Israël en guerre - Jour 369

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Un homme passe devant un panneau de campagne qui montre Sami Abu Shehadeh, chef du parti nationaliste Balad, à Umm al-Fahm, dans le nord d'Israël, le 21 octobre 2022. (Crédit : AP/Mahmoud Illean)
Un homme passe devant un panneau de campagne qui montre Sami Abu Shehadeh, chef du parti nationaliste Balad, à Umm al-Fahm, dans le nord d'Israël, le 21 octobre 2022. (Crédit : AP/Mahmoud Illean)
Le Carnet du journaliste

Le désespoir, un facteur décisif pour le taux de participation arabe

Même les prévisions les plus optimistes évoquent un taux de 50% ; la rupture entre Balad et Hadash-Taal offre aux opposants à la coopération avec le gouvernement un nouveau foyer

Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.

Un homme passe devant un panneau de campagne qui montre Sami Abu Shehadeh, chef du parti nationaliste Balad, à Umm al-Fahm, dans le nord d'Israël, le 21 octobre 2022. (Crédit : AP/Mahmoud Illean)

UMM AL-FAHM — La ville d’Umm al-Fahm, dans le nord du pays, a accueilli son tout premier festival du tourisme dans la journée de samedi, avec au programme des ateliers artistiques et culinaires, des visites de galeries d’art locales et des discussions avec les familles-hôtes autour d’un bon café.

Ce sont des centaines de visiteurs juifs qui ont fait le déplacement dans cette ville arabe israélienne à cette occasion – et un grand nombre n’ont pas eu un long chemin à faire pour aller à la rencontre des habitants d’Umm al-Fahm qui sont, après tout, leurs compatriotes.

« Nous avons tendance à ne pas penser beaucoup à nos voisins arabes jusqu’au moment où il y a des élections et que nous réalisons que nous avons besoin d’eux afin d’empêcher le retour de Netanyahu », s’exclame Tali Gan-Zvi, originaire de Kiryat Tyron, à une trentaine de kilomètres d’Umm al-Fahm. Elle déclare être de gauche.

Ce festival a lieu trois jours seulement avant les élections à la Knesset et en résultat, cette travailleuse sociale à la retraite note qu’un grand nombre de discussions qu’elle a pu avoir avec les habitants d’Umm al-Fahm ont été consacrées à la politique.

« Nous, les Juifs, nous n’avons réellement aucune idée du degré de frustration et de désespoir qu’il y a ici. Il semble que ce sont les deux émotions qui orientent les décisions concernant la manière de voter des habitants, s’ils décident de voter », indique-t-elle alors qu’elle est installée dans la navette qui la fait sortir de la ville après les réjouissances, qui ont été organisées dans les rues venteuses, étroites et mal pavées de la localité.

Au cours du scrutin précédent, il y a moins d’un an et demi, 33 % seulement des électeurs sont allés mettre un bulletin dans l’urne à Umm al-Fahm — 11 points de pourcentage de moins que la moyenne enregistrée dans les villes arabes, et la moitié du taux de participation national.

Des Juifs israéliens aux abords de l’habitation des Jabarin après un atelier de cuisine pendant le festival du tourisme d’Umm al-Fahm, le 29 octobre 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)

Une partie de ce taux de participation médiocre, en 2021, avait été attribuée à la scission de l’alliance de la Liste arabe unie, qui réunit les formations à majorité arabe et qui avait bénéficié de plus de 95 % des suffrages dans la localité lors des deux votes antérieurs, qui s’étaient tous les deux distingués par une plus grande mobilisation des électeurs. Ce qui n’augure rien de bon pour mardi, où les trois factions arabes – le parti islamiste Raam, le communiste/nationaliste Hadash Taal et Balad, qui se situe sur une ligne plus dure, se présentent séparément.

Toutefois, Yanal Jabarin, qui vit à Umm al-Fahm, suppose que le taux de participation dans la deuxième plus importante ville arabe d’Israël va grimper – même si ce ne sera pas nécessairement dans la direction attendue par de nombreux observateurs.

