Elina Bardach-Yalov, membre de la Knesset sous l’étiquette du parti Yisrael Beytenu, raconte que lorsqu’elle a voulu se remarier en 2009, elle a été abasourdie par les obstacles posés par le grand-rabbinat israélien qu’elle s’est alors trouvée dans l’obligation de franchir.
Et pourtant, elle avait épousé son premier mari en l’an 2000 en Israël, une union qui s’était faite par le biais du rabbinat israélien, et elle avait divorcé en 2006 au Royaume-Uni, une séparation officialisée par un tribunal rabbinique. Son premier mari s’était déjà remarié en Israël sans aucun problème, une fois le divorce à l’étranger été enregistré par le grand-rabbinat israélien.
Mais quand Bardach-Yalov a présenté une copie de cette ratification de divorce à la branche locale du rabbinat israélien, il lui avait été répondu qu’une copie n’était pas suffisante et qu’elle devait fournir le document original. Elle s’était donc rendue au rabbinat de Tel Aviv pour demander le formulaire initialement reçu par son ancien époux, et qui approuvait officiellement le divorce prononcé à l’étranger.
« Et là, on m’a dit une phrase dont je me souviens encore aujourd’hui », s’exclame cette députée, dont c’est le premier mandat au sein du Parlement israélien, lors d’un entretien récent avec le Times of Israël. « On m’a dit : ‘Le fait qu’il ait divorcé de vous ne signifie pas que vous soyez divorcée de lui.’ J’avoue qu’il m’a fallu une ou deux minutes pour réellement comprendre cette phrase. »
Après tous les obstacles posés sur son chemin et après une audience supplémentaire – et ce, une fois encore, malgré le remariage de son mari en Israël – Bardach-Yalov est parvenue à faire approuver son divorce et elle a épousé son conjoint, une fois encore sous les auspices du rabbinat. Mais cette expérience lui a laissé un goût amer.
« C’est l’exemple classique d’une situation absurde », dit-elle. « Le traitement qui m’a été réservé au Beth Din de Manchester et celui que j’ai subi ici en Israël sont incomparables ; ils sont aux antipodes l’un de l’autre ». Elle ajoute que l’attitude du rabbinat israélien – en particulier à l’égard des immigrants des pays de l’ex-Union soviétique ainsi qu’à l’égard d’un grand nombre d’Israéliens d’origine éthiopienne – « ne rapproche pas les gens. Il les éloigne ».

Bardach-Yalov ajoute que son histoire est tristement commune. « Personnellement, je ne connais aucune femme ayant eu affaire au rabbinat qui en soit ressortie avec un sentiment positif… Elles ont toujours éprouvé, à un moment ou à un autre, le sentiment d’être avilies ».
Les experts et les observateurs ont expliqué au Times of Israël, à la veille de la Journée internationale des droits des femmes, que la situation touche les femmes de manière disproportionnée – et qu’elles n’ont souvent que peu de recours pour faire valoir leurs droits au sein de ce système.
Quelques signes de mouvement
Le ministre des Affaires religieuses, Matan Kahana, a exercé des pressions sans précédent en faveur de réformes dans le statu-quo mis en place sur les questions de religion et d’État, ces six derniers mois, supervisant une législation portant sur une refonte de la certification de casheroute. Il a aussi promu une réorganisation significative dans les questions relatives à la conversion au judaïsme.
Au mois d’octobre, Kahana avait écrit sur Facebook qu’il ne croyait pas à « l’obligation » d’un mariage par le biais du Rabbinat et que « les tensions entre la religion et l’État doivent être résolues grâce à un large consensus social ». Il avait ajouté être « convaincu qu’il y a un moyen de permettre aux couples qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas faire appel au Rabbinat pour leur mariage d’institutionnaliser leur relation dans le pays ».
Le mariage civil n’existe pas en Israël et les couples qui veulent se marier doivent le faire par le biais de leurs propres instances religieuses : les Juifs par le rabbinat, les musulmans par le biais des tribunaux de la Charia et les chrétiens à travers leurs églises respectives. Si les membres du couple sont de religion différente, ou s’ils n’ont pas de religion, ils ne peuvent pas s’unir légalement au sein de l’État d’Israël. Et s’ils appartiennent aux courants du catholicisme qui n’acceptent pas le divorce, les mariés n’ont aucun moyen d’officialiser leur séparation dans le pays.
