Le 1er décembre 1982, un nouveau billet de 500 shekels a intégré la monnaie israélienne. Le visage qui figurait sur cette coupure était celui du Baron Edmond de Rothschild, aussi appelé Hanadiv HaYadoua (le renommé bienfaiteur), pour son immense contribution à l’établissement de l’État hébreu.
Cependant, il nous semble qu’il existe un autre philanthrope qui n’a jamais été honoré de la sorte. En fait, outre les enseignants et les guides touristiques, rares sont ceux qui connaissent celui qui porte très bien son nom : HaNadiv HaLo Yadoua (le bienfaiteur méconnu).
Et pourtant, Yitzhak Leib Goldberg était le premier à acheter du terrain pour le Fonds national juif, nouvellement formé. Il a acheté le plus grand verger du pays et a employé et rémunéré grassement des Juifs pour y travailler (c’est notre actuel et fabuleux Park HaYarkon. Il a cofinancé le journal israélien Haaretz il y a un siècle et a joué un rôle clé dans l’établissement du vignoble Carmel. Il a participé au financement d’un cinéma, laissé la moitié de son incommensurable patrimoine au FNJ, dans l’objectif de promouvoir la langue et la culture hébraïques.
Limités à un rayon d’un kilomètre autour de notre domicile à cause du confinement national, nous avons décidé d’écrire un article sur les sites qui se trouvent près du mont Scopus à Jérusalem. Nous avons commencé par le Mur des fondateurs, qui représente les visages des créateurs de l’Université Hébraïque.
Inauguré en 2013, il est situé en face de l’entrée principale de l’université. Et bien qu’en 1908, Goldberg ait été le premier à acheter un terrain sur le mont Scopus pour accueillir cette institution de renom, il n’apparaît même pas sur le Mur des fondateurs.
À l’extrême gauche se trouve le professeur de mathématiques Zvi Hermann Shapira, qui a proposé le concept d’une institution culturelle juive en terre d’Israël lors du premier congrès sioniste en 1897. Viennent ensuite trois hommes qui ont publié l’un des documents ayant servi de base à la création de l’université : le philosophe Prof. Martin Buber, le Dr Berthold Feivel et le Dr Chaim Weizmann. Le portrait aux cheveux sauvages à leur gauche est facilement reconnaissable comme étant celui du professeur Albert Einstein, qui a apporté à l’université à la fois des dons et des chercheurs.
Le tableau à l’extrémité appartient au Dr Yehuda Leib Magnes, né aux États-Unis, qui a été président de l’université depuis sa création en 1925 jusqu’à sa mort pendant la guerre d’indépendance en 1948.
Les Israéliens prennent pour acquis l’accès facile à l’université et à l’hôpital Hadassah adjacent. Pourtant, le 13 avril 1948, 78 médecins, infirmières et autres personnels médicaux juifs ont été victimes d’une embuscade et tués le long de la route menant au mont Scopus. Et dès que les Britanniques se sont retirés du pays en mai, la Jordanie a pris le contrôle de cette route stratégique. Il était donc impossible de continuer à faire avancer les choses sur la montagne et le personnel a été évacué de l’hôpital et de l’université.
Jusqu’à la guerre des Six Jours en 1967, le mont a bénéficié d’un statut spécial incertain en tant que zone démilitarisée coupée du reste de Jérusalem. Israël n’était pas autorisé à poster des soldats sur le mont Scopus, mais seulement des policiers chargés de garder ses institutions vides. Et ils n’étaient pas autorisés à faire entrer des armes lourdes.
Une connexion entre le reste de Jérusalem et le mont Scopus était maintenue grâce à un convoi bimensuel qui transportait des soldats déguisés en policiers – et autant d’artillerie qu’ils pouvaient réussir à apporter avec eux. Ceux-ci étaient habilement dissimulés à l’intérieur des véhicules dans des cachettes uniques, comme sous un toit qui pouvait être soulevé lorsqu’il n’y avait pas d’étrangers autour. Et après le déchargement, les armes étaient astucieusement cachées dans la montagne. Des mortiers, par exemple, se sont retrouvés dans les grottes funéraires du Second Temple du mont.
De toute évidence, les observateurs des Nations unies sur le mont Scopus avaient dû être tenus dans l’ignorance tout le long. Israël leur a donc construit un club-house rempli de nourriture et d’alcool, à l’endroit où se trouve aujourd’hui le Café Hillel.
En face du Mur des fondateurs, un second mémorial raconte l’histoire d’une unité militaire qui a été créée en 1952 spécifiquement pour le mont Scopus isolé. Chaque soldat avait sa propre spécialité, de l’expertise en explosifs et munitions à l’intendance.
Coupés de leurs familles pendant un mois, l’unité a créé le Royaume du mont Scopus. Le commandant de l’unité était le roi, et les plus jeunes des soldats étaient ses pages. Au service du roi, officiaient aussi un président, un prince et des roturiers (de véritables policiers). Chaque semaine, il y avait un « marché aux esclaves », et les « roturiers » étaient chargés de s’occuper des jardins du roi et de nettoyer le « château » (la faculté de mathématiques).
Les deux murs commémoratifs sont situés de chaque côté d’une place nommée d’après l’un des premiers poètes d’Israël. C’est l’auteur primé Avigdor Hameiri qui, en 1928, a composé les paroles de la chanson prophétique From the Summit of Mount Scopus (« La paix soit avec toi, Jérusalem »). Un chemin dédié à Hameiri mène de l’entrée de l’université au jardin botanique, mais pour une raison inexplicable, son nom n’apparaît nulle part sur la place.
En face du campus, à l’intérieur de la forêt nationale de l’université et en dessous de la route, une porte blanche en forme de tente mène au premier (et unique) terrain familial juif de Jérusalem depuis que le père Abraham a acheté la grotte des patriarches et que le roi Hérode a enterré ses proches dans ce qui est aujourd’hui Yemin Moshe. C’est là que reposent les membres de la famille élargie Bentwich, un nom célèbre dans les annales juives.
Avant même que Theodor Herzl n’apparaisse sur la scène internationale, un Anglais du nom de Herbert Bentwich était déjà un sioniste convaincu. Né en 1856, ce dernier a commencé sa carrière juridique en tant qu’avocat de Sir Moses Montefiore et a contribué à l’élaboration de la célèbre déclaration Balfour de 1917 proclamant le soutien britannique à la création d’une patrie nationale juive en Palestine. Les doubles tombes d’Herbert et de sa femme Susannah, parents de onze enfants, sont situées sur une plate-forme surélevée. Seuls quelques-uns de leurs descendants, dont beaucoup se sont suicidés ou se sont convertis au christianisme, sont enterrés ici.
Son Norman, qui avait occupé le poste de procureur-général dans le gouvernement du Mandat et qui avait aidé à fonder l’Université Hébraïque, repose ici, lui aussi. Et c’est le cas également de sa sœur Lillian et de son époux Israel Friedlaender, né en Ukraine, professeur et spécialiste connu dans le monde entier au sein du Jewish Theological Seminary à New York.
Friedlaender s’occupait activement des affaires juives et, après la Première Guerre mondiale, il s’était rendu en Europe en tant que représentant du JDC (Joint Distribution Committee) pour y offrir son aide. Mais le continent était alors en proie au chaos et, alors qu’ils traversaient la Pologne, il avait été attaqué et tué – en compagnie d’un autre représentant du JDC – par des membres de l’Armée rouge russe qui avaient présumé qu’ils étaient des soldats polonais.
L’une des tombes est décorée d’une gravure représentant une harpe. C’est celle du petit-fils de Hebert Bentwich, un jeune prodige de la musique qui s’était suicidé à l’âge de 18 ans.
A quelques mètres, d’autres stèles surplombent les dernières demeures de membres de la Colonie américaine, qui avait été fondée en 1881 par un couple presbytérien profondément religieux qui avaient espéré trouver un réconfort en Terre sainte après avoir subi une perte incommensurable.
Anna et Horace Spafford vivaient à Chicago, dans une belle habitation. En 1873, Anna et les quatre filles du couple étaient parties en voyage en Europe. Leur bateau était entré en collision avec un autre navire et, si les quatre enfants avaient péri, Anna, pour sa part, avait été miraculeusement sauvée. Le couple avait eu d’autres enfants après cette catastrophe mais l’un d’entre eux avait tragiquement succombé à la maladie. En 1881, la famille et quelques autres membres de leur église étaient partis s’installer dans la Ville sainte de Jérusalem.
Anna avait pris le groupe en charge après le décès de son mari Horace, en 1888. Huit années plus tard, pendant un voyage d’affaires à Chicago, elle avait été contactée par Olof Larsson. Chef d’un culte religieux en Suède, Larson avait entendu parler de la colonie américaine et il avait demandé à Anna si les Suédois pouvaient se joindre à elle. En conséquence, des dizaines de nouveaux membres étaient revenus en compagnie d’Anna en Terre d’Israël.
La vie avait été difficile pour commencer, lorsque la Colonie avait dû se battre pour trouver des financements pour répondre à ses besoins quotidiens modestes et pour aider les habitants de Jérusalem défavorisés, indépendamment de leur religion ou de leur nationalité. Une fois les agriculteurs, forgerons et autres artisans suédois arrivés, néanmoins, la colonie avait commencé à prospérer, en ouvrant entre autres une boulangerie, une forge et une laiterie.
Quand l’empereur Guillaume II est arrivé à Jérusalem en 1898, les Juifs suédois de la Colonie avaient pris de très bonnes photos de sa visite. Ces photos, si uniques et historiques, étaient très recherchées. Les photos prises par les membres de la Colonie d’origine suédoises font partie des meilleures archives sur les évènements phares de la ville.
Plus loin sur la rue, juste après le Glick Observation Plaza et près de tombes de l’époque du Second Temple, le restaurant City View est ouvert sept jours sur sept (sauf en temps de confinement). Il propose des repas typiques du Moyen-Orient avec une superbe vue sur la très pittoresque Vieille Ville.
Sur le Wall of Life, un autre pont d’observation, on peut lire les noms de mécènes de l’université hébraïque. Ils ont contribué à des bourses et à la recherche pour des montants allant de 100 000 à 999 999 dollars. Et sur le rond-point, à peine plus loin, après le Gerald Halbert Observation Plaza, qui permet de voir, par beau temps, jusqu’à la mer Morte, se trouve l’amphithéâtre de l’université.
Construit tout spécialement pour la cérémonie d’inauguration de l’université en 1925, l’amphithéâtre a été en partie détruit durant la guerre d’Indépendance, puis a été rénové. C’est là-bas que l’ancien Premier ministre, alors Commandant en chef de l’armée israélienne, a reçu son doctorat honoris causa au lendemain de la guerre des Six jours. Il l’a accepté « en tant que représentant de l’armée israélienne et au nom de chacun de ses soldats ».
Aviva Bar-Am est l’autrice de sept guides en anglais sur Israël. Shmuel Bar-Am est un guide touristique agréé qui propose des visites privées et personnalisées en Israël pour les particuliers, les familles et les petits groupes.