Peu après le début de la guerre qui oppose encore actuellement Israël au groupe terroriste du Hamas dans la bande de Gaza, l’autrice et scénariste Shiri Artzi avait participé à un projet particulier : Des écrivains avaient pris la plume pour rédiger les avis de décès des nombreuses victimes du pogrom commis, le 7 octobre 2023, par le Hamas au Kibboutz Beeri.
Connue pour ses livres « Boue » et « Histoires de rupture », Artzi, 52 ans, avait également organisé un atelier de travail pour les évacués du même kibboutz qui avaient trouvé refuge aux abords de la mer Morte.
Les membres du kibboutz Beeri avaient figuré parmi les nombreux résidents de l’enveloppe de Gaza qui avaient été dans l’obligation d’abandonner leurs habitations après le massacre commis par les hommes armés – 1 200 personnes avaient été brutalement assassinées et 251 personnes avaient été kidnappées, prises en otage dans la bande, dont 97 y seraient encore.
« L’atelier était consacré à la bienveillance du regard, à la bienveillance de l’écoute – à ce qu’il y a de bienveillant à incliner la tête pour entendre un chuchotement inaudible, pour apprendre à écouter ce dont les autres ont besoin », explique Artzi.
Fille du chanteur Shlomo Artzi, Shiri vit à Tel Aviv avec son époux, l’acteur Yiftah Klein, et leurs trois enfants. Nous avons réalisé cet entretien via Zoom après l’annulation de deux rencontres en présentiel – la première fois quand la journaliste que je suis a attrapé la COVID-19, et la deuxième fois lorsque c’est Artzi qui est tombée malade, avec un test positif au coronavirus.
Le Times of Israel a évoqué avec Artzi l’avis de décès qu’elle avait rédigé pour une inconnue, l’aide que lui apporte l’écriture en ces temps difficiles et la manière dont elle parvient à déceler de la beauté et de la vie dans le sillage de la tragédie.
The Times of Israel : Comment allez-vous ?
Shiri Artzi: C’est une question simple qui est devenue si compliquée… C’est une question qui, depuis le 7 octobre, suscite l’embarras, on cherche les mots pour y répondre. Chaque réponse semble maladroite, hésitante. Je vais bien mais de manière générale, tout va terriblement mal.
Et peut-être vais-je répondre avec une histoire : Il y a trois mois, j’ai organisé un atelier de travail d’écriture en trois parties à destination des évacués du kibboutz Beeri, qui vivaient dans un hôtel situé à proximité de la mer Morte. Au tout début, ils m’ont soumis une requête – celle de ne pas leur demander comment ils allaient. Ils m’ont dit que ce n’était pas une bonne question à poser. Alors, je leur ai demandé ce que je pouvais dire à la place et ils m’ont suggéré : « Comment a été votre semaine ? Quelles choses agréables vous sont donc arrivées cette semaine ? » Nous avons cherché des questions alternatives parce que c’est vraiment compliqué de répondre à une question comme : « Comment allez-vous ? »
Mais si vous insistez, j’ai un mal de gorge post-COVID et j’ai un petit espoir qui est encore au cœur – comme la flamme d’une allumette, cette flamme fragile que vous protégez à l’aide de votre main – s’agissant d’un accord sur les otages. Il y a de petites raisons d’espérer aujourd’hui et c’est la raison pour laquelle il est important d’aller manifester.
Et comment gardez-vous le moral ?
J’entends le ton quelque peu contrit qui accompagne votre question mais je pense que le moral est – c’est presque le cas, tout du moins – ce qu’il y a de plus important.
Pour continuer à vous répondre sur mon état actuel, je voudrais vous dire autre chose : Quelque chose que j’ai découvert au cours de la période que nous sommes en train de vivre – et ça rappelle une pratique bouddhiste – c’est que j’ai appris à vivre dans le présent. Je n’ai jamais été autant dans le présent que maintenant. Parce que l’avenir est tellement incertain, tellement flou, et parce que le passé ne semble plus avoir de pertinence dans un monde qui a été bouleversé, mis sens dessus-dessous, tout ce qui nous reste est de vivre au présent.