Le désir d’œuvrer en faveur d’une réforme du mariage avait été cité dans les accords de coalition du parti Yisrael Beytenu, du Meretz, du parti Travailliste et de Kakhol lavan mais la question n’a guère été discutée à la Knesset jusqu’au mois dernier.
Selon un reportage qui a été diffusé à la télévision israélienne en février – toutes les parties ont ensuite démenti l’information – Kahana songerait à un accord qui permettrait aux ambassades étrangères et aux missions diplomatiques (qui, techniquement, se trouvent sur le sol étranger) qui se trouvent au sein de l’État juif de procéder à des unions civiles entre Israéliens. Le ministre demanderait en échange la suppression d’une clause figurant dans la Loi du retour qui accorde la citoyenneté aux individus qui n’ont qu’un seul grand-parent juif. Le ministre des Finances Avigdor Liberman a immédiatement rejeté l’idée de l’existence d’un tel accord.

Vingt-quatre heures après la diffusion du reportage, la commission des Affaires religieuses à la Knesset avait organisé une audience sur la question du mariage civil. La présidente de la Commission, la députée Yulia Malinovsky du parti Yisrael Beytenu, avait démenti qu’un tel accord était en préparation, expliquant que sa formation « ne le permettrait jamais ». De son côté, Moshe Tur-Paz de Yesh Atid avait affirmé que sa faction n’apporterait pas non plus son soutien à une telle proposition.
Kahana n’avait ni assisté, ni pris part à cette audience, qui s’était déroulée également en l’absence de tous les autres ministres. Un porte-parole de Kahana a refusé de commenter son positionnement actuel sur la question, refusant même de dire s’il y avait en ce moment des initiatives prises au sein du gouvernement pour promouvoir d’éventuels changements. Malinovsky avait déclaré que des représentants du grand-rabbinat ainsi que des députés des formations ultra-orthodoxes avaient été invités à l’audience, mais qu’ils avaient décliné cette invitation.
« La diversité de la coalition complique énormément les tentatives de mener à bien des projets » allant au-delà de la certification de casheroute et de la conversion, dit le rabbin Seth Farber, fondateur et directeur d’ITIM, un groupe qui aide les personnes à naviguer dans la bureaucratie religieuse israélienne. Mais il a la conviction que des progrès peuvent malgré tout être réalisés. « Rome ne s’est pas faite en un jour… Je pense qu’il y aura des avancées mais je ne pense pas qu’une loi sera adoptée par ce gouvernement… Je pense que la diversité est trop importante ».
Bardach-Yalov souligne toutefois qu’il « y a tout de même beaucoup de membres de la coalition qui considèrent cette question comme déterminante ».
Mais même l’institution du mariage civil en Israël – ce qui serait un bouleversement majeur dans le système actuel – ne saurait pas résoudre un grand nombre des problématiques actuelles qui entourent le divorce.
Piégées dans le système
Chaque année, les observateurs estiment que des milliers d’Israéliens qui cherchent à divorcer sont bloqués par les tribunaux religieux qui détiennent le monopole en matière de divorce et qui traînent souvent les pieds lorsqu’il s’agit d’agir contre des époux récalcitrants. Avec peu de recours, de nombreuses femmes – connues sous le nom d’agounot – attendent des années, voire des décennies, avant de pouvoir retrouver leur liberté suite à un mariage brisé.
Dans les termes talmudiques, une « agounah » – qui signifie littéralement « enchaînée » – est une femme dont l’époux a disparu ou dont la mort n’a pas pu être confirmée, ce qui maintient la femme dans le lien du mariage dans la mesure où la loi juive exige que ce soit le mari qui accorde à son épouse le guet – ou ordonnance de divorce. Dans le monde contemporain, le mot a eu plutôt tendance à désigner les femmes auxquelles les maris refusent le guet. Mais ces dernières années, dans l’État d’Israël, le terme peut aussi assurément être utilisé pour évoquer les femmes – ou les hommes – qui cherchent à divorcer mais qui se trouvent bloqués dans leur démarche non pas par leur conjoint ou leur conjointe, mais par les tribunaux rabbiniques.

