Cette interview s’est déroulée deux jours avant l’annonce du cessez-le-feu à Gaza et de l’accord de libération des otages – accord finalisé grâce à une collaboration sans précédent entre les administrations sortante et entrante à Washington.
Les premiers jours du cessez-le-feu à Gaza, on a pu voir des membres du Hamas patrouiller dans les rues, escorter les convois d’aide humanitaire et déblayer les décombres.
Tout comme dans certaines images de la libération des otages, soigneusement recadrées pour montrer l’omniprésence du Hamas dans la bande de Gaza, le groupe terroriste fait beaucoup d’efforts pour montrer qu’il est encore bien présent à l’issue de 15 mois de guerre contre Israël.
Mais même si ces scènes sont exagérées et anecdotiques, le Hamas est sans aucun doute l’unique force à même de gouverner la bande de Gaza à l’issue du retrait des forces israéliennes des zones de peuplement, ce dimanche.
C’est là que se trouve ce que Barbara Leaf qualifie de plus grand regret de sa mission diplomatique sur le Moyen-Orient dans les hautes sphères de l’administration Biden.
Dès les premiers jours de la guerre déclenchée par l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, le président américain Joe Biden et ses principaux conseillers ont insisté sur le fait qu’Israël devait penser au successeur du Hamas à Gaza, sauf à ouvrir la voie à une insurrection de longue durée.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a toujours refusé de le faire, arguant qu’il convenait de détruire le Hamas avant de penser à son remplacement. Les États-Unis espéraient qu’Israël laisse l’Autorité palestinienne (AP) s’installer à Gaza, le considérant comme l’alternative la plus viable et modérée, et le moyen de tracer la voie vers un État palestinien, avec un organe gouvernemental à la fois en Cisjordanie et à Gaza.

Mais Netanyahu n’a eu de cesse de refuser, comparant l’AP au Hamas, dans un exercice d’équilibriste destiné à donner satisfaction à certains de ses partenaires de sa coalition d’extrême droite qui auraient eu tôt fait de liquider son gouvernement si le Premier ministre avait autorisé le chef de l’AP, Mahmoud Abbas, à revenir à Gaza, en lieu et place des résidents d’implantations israéliens forcés au départ en 2005.
Les États-Unis ont bien tenté de contourner l’intransigeance de Netanyahu, sans grand succès au final, car le soutien offert par les alliés arabes à la gestion de Gaza dans l’après-guerre supposait la présence de l’AP.
Lors des tout derniers jours de l’administration Biden, le Secrétaire d’État Antony Blinken a prononcé un discours devant un think tank de Washington au cours duquel il a exposé sa vision de la gouvernance, de la sécurité et de la reconstruction de Gaza dans le « jour d’après », en souhaitant qu’il inspire les parties.
Il n’en fut rien, ce qui ne cesse d’inquiéter Leaf, qui s’en ouvre au Times of Israel lors d’une interview d’adieu, la semaine passée.
« Le fait qu’il n’y ait pas de véritable projet de reconstruction de Gaza après le conflit… est une énorme déception pour moi », admet l’ex-Secrétaire adjointe aux affaires du Proche-Orient.

Elle qualifie le refus de Netanyahu de laisser l’AP jouer un rôle à Gaza de « terrible erreur » et regrette qu’Israël n’ait jamais proposé d’alternative, tout en s’engageant dans « une pensée magique selon laquelle des États arabes viendraient faire pour Gaza ce que l’Autorité palestinienne aurait dû faire ».
Cette interview s’est déroulée deux jours avant l’annonce du cessez-le-feu à Gaza et de l’accord de libération des otages – accord finalisé grâce à une collaboration sans précédent entre les administrations sortante et entrante à Washington.
Biden a indiqué qu’il s’agissait ni plus ni moins du cadre présenté par ses soins en mai dernier et que les mois de soutien prudent à Israël contre l’Iran et ses mandataires avaient réuni les conditions favorables à cet accord.
Le président américain Donald Trump estime, pour sa part, que c’est sa menace de « faire payer tout » le Moyen-Orient en cas de non-libération des otages avant le 20 janvier qui a mis fin à l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations depuis des mois. Selon des membres des autorités arabes proches des négociations qui s’en sont ouverts au Times of Israel, c’est vrai.
Lors de cette longue interview (dont la transcription suit), Leaf défend l’approche de son administration par rapport à la guerre, très critiquée par certains progressistes estimant que Biden n’a pas suffisamment fait usage de son influence sur Netanyahu et certains conservateurs affirmant que les États-Unis ont micro-géré Israël, lorsqu’ils n’ont pas fait preuve d’un manque de soutien.
Leaf assure que les États-Unis ont fait leur possible pour convaincre Netanyahu et qu’il aurait été contre-productif de lui reprocher officiellement l’échec du cessez-le-feu, particulièrement en ce qui concerne la dissuasion israélienne contre l’Axe de la résistance dirigé par l’Iran, auquel Washington s’oppose lui aussi.
Là où l’administration Biden a eu moins de scrupules à critiquer publiquement Netanyahu, c’est sur la question de l’aide humanitaire à Gaza – en l’occurrence, son défaut.

En octobre dernier, Blinken et le Secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, avaient même adressé une lettre au Premier ministre pour lui signifier qu’Israël avait 30 jours pour prendre un certain nombre de mesures destinées à lutter contre la crise humanitaire, au risque, en cas de refus, de voir s’interrompre la fourniture de certaines armes offensives.
Israël n’a pas été en mesure de satisfaire l’essentiel de ces demandes mais il a progressé sur nombre d’entre elles, raison pour laquelle l’administration Biden a poursuivi ses livraisons de matériels de guerre à Israël.
En guise d’explication de cette décision, Leaf a expliqué que cette lettre avait effectivement vocation à ce qu’Israël fasse ce qui lui était demandé mais que les « changements structurels » décidés par Israël étaient « le plus important ».
S’agissant des victimes civiles de Gaza – que certains de ses collègues, au sein de l’administration, ont reprochées à Israël, soupçonné de ne pas en faire assez pour limiter les pertes – Leaf s’abstient de tout commentaire.
Elle rejette vigoureusement les critiques adressées aux deux autres médiateurs, à savoir le Qatar et l’Égypte, dont elle estime qu’ils n’auraient pas pu faire plus pour persuader le Hamas.
Leaf explique que la demande adressée au Qatar, en novembre dernier, pour qu’il expulse les responsables du Hamas est le signe des pressions exercées sur le groupe terroriste, dont les dirigeants sont revenus des semaines plus tard à la demande de la nouvelle administration Trump. Elle précise qu’il s’agit là d’une carte unique et que Washington a eu raison d’attendre 13 mois avant de la jouer.

Le sujet qui lui laisse le plus de regrets est celui des relations des États-Unis avec le rival du Hamas, l’AP.
Les États-Unis ont tenu la promesse pré-électorale de Biden de rétablir la relation avec l’AP ainsi que l’aide aux Palestiniens, ce qui leur a valu de se voir reprocher d’avoir relégué au second plan le conflit israélo-palestinien, au motif que la discussion d’une autre initiative de paix à enjeux élevés était contre-productive et qu’il était préférable de travailler la piste de la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite, éventuellement accompagnée de l’établissement d’un État palestinien.
Cette initiative a été grandement mise à mal par le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre, alors même que les discussions avec Netanyahu sur la question n’avaient pas encore commencé.
Leaf admet que la guerre a compliqué ces pourparlers et fait de la condition palestinienne un incontournable pour l’Arabie saoudite.
« Ce n’est pas que le prix à payer, c’est tout sauf négligeable. C’est énorme dans la vie de ces gens [les Palestiniens] », affirme-t-elle en ajoutant que, de son point de vue, le gouvernement israélien radical actuel n’était pas prêt à l’accepter.

Et si les États-Unis ont, en effet, rétabli des liens avec l’AP, ces relations se sont rapidement dégradées – Ramallah désapprouvant l’approche progressive de Washington ainsi que son incapacité à donner suite à des promesses pré-électorales faites alors par le candidat Biden, qui s’était engagé à rouvrir les missions diplomatiques qui avaient été fermées sous la précédente administration Trump, à Jérusalem et à Washington.
« Je regrette personnellement que nous n’ayons pas trouvé l’occasion, à l’époque, de rouvrir le consulat [américain à Jérusalem] », déplore-t-elle.
Une initiative qui aurait nécessité un certain degré d’approbation de la part d’Israël – mais les gouvernements successifs s’y sont opposés.
Leaf affirme que l’administration aurait pu, tout simplement, procéder à la réouverture du consulat de Jérusalem malgré les objections d’Israël – notant que l’attention des Américains s’est malgré tout souvent portée ailleurs, les conflits faisant rage dans d’autres parties de la région et dans d’autres parties du monde.
Si elle semble compatir à la frustration de Ramallah sur ce sujet en particulier, la diplomate américaine de longue date dit qu’elle a été bien moins convaincue par les arguments avancés par l’AP concernant ses capacités à gouverner.
Leaf a consacré du temps à demander à l’AP d’entreprendre de profondes réformes, de manière à ce qu’elle soit mieux préparée s’agissant d’assumer la responsabilité de la gestion d’un État – si et quand il verra le jour.

Pour apaiser les inquiétudes de la communauté internationale, Abbas a nommé un nouveau cabinet au mois de mars dernier et il a lancé une série de réformes visant à lutter contre la corruption et à limiter la bureaucratie.
Une décision qui n’a pas convaincu tout le monde, dans la mesure où le président de l’AP, qui en est à la 21e année de son mandat de quatre ans, a nommé son proche confident Muhammad Mustafa au poste de Premier ministre.
S’il a été reconnu que Mustafa s’était engagé avec sérieux dans un processus de réforme, Leaf semble toutefois conserver des doutes.
« C’est un homme honnête. Je pense qu’il est solide. Il est sérieux. Est-ce qu’il a entrepris les réformes de grande envergure nécessaires ? Peut-être pas », déclare-t-elle.
Alors que l’administration Biden a quitté la Maison Blanche, Leaf s’est retirée de la fonction publique après plus de trois décennies de carrière. Elle a été ambassadrice des États-Unis aux Émirats arabes unis ; secrétaire d’État adjointe pour la péninsule arabique et secrétaire d’État adjointe pour l’Irak.
Elle dit que son dernier mandat au sein du gouvernement a essentiellement été un travail « d’évitement des crises », mais elle note que les évolutions « sismiques » de la situation qui ont été enregistrées en Syrie et au Liban, au cours des derniers jours de son travail au sein de l’administration américaine, lui donnent beaucoup d’espoir.
Après des années d’impasse politique au Liban, un nouveau président et un nouveau Premier ministre viennent d’être élus et ils ont juré de sortir le pays des griffes du Hezbollah, le groupe terroriste soutenu par l’Iran.
En Syrie, où il semblait presque acquis que le dictateur Bachar Assad était parvenu à résister au tollé international suscité par ses mesures de répression exercées à l’encontre de la population syrienne, le régime est tombé et les rebelles promettent un nouvel avenir dont l’influence iranienne sera dorénavant absente – même s’il y a encore des inquiétudes portant sur le passé jihadiste des nouveaux dirigeants du pays.
Leaf a fait partie du tout premier groupe de responsables américains à avoir fait le déplacement à Damas pour y rencontrer le nouveau chef de la Syrie, Ahmed al-Sharaa.
« C’est un souvenir que je chérirai toujours », affirme-t-elle.
« Jamais je n’avais jamais imaginé – au cours des dix à quinze derniers mois – que je me rendrais à Damas avant de quitter mes fonctions au sein du gouvernement – ça a donc été très émouvant et ça restera un moment fort de mes quatre dernières années de carrière », dit-elle.