Depuis de nombreuses années, j’essaie de pratiquer la pleine conscience et cette pratique m’aide à faire face à la réalité, car je pense que tous ceux qui s’efforcent en permanence de garder le contrôle vont, en réalité, souffrir doublement. L’incertitude et le sentiment de ne pas avoir le contrôle de ce qui se passe entraînent une grande détresse et j’essaie de me débarrasser de ça.
Je suis dorénavant dans un état d’esprit où la seule chose qui existe de manière totale, absolue, c’est le moment présent – et c’est là-dedans que je tente de m’inscrire, c’est dans le présent que je m’efforce de vivre. Autre chose : Plus que tout le reste, la puissance de l’amour m’apparaît clairement. J’ai le sentiment que c’est la seule thérapie possible.
Que voulez-vous dire quand vous parlez d’amour dans ce contexte ?
J’ai rencontré des gens qui semblent être des roches taillées dans le chagrin. J’ai perçu ces molécules denses de la souffrance, ces tassements, ces détachements insondables d’êtres humains dont la vie s’est effondrée et qui se sont retrouvés plongés dans l’horreur la plus totale. Ils ont vécu dans des hôtels pendant des mois. C’est à la suite de ces rencontres que l’importance de la bienveillance m’est apparue de la manière la plus claire possible.
L’atelier d’écriture avait pour objectif d’essayer d’ébrécher un peu ces roches de souffrance et de les transformer en mots. Lors de l’une de nos réunions, je leur ai demandé de décrire une journée de leur vie. Certains ont proposé que tout le monde lise son texte en se présentant sous son numéro de chambre d’hôtel. Ils ont écrit des choses belles et émouvantes.
A cette occasion, une femme d’une trentaine d’années a apporté son point de vue de mère confrontée à l’éclatement de sa famille avec une famille dispersée, qui vit dans différentes pièces, sans espace familial commun. Elle a évoqué ses tentatives de maintenir un semblant de quotidien, cette chose que les mères font instinctivement. Elles œuvrent à broder la tapisserie familiale et voilà que soudain, elles perdent le fil. Comment réparer la tapisserie quand tout s’est effondré ?
Ensuite, dans son texte, elle a raconté que, chaque matin, elle descendait dans la salle à manger et que Khaled, le serveur, prenait grand soin à mettre du lait d’avoine de côté pour son café. Elle a écrit qu’ensuite, elle sortait fumer une cigarette et qu’elle s’obligeait à rassembler toute l’énergie nécessaire pour vivre chaque nouvelle journée. Ce lait d’avoine que Khaled lui apporte chaque matin, qu’est-ce que c’est si ce n’est pas de l’amour ?
Vous parlez de cette faculté de regarder les autres au-delà de la douleur, d’avoir une bonne influence.
Vous savez, j’ai pu constater l’importance d’une véritable étreinte entre deux personnes, même dans un contexte de tragédie inimaginable. Ce moment où une personne a le sentiment qu’elle peut partager le poids de sa souffrance avec une autre, c’est tellement important.
« J’ai pu constater l’importance d’une véritable étreinte entre deux personnes, même dans un contexte de tragédie inimaginable. Ce moment où une personne a le sentiment qu’elle peut partager le poids de sa souffrance avec une autre, c’est tellement important. »
Ce n’est pas vraiment possible car, en fin de compte, les êtres humains sont seuls. Mais s’il y a un moment où vous allez laisser quelqu’un partager une partie de son fardeau avec vous et où vous allez lui dire : « C’est bon, appuyez-vous sur moi, je peux le supporter – une petite partie tout du moins, mais venez et mettez votre tête sur mon épaule », alors il y a déjà de l’amour là-dedans. Et je pense qu’il est possible et qu’il est déterminant que chacun prenne ses responsabilités pour apporter ce soutien et ce autant que possible.
L’atelier était consacré à la bienveillance du regard, à la bienveillance de l’écoute – à ce qu’il y a de bienveillant à incliner la tête pour entendre un chuchotement inaudible, pour écouter ce dont les autres ont besoin.
C’est exactement ce qu’écrit Erich Fromm dans son livre « L’art d’aimer ». Il écrit que l’amour résulte d’une action, d’une décision, ce n’est pas quelque chose de passif.