« J’ai, pour ma part, une définition très vaste de ce mot », dit Farber, de l’ITIM. « Aujourd’hui, je pense que l’agounah n’est plus une femme dont le mari a disparu. C’est une femme qui se trouve dans l’impossibilité de se remarier à cause de la Halakha [loi juive] ». Des milliers de femmes dans l’incapacité de conclure un nouveau mariage et des milliers d’autres pour qui se marier est impossible répondent à cette définition, note-t-il.
Les chiffres exacts concernant les femmes qui ne parviennent pas à obtenir le divorce sont impossibles à trouver. Mavoi Satum, une organisation à but non-lucratif qui aide les agounot, dit qu’une femme demandant le divorce sur cinq se heurte à un refus en Israël. Yad Laisha – un groupe affilié à l’organisation Ohr Torah Stone, qui s’occupe aussi des agounot – estime qu’il y a environ 2 400 nouveaux cas chaque année et ITIM, de son côté, affirme qu’ils doivent être en réalité beaucoup plus nombreux dans la mesure où tous les cas ne sont pas signalés. Le rabbinat, pour sa part, affirme que les chiffres sont bien inférieurs à ceux avancés par les groupes issus de la société civile, qui de leur côté contestent son décompte.
Malgré des décennies d’appels à la réforme émanant des députés, des organisations à but non-lucratif ou de certaines personnalités religieuses, peu de choses ont changé depuis que le statu-quo qui gouverne les questions de religion et de l’État a été mis en vigueur, il y a 75 ans.

Le Bureau central des statistiques estime qu’environ 450 000 personnes en Israël sont officiellement enregistrées comme étant « sans religion » – la vaste majorité d’entre elles sont originaires de l’ex-Union soviétique – et elles ne peuvent donc aucunement se marier légalement dans le pays. Des dizaines de milliers d’autres individus, et notamment les membres de la communauté homosexuelle, les « mamzer »– soit des enfants nés suite à une relation interdite par la loi juive – ou les personnes désireuses d’épouser un conjoint d’une autre religion ou sans religion sont aussi dans l’incapacité de se marier en Israël.
A des fins juridiques, Israël reconnaît les mariages conclus à l’étranger, et notamment les unions homosexuelles. Mais si un couple hétérosexuel juif se marie hors des frontières du pays et qu’il cherche à divorcer en Israël, il n’aura pas d’autre choix, pour ce faire, que de recourir aux tribunaux rabbiniques.
Selon des statistiques du ministère de l’Intérieur, le nombre d’Israéliens qui se sont mariés à l’étranger a augmenté de 16 % au cours de la dernière décennie, passant de 4 853 en 2010 à 5 650 en 2018 (des statistiques plus récentes ont été volontairement laissées de côté, ayant été faussées par la crise de la COVID). Le Bureau central des statistiques affirme que 25% des couples qui se sont mariés hors du pays, au cours des 20 dernières années, étaient des couples formés de deux ressortissants Juifs.

« Tous les fondements qui font d’Israël un État juif reposent de nombreuses manières sur les femmes », estime Rachel Stomel, une militante qui travaille au département de la communication du Centre pour la Justice des femmes – une ONG qui prône l’égalité juridique des femmes devant la loi juive. Elle note que la Halakha ne reconnaît que l’origine matrilinéaire. « Et à chaque fois que religion et État s’affrontent, c’est souvent les femmes qui en paient le prix et qui en souffrent le plus. »
Ceux qui ont travaillé avec le système racontent des histoires impensables, nées d’une combinaison de maris récalcitrants et de tribunaux rabbiniques butés : une femme dont l’époux avait été mis en examen pour tentative de meurtre à son encontre, mais à qui la cour demandait si elle voulait réellement divorcer de lui – et qui avait dû attendre plus de six mois pour obtenir le guet ; un ex-mari qui avait tenté de convaincre que le nouvel enfant de son ex-épouse était le sien pour se venger ; une femme à qui un tribunal rabbinique avait dit – après 30 années d’attente de divorce – qu’il fallait qu’elle verse la somme d’un million de shekels sous peine de rester mariée ; et une femme qui avait été sommée d’accorder le contrôle d’un embryon gelé à son ex-mari en échange de l’officialisation de leur séparation.
Piégée par l’État
En 2019, « Dina » avait voulu obtenir le divorce – une démarche avec laquelle son mari était tout à fait d’accord. Mais le couple avait été sidéré quand la cour rabbinique avait refusé d’autoriser leur séparation, qu’ils réclamaient pourtant tous les deux.