« Il y aura encore beaucoup de gens qui ne voteront pas ici, mais il y a une chance réelle que Balad devienne la surprise de ce scrutin dans la mesure où de nombreux jeunes et de nombreuses personnes qui votaient normalement pour Hadash-Taal se tournent dorénavant vers Balad, », déclare Jabarin qui est coordinateur de projet à Sikkuy, une organisation qui fait la promotion du partenariat entre Juifs et Arabes.

Depuis qu’elle s’est séparée de Hadash-Taal, le mois dernier, Balad, la faction de Sami Abou Shahadeh, a été dans l’incapacité de franchir le seuil de représentation électorale permettant d’intégrer la Knesset dans les sondages – ce seuil est de 3,25 % – et il devrait donc rester à la porte au Parlement israélien.

Sami Abu Shehadeh, à gauche, membre de la Knesset et chef du parti nationaliste Balad, rencontre des citoyens israéliens pendant sa campagne électorale à Umm al-Fahm, dans le nord du pays, le 21 octobre 2022. (Crédit : AP Photo/Mahmoud Illean)

Néanmoins, le responsable d’un institut de sondages – qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat, n’étant pas légalement autorisé à commenter ses enquêtes d’opinion moins de cinq jours avant le vote – note que Balad s’est approché avec constance du seuil de représentation électorale.

Il ajoute que le dernier sondage réalisé par son institut a établi que la participation dépasserait finalement les 50 % chez les Arabes israéliens et que Balad, gagnant plusieurs points de pourcentage, siégerait bien au sein de la prochaine Knesset.

Jabarin fait remarquer que cette nouvelle dynamique en faveur de Balad pourrait s’affirmer au détriment de Hadash-Taal, que les sondages ont placé en permanence juste au-dessus du seuil électoral, tout comme c’est le cas de Raam.

Et les résidents d’Umm al-Fahm paraissent partager le même point de vue, déplorant le manque de représentant de leur secteur à une place réaliste sur la liste de Hadash-Taal.

De gauche à droite : Hussein Mahameed, l’adjoint au maire d’Umm al-Fahm Tareq Abu Abu Garur et Muhammad Mahameed au festival du tourisme d’Umm al-Fahm, le 29 octobre 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)

« Avant, on pouvait dire que nous avions un représentant à la Knesset à travers Yousef Jabareen — qui est quelqu’un de connu au niveau local, mais aussi au niveau national et même international ; quelqu’un qui plaçait les problématiques rencontrées par la société arabe en tête de son agenda », commente Tareq Abu Garur, adjoint au maire d’Umm al-Fahm en évoquant l’ex-député de Hadash, qui habite la ville et qui a pris sa retraite politique, quittant le Parlement l’année dernière.

« Si son nom était sur la liste, alors plus de gens voteraient pour Hadash. Les gens le lui disent clairement », ajoute Abu Garur.

Deux habitants d’Umm al-Fahm qui nous écoutent parler, alors que nous nous tenons dans les allées du marché d’art du festival qui a été organisé en plein air, approuvent d’un signe de la tête.

« Parce que Yousef n’est pas là, je ne veux pas voter du tout », s’exclame l’un d’entre eux.

Le député de la Liste arabe unifiée Youssef Jabareen s’entretient avec l’AFP lors d’une interview dans sa ville natale Umm al-Fahm, le 30 janvier 2020 (AHMAD GHARABLI / AFP)

Abu Garur déclare que malgré le coup porté à la représentation de la ville à la Knesset, il recommande encore vivement aux résidents d’aller déposer un bulletin dans l’urne et peu importe pour quel parti.

Hussein Mahameed — l’homme qui nous a dit préférer rester chez lui mardi en raison de l’absence du nom de Yousef Jabareen sur la liste de Hadash-Taal – n’est pas convaincu, et il dit que « les partis arabes siègent à la Knesset depuis plus de 70 ans. Mais qu’est-ce qu’ils ont fait, à part faire attention à leurs propres intérêts ? »

L’adjoint au maire intervient à nouveau, notant que le président de Raam, Mansour Abbas, a pris la décision d’intégrer sa formation dans la coalition au pouvoir, l’année dernière – une première pour un parti arabe indépendant. Abbas avait alors affirmé que les formations arabes n’avaient obtenu que peu de résultats pendant leurs décennies passées dans les rangs de l’opposition et que s’attaquer aux besoins, longtemps négligés, de leur base électorale nécessitait de donner la priorité aux affaires civiles au détriment de la cause palestinienne.

« Mansour Abbas a essayé de faire des choses et encore aujourd’hui, il est attaqué de toute part. Nous devons donc décider ce que nous voulons vraiment », indique Abu Garur.

Umm al-Fahm, le 29 octobre 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)

Mais pour de trop nombreux habitants d’Umm al-Fahm, Abbas ne peut s’enorgueillir que de maigres réussites à l’issue de son passage dans la coalition au pouvoir.

« Ainsi, on a relié quelques habitations à l’électricité dans les villes arabes », résume Ahmad Kalif, activiste du parti Balad et résident de la ville, faisant allusion à la Loi sur l’électricité qui a été adoptée au début de l’année et qui a pour objectif de relier des milliers de constructions faites sans permis de construire au réseau national, dans les localités de la communauté arabe.

« Nous voulons que ce soit fait pour toutes nos maisons », poursuit Khalif.

« Raam met des pansements sur une jambe de bois, sans pour autant s’attaquer à la cause du problème – qui est un système raciste tout entier », continue-t-il. « Seul le chef de Balad, Sami Abou Shahadeh, le reconnaît et le dénonce réellement ».

Le Premier ministre par intérim Yair Lapid, au centre, s’entretient avec le chef du parti Raam, Mansour Abbas, avant le vote du projet de loi visant à dissoudre la Knesset, le 30 juin 2022. (Crédit : Ariel Schalit/AP)

Contrairement à Abbas de Raam – qui a établi clairement qu’il aimerait à nouveau rejoindre une coalition – et Hadash-Taal, qui a fait part de sa volonté d’éventuellement le faire si la question de la résolution de la problématique palestinienne était examinée en parallèle, Abou Shahadeh a insisté dès le début sur le fait que Balad n’intégrerait jamais une alliance au pouvoir, quelle que soit sa nature.

Yanal Jabarin, de l’organisation Sikkuy, remarque que pour les électeurs de Balad, ce refus n’est pas rédhibitoire.

« Qu’est donc parvenu à faire Itamar Ben Gvir [député de HaTzionout HaDatit] ? », interroge-t-il. « Eh bien, il a changé le discours. »

« C’est également ce qu’offre Sami Abou Shahadeh », explique-t-il.

Wadea Awawdy, journaliste sur la chaîne arabophone Hala TV, adopte une approche plus prudente dans son jugement sur Balad, affirmant que la faction manque de l’infrastructure nécessaire pour mener une campagne organisée dans tout le pays, après s’être habituée à se présenter aux côtés des autres partis au cours de toutes les élections qui ont eu lieu depuis 2013.

Itamar Ben Gvir, député d’extrême droite israélien et leader d’Otzma Yehudit, visitant le marché Hatikva pendant sa campagne en vue des élections de novembre, à Tel Aviv, le 21 octobre 2022. (Crédit : AP Photo/Oded Balilty)

« La société est plongée dans une forte apathie et il suffira qu’il pleuve le jour des élections ou qu’il y ait un autre incident criminel horrible pour que les gens décident de ne pas aller dans les bureaux de vote », explique-t-il.

Selon Jabarin, il y a à Umm al-Fahm des partisans des trois formations.

« Ceux qui s’intéressent plus aux problèmes civils et qui sont peut-être plus pratiquants religieusement ont Raam, ceux qui accordent la priorité à la question nationale ont Balad et ceux qui recherchent un équilibre se tournent vers Hadash », dit-il.

Toutefois, un grand nombre de résidents tombent dans une quatrième catégorie qui pourrait s’avérer être plus importante que les trois autres combinées – ce sont ceux qui ne prévoient pas d’aller voter mardi.

Khalif, l’activiste du parti Balad, dit qu’il a concentré tous ses efforts sur la nécessité de convaincre les résidents indécis d’aller aux urnes, qu’il oppose à ceux qui, « par idéologie », refusent de se rendre dans les bureaux de vote.