L’amour, c’est se souvenir de la façon dont quelqu’un prend son café.
Qu’est-ce que ces rencontres vous ont apporté ?
Je pense que les rencontres où nous sommes présents en toute authenticité nous affectent – voire qu’elles peuvent nous changer. Je porte ces personnes dans mon cœur et je reste en contact avec elles. C’est comme dans la chanson d’Avtipus – « You told me yesterday you dream of me at night / it’s such a nice thing to know that someone is dreaming of you… » Je pense aussi, pour ma part, que quand on rêve de quelqu’un, on crée d’autres possibilités pour elle, on crée des répliques d’elle.
Et c’est vrai que cette période a entraîné une course au dédoublement, une course au souvenir. C’est une guerre contre l’oubli. Tant de personnes ont été assassinées ce jour-là et chaque parcelle de chaque mémoire nous est si chère. Il y a beaucoup de gens dont il faut se souvenir.
Quelques jours après la catastrophe, avant les funérailles de cent personnes originaires de Beeri qui avaient été assassinées, il y a eu un projet d’écriture d’avis de décès. Comme c’est le cas également dans de nombreux autres kibboutzim, à Beeri, on rédige un avis de décès pour les personnes défuntes au nom du kibboutz. On raconte un peu la vie des disparus. Les membres du kibboutz, qui étaient sous le choc, ne pouvaient pas faire face au nombre d’avis à rédiger. Ils sont donc entrés en contact avec des auteurs et ils leur ont demandé de participer à cette initiative.
Avant de commencer à écrire, j’ai participé à une réunion en toute urgence, sur Zoom, avec Delphine Horvilleur – une femme rabbin française qui a écrit le livre « Vivre avec nos morts » et qui aide les gens à vivre leur deuil. Nous lui avons demandé d’orienter les différents rédacteurs des avis sur la manière d’aborder les discussions avec les familles des victimes, pour pouvoir obtenir des informations. Je devais rédiger l’avis de décès d’une femme que je n’avais jamais rencontrée, je devais parler à sa fille et à ses sœurs. Je devais lui demander qui elle était pour pouvoir écrire sur elle.
Et qu’est-ce qui a été dit lors de la conversation avec Horvilleur ? Comment aborder les personnes dans ce type de situation ?
Ça a été une belle conversation et je me souviens que l’une des choses qu’elle a dites, c’était que la proximité de la mort et du deuil est quelque chose de très élevé au niveau spirituel et qu’il faut donc une écoute et une attention particulièrement attentives. Vous devez parvenir à entendre des choses par ailleurs cachées, inaudibles et invisibles, des choses qui se trouvent dans une zone crépusculaire entre ici et ailleurs. Vous devez parvenir à accéder à une sorte « d’ultra-son » – comme ces sifflements que seuls les chiens peuvent entendre – qui se perdent dans la difficulté du quotidien. Quelque chose qui, une fois encore, relève de la bienveillance, de l’amour.
Et tout particulièrement parce que cette période a été déchirante, je suis beaucoup plus attentive à ces fils légers, aux toiles d’or scintillantes qu’elle recèle – Ces toiles fines de la beauté. Lorsque je me promène avec mon chien, le matin, je vois la floraison jaune d’un arbre dont j’ignore le nom et la partie de joie que je porte en moi s’éveille, plus vive que jamais – surtout compte tenu de l’horrible climat de morosité générale.
Pour vous, est-ce insister sur la vie ? Ou est-ce choisir la vie ?
Je n’en suis pas sûre, mais je suis émerveillée par le yin et le yang de la vie. Cette existence simultanée ne cesse de m’étonner. La situation est tellement extrême que, d’une part, elle nous aveugle – même si nous ne faisons pas partie du cercle direct des personnes qui ont été touchées. Car combien de temps peut-on supporter la souffrance ? Combien de temps peut-on lire ou écouter les informations sans être blasé, sans être désensibilisé face à la souffrance ? Alors bien sûr, l’insensibilité augmente mais d’une manière étrange parce qu’avec ces montagnes de douleur, la beauté continue, mince et insistante de notre existence n’en ressort que davantage.
