défaite pour les armées du sultan. Elle acte une forme de statu quo entre la France et le Maroc, et marque le tracé de la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Le personnage juif est expulsé du monde oriental représenté par Delacroix ». Cette suppression est emblématique du processus à l’œuvre dès les années 1830/1840 ». Exit, Abraham Benchimol et avec lui, une certaine idée de la présence juive…
Le décret Crémieux
Par le décret Crémieux de 1870, l’Etat français introduit, dans son empire au Maghreb, une différence de statut juridique entre les « indigènes » juifs et musulmans : par cet acte juridique, les Juifs d’Algérie -jusqu’alors considérés comme des « indigènes israélites »- obtiennent la nationalité française. L’original du document a disparu mais une copie, réalisée à l’époque pour informer la direction des cultes en Algérie, est présentée.
Une vitrine abrite par ailleurs l’original d’un senatus-consulte, texte de 1865 qui a valeur de loi promulguée par Napoléon III. M. Dreyfuss explique : « Il accorde aux uns et aux autres, de manière symétrique, le statut de nationalité, c’est-à-dire de sujets de l’Empire. Il octroie la possibilité, aux indigènes juifs et aux indigènes musulmans d’Algérie, de déposer, à titre individuel, une demande de citoyenneté. Entre 1865 et 1870, on est donc passé d’une démarche individuelle à une décision collective prise depuis Tours (alors siège du gouvernement de la Défense nationale), pour accorder, de façon collective, la citoyenneté française aux 35 000 Juifs des trois départements du nord de l’Algérie que sont Oran, Constantine et Alger ».
Les lignes ont-elles commencé à bouger avec le décret Crémieux ?
« C’est un point de départ mais aussi un point d’aboutissement », nuance l’historien. « Dès les années 1830, avec le début de la conquête de l’Algérie, les autorités françaises mais aussi les juifs de France s’interrogent sur le statut juridique des indigènes israélites ». K. Dirèche brosse le portrait de la société indigène israélite de l’époque : « Quand les Français arrivent en Algérie, ils découvrent qu’il y a des juifs qui vivent dans des conditions de précarité et de sous-éducation. Ils sont en fait très berbères. Cette action législative française accordant aux juifs un statut différent creuse une fracture avec les musulmans qui restent dans le code de l’indigénat et dans un statut discriminant. C’est, pour les juifs d’Algérie, une opportunité extraordinaire. Ils s’en saisissent très rapidement, notamment par la fréquentation des écoles. C’est un extraordinaire coup d’accélérateur dans les trajectoires de promotion sociale et économique des juifs d’Algérie et par la suite, par effet de ricochet, des juifs du Maroc et de Tunisie ».
À ce stade du parcours, le visiteur comprend qu’il est en effet immergé dans une histoire longue, hérissée de soubresauts, de particularismes et de ramifications des deux côtés de la Méditerranée où son écho continue de résonner. Karima Dirèche parle de « griefs historiques ». Ils ont, répète-t-elle, contribué à creuser l’écart et à faire que cette histoire indigène partagée est, en France, souvent oubliée ou qu’elle n’a tout simplement pas été transmise.
La guerre de 1914-1918, le deuxième levier de francisation
La deuxième grande séquence de l’exposition est consacrée à la guerre de 1914-18 dont les répercussions sont différentes pour les juifs et pour les musulmans. Les juifs d’Algérie ont en mémoire le contexte de l’Affaire Dreyfus et l’antisémitisme virulent qui a sévi à Alger et à Oran à la fin du XIXe siècle. Mathias Dreyfuss évoque un « surinvestissement patriotique » et montre une vitrine contenant une téfila (livre de prières) de soldat fournie par le Consistoire central aux juifs d’Algérie.
Il souligne que les uniformes -identiques- exposés à côté de la téfila sont révélateurs du changement introduit par la guerre de 1914 avant laquelle les régiments portaient des tenues caractérisées par un folklore militaire relativement marqué.
Un peu plus loin, l’entre-deux-guerres offre au parcours un espace révélant un milieu artistique florissant et des rencontres musicales entre juifs et musulmans, notamment en Algérie et en Tunisie. Deux films d’animation sont consacrés à deux tandems judéo-musulmans très actifs à cette période, témoins d’une culture et d’une langue partagées.