« Nous avons demandé le divorce ensemble. C’était une requête mutuelle », dit-elle au Times of Israël en notant qu’ils s’étaient accordés sur tout ce qui était nécessaire devant le tribunal aux Affaires familiales – la cour laïque qui fonctionne parallèlement aux tribunaux religieux – et qu’ils s’étaient ensuite tournés vers la cour rabbinique pour s’occuper du guet, comme c’était exigé. « Et soudainement, ils ont décidé qu’ils devaient examiner ce qui pouvait bien se passer avec moi, qu’ils devaient vérifier qui j’étais », s’étonne Dina.
Un problème incompréhensible pour Dina dans la mesure où cette native de Russie et son époux – né en Israël de parents irakiens – s’étaient unis par le biais du rabbinat en 2006 sans rencontrer de problème majeur.
« Je suis assez juive pour me marier mais je ne suis pas assez juive pour divorcer », remarque-t-elle.
Le tribunal avait fait savoir qu’il ne pouvait pas accorder le divorce à moins que Dina n’accepte une enquête sur sa judéité. Sonnée par cette exigence, elle avait refusé et elle avait lancé un appel devant une instance judiciaire supérieure, qui avait rejeté sa requête. Aujourd’hui, Dina, 39 ans, se prépare à déposer une plainte devant la Haute cour, une plainte qui est actuellement préparée par le Centre de la Justice des femmes.
« Je suis légalement encore mariée, je suis bloquée, je suis une agounah par la volonté de l’État – pas par la volonté de mon mari », déplore-t-elle.
Dina raconte avoir peu de contacts avec l’homme qui partageait sa vie mais être encore inextricablement liée à lui au niveau légal.
« C’est impossible de s’échapper », s’exclame-t-elle. « A chaque fois que vous avez affaire à la bureaucratie dans votre vie, à chaque fois que vous affaire à un département du gouvernement, il y a un problème. Il faut s’expliquer en permanence, il faut expliquer toute l’histoire. »
Et son statut compliqué et invraisemblable, continue-t-elle, l’a empêché d’avoir un autre enfant dans la mesure où elle prendrait le risque que le nouveau-né soit déclaré « mamzer » – enfant illégitime – par l’État, ce qui signifie qu’il lui serait impossible de se marier un jour par le biais du rabbinat. « Même si j’ai envie d’avoir d’autres enfants, je n’y pense pas, je m’interdis d’y penser. Je me sens véritablement prise au piège ».
Dina explique qu’elle n’envisage pas de se remarier à l’avenir. « Je ne veux plus jamais me retrouver dans cette position où j’ai le sentiment que quelqu’un détient autant de pouvoir sur moi », dit-elle. « C’est votre liberté de choix qui disparaît. »
Le combat pour la réforme
Farber, qui a fondé il y a vingt ans l’ITIM, déclare que si des progrès ont été réalisés sur les questions du mariage et du divorce, il reste beaucoup de chemin encore à parcourir.
« Quand on en vient au mariage, vous pouvez ouvrir un dossier matrimonial partout dans le pays, vous pouvez faire venir vos témoins partout. Tout ça a changé au cours des 20 dernières années », explique-t-il. « Il y a de la concurrence s’agissant du mariage, ce qui est formidable. On peut choisir où se marier, organiser un office à l’endroit où on souhaite se marier. Et on peut choisir son rabbin ».

Mais sur la question du divorce, dit Farber, « la problématique des agounot s’est amplifiée… Mais rien n’est réglé encore… Je pense que nous sommes engagés dans un processus, d’un processus qui est précisément en train de se dérouler et malheureusement, beaucoup de gens souffrent encore dans ce cadre. »
TIM peut s’enorgueillir de nombreuses victoires sur les questions du mariage et de la conversion, ajoute-t-il, mais concernant le divorce, « nous avons réussi à sensibiliser un petit peu les consciences sur le problème, mais nous ne sommes pas parvenus à changer le cours quotidien des choses ».
Tamar Oderberg, avocate qui a travaillé aux côtés de l’organisation Yad Laisha pendant presque une décennie, note « qu’aujourd’hui, il y a des dayanim [des juges des tribunaux religieux] qui se montrent plus enclins à écouter les femmes et à faire preuve d’empathie mais ils utilisent les sanctions qu’ils peuvent utiliser quand ils peuvent le faire. »
« Il y a des progrès mais ce n’est pas suffisant », affirme-t-elle. « Ils pourraient faire plus de choses – mais ils hésitent à le faire ».