Parmi les indécis, il y a Hizar Jabarin, 26 ans, qui vend ses broderies sur le marché d’art en plein air.

Un stand sur le marché d’art en plein air dans le cadre du festival du tourisme d’Umm al-Fahm, le 29 octobre 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)

S’exprimant entre deux clients, elle dit être plutôt encline à ne pas aller voter. « Je ne vois les politiciens que pendant les campagnes. Et qu’est-ce qu’ils font pour moi ? Rien du tout », dit-elle en riant. « Mes amis sont eux aussi des artistes. Nous ne parlons pas beaucoup de politique mais je sais que la plupart d’entre eux ne prévoient pas non plus d’aller voter », continue-t-elle.

D’autres vont encore plus loin, disant que leur décision de ne pas aller jeter un bulletin dans l’urne s’apparente à une démarche de « boycott ». Ils reconnaissent aussi qu’ils tentent de convaincre leur entourage de suivre leur exemple.

L’un de ces activistes, qui n’a accepté de se confier à un site d’information israélien que sous couvert d’anonymat, rejette l’idée que les gouvernements divers et variés, au fil des années, ont traité différemment les uns des autres les Arabes et les Palestiniens.

De la fumée s’élève après des frappes israéliennes dans un immeuble résidentiel de Gaza, le 7 août 2022. (Crédit : AP Photo/Adel Hana, File)

Il souligne l’augmentation du nombre des démolitions d’habitations dans le Neguev sous le gouvernement sortant, qui était considéré comme plus modéré que les précédents, et il affirme que « les gouvernements dits de gauche » peuvent être, en théorie, plus modérés sur le problème palestinien mais qu’en pratique, ils sont plus durs « parce qu’ils doivent paraître sévères à l’égard des Arabes pour obtenir une légitimité aux yeux du public israélien ».

Alors qu’il lui est demandé comment les intérêts des citoyens arabes peuvent être défendus sans représentants de la communauté au Parlement, l’activiste du boycott répond qu’il n’y a pas de rapport entre les deux.

« Nous refusons de participer au jeu politique israélien qui tente de faire disparaître l’apartheid israélien sous une tonne de maquillage », dit-il. « Ce que nous pensons devoir faire, c’est mettre en place nos propres organisations issues de la société civile, des organisations qui se présenteront au gouvernement israélien comme les représentantes des Palestiniens indigènes ».

Said Abu Shakra, propriétaire de la Galerie d’Umm El Fahem Gallery, raille cette idée.

Le directeur de la Galerie d’Umm El Fahem Said Abu Shakra, le 29 octobre 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)

« Qu’est-ce que c’est que ce délire au sujet d’une commission extra-parlementaire ? Soit vous êtes à l’intérieur, soit vous êtes à l’extérieur », s’exclame-t-il pendant un entretien qui a lieu dans son bureau, en marge du festival.

Abu Shakra admet que les Arabes israéliens sont dans l’impasse. « La gauche nous demande de voter, pas vraiment pour prendre ses responsabilités face à la société arabe après les élections mais de manière à se maintenir au pouvoir. En résultat, le dialogue finit par avoir une teinte paternaliste. »

Il semble convenir, avec l’activiste pro-boycott, que le gouvernement qui a remplacé la coalition de droite qui était dirigée par Benjamin Netanyahu, le chef du Likud, a finalement promu des politiques aussi impopulaires auprès des Arabes israéliens que les précédentes qui avaient pu être adoptées par les coalitions antérieures – sinon plus. Le crime, au sein de la communauté arabe, est toujours endémique avec un nombre d’homicides qui devrait encore franchir largement la barre des cent, cette année. Israël a lancé une nouvelle opération militaire à Gaza et un nombre record de Juifs se sont rendus dans le complexe du mont du Temple, où les affrontements ont amené à la police à pénétrer dans la mosquée al-Aqsa, regrette Abu Shakra.

« Mais malgré tout cela, nous devons encore voter », s’exclame-t-il. « C’est notre droit de le faire ».

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