Oui, j’ai tissé de mes propres mains une toile faite de beauté et de bienveillance pour pouvoir continuer à vivre.
En tant que scénariste et autrice, l’écriture est un élément central de votre travail. Comment faites-vous pour continuer à écrire en ce moment – ou peut-être est-ce préférable de vous demander comment l’écriture vous permet de continuer à vivre ?
Je suis au beau milieu de trois projets de scénarios qui avaient commencé avant le 7 octobre. Il s’agit de trois séries télévisées pour adultes, dont deux sont déjà en cours d’écriture. Celle qui n’en est encore qu’au stade du développement est basée sur mon livre « Histoires de rupture ».
Je travaille avec des partenaires. Dans ce monde, les choses prennent beaucoup de temps, et dans les premiers instants qui ont suivi le 7 octobre, tout s’était figé. Nous ne pouvions rien faire.
Après avoir repris un peu nos esprits, nous nous sommes demandé ce que nous allions faire. Il m’a semblé impossible de poursuivre le scénario en l’état – car les personnages n’avaient pas connu le 7 octobre. Ils vivaient dans un monde ancien. Avec le temps, les choses ont changé. Elles ont adopté l’angle du présent. Comment ne pas le faire ? Je vois que tout ce que je fais prend tournure. Comme un corps qui a reçu un coup dur et qui a été fortement ébranlé. Comme un corps dont toutes les couches se sont réagencées de manière différente.
Et comment se rassembler quand tout s’est séparé ?
Un proverbe m’apporte toujours du réconfort : « Le chemin est plus sage que ceux qui l’empruntent ». Je me rappelle de quelque chose d’important : nous ne voyons qu’une petite partie de processus qui avaient commencé bien avant nous et qui se poursuivront loin devant nous. J’ai besoin d’essayer de comprendre l’inconcevable dans ma conscience, mais les mots me semblent inaptes à contenir les nouvelles définitions multiples de notre réalité.
Le combat intérieur que je mène, c’est celui de parvenir à une certaine forme de compréhension. Je sais que c’est une cause perdue – mais j’essaie de comprendre, et pour comprendre ce qui ne peut pas être compris, j’essaie d’agrandir intérieurement l’image, j’essaie de comprendre les processus et les événements historiques, je lis beaucoup d’articles sur l’Histoire des guerres, sur l’Histoire des régimes. D’une certaine manière, cela me permet de me retrouver moi-même, cela me permet de rassembler les choses, de dépasser les différences, les divisions.
Tenter de comprendre les divisions, c’est comme essayer de lire une langue étrangère, une langue qui n’existe pas a priori dans nos esprits. Je suppose que vous ne parlez pas cette langue.
Depuis le 7 octobre, je ressens encore davantage les différences entre les sexes, y compris chez moi. Dans les conversations avec les hommes qui m’entourent, j’entends : « Nous n’avons pas d’autre choix que celui de riposter ». C’est un positionnement agressif, très fort, dans lequel je perçois, pour ma part, une incapacité à accepter la défaite et l’impuissance – et j’ai délibérément choisi, de mon côté, l’idée d’un monde impuissant. L’impuissance la plus insupportable pour les hommes est le sentiment de défaite, et l’incapacité à se défendre.
Je n’avais jamais entendu de la part des hommes de mon entourage des réactions aussi extrêmes face aux violences sexuelles que celles que j’ai entendues en lien avec les abus qui avaient été subis par les femmes, ce jour-là. Cela peut paraître brutal, mais ces femmes salies ont également souillé l’honneur que place l’homme dans la revendication de la propriété. La guerre touche à ce qu’il y a de plus primitif dans l’âme.
D’une part, nous vivons en 2024, nous vivons à l’époque de l’intelligence artificielle. D’autre part, nous en sommes encore au stade de la tribu qui vivait dans une grotte et c’est difficile de comprendre cette dissonance. En fin de compte, tout le monde protège instinctivement les enfants mais en temps de guerre, nous retournons à des schémas primitifs – l’homme part se battre pour assurer la sécurité des enfants et la femme rassemble tous les enfants auprès d’elle, même ceux qu’elle n’a pas mis au monde.
La passion et le goût de la création sont-ils encore bien vivants en vous ?