Pour Stomel, la situation actuelle en Israël est insoutenable.
« Nous ne bénéficions pas d’une pleine démocratie », dit-elle. « Nous vivons sous un régime de théocratie partielle, ce qui assurément, ne sonne pas bien à l’oreille mais ce qui est pourtant vrai. Les droits civils de base, le mariage et le divorce – ce sont des droits humains », s’exclame-t-elle.
« L’État d’Israël ne voit pas de problème à ce que les femmes ne soient pas les égales des hommes et il n’y a pas lieu de s’en réjouir », continue Stomel. « En particulier si nous voulons qu’Israël soit un pays prospère à la démocratie durable. On ne peut pas soutenir un système qui a des problèmes structurels d’une telle importance s’agissant des libertés civiles – parce que cela touche tout un chacun ».
Mesures drastiques
« Sarah » ne s’est jamais mariée par le biais du Rabbinat. Née en Israël, elle avait rencontré son mari à New York, elle l’avait épousée lors d’une cérémonie civile au Texas et elle s’était mariée religieusement en Israël – l’union n’avait pas été enregistrée – pour satisfaire aux demandes de sa famille.

Le couple avait d’abord vécu heureux – majoritairement aux États-Unis – pendant près de 15 ans. Mais après un épisode psychotique de son époux entraîné par la révélation de crimes perturbants commis par un membre de sa famille immédiate, Sarah s’était sentie prise au piège d’une situation dangereuse.
Quand son mari était tombé malade, Sarah avait pris ses trois enfants – l’un d’entre eux était né d’une relation antérieure – et toute la famille avait embarqué dans un avion en direction d’Israël. Et dès que la famille avait atterri au sein de l’État juif, Sarah avait réalisé qu’elle était enceinte.
« J’ai emmené mon mari chez sa mère – j’avais besoin d’aide », explique-t-elle. « Je ne pouvais pas tout gérer… il n’était absolument plus dans le monde réel. Pendant environ six mois, il n’avait tout simplement plus été là ; il n’y avait plus personne sur qui je pouvais compter. Et j’étais enceinte et en charge de trois enfants ».
Avec des soins et des médicaments, explique Sarah, l’état de son mari s’était beaucoup amélioré. Il avait toutefois pris la décision de stopper son traitement, ce qui avait entraîné chez lui un autre épisode psychotique.
C’est à ce moment-là que la jeune femme avait réalisé qu’elle n’avait d’autre choix que de mettre un terme à son mariage.
« Cela a commencé avec mes enfants, terrifiés, qui m’appelaient quand j’étais au travail », explique-t-elle. « A la minute où j’ai compris que mes enfants avaient peur, que notre vie était en train de totalement dérailler et que mes enfants n’étaient plus heureux… Alors j’ai dû faire un choix pour moi et pour les enfants. »
Le divorce n’avait pas été facile. « Tu n’obtiendras jamais le divorce, tu devras me passer sur le corps, oublie cette idée », lui avait dit son époux lorsqu’elle lui avait fait part de sa détermination à acter officiellement une séparation. Sarah avait demandé de l’aide auprès de Yad Laisha et finalement, la Cour rabbinique avait émis une ordonnance obligeant son mari à comparaître devant les juges.
Pendant deux ans et demi, indique-t-elle, la cour avait tenté de convaincre son mari de lui accorder le divorce – en vain. Les juges s’étaient montrés d’abord aimables, puis ils avaient émis des menaces, imposé des amendes – sans résultat. Ce n’est qu’il y a environ deux mois qu’ils ont finalement utilisé leur autorité pour l’envoyer en prison.
« Deux semaines plus tard, il m’a accordé le guet », raconte Sarah. « Il a fallu deux ans et demi pour qu’il aille en prison. On aurait pu économiser de l’argent, du temps et de la paperasse s’ils avaient pris cette décision plus tôt. ‘Vous ne voulez pas lui accorder le guet ?, D’accord, vous irez en prison pendant deux semaines’. »
Oderberg, de Yad Laisha , estime que « c’est rare, c’est très rare que les juges rabbiniques envoient un homme refusant le divorce en prison », et elle déplore le fait que « de nombreuses années peuvent se passer » avant qu’ils ne prennent une telle décision.