La retranscription de cet entretien a été réexaminée à des fins de clarté et de concision.
Times of Israel : En repensant à ces quatre dernières années, de quoi diriez-vous que vous tirez le plus de fierté ? Y a-t-il eu un moment où vous avez eu le sentiment d’avoir fait la différence ?
Barbara Leaf : C’est une question difficile, il faut prendre le temps de digérer les choses… Honnêtement, ces quinze derniers mois, depuis le 7 octobre, tout a été d’une intensité féroce. C’était déjà assez intense avant, car j’avais eu dès mon arrivée – au mois de janvier 2021 – le sentiment que nous devrions rétablir de nombreuses relations, en commençant par les Palestiniens, mais pas seulement.
Quand je repense à ces 15 derniers mois, j’ai souvent eu le sentiment de m’être moins dit : « Oh, nous progressons ici, nous progressons là » que de m’être dit : « Oh, nous avons évité ceci, et nous avons évité cela – toutes ces choses qui auraient pu être bien pires ». Ce n’est clairement pas le sentiment le plus satisfaisant à avoir en terminant sa journée de travail, tous les jours, mais c’est parfois ce que la région vous offre. L’effet façon tremblement du terre du 7 octobre a été tel que ses ripostes n’ont pas cessé de se propager.
Ce qui m’a fait le plus plaisir, en fin de compte, ce sont les changements survenus en Syrie et au Liban, avec la sélection du [nouveau] Premier ministre libanais et l’élection du président. Ce sont là deux événements d’une importance retentissante – certains de mes amis ont même évoqué des séismes.
L’autre séisme a eu lieu à Damas. Je ne m’attribuerai jamais aucun mérite individuel dans tout ce qui s’est passé. Aucun d’entre nous ne peut s’attribuer le mérite de l’un ou l’autre de ces événements. Aucun gouvernement ne peut dire : « C’est nous qui avons fait tout ça ». Ça a vraiment été un travail d’équipe. Mais les changements qui ont eu lieu au cours des quatre derniers mois, des changements qui ont atteint leur apogée avec la fuite de Bachar el-Assad de Damas, puis avec ces choix extraordinaires de dirigeants [au Liban], c’est vraiment quelque chose d’important.
J’ai été heureuse de prendre part aux initiatives qui ont abouti à ces événements – ou qui, tout du moins, y ont contribué. Je ne dirai jamais que ce sont d’autres gens que les Syriens eux-mêmes qui ont fait le travail pour faire tomber Assad. Mais il y a eu aussi de nombreux facteurs qui ont contribué à ça.
Pour en revenir à votre première question, la nature de ce travail à ce moment précis de l’Histoire était telle que je n’ai pas cherché à obtenir des résultats individuels, des résultats que je pouvais obtenir moi-même. Au vu de l’état de la région, ces 15 derniers mois, les choses étaient réellement liées les unes aux autres et elles l’étaient de manière constante – parfois de façon très négative, voire désastreuse. D’autres fois, ces vagues qui ont finalement déferlé dans toutes les directions ont apporté des éléments très positifs. Et ces vagues vont continuer à se faire sentir dans des régions comme l’Irak, et ce sera pour le meilleur.

Y a-t-il quelque chose que vous avez eu le sentiment que vous auriez aimé faire différemment, quelque chose que vous regrettez ?
Gaza, Gaza, Gaza. J’espère et je prie chaque jour pour que cet accord soit conclu et pour que nous puissions commencer à voir nos citoyens américains rentrer chez eux et d’autres otages retrouver leur famille – mais ce ne sera que la toute première partie d’une pièce en plusieurs actes. Le fait qu’il n’y ait pas de véritable plan pour reconstruire Gaza après le conflit est une énorme déception pour moi.
À quoi attribuez-vous cette situation ?
Il y a un grand nombre de raisons différentes. Mais ce que je trouve malheureux, c’est que ça a toujours été lié aux négociations, qui ont elles-mêmes été très ardues et difficiles pour toutes les raisons que nous connaissons.
S’il y a une chose que les États-Unis ont apprise au cours de nombreux conflits – et surtout au lendemain de l’invasion de l’Irak en 2003 – c’est qu’il ne faut pas attendre après coup pour faire ce genre de planification, ce genre de planification post-conflit. Si vous le faites, c’est une catastrophe. C’est un manque de volonté politique qui se combine à de nombreux autres facteurs.
Concernant l’échec de ces efforts, il ne s’agit pas uniquement du refus de Netanyahu d’intégrer l’AP dans l’administration de Gaza après la guerre qui a fait échouer toute initiative de planification ?
Il n’a jamais caché son opposition à l’idée de laisser l’AP occuper une fonction quelle qu’elle soit à Gaza. Je pense que c’est une terrible erreur. Et si ce n’est pas l’AP, alors ce sera qui ? Les responsables israéliens eux-mêmes m’ont dit : « Ça ne peut pas être le Hamas, ni l’armée israélienne, ni le gouvernement israélien, nous ne voulons pas le chaos ». Eh bien, il n’y a pas d’autres options. Penser qu’un groupe d’États arabes viendra simplement faire pour Gaza ce qui est, en réalité, le devoir de l’AP, ça relève un peu de la pensée magique.

Mais est-ce que le refus de Netanyahu est le seul responsable ?
Non, pas du tout.
Les alliés arabes avec lesquels les États-Unis ont travaillé sur cette question ont-ils affiché la volonté et l’esprit de partenariat nécessaires ?
Pendant de nombreux mois, il y a eu une forte réticence de leur part à s’engager dans ces discussions – pour la raison évidente que les opinions publiques exerçaient des pressions sur tous les gouvernements en les sommant de se focaliser uniquement sur le présent, c’est-à-dire sur la fin du conflit. S’engager dans des discussions sur ce qui paraissait, aux yeux des populations, comme un futur encore indéterminé semblait, pour ces dernières, être une erreur. Au fil du temps, cette attitude a changé. Mais on ne peut pas attendre de ces gouvernements qu’ils se chargent de cette planification. Cette planification, elle doit vraiment commencer de la part des parties concernées au premier niveau et ces parties, à mon avis, ce sont Israël et l’AP. Si la planification n’a pas lieu à ce niveau-là, alors il est impossible de se décharger de cette tâche en la mettant entre les mains d’autres intervenants.
Lors des points-presse du département d’État, les journalistes posent souvent la question suivante : « Pourquoi les États-Unis ne peuvent-ils pas simplement exercer plus de pressions sur Israël ou mettre une ligne rouge à Netanyahu, en lui disant : « Les choses se passeront ainsi et pas autrement ? »
Nous avons partagé notre propre expérience. Nous avons malheureusement constaté, en 2003 et 2004, les dévastations en termes humains, les coûts terribles en vies humaines et en argent, les destructions, etc. Il était donc évident pour nous – et je pense que c’était aussi évident pour certaines parties de l’armée israélienne – d’anticiper ce qui est susceptible de survenir en l’absence d’un plan. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on peut obliger un autre pays à faire – tout comme personne n’a pu nous obliger à le faire en Irak. Nous avons dû apprendre à nos dépens que nous aurions dû le faire. Nous en avions la responsabilité. Sinon, nous perdions des soldats, des civils mouraient, etc. Et ce n’est pas la responsabilité des pays arabes de faire une telle planification [dans le cas de Gaza].

