Le rabbin Yitzhak Goldknopf n’était pas le choix le plus évident en remplacement de Yaakov Litzman à la tête de la faction Yahadout HaTorah.
Même s’il est une personnalité publique depuis longtemps – il a dirigé un important réseau de jardins d’enfants ultra-orthodoxes et il a mené des combats parfois brutaux contre les commerces ouverts à Shabbat – Goldknopf n’a pas de véritable expérience politique. Il n’a jamais siégé à la Knesset, il n’a jamais occupé un poste municipal important. Il a fêté ses 72 ans dimanche, un âge assez avancé pour se lancer aujourd’hui dans une carrière politique. Moshe Gafni, qu’il remplace, a commencé sa carrière parlementaire à 36 ans.
Goldknopf a, de plus, une réputation peu glorieuse au sein de la communauté ultra-orthodoxe, ou Haredi. Il a dû faire face à plusieurs occasions à des accusations internes, mettant en cause des pratiques douteuses dans la gestion de son réseau de crèches, notamment en matière de sous-paiement de ses personnels et de licenciement des enseignants à la fin de chaque année scolaire, avec pour but de les empêcher d’acquérir de l’ancienneté et de pouvoir prétendre aux salaires plus élevés qui en découlent (il maintient respecter pleinement le droit national du travail).
Selon Gilad Malach, un chercheur qui étudie la société haredi, s’il manque d’expérience, de jeunesse et de popularité, Goldknopf entretient des liens étroits avec le chef de la branche hassidique de Gur, le rabbin Yaakov Aryeh Alter – et pour Yahadout HaTorah, c’est, en réalité, la seule chose qui compte.
« Lorsque [le chef du parti Yesh Atid, Yair] Lapid choisit les personnes qui figureront sur sa liste, il pense en termes de stratégie électorale – Qui me rapportera le plus de voix ? Qu’est-ce qui marche le mieux ?… Mais au sein de Yahadout HaTorah, le seul décisionnaire est le rabbin de Gur et ses considérations ne sont pas nécessairement d’ordre électoral », explique Malach. « Il va plutôt se demander qui est proche de lui, qui il connaît le mieux, en qui il a le plus confiance. Telles sont ses réflexions, et cela n’a rien à voir avec l’expérience ou avec la popularité au sein de la communauté ».
« Et il se trouve qu’il a choisi une personne qui non seulement est relativement âgée et inexpérimentée sur le plan politique, mais qui n’est pas très appréciée de surcroît par la population haredi, notamment à cause de cette histoire de jardins d’enfants. »
Bien qu’il n’ait pas d’expérience parlementaire, Goldknopf a déjà mené pendant plus de 20 ans un combat très médiatisé contre les entreprises qui ouvrent leurs portes à Shabbat, la journée de repos juive, lorsque tout travail est interdit par la loi juive.
« Il a l’expérience des campagnes publiques, en particulier de celles relatives à Shabbat – une question très importante pour le rabbin de Gur », explique Malach.

Goldknopf a lui-même été surpris d’avoir été sélectionné pour diriger le parti.
« Je n’ai vraiment jamais été candidat. Je n’ai jamais été sur la liste d’un parti. Cela n’a jamais été mon ambition… mais mon professeur et mon rabbin ont vu que je pouvais apporter une aide concrète dans la sphère publique », a-t-il déclaré au site d’information Haredi JDN.
Un choix forcé
Yahadout HaTorah, une alliance formée de longue date, se compose de deux partis : Agudat Yisrael, qui représente les différentes branches hassidiques d’Israël, et Degel HaTorah, qui représente les Juifs ultra-orthodoxes non-hassidiques, également connus sous le nom de Lituaniens ou mitnagdim, ce qui signifie littéralement « opposants » – en raison de leur opposition historique au judaïsme hassidique.
Yahadout HaTorah a mis en place un système de rotation à la tête du parti, ce qui explique pourquoi Goldknopf, d’Agudat Yisrael, a pris la place de Gafni de Degel HaTorah à l’occasion de ces élections.
Alter a dû choisir un nouveau chef de parti après que Litzman, son favori, a été placé dans l’obligation de se retirer suite à une négociation de peine concernant son implication dans les efforts qui avaient visé à empêcher l’extradition de Malka Leifer, une femme de la branche hassidique de Gur – une femme qui était accusée d’avoir abusé sexuellement de jeunes filles dans une école où elle était enseignante et dont elle était aussi la directrice en Australie.
Adoptant une certaine approche politique se complaisant dans la plainte, Goldknopf a déclaré à plusieurs reprises que la population haredi d’Israël était victime de discrimination, qu’elle était privée de ressources financières et que ses membres étaient traités « comme des chiens ». Il a également minimisé la contribution apportée au pays par les soldats de Tsahal et rejeté l’importance de l’éducation laïque.