Un antisémitisme pas si latent que cela
La parenthèse musicale à peine refermée, le parcours enchaîne sur le pogrom de Constantine d’août 1934 qui entraîna la mort de 25 juifs et 3 musulmans. « Il s’agit d’un véritable massacre au cours duquel le comportement de la municipalité est très trouble. Le député-maire, Emile Morinaud, est l’un des grands chefs de l’antisémitisme algérien, déjà actif au moment de l’Affaire Dreyfus » explique l’historien. Karima Dirèche ajoute que l’antisémitisme européen et français s’est « très bien exporté » en Algérie. Elle précise que les recherches historiques ont permis de montrer qu’« au-delà de la rivalité judéo-musulmane qui a abouti à ces violences inouïes, les autorités françaises ont elles aussi joué un rôle dans cette hostilité. Les forces de l’ordre de la mairie de Constantine ne sont pas intervenues. Elle ont laissé faire. Cela aussi dit des choses sur un antisémitisme pas si latent que cela, bien plus agressif et bien plus offensif que sur certains territoires hexagonaux ».
L’exposition s’enorgueillit de documents exceptionnels, sous la forme d’affiches, conservées aux archives nationales d’outre-mer. Elles furent placardées dans les rues de Constantine après le massacre. L’une d’elles est une proclamation d’élus musulmans appelant à l’apaisement. Une autre provient de la ligue internationale contre l’antisémitisme -la Lica, ancêtre de la Licra- qui en appelle elle aussi à un retour au calme. Karima Dirèche souligne que cet événement tragique a eu un effet d’accélérateur dans le processus d’assimilation des juifs d’Algérie. Elle indique que le rabbinat local avait donné pour instruction de ne plus porter la tenue traditionnelle juive et de franciser les prénoms. « Ce pogrom a réveillé des craintes de violences anti-juives en milieu musulman » conclut-elle.
La deuxième guerre mondiale
La période 1939-1945 s’ouvre sur l’abrogation du décret Crémieux, l’une des toutes premières mesures prises par le régime antisémite de Vichy. Des extraits du documentaire « L’Algérie sous Vichy » de Stéphane Benhamou (2021) sont projetés. Il est autant question, à ce niveau du parcours, de la collaboration que de la solidarité sur le sol métropolitain, notamment au regard du rôle de la Grande Mosquée dans le sauvetage de familles juives. « Ce sont des questions difficiles à traiter, en partie à cause du manque de documentation disponible » explique M. Dreyfuss en désignant des certificats d’islamité demandés par les autorités de Vichy à la Grande Mosquée. « Pour échapper à la répression, certains juifs se faisaient passer pour musulmans » renchérit K. Dirèche qui fait état de témoignages crédibles rapportant que la Grande Mosquée avait sauvé des Juifs en délivrant des certificats. « Tout comme elle a, à la demande des autorités allemandes qui lui demandaient une « expertise », confirmé la judéité de certains fugitifs. C’est là toute l’ambivalence de ce moment, la terrible zone grise d’une institution religieuse française qui a oscillé, à l’instar de toutes les autres, entre collaboration et résistance ».
En mai 1945, alors que les colonies françaises célèbrent, dans une liesse populaire, la fin de la guerre et la Libération, à Sétif, des militants indépendantistes font irruption dans la foule en brandissant, pour la première fois, le drapeau algérien. Karima Dirèche parle d’un moment fondateur dans la mémoire nationaliste algérienne : « Les historiens s’accordent à penser que le mouvement nationaliste s’est radicalisé face à la répression sanglante et à la violence exercée par l’armée française lors de ces manifestations ».
La création de l’État juif et l’exode
Le dispositif multi-média installé dans cette séquence le montre bien : la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948 est suivie de très près par les autorités françaises qui surveillent les réactions qu’elle suscite en Algérie et ses retombées sur les relations entre juifs et musulmans. Des documents, dont beaucoup sont inédits, permettent de constater que la situation se cristallise au Maghreb dès cette époque qui correspond également aux grandes migrations des juifs d’Algérie, du Maroc et de Tunisie, vers le nouvel Etat juif et vers la France métropolitaine.
La séquence revient également sur la guerre d’indépendance algérienne présentée au prisme de différents points de vue. Un focus concerne un groupe, très minoritaire, de juifs algériens communistes engagés en faveur de l’indépendance. Des témoignages évoquent les trajectoires marginales de ces quelques familles juives. Les deux historiens rappellent que les juifs d’Algérie ont dans un premier temps majoritairement adopté une position de neutralité dans le conflit jusqu’à ce que la situation ne soit plus tenable et qu’ils prennent le parti de la France vers laquelle des départs massifs se sont déroulés entre les années 1950 et 1962.