Plus que jamais. Jamais je ne m’étais assise pour écrire pendant un nombre aussi élevé d’heures. L’art est mon refuge – c’est ce que j’ai compris, et le type d’art importe peu dans la mesure où l’acte de création est une guérison en soi. Le mouvement des doigts sur le clavier est le mouvement du cœur et le mouvement contre l’immobilisme, contre la fossilisation, contre la pétrification.
La passion pour l’art est un havre, c’est un endroit où l’on peut se réfugier, se réconforter – et c’est également lié à la beauté. Face à ce sentiment que tout a sombré dans le chaos, je dois me raccrocher à quelque chose de solide. Mes lectures ont également changé en conséquence.
Qu’est-ce qui a changé ?
J’ai beaucoup de lectures qui s’imposent. Je lis beaucoup plus de textes que je dois lire que de textes que j’ai vraiment envie de lire. Mais la manière dont je lis maintenant est similaire à la façon dont j’ai appris à regarder les fleurs dans la rue. Parfois, j’ai le souffle coupé tant je me sens émerveillée.
Ces dernières années, j’ai dirigé un club de lecture. C’est un groupe qui a fait un long chemin avec moi. Une fois par mois, nous choisissons un livre et nous le lisons ensemble et lors de ces rencontres, nous découvrons un esprit collectif complètement mis à nu et c’est quelque chose de merveilleux. Les gens prennent place dans la salle pour écouter l’histoire et il y a de la bienveillance.
Dernièrement, j’ai animé une réunion qui était consacrée au roman « Avec vue sur la mer » de David Vogel et c’était comme s’administrer une dose de beauté. Je sens que j’ai besoin de doses de beauté comme celle-là.
Lorsque vous lisez, vous êtes prêt à adopter la vie, la pensée, les yeux et l’âme d’autrui. Vous allez au plus loin de vous-même et, en même temps, vous restez au plus près de vous-même. La lecture est aussi un voyage qui vous emmène vers de nouvelles contrées, comme un balai magique qui vous permettrait d’entrer dans une autre âme, comme une flèche qui vous transperce dans les parties les plus profondes de vous-même. La lecture vous permet, de manière subliminale, de vivre des expériences de grande envergure. Lire, c’est s’émerveiller. Et écrire aussi.
Hier, lors d’un dîner en famille, j’ai proposé à chacun de raconter quelque chose de positif arrivé récemment. J’ai dit pour ma part que la chose la plus positive qui est entrée dans ma vie, c’est l’enseignement. J’ai commencé à enseigner l’écriture.
Quelle œuvre d’art vous a touché récemment ?
« Une vie ininterrompue » d’Etty Hillesum. Je pense que c’est le mode d’emploi de notre temps. C’est tout ce sur quoi j’ai tenté de me concentrer. Et tout y est sublimement écrit.
Pourriez-vous dire que ce livre n’est pas seulement beau d’un point de vue purement littéraire, mais qu’il a aussi changé quelque chose en vous ?
Je veux le croire. Je pense que ce que j’ai compris à travers ses écrits, c’est la nécessité de déterminer sur quoi je dois porter mon regard. J’ai l’impression qu’il y a un choix à faire, celui de conserver un regard qui se porte simultanément et avec attention sur la souffrance et sur la beauté. Parce que je suis là.
Sans la culpabilité du survivant ?
Non, et je vais vous dire pourquoi. J’ai compris que la culpabilité n’était pas un sentiment productif. Un jour, Yiftah, mon partenaire, m’a dit, alors que je me plaignais d’une culpabilité récurrente : « Shiri, c’est un échec. Soit tu arrêtes de te sentir coupable, soit tu trouves quelque chose à faire pour arranger les choses, pour les améliorer. »
J’essaie donc autant que possible de ne pas ressentir de culpabilité – mais de l’amour. Chaque vendredi soir, j’allume des bougies et je dis une prière. J’ai adopté ce rite il y a sept ans, après le décès de ma tante, Nava Semel, et de ma grand-mère. Je prie pour mes amis, je prie pour mes proches et pour le monde entier, et à la fin de la prière, je demande toujours à Dieu d’être une réserve d’amour pour autrui.