Si ce style de rhétorique politique en Israël est un pilier du discours haredi, Gilad Malach estime que ce genre de discours est généralement plus fin et qu’il contient une dose de bon sens.

« Il parle de manière beaucoup plus grossière. Il ne dit pas : ‘Nous ne devrions pas être dans l’obligation de suivre le programme de base laïc’. Non, il préfère dire : ‘Le programme du tronc commun n’a aucune valeur. Qui a besoin de ces bêtises ?’ C’est beaucoup plus grossier que ce que peuvent dire la plupart des politiciens haredi dans la presse laïque. Je ne peux pas imaginer Gafni disant ça », indique Malach.
Même s’il s’est gardé de réclamer explicitement le portefeuille des Finances en cas de victoire du bloc religieux de droite, Goldknopf a clairement indiqué qu’il était intéressé par cette fonction.
« Si je suis le 61e siège [à la Knesset] de Netanyahu, pourquoi ne pourrais-je pas obtenir le ministère des Finances ? Dans le gouvernement précédent, nous avons constaté que six sièges suffisaient pour devenir Premier ministre, alors pourquoi ne pourrais-je pas être ministre des Finances, d’autant que nous aurons plus de sièges ? », a-t-il déclaré à Zman Israël, le site en hébreu du Times of Israel, au début de l’été.
Gaffe après gaffe
Après un début de campagne relativement calme, Goldknopf s’est retrouvé à plusieurs reprises sous les feux de la rampe le mois dernier pour avoir tenu des propos controversés qui ont entraîné des conflits avec des partis non haredim, et même avec certains membres de sa propre communauté.
Le 8 octobre, Goldknopf est intervenu sur la Treizième chaîne. Il a été demandé à cette occasion au leader de Yahadout HaTorah s’il pensait que les Israéliens ayant servi dans l’armée devaient bénéficier d’avantages supplémentaires en matière de logement après leur service par rapport aux avantages qui sont offerts aux Israéliens haredim qui ne font pas leur service militaire, restant étudier dans les yeshivot.
« Les choses sont plus difficiles pour ceux qui étudient la Torah que pour ceux qui iront au front », a répondu Goldknopf. « Essayez d’envoyer votre mari étudier la Torah pendant un mois. Il vous dira : ‘Je préfère aller à l’armée pendant un an qu’apprendre la Torah, parce que c’est trop dur’. »
« Arrêtez, il n’y a pas des menaces tous les jours. Il y a d’ailleurs plus de menaces sur le territoire israélien qu’à la frontière », a ajouté Goldknopf.
Ses propos ont été rapidement dénoncés avec force par ses rivaux politiques et par les commentateurs dans les médias. Une controverse d’autant plus vive que quelques heures après la diffusion de l’interview, un soldat a été abattu par un tireur palestinien à un poste de contrôle de Jérusalem-Est.
Une semaine plus tard, Goldknopf s’est à nouveau retrouvé au centre de la polémique après avoir déclaré sur la Douzième chaîne qu’il n’avait « jamais vu l’anglais et les mathématiques faire progresser le pays sur le plan économique ».
Les opposants politiques se sont rapidement emparés de ces propos et ils ont fustigé le leader haredi.
« Goldknopf… lorgne sur le ministère des Finances pour pouvoir verser des allocations à ceux qui ne travaillent pas et qui n’apportent aucune contribution au pays. Au détriment de la classe moyenne, de ceux qui font leur service militaire, de ceux qui travaillent et qui paient des impôts », a commenté le ministre des Finances et chef du parti Yisrael Beytenu, Avigdor Liberman, persona non grata dans la plupart des cercles haredim.

Le chef de Yahadout HaTorah a aussi été interrogé sur ce qu’il pensait de l’enseignement d’un programme national de tronc commun dans les écoles haredim. À l’heure actuelle, les écoles haredim sont tenues d’enseigner le programme de base – qui comprend l’anglais et les mathématiques – afin de recevoir des fonds de l’État mais le mois dernier, le chef du Likud Benjamin Netanyahu a négocié un accord déterminant que les écoles ultra-orthodoxes recevront cet argent indépendamment du programme enseigné aux élèves dans les établissements.
Dans une autre interview accordée au journal économique The Marker, Goldknof a réaffirmé son opposition au programme d’études du tronc commun en échange de financements de l’État.
« Avec l’approche actuelle, vous pouvez décider demain matin que ceux qui n’ont pas appris les matières de base ne recevront pas de soins médicaux à l’hôpital universitaire Hadassah. Seuls ceux qui auront étudié [les matières du tronc commun] pourront être hospitalisés dans les étages supérieurs et être soignés par des professeurs », a-t-il déclaré.