« C’est une sanction très spectaculaire… C’est très extrême », continue la juriste. Elle note que les juges ont d’autres sanctions à leur disposition – invalidation du permis de conduire, gel des comptes bancaires, sanctions financières et autres – « mais quand j’observe le système dans son ensemble, ces sanctions ne sont envisagées qu’après une certaine période de temps – une période qui peut être malheureusement très longue ».

Sarah affirme ne pas blâmer les juges rabbiniques pour l’épreuve qu’elle a dû traverser, ajoutant que son souhait n’est pas de changer la loi juive.
« Je pense qu’il y a des solutions dans la Halakha qui ne sont pas mises en pratique », déclare-t-elle, évoquant l’annulation des mariages, la notion de « mariage provisoire » qui permet aux tribunaux d’annuler une union a posteriori, et une plus grande sensibilisation avant le mariage aux contrats prénuptiaux.
La preuve par l’actualité
Les inégalités apparentes du système matrimonial en Israël ont été mises en exergue de manière inattendue au mois de novembre dernier, lorsque deux célébrités israéliennes se sont mariées. L’union entre l’acteur ultra-orthodoxe et chanteur Shuli Rand et la présentatrice laïque de télévision Tzofit Grant avait surpris et décontenancé, même avant le grand jour.
Mais les potins au sujet du nouveau couple people avaient également été exacerbés par la divulgation d’une information généralement inhabituelle dans l’heureuse annonce d’un mariage : Rand était encore marié, juridiquement et aux yeux de la loi juive, à sa première épouse, Michal Rand, qui refusait le divorce. Il avait toutefois obtenu l’autorisation de se remarier – d’avoir donc deux femmes, aux yeux de la loi israélienne – dans le cadre d’une procédure religieuse au cours de laquelle une union est autorisée si elle est approuvée par cent rabbins, le heter meah rabbanim en hébreu.

Si la bigamie est illégale au sein de l’État juif – elle est passible d’une peine de prison – une exception est prévue dans la loi pour accorder aux hommes juifs un droit exceptionnel dans cette situation. La nouvelle du remariage de Rand, avaient déclaré de nombreux activistes, soulignait que les rabbins pouvaient être totalement prêts à assouplir les règles dès lors qu’il s’agit de permettre aux hommes de continuer à vivre leur vie – une démonstration de tolérance qu’ils refusent par ailleurs obstinément aux femmes.
« D’un côté, c’est une bonne chose qu’il y ait des solutions dans la loi juive qui permettent aux personnes de sortir de l’impasse », dit Stomel. « Mais lorsque ces solutions halakhiques ne sont réservées qu’à certains, qu’elles ne sont réservées qu’aux hommes, alors on ne fait que renforcer et accentuer un déséquilibre du pouvoir qui est déjà énorme ».
Stomel estime que les tribunaux religieux autorisent, chaque année, à environ 10 ou 12 hommes déjà mariés à contracter une nouvelle union. Et si c’est relativement rare, ajoute-t-elle, cela reste bien plus commun que de voir des juges déclarer officiellement qu’un homme se refuse à accorder le guet et prendre la décision de l’emprisonner jusqu’à ce qu’il accepte – ce qui, selon elle, ne survient que deux ou trois fois par an.
« Ils ont tous ces outils dont ils peuvent se servir pour punir un homme qui refuse d’accorder le guet – mais, en réalité, les hommes qu’ils mettent en prison chaque année se comptent sur les doigts d’une main. C’est si rare, tellement rare ! », s’exclame-t-elle.
Sarah explique avoir entendu parler du remariage de Rand alors qu’elle attendait au tribunal rabbinique une nouvelle audience dans l’affaire de son divorce.
« Shuli Rand est la preuve indubitable, s’il en fallait une, que les hommes et les femmes ne sont pas égaux face aux procédures de mariage et de divorce », explique-t-elle, notant que même sans l’approbation spéciale qui lui était nécessaire pour se remarier, jamais les futurs enfants de Rand n’auraient hérité du statut de « mamzer ». « Les hommes sont libres de commencer une nouvelle relation, d’avoir d’autres enfants, et c’est là l’essence du problème. »
« Je suis heureuse que Shuli Rand n’ait pas eu à traverser ce que j’ai moi-même traversé », poursuit-elle. « Mais je pense que je ne méritais pas, moi non plus, de vivre ce que j’ai vécu ! »
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