Les extraits de films qui sont projetés illustrent cette période. Parmi eux (on ne s’en lasse pas), Le coup de Sirocco d’Alexandre Arcady, qui raconte l’arrivée des rapatriés d’Algérie à Marseille. Dreyfuss explique : « Le film montre l’épreuve qu’ont constituée le départ d’Algérie et l’arrivée en France. Pour autant, il est nécessaire de remettre l’événement dans une perspective historique en rappelant que les rapatriés d’Algérie, et parmi eux les juifs, ont bénéficié de la mise en place d’une politique d’accueil par l’Etat français pour les aider, à moyen terme, à s’intégrer dans la société française ». (La précision « à moyen terme » sera sans doute appréciée des lecteurs qui gardent en mémoire les débuts laborieux de l’installation familiale sur le sol métropolitain).
Le dossier de presse de l’exposition précise que les juifs tunisiens et marocains sont arrivés en France sous des statuts différents mais que tous ont pu compter sur la mobilisation du secteur associatif juif.
La guerre des Six-Jours et le conflit israélo-palestinien
1967 : une date phare dans les relations judéo-musulmanes. Karima Dirèche commente : « Le triomphe extraordinaire de l’armée israélienne sur les armées arabes, vingt-deux ans après la Shoah, est pour l’ensemble des juifs un moment de grande fierté et, pour les musulmans, celui d’une humiliation. La guerre des Six-Jours, comme le conflit israélo-palestinien va s’inviter dans les relations juives et musulmanes en France, polarisant des appartenances politiques et idéologiques très profondes. On voit bien ce qu’il en reste aujourd’hui, notamment dans la troisième génération d’immigrés maghrébins pour lesquels la question palestinienne est le marqueur politique, quand bien même ils n’en savent souvent pas grand chose ».
Deux focus s’intéressent à deux quartiers emblématiques des relations judéo-musulmanes, « entre tensions et interactions » : Belleville et Sarcelles. Le visage de Madame Rosa/Simone Signoret se détache d’un écran diffusant un extrait de La vie devant soi, adaptation filmique du roman de Romain Gary/Emile Ajar. « C’est le moment où Mohamed devient Moïse ! » s’amuse Karima Dirèche. Sur un autre écran passe un extrait du film de Mathieu Kassovitz, La Haine (1995) qui se déroule à Sarcelles « avec un tandem, Saïd et Vinz, que l’on a souvent oublié. C’est aussi une sorte de chant du cygne, peut-être en partie déjà un peu mythifié, de cette relation judéo-musulmane dans les quartiers populaires en France et très largement effacée dans les années 2000 » commente Mathias Dreyfuss.
Quatrième Sarcelles, film de Valérie Mréjen, est une commande passée par le musée à l’artiste vidéaste pour saisir, dans un contexte de relations judéo-musulmanes très dégradées et marquées par les tragédies de ces quinze dernières années, les paroles d’adolescents sur leur environnement, la religion et leurs aspirations. Le film a été tourné dans deux établissements voisins, un collège public laïc et une école privée juive. « Notre parti pris a été celui de la sobriété, en choisissant de ne pas remettre des images des crimes et attentats antisémites que nous avons tous en tête. Ces jeunes ne se rencontrent que sur l’écran et ne se côtoient pas. Le film permet de voir ce qui les rapproche et ce qui, en même temps, les sépare. C’est un document extrêmement émouvant » conclut M. Dreyfuss.
On quitte l’exposition à rebours, en repassant par l’endroit où on l’avait entamée, sous Big Bang, une œuvre commandée en 2005 par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme à l’artiste franco-algérien Kader Attia. Un dernier regard s’attarde sur ce globe terrestre verré, hérissé de symboles religieux du judaïsme et de l’islam qui le constellent d’aspérités tranchantes. « Cette œuvre, nous avaient dit nos hôtes en nous accueillant, exprime que ce qui peut être harmonieux peut être perturbé et faire mal ».
Souhaitons que les visiteurs, toutes communautés confondues, soient nombreux à s’aventurer, comme le fait cette exposition, hors des sentiers battus d’une histoire longue, mal connue et mal transmise.
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JUIFS ET MUSULMANS : De la France coloniale à nos jours
PLUS D’HISTOIRE, MOINS DE CLICHÉS
5 avril – 17 juillet 2022
Musée national de l’histoire de l’immigration/Aquarium tropical
293 avenue Daumesnil 75012 Paris. www.palais-portedoree.fr
A lire également :
Le catalogue de l’exposition (Editions du Seuil/Musée national de l’histoire de l’immigration), 28,50 €
Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, Benjamin Stora (Albin Michel, 2013)