La semaine dernière, Goldknopf a semblé confirmer un stéréotype rattaché aux Israéliens ultra-orthodoxes, assimilant les membres de la communauté à des fraudeurs fiscaux. Interrogé sur les récents sondages qui laissent penser à un faible taux de participation électorale chez les haredim, Goldknopf a suggéré que de nombreux participants potentiels à l’enquête d’opinion avaient refusé de répondre, de peur que ce soient les autorités fiscales.
« Les Haredim ont tendance à ne pas répondre aux enquêtes téléphoniques. Ils se disent : ‘C’est peut-être le fisc, c’est peut-être la Caisse d’Assurance Nationale. Laissez-moi tranquille », a déclaré Goldknopf à la station de radio Galey Israël.
Les Haredim ont tendance à ne pas répondre aux enquêtes téléphoniques. Ils se disent : « C’est peut-être le fisc, c’est peut-être la Caisse d’Assurance Nationale. Laissez-moi tranquille ».
Liberman, dont la popularité repose en grande partie sur son opposition aux politiciens haredim, a, une fois de plus, réagi aux propos de Goldknopf.
« L’impôt sur le revenu, ça ne veut pas dire grand chose pour Goldknopf et pour ses amis. C’est pour cette raison qu’il est important de voter [pour Yisrael Beytenu]. Sinon, vous allez recevoir de nombreux appels du fisc, car au bout du compte, quelqu’un devra bien assumer les frais », a-t-il déclaré.
Si les propos tenus par Goldknopf reflètent clairement ses convictions politiques, ils ont été considérés comme des erreurs de débutant, offrant des munitions à ses adversaires sans aucun bénéfice par ailleurs pour sa base électorale.
« Il n’a pas vraiment d’expérience dans les relations avec la presse laïque… C’est un peu un éléphant dans une boutique de porcelaine », indique Malach.
« Dans presque toutes ses interviews, il dit des choses qui interrogent forcément – sur ses points de vue concernant le tronc commun, sur sa compréhension du monde moderne et sur ses intentions pour l’avenir », souligne l’analyste.
« Même au sein du monde haredi, j’ai entendu des gens s’inquiéter de la manière dont il compte gérer les choses à l’avenir. S’il dit qu’il veut prendre la tête du ministère des Finances ou présider la commission des Finances de la Knesset, et qu’il déclare que les mathématiques ne sont pas importantes, cela soulève des inquiétudes – pas seulement parmi les Israéliens non haredim mais aussi au sein des groupes ultra-orthodoxes », note Malach. « Il ne gagne certainement pas de voix avec la manière dont il se comporte dans les interviews. Il pourrait même en donner à ses adversaires politiques. »
La tendance de Goldknopf à la maladresse est connue même au sein de son propre parti. Interrogé sur les déclarations controversées de son compagnon de course concernant les mathématiques et l’anglais, Gafni, qui était à la tête de Yahadout HaTorah l’année dernière, s’est contenté de dire qu’elles n’étaient pas nécessairement représentatives du parti.
C’est un peu un éléphant dans une boutique de porcelaine.
« Il est un peu inexpérimenté dans ces domaines. La faction va se réunir et tout le monde va dire ce qu’il pense. Le positionnement adopté par Yahadout HaTorah, c’est que nous agissons dans l’intérêt de tous les citoyens d’Israël », a déclaré Gafni lors d’une interview accordée lors d’une conférence électorale organisée par la Douzième chaîne, la semaine dernière.
Selon Malach, l’inexpérience de Goldknopf, ses propos malencontreux et son passé controversé ne nuisent probablement pas à Yahadout HaTorah dans les sondages. Le parti est censé remporter sept ou huit sièges lors du scrutin actuel – à peu près le même nombre qu’à chaque élection depuis 2013 – mais un manque de soutien populaire pourrait affecter les performances du parti à l’avenir.
« La plupart des Haredim votent [pour Yahadout HaTorah] parce qu’ils y sont obligés, parce que c’est une mitzvah, parce que c’est ce que demandent les rabbins. Mais ils ne sont pas de grands admirateurs [de Goldknopf], et cela pourrait avoir un impact », estime Malach.
Le « macher » de Jérusalem
Né à Jérusalem dans une famille hassidique de Gur bien connectée, Goldknopf a commencé à travailler dans le secteur de l’éducation quand il avait tout juste vingt ans. Il a d’abord dirigé des écoles primaires « Talmud Torah », puis il s’est joint à son père Yehuda Arieh pour gérer le réseau de crèches et de garderies Beit Yaakov au début des années 1980.
Après la mort de son père en 1988, Goldknopf a pris en charge tout son réseau scolaire, qui était composé de centaines d’écoles maternelles et de garderies accueillant des milliers d’enfants. En 1990, il a ouvert un réseau d’écoles spécialisées pour les élèves haredim, Petachya.
En quelques années seulement, Goldknopf a été critiqué pour sa gestion des jardins d’enfants et des garderies Beit Yaakov.
En 2008, un rapport du contrôleur de l’État avait dénoncé une série de pratiques de travail déloyales, comme une rémunération des enseignants et des employés des garderies bien en-deçà des taux habituels pour ces postes, affirmant également que le personnel était sommé de démissionner, chaque année, afin d’empêcher les travailleurs d’acquérir de l’ancienneté.
« Les conclusions indiquent une mauvaise administration de la part de la direction de Beit Yaakov, un gaspillage des fonds publics et le refus de verser des salaires aux employés », avait déclaré le contrôleur.
Des enquêtes ultérieures menées par des organes de presse, laïques et haredim, en 2010 et 2015, avaient révélé que ces pratiques commerciales douteuses se poursuivaient dans les jardins d’enfants de Goldknopf, les employés affirmant qu’ils étaient contraints de faire des heures supplémentaires sans être payés pour et qu’ils étaient soumis à des sanctions disproportionnées pour des infractions mineures, comme arriver en retard au travail.
Goldknopf a également été accusé de népotisme : à un moment donné, il aurait employé plus d’une douzaine de femmes de sa famille proche, dont sa mère, qui avait alors plus de 80 ans, pour des salaires élevés. Goldknopf a nié tout comportement fâcheux et il a toujours répété qu’il avait agi en respectant pleinement le droit du travail.
El Al, AM:PM et al
En plus de son travail dans le secteur de l’éducation, Goldknopf a été étroitement impliqué dans le combat en faveur de la pratique du Shabbat en Israël. Il a dirigé la Commission rabbinique pour le caractère sacré du Shabbat dès sa création, à la fin des années 1990.
Ce groupe, formé par des rabbins haredim de haut rang, avait lancé sa première grande bataille contre la compagnie aérienne nationale israélienne El Al, dont les avions circulaient à l’époque pendant Shabbat.
La commission, dirigée par Goldknopf, avait organisé un boycott massif contre le transporteur. Elle avait fini par négocier un accord stipulant qu’El Al ne proposerait plus de vols pendant la journée de repos juive.
Fort de cette victoire, Goldknopf avait organisé un boycott similaire en 2008 contre le magnat de la grande surface Dudi Weissman, propriétaire de la chaîne de supermarchés AM:PM, qui ouvrait ses magasins pendant Shabbat à Tel Aviv. Weissman avait cependant refusé de céder, ce qui avait entraîné la fermeture de plusieurs de ses magasins Shefa Shuk, qui desservaient jusqu’alors principalement la communauté haredi.
Plus récemment, la Commission s’est battue pour imposer la fermeture de la verrerie Phoenicia le jour du Shabbat, menaçant de boycotter non seulement l’usine elle-même mais aussi ses clients. Toutefois, en raison de leur mode de fonctionnement, les fours à verre ne peuvent être éteints, ce qui rend cette demande difficile à satisfaire. Étant donné que Phoenicia fabrique des bouteilles pour certains des principaux producteurs de vin et de boissons en Israël, la menace d’un boycott à grande échelle a été sérieuse. Les tentatives visant à négocier un compromis – comme l’exportation des récipients fabriqués pendant Shabbat ou la vente de l’entreprise à un non-Juif pour la journée – ont fini par échouer, conduisant à une impasse.
Au fil des ans, Goldknopf a été critiqué pour ces boycotts, qui auraient moins à voir avec un réel respect du Shabbat qu’avec des motivations économiques. Les opposants soulignent la nature par ailleurs aléatoire et sélective de ces boycotts, et ils notent que nombre des arrangement trouvés n’ont pas véritablement empêché la profanation continue du Shabbat.
Dans le cas d’El Al, par exemple, l’accord qui avait mis fin au boycott avait été largement considéré comme une ruse, puisque les avions et les équipages d’El Al avaient continué à travailler pendant le Shabbat – mais sous un nom de société différent. Pour mettre fin au boycott, El Al avait également accepté de payer une « amende » d’un demi-million de shekels qui avait servi à payer des médicaments non couverts par la Caisse d’Assurance Nationale – un secteur présentant un intérêt pour les Israéliens ultra-orthodoxes. En 2018, El Al aurait également fait des dons importants à des organisations caritatives affiliées à la branche hassidique de Gour de Goldknopf, et à la demande de ce dernier.
En ce qui concerne Shefa Shuk, la fermeture de ces magasins avait entraîné l’expansion de plusieurs chaînes de supermarchés appartenant à des Haredim ou affiliés à des ultra-orthodoxes. Un certain nombre de théories ont également été avancées pour expliquer le boycott contre Phoenicia, dont certains accords secrets avec des producteurs de verre et des importateurs de vin concurrents. Bien que régulièrement évoquées, aucune de ces affirmations n’a été étayée.