Dans certaines des conversations les plus sincères que j’ai pu avoir avec des représentants de l’administration, mes interlocuteurs ont pu reconnaître qu’une partie de la proposition de cessez-le-feu des États-Unis était susceptible de permettre au Hamas de se maintenir dans la bande de Gaza, sous une forme ou une autre. Les responsables américains disaient que l’idée était de mettre en place un gouvernement alternatif mais que ce gouvernement devrait rivaliser avec le Hamas et qu’elle devrait le surpasser, en matière de gouvernance et de sécurité à Gaza, de façon à ce que les Palestiniens soient en mesure de voir qu’il existe une meilleure alternative au Hamas.
Il est possible de mieux gouverner et de mieux sécuriser Gaza en permettant aux Palestiniens de se charger de ce travail. Il y a l’AP, les technocrates palestiniens qui participeraient à cette initiative, qu’ils viennent de Gaza ou de Cisjordanie. Ce n’est pas sorcier. Il faut avoir une alternative. C’est la nature même de tout conflit ou de toute situation où il y a une insurrection – et le Hamas serait sans doute à l’origine d’une nouvelle insurrection. S’il ne peut pas gouverner, il se transformera à nouveau en mouvement d’insurrection. Il faut donc mieux gouverner. Il faut également mieux assurer la sécurité. Il n’y a pas d’alternative à l’AP. Et l’AP est le seul gouvernement autonome que les Palestiniens aient jamais eu, un gouvernement créé par Oslo.
Mais ce que Netanyahu dirait, c’est : « Vous nous demandez d’accepter un cas de figure – ou vous dites aux gens d’accepter un cas de figure – où il y aura toujours une présence du Hamas à Gaza. La probabilité qu’un gouvernement alternatif permette, dans les faits, de diriger Gaza, avec un Hamas qui y serait toujours présent, est une probabilité très faible. Difficile donc de vous attendre à ce que nous fassions confiance à cette proposition ». C’est pour ça que les Israéliens essaient de se battre et ce, jusqu’au dernier terroriste du Hamas.
Mais cela revient à se battre jusqu’au dernier soldat israélien. Vous perdez des soldats israéliens – si ce n’est pas tous les jours, c’est le cas en tout cas plusieurs fois par semaine. Cette approche a un coût. C’est un cliché et pourtant, c’est vrai : le Hamas est une idéologie. Il faut la combattre avec autre chose. C’est la leçon à tirer des insurrections de ce type dans le monde entier. Il faut les dépasser. Il faut avoir une alternative politique. On ne peut pas se satisfaire d’une approche énergique. Jamais vous ne serez en mesure d’éliminer jusqu’au dernier membre ou jusqu’au dernier terroriste du Hamas – mais vous pourrez le faire par le biais d’une combinaison d’autres moyens. Offrir une alternative de gouvernement est un élément essentiel là-dedans.
Par conséquent, est-il admis – et je ne pense pas que les responsables américains aient voulu ouvertement le dire – que le Hamas serait susceptible de se maintenir au pouvoir d’une manière ou d’une autre, après la conclusion de cet accord ?
Non, parce que les choses ne sont plus les mêmes. Ce n’est plus du tout la même chose. Le Hamas a été anéanti en tant que force militaire conventionnelle. Il a été largement mis hors d’état de nuire en tant que force de gouvernement. D’après tous les récits que j’ai entendus, d’après tout ce que j’ai pu lire, quand j’ai parlé à des Palestiniens ou à d’autres personnes qui s’entretiennent avec les habitants de Gaza, il y a une révulsion forte à l’encontre du Hamas. Il y a une vive répulsion à l’égard du mouvement et de ses dirigeants pour ce qu’il a engendré. Y aura-t-il des membres du Hamas disséminés dans la population ? Ça ne fait aucun doute. Seront-ils en mesure d’imposer une gouvernance ? Non, si les conditions appropriées sont réunies – et la structure adéquate pour s’en assurer serait l’AP, avec une participation substantielle de la communauté internationale, un soutien technique et une rigueur dans la mise en œuvre des responsabilités fiscales et autres.

Mais pourquoi le Hamas accepterait-il de renoncer unilatéralement à son pouvoir de gouvernance ?
Parce que le Hamas n’a pas la capacité de s’imposer aux deux millions d’habitants de Gaza. Si vous permettez à l’AP, si vous permettez à une alternative de se mettre en place, c’est en soi la solution.
« Vous perdez des soldats israéliens – si ce n’est pas tous les jours, c’est le cas en tout cas plusieurs fois par semaine. Cette approche a un coût. C’est un cliché et pourtant, c’est vrai : le Hamas est une idéologie. Il faut la combattre avec autre chose. C’est la leçon à tirer des insurrections de ce type dans le monde entier. Il faut les dépasser. Il faut avoir une alternative politique. »
Désolé de revenir à ma question précédente, mais permettez-moi d’en dire un peu plus… L’une des questions préférées des journalistes sur cette guerre, c’est de savoir qui est à blâmer pour l’absence d’accord à ce jour. On entend évidemment le président Biden, le secrétaire d’État Blinken et d’autres encore répéter que c’est le Hamas qui est responsable de l’impasse. Tout au long de ce processus, il n’y a jamais eu de moment où le blâme a été strictement attribué à Israël. Mais quand vous…
Je pense que le président a, indirectement, dans ses propos publics, établi clairement indiqué qu’il tenait les deux parties pour responsables.
Oui, mais il y a eu deux choses qui ont pu être dites : « Il faut que les parties prennent place à la table des négociations et qu’elles discutent » ou « La raison pour laquelle il n’y a pas d’accord en ce moment, c’est le Hamas ». Jamais Israël n’a été pointé directement et uniquement du doigt. Mais quand je me suis entretenu avec des responsables égyptiens et qataris ou avec des membres de l’équipe israélienne chargée des pourparlers, et même avec certains responsables américains, certains ont admis qu’il y avait eu des moments où le Premier ministre Netanyahu avait été le principal obstacle.
Dans l’interview qu’il a accordée au New York Times il y a quelques jours, Blinken, le secrétaire d’État, a expliqué que les États-Unis s’étaient rendus compte que chaque fois qu’ils critiquaient ouvertement Israël, cela amenait le Hamas à durcir ses positions. Ce que j’ai retenu de ses propos, c’est que les Etats-Unis n’auraient jamais mis en cause Netanyahu dans le problème de l’impasse des pourparlers parce que cela conduirait le Hamas à devenir plus intransigeant. Cette interprétation est-elle juste ?

Il y eu des moments où Israël a traîné les pieds, où Israël a remis en question ses positionnements, etc… Je pense que le secrétaire d’État a bien résumé la situation en disant que nous avions… une structure de négociations très difficile à mettre en place. Vous avez un gouvernement que vous pouvez voir, toucher, à qui vous pouvez parler très directement [en Israël], et qui est lui-même soumis à toutes sortes de pressions de la part du public, de la part des différentes ailes politiques, de la part de l’opposition à différents moments, de la part des communautés extérieures.
Ensuite, vous avez le Hamas, et vous avez ceux qui sont susceptibles d’exercer des pressions dessus, mais sur des personnes qui ne prennent pas les décisions – parce que ce sont les décisionnaires du Hamas, dans les souterrains, qui prennent les décisions. La question qui s’est posée au plus haut niveau de notre gouvernement a été de savoir comment faire pression sur les deux parties pour qu’elles s’assoient à la table des négociations. Exercer ouvertement des pressions sur le Hamas, on pouvait le faire.
La différence, c’est qu’il y avait deux parties que les États-Unis et les pays médiateurs ne pouvaient pas toucher de la même manière, deux parties sur lesquelles ils ne pouvait pas faire pression de la même façon. L’une des parties avait des préoccupations en matière de sécurité que les États-Unis partageaient souvent, face à d’autres éléments de ce que l’on appelle l’axe de la résistance.
La question d’une brèche apparaissant publiquement entre les États-Unis et Israël, la question d’un désaccord a été une inquiétude constante en termes de dissuasion dans un sens stratégique plus large, ainsi que dans le cadre des négociations sur les otages proprement dites.
Je ne pense pas que ça ait été un secret qu’à certains moments, c’est le Premier ministre [israélien] qui a posé problème. Mais au cours de cette dernière période, c’est le Hamas qui a constamment piétiné, traîné les pieds, qui n’a pas voulu prendre certaines décisions, qui est revenu sur certains positionnements antérieurs, sur des négociations antérieures. Il semble que nous soyons enfin proches d’une conclusion, mais nous sommes déjà passés par là, et c’est presque toujours le Hamas, [en particulier] les dirigeants qui se trouvent dans les souterrains, qui font du sur-place.
Ce qui ne veut pas dire qu’aucune pression n’a été exercée [sur Israël]. Des pressions ont été exercées de toutes parts – y compris, évidemment, au sein de son propre gouvernement, au sein des partisans de Netanyahu, etc. Notre pression est donc venue s’y ajouter.

Quelle est votre réaction dans le débat portant sur la nécessité de faire pression sur l’Égypte et le Qatar pour qu’ils exercent des pressions plus lourdes sur le Hamas ?
Ecoutez, j’ai toutes les raisons du monde de penser que les Egyptiens et les Qataris se sont dévoués de manière totale, absolue, à cette tâche – une tâche qui a parfois été ingrate – très précisément en raison des coups de boutoir qu’ils ont reçus périodiquement et qui provenaient de directions diverses. Ils ont été sérieux, engagés, méthodiques, infatigables. Je serai toujours reconnaissante à l’égard de ces deux gouvernements pour l’engagement personnel de leurs dirigeants et pour celui de leurs équipes de négociation. À certains moments, la santé de certains négociateurs a failli être mise à mal.
« Je ne pense pas que ça ait été un secret qu’à certains moments, c’est le Premier ministre [israélien] qui a posé problème. Mais au cours de cette dernière période, c’est le Hamas qui a constamment traîné les pieds. »
Certains ont affirmé que l’Égypte et le Qatar n’avaient rien pu faire pour influencer les dirigeants du Hamas à Gaza – mais les États-Unis ont ensuite demandé au Qatar d’expulser les responsables du Hamas de Doha, comme s’ils voulaient faire pression sur le Hamas pour qu’il prenne les négociations au sérieux. Que s’est-il donc passé alors ?
Cette initiative n’a pas été prise contre le Qatar. Elle visait à faire comprendre clairement au Hamas qu’il y avait des prix à payer et que ça ne suffirait pas de se contenter de rester tranquillement à Doha en faisant traîner les choses en longueur. Ce qui n’est pas incompatible avec notre point de vue, un point de vue qui est que ce sont le Qatar et l’Égypte qui ont fait le plus dur depuis le début.
Ce qui semble être une manière d’admettre que le Qatar était susceptible de jouer un rôle en exerçant des pressions sur le Hamas, en l’expulsant du Qatar.
C’est vrai, mais c’est quelque chose qu’on ne peut faire qu’une fois. Ce n’est pas une carte qu’on peut jouer plusieurs fois. Les Qataris ont toujours été conscients du fait que nous pourrions leur demander de le faire, et ils ont clairement indiqué qu’ils appréciaient nos relations. Il n’y a aucune comparaison entre la relation qu’ils entretenaient avec nous, ou qu’ils entretiennent avec nous, et celle qu’ils entretenaient avec le Hamas en tant qu’hôte.

On ne peut jouer cette carte qu’une seule fois, mais pourquoi avoir attendu treize mois pour le faire ?
On en était arrivé à ce point où l’on s’était dit qu’ils n’étaient pas sérieux.
En y repensant, aurait-il fallu agir plus tôt ?
Je ne sais pas vraiment ce que ça aurait changé si nous avions agi plus tôt. Je pense qu’il est impossible de le dire. Le [Hamas] avait ses propres calculs, qui ont souvent été difficiles, voire impossibles à discerner, et les dirigeants, dans leurs tunnels, ont fait leurs calculs en se basant sur des choses que nous n’avons pas pu toujours comprendre, même avec les meilleurs renseignements. Il est clair que [l’ancien chef du Hamas] Yahya Sinwar et son frère avaient compté sur une illusion – en fin de compte – qui était que le Hezbollah serait capable de s’en prendre à Israël de manière si féroce qu’il ôterait toute la pression qui pesait sur eux et sur la bande de Gaza. Ils ont cru que le Hezbollah était prêt à le faire. En fait, au fil du temps, les choses se sont déroulées très exactement dans le sens inverse. Et pourquoi font-ils traîner les choses en longueur aujourd’hui ?… Je pense qu’ils sont dans leur propre monde.
Le président Biden a présenté cette proposition en plusieurs phases qui est restée à la base des négociations. Serions-nous dans cette situation de négociations interminables si le cadre avait simplement été la libération de tous les otages en échange de la fin de la guerre ?
Je crains que cette question ne soit pas de mon ressort. Il m’est difficile de revenir en arrière et de revenir sur quinze mois en disant : « Nous aurions dû faire ceci ou cela ». Il me semble toutefois que la poursuite de la guerre présente des avantages qui ne cessent de décroître. C’est ce que le secrétaire d’État affirme depuis plusieurs mois. Il n’y a pas de gains stratégiques à obtenir, il n’y a pas d’objectifs militaires stratégiques à atteindre. L’armée israélienne elle-même l’a reconnu.
Netanyahu parle de démanteler les capacités de gouvernance du Hamas.
Elles ont déjà été démantelées.

Netanyahu et de nombreux responsables israéliens affirment que le Hamas contrôle toujours l’aide qui arrive à Gaza.
Je ne pense pas que le Hamas contrôle les aides. Le climat est anarchique à l’extrême à l’intérieur de Gaza. Et encore une fois, si vous ne permettez pas la mise en place d’une gouvernance [alternative], le Hamas reviendra – d’une manière brutale – et il se reconstruira. Il s’agit donc d’une dynamique circulaire qui doit, en toute logique, être brisée.
Sur la question des victimes civiles à Gaza, l’un de vos anciens collègues [l’ancien secrétaire-adjoint aux affaires israélo-palestiniennes], Andrew Miller, a déclaré ce week-end à l’émission « 60 Minutes » qu’Israël avait une tolérance au risque plus élevée que les États-Unis en ce qui concerne les pertes civiles. Selon lui, il est arrivé qu’Israël estime qu’il valait la peine de détruire un bâtiment tout entier pour tuer un terroriste de haut rang, même si ça signifiait que des dizaines de civils trouveraient la mort au cours de l’opération. Est-ce une évaluation juste concernant la manière dont Israël a abordé la question des victimes civiles ?
Je ne pense pas réellement avoir quelque chose à ajouter.
Et que dire des affirmations qui ont laissé entendre que les États-Unis avaient imposé un embargo sur les armes à Israël ? Je pense que [l’ancien ambassadeur américain en Israël] Jack Lew, dans une interview accordée à mon patron, avait essayé de réfuter cette affirmation en expliquant, en gros, qu’il y avait parfois un ralentissement de la procédure accélérée, mais qu’il n’y a jamais eu d’embargo à proprement parler.
C’est tout à fait exact. Un ralentissement de la procédure accélérée, ce n’est pas un embargo. Ce n’est tout simplement pas le cas. Et il y a eu des efforts qui ont été livrés pour améliorer les choses – très certainement dans les premiers mois qui ont suivi le début du conflit. Le Hezbollah avait commencé ses attaques et, au fil des mois, le rythme de la menace s’est accéléré. C’est à ce moment-là qu’il y a eu une accélération [des livraisons d’armes américaines à destination d’Israël]. Je suis sûr que l’ambassadeur Lew l’a exprimé aussi bien que n’importe qui d’autre. Mais il n’y a pas eu d’embargo.

Je voudrais revenir sur la lettre portant sur l’aide militaire – l’échéance à trente jours que les secrétaires Blinken et Austin avaient transmise au mois d’octobre. Cette lettre faisait part d’une série de critères spécifiques qu’Israël devait absolument respecter, sous peine de voir l’aide militaire compromise. En fin de compte, Israël n’a pas respecté la plupart de ces critères, mais l’administration Biden a estimé que les progrès réalisés étaient suffisants pour poursuivre l’assistance militaire. L’administration a défendu la façon dont les choses se sont déroulées. Avec le recul, pensez-vous que la question a été gérée de la bonne manière ?
Ça a été une initiative exceptionnellement complexe et difficile de notre part, une initiative qui a nécessité d’utiliser de nombreux éléments différents – et, en dernier lieu, le travail effectué par une envoyée humanitaire exceptionnellement dévouée, Lise Grande.
Mais avec Jack Lew, avec de nombreux autres éléments de notre gouvernement, cette lettre a été une initiative visant à établir de façon très claire les choses qu’Israël continuait à ne pas vouloir faire, les choses qu’Israël devait faire et surtout, les changements structurels qui devaient avoir lieu dans son approche de l’acheminement de l’assistance et dans la gestion des questions humanitaires en général à Gaza.
La situation humanitaire est désastreuse. Elle le reste et elle s’est progressivement aggravée au cours des six derniers mois. Dans la lettre, il y avait des choses qu’Israël pouvait faire en même temps que les changements structurels recommandés, qui n’ont pas encore été faits. Ces changements structurels – comme la réouverture d’un corridor commercial pour la circulation des marchandises, des pauses opérationnelles d’une journée ou de plusieurs jours pour que les aides puissent être déplacées, un couloir clairement géré et sécurisé pour acheminer les biens humanitaires jusqu’aux entrepôts et jusqu’aux lieux de livraisons – ce sont des changements qu’Israël peut tout à fait faire. Et il y en a beaucoup d’autres. Ce courrier n’était qu’un outil parmi de nombreux autres pour changer radicalement les choses. En fin de compte, tout ça relève de la responsabilité d’Israël.
Vous n’avez donc pas le sentiment que vous auriez pu agir différemment ? Ou que vous n’auriez pas recommandé cette approche de la lettre, sachant comment ça s’est terminé ?
Il y a un million de façons différentes d’aborder ce genre de situation. C’est l’une des pires catastrophes humanitaires que nous ayons connues depuis des années, et ce dans le monde entier. Et avec des caractéristiques uniques. Mais les choses qui ont été décrites [dans cette lettre], ce sont des choses qu’Israël devrait faire. Le fait de les officialiser sous la forme d’un courrier a donc été un moyen de présenter aussi clairement que possible la situation au gouvernement israélien.

Mais l’objectif, pour Israël, était-il de répondre à toutes ces demandes ou simplement d’avancer dans la bonne direction ?
L’objectif, bien sûr, était de faire en sorte que les Israéliens répondent à ces demandes. Les changements structurels – ceux que je viens d’énoncer – sont ceux qui seront finalement les plus importants.
Pensez-vous qu’il y aurait eu une approche différente dans la manière de répondre aux progrès réalisés par Israël – pas à la réalisation des objectifs fixés – si Kamala Harris avait remporté l’élection ? Après tout, le courrier avait été envoyé avant le scrutin, mais l’échéance fixée dans le courrier était arrivée juste après ?
Il y a un million de manières différentes d’aborder ce genre de problème. Il s’agit de l’une des pires catastrophes humanitaires que nous ayons connues depuis des années et ce, dans le monde entier.
Ce n’est qu’une hypothèse et je suis dans l’incapacité de répondre.
Le calendrier politique a-t-il été intégré dans le calcul ?
Non, pas à ma connaissance.

L’une des choses que vous avez dites, c’est la façon dont vous avez œuvré à rétablir les relations avec les Palestiniens. Quel regard portez-vous sur cet effort ?
Nous avons reconstruit nos relations. Nous avons rétabli l’aide, qui était essentielle pour la société palestinienne. Mais nous n’avons pas pu emprunter les voies qui s’offraient à nous – l’une d’entre elles consistait à entamer un véritable processus politique, ou des négociations.
Ce qui s’est passé le 7 octobre a fait dérailler toute perspective de démarrer quelque chose. Je dis « dérailler » parce que ça n’a pas été un coup mortel. Clairement, nous étions en train de travailler dans le cadre des discussions portant sur la mise en place d’une feuille de route en faveur des Palestiniens, via un accord de normalisation avec l’Arabie saoudite, en 2023, et ces discussions ont déraillé. En fin de compte, il faut juste espérer que l’administration entrante s’occupera de tout ça.
Comment imaginiez-vous cette feuille de route ? Qu’allait-elle exiger d’Israël ?
Je ne vais évidemment pas entrer dans les détails car il s’agit d’informations qui sont encore confidentielles. Mais nous n’en étions pas encore au point d’assembler les pièces du puzzle ou d’ouvrir un dialogue approfondi avec les Israéliens à ce sujet.
Cet accord n’était donc pas encore sur le point de se concrétiser avant le 7 octobre. C’est ce que l’on entend parfois.
Nous étions sur le point d’entrer dans une nouvelle phase très importante. Mais non, le secrétaire d’État l’avait dit à plusieurs reprises. Nous partions d’ailleurs en déplacement, cette semaine-là, pour entamer ces discussions.

Ce que j’ai pu entendre de la part de différents responsables concernés, c’est que le prix de la composante palestinienne, dans l’accord, avait augmenté après le 7 octobre. Est-ce que c’est exact ?
Oui, le prix a augmenté. Mais je dois être honnête, je déteste le terme « prix » – c’est comme s’il s’agissait d’une facture de boucher à payer. Nous parlons de la destinée de millions de personnes qui ont cherché pendant des décennies à obtenir un État. C’est une quête que nous avons reconnue comme légitime et cela a été le cas à travers plusieurs administrations. Il ne s’agit pas seulement d’un « prix à payer », ni d’une petite transaction mineure. C’est quelque chose d’énorme dans la vie de ces gens.
Je n’ai jamais cru, pour ma part, que les Saoudiens allaient se contenter d’approuver quelque chose de purement rhétorique [en ce qui concerne la création d’un État palestinien]. Nos discussions ont clairement montré que ce n’était pas ce qu’ils avaient à l’esprit. Mais les Saoudiens exigent-ils désormais une mise de fonds initiale plus importante pour cet éventuel État ? Oui, absolument.
Pourquoi s’engager de manière si intense dans ces négociations si Netanyahu n’acceptera jamais ce prix à payer ?
La nature même des négociations, c’est qu’on va dire toutes sortes de choses au début et qu’ensuite, on va passer aux choses sérieuses. Pour résumer, vous devez décider, en tant que leader d’un pays partie de ces négociations, si l’impératif est tel que vous allez devoir faire des concessions que vous ne pensiez pas faire.
Et vous pensiez que le gouvernement israélien actuel était capable de faire de telles concessions ?
Je ne le pensais pas – non. Je me disais que ça entraînerait très certainement une rupture. Mais ce n’est pas notre problème. De notre côté, nous avons essayé de créer un environnement et des conditions propices à d’éventuelles négociations. C’est à ce côté de la table qu’il appartiendra de déterminer comment fonctionneront les choses, dans le cadre de la politique intérieure israélienne. Il est certain que nous avons toujours entendu dire que d’autres personnalités politiques israéliennes étaient prêtes à s’investir pour faire la différence, le moment venu. Si une partie du gouvernement partait, elles étaient prêtes à intervenir en gardant à l’esprit qu’il est stratégiquement bon pour Israël de parvenir à un tel accord.

Pour en revenir au rétablissement des relations avec les Palestiniens, il y a eu beaucoup de frustration, à Ramallah, en raison du manque de suivi de certaines des promesses qui avaient été faites pendant la campagne électorales par le candidat Biden. Pensez-vous que cette frustration était justifiée ? Les États-Unis auraient-ils pu agir différemment en ce qui concerne la réouverture de certaines des missions à Washington ou à Jérusalem ?
Je regrette personnellement que nous n’ayons pas trouvé l’occasion de rouvrir le consulat. Il aurait évidemment fallu en discuter avec le gouvernement israélien. Mon sentiment est qu’il y avait certainement un moyen de le faire, sans donner le sentiment que nous reculions par rapport à la décision initiale [de Trump] de transférer l’ambassade à Jérusalem. Ça aurait pu être un autre signe de notre engagement à l’égard des Palestiniens, de notre engagement en faveur de l’établissement d’un État bien à eux.
Comme l’avait dit le président Trump lorsqu’il avait annoncé le transfert de l’ambassade à Jérusalem, les limites de Jérusalem sont encore ouvertes à la négociation. En fin de compte, ce sont les Palestiniens qui ont été le plus frustrés par l’absence de processus. Comme on nous l’a constamment rappelé, nous avons été la première administration à ne pas avoir livré d’efforts en ce sens [pour des pourparlers de paix]. C’est donc un regret, c’est certain.
Avec le recul, qu’il s’agisse de la question du consulat de Jérusalem ou de manière plus générale, y a-t-il eu une ouverture que vous pensez avoir manquée ?
La question n’est pas tant de savoir s’il y a eu, en effet, une ouverture. La question, ça a été plutôt de prendre la décision de faire ce qui était nécessaire de faire pour y parvenir. Il suffisait de prendre la décision [de rouvrir le consulat]. Mais chaque année, quand on y repense, il s’est passé quelque chose d’important : L’Afghanistan et les préparatifs dans le pays, les renseignements qui avaient indiqué la direction qu’empruntait la Russie à l’égard de l’Ukraine, en 2022, la quête d’un accord de normalisation, et tant d’autres événements. C’est l’une des choses que je peux voir avec le recul aujourd’hui et… j’aurais aimé que nous trouvions l’espace nécessaire pour le faire, mais nous ne l’avons pas trouvé, tout simplement.

Et en ce qui concerne les initiatives de réforme entreprises par l’AP, quel regard portez-vous sur ces quatre dernières années ?
Eh bien, j’ai rencontré le [nouveau] Premier ministre Mustafa. C’est un homme honnête. Je pense qu’il est solide. Il est sérieux. Entreprend-il les vastes réformes dont l’Autorité a besoin ? Peut-être pas. Un changement de génération est-il nécessaire ? Absolument. N’importe quel Palestinien dans la rue vous dira qu’il souhaite que l’Autorité palestinienne soit démantelée sous de nombreux aspects. C’est une structure qui n’a que trop tardé à faire le ménage, à accueillir du sang neuf, à accueillir une plus grande diversité de personnalités politiques.
« N’importe quel Palestinien dans la rue vous dira qu’il souhaite que l’Autorité palestinienne soit démantelée sous de nombreux aspects. C’est une structure qui n’a que trop tardé à faire le ménage, à accueillir du sang neuf, à accueillir une plus grande diversité de personnalités politiques. »
Vous dites « peut-être pas » en ce qui concerne les réformes. Qu’entendez-vous par là ?
Eh bien, je veux dire qu’il s’agit d’une organisation qui est encore très sclérosée. [Mustafa] fait tous les efforts possibles pour apporter de la transparence et un certain sens de la responsabilité. Mais c’est un travail de longue haleine.
Pensez-vous que Mustafa devrait être remplacé ?
Je ne suis plus une responsable américaine, mais ce n’est pas à moi de dire s’il doit être remplacé ou non.
Mais vous parlez de sang neuf. Il vient tout juste d’arriver.
Je parle simplement du Fatah et de l’infrastructure, en général, de l’Autorité palestinienne… [Avec] le Fatah et les structures dirigeantes palestiniennes en général, il y a une vieille génération qui n’a pas vraiment laissé de place aux jeunes.

Et [Abbas], comment aborde-t-il ce processus de réforme ? Pensez-vous qu’il soit sérieux ?
C’est difficile à dire. Mais le fait est qu’il occupe trois fonctions différentes (chef de l’Autorité Palestinienne, chef de l’OLP et dirigeant du Fatah). Un seul homme occupe trois fonctions différentes, ce qui n’est pas vraiment une manière d’agir très démocratique.
Sur la question des sanctions appliquées aux partisans du mouvement pro-implantation, un procès a récemment été intenté par deux personnes qui ont fait l’objet de sanctions et qui ont également la nationalité américaine. J’avais cru comprendre que ces sanctions n’avaient pas été mises en place pour viser des citoyens américains, et que ça poserait un problème juridique si c’était le cas. Dans ce cas précis, il se peut même qu’il y ait eu des négligences. Il y a eu un autre incident, avec une personne sanctionnée qui n’était pas la bonne et une nouvelle annonce a dû être publiée pour corriger son identité. La procédure a parfois semblé un peu précipitée. Qu’en pensez-vous ?
Rien n’a été précipité. Les choses ont été faites de manière véritablement prudente, de façon méthodique. Oui, des erreurs ont été commises. Mais quand elles se sont révélées, le Trésor et l’État ont agi très rapidement et elles ont été corrigées. Mais c’est la nature même du travail sur des sanctions : c’est un travail lent, minutieux et méthodique. On utilise de nombreuses sources d’information différentes. On valide, on revalide. Parfois, oui, le fait que quelqu’un ait eu une double nationalité n’a pas été remarqué mais rien n’a été précipité.
Sur ce point, l’administration a finalement décidé de ne pas sanctionner les ministres d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir. En même temps, tous les deux ont fait l’objet d’un véritable boycott. Pensez-vous que la manière dont l’administration a géré ces deux cas a été la bonne ?
Je ne vais pas juger le secrétaire d’État ou le président sur ce point. Mais ce que j’ai envie de dire, c’est que ces deux ministres ont eu un effet extrêmement destructeur sur la vie des Palestiniens, et donc sur la sécurité d’Israël.

Et pourtant, il n’y a pas eu de décision prise de les sanctionner.
Non, il n’y en a pas eu.
Parce que ?…
Il n’y en a pas eu. C’est tout.
« Ces deux ministres ont eu un effet extrêmement destructeur sur la vie des Palestiniens, et donc sur la sécurité d’Israël. »
Je sais que vous devez partir alors pour conclure, y a-t-il une anecdote que vous retenez en particulier de votre passage au gouvernement ?
Le 20 décembre. La route de Damas. C’est un souvenir que je chérirai toute ma vie. Ce fut une journée incroyable, du début à la fin.
Nous nous sommes retrouvés à l’ambassade [jordanienne] à quatre heures du matin et nous avons effectué un long et pénible trajet depuis la frontière jordanienne jusqu’à Damas. Nous avons été accueillis par le HTS (Hayat Tahrir al-Sham). Ils nous ont escortés toute la journée. C’était assez amusant. Il y avait un mélange d’officiers de sécurité militaires, des officiers diplomatiques, et il y avait des combattants de HTS – des gens très sympathiques, très polis – qui nous ont escortés toute la journée.

L’envoyé américain chargé de la question des otages, Roger Carstens, était présent dans le cadre de notre mission. La première partie de notre visite a consisté à nous rendre dans un complexe où nous pensons qu’il y avait, dans le passé, un centre de détention où Austin Tice, le journaliste américain, a été, selon nous, incarcéré à deux reprises. Roger est parti avec une équipe du FBI en haut de la colline pour visiter les lieux et pour voir s’il y avait d’éventuels éléments de preuves qu’il avait été détenu là – des graffitis, tout ce qui pourrait attester du fait qu’il a été retenu prisonnier là-bas. Pour ma part, je suis restée et j’ai déposé une gerbe en mémoire de toutes les victimes qui ont perdu la vie sur ce site et dans tout le pays.
Nous avons ensuite passé une journée remplie de rencontres avec la société civile, avec les Casques blancs, etc. La dernière réunion de la journée a eu lieu avec Abu Mohammad al-Julani, le chef du HTS – qui est maintenant Ahmed al-Sharaa.
Dans l’intervalle, nous nous sommes aussi entretenus avec nos employés syriens de longue date qui se sont occupés de notre ambassade et de la résidence, et qui attendaient tous avec impatience le jour de notre retour.
La journée a été extrêmement émouvante dans la mesure où tous les Syriens à qui j’ai parlé – qu’il s’agisse de l’un des hommes de HTS à qui j’ai longuement parlé et qui faisait partie de notre escorte, qu’il s’agisse de militants de la société civile syrienne, de Casques blancs, d’autres personnes avec qui nous avons discuté en chemin, de nos employés – tous ressentaient un puissant sentiment d’exaltation, d’euphorie. On pouvait presque le sentir dans l’air. L’air en était gorgé.
Et rencontrer ensuite le chef de cette organisation – une organisation inscrite sur la liste des groupes terroristes par la loi américaine, le chef d’une organisation terroriste désignée par la loi américaine – et avoir une discussion très sincère et réfléchie pendant une heure et demie… C’était surréaliste.
Je n’aurais jamais imaginé, au cours de ces dix à quinze dernières années, me rendre à Damas avant de quitter le gouvernement. C’était vraiment émouvant. C’est donc pour moi un moment fort de ces quatre dernières années.
Charlie Summers a contribué à cet article.