Les économistes mettent en garde contre le risque de grave crise économique en Israël – voire d’effondrement – et certaines sociétés de notation internationales ont déjà abaissé la note et les prévisions associées au pays.
La longue guerre contre le groupe terroriste du Hamas, la mobilisation généralisée des réservistes de Tsahal, les relations internationales fragiles, les considérables dépenses publiques, la façon dont est géré le gouvernement et les tentatives ostensibles de saper les bases du régime démocratique – chacun de ces éléments pris isolément pourrait à lui seul provoquer une crise économique.
Mais les principaux baromètres économiques ne font pas état d’une crise profonde ; aucun n’est excellent, mais aucun n’est épouvantable. Selon eux, la situation est un peu moins bonne qu’avant la guerre, mais beaucoup mieux que depuis le début de la guerre.
Les principaux indices de la Bourse de Tel Aviv sont plus élevés qu’avant la guerre et se rapprochent des records de 2022. L’indice Tel Aviv 35 a clôturé dimanche à 1 984,9 points. (Il avait dépassé les 2 000 pour la dernière fois en janvier, avril et août 2022. Avant la guerre, il s’élevait à environ 1 830 points.)
Lorsque la guerre a commencé, le 7 octobre, les indices ont chuté, mais dès la fin du mois, la bourse a commencé à se relever. L’indice Tel-Aviv 35 a atteint 1 850 fin décembre, à un niveau légèrement plus élevé qu’avant la guerre donc. Aujourd’hui, il est supérieur d’environ 8 % à ce qu’il était avant la guerre.
Avant que le gouvernement actuel ne prête serment, la bourse israélienne était globalement dans le sillage des principales bourses – celles des États-Unis, d’Europe et d’Asie de l’Est. Aujourd’hui, Tel Aviv est loin derrière, et ces dix-huit derniers mois, la plupart de ces bourses ont connu une bien meilleure trajectoire. Pour autant, la hausse des indices de Tel Aviv est un motif de satisfaction, compte tenu des circonstances.
Le taux de change du shekel avec les devises occidentales est lui aussi assez proche de ce qu’il était dans l’avant-guerre. Samedi, le taux de change avec le dollar américain a été de 3,75 shekels, soit huit agorots de moins que le dernier taux de change enregistré avant la guerre, le 5 octobre.

Pendant la crise du COVID-19, le shekel s’est affirmé comme l’une des devises les plus fortes au monde grâce à l’industrie florissante de la haute technologie. En 2022, la « bulle COVID » a éclaté et le dollar américain a atteint environ 3,5 shekels. En 2023, il a continué d’augmenter et, en septembre dernier, il avait atteint 3,8 shekels.
Lorsque la guerre a éclaté, le dollar américain a bondi à plus de quatre shekels, mais fin décembre, il était retombé à environ 3,6 shekels, un niveau inférieur à celui d’avant-guerre. En ce moment, il varie entre 3,7 et 3,8 shekels.
L’euro s’est, lui, davantage renforcé par rapport au dollar américain, ces deux dernières années, pour des raisons sans rapport avec Israël, mais a connu une trajectoire similaire à celle du dollar américain par rapport au shekel.
Le taux de change de l’euro s’élevait à un peu plus de quatre shekels fin septembre et il a bondi au début de la guerre, mais il est redescendu depuis pour se situer aux environs de 4,04 shekels.
Le chômage a augmenté, la qualité de vie s’est dégradée
Les taux de chômage en Israël étaient très bas avant la guerre et le sont encore aujourd’hui, mais sans atteindre les niveaux records de la période du COVID. Le taux de chômage officiel limité (correspondant aux personnes sans emploi éligibles aux allocations chômage) n’était que de
3 % en mai dernier.
Le taux de chômage au sens large, qui comprend les personnes mises en congé sans solde pendant la guerre et les personnes licenciées qui n’ont plus droit aux allocations chômage, s’élevait à environ 5,3 % en mai.
Le taux de chômage au sens large était de 4,2 % en septembre, 9,6 % en octobre (il a atteint 10,4 % en incluant les parents restés chez eux avec leurs enfants, soit plus de 400 000 personnes). Il est retombé à 8,5 % en novembre, 6,1 % en décembre (soit 300 000 personnes) et enfin 5 % en avril. Il a un peu augmenté en mai, par rapport à avril, tout en restant à un niveau modéré.

Le Bureau central des statistiques (CBS) d’Israël publie chaque semestre des statistiques sur la croissance, ce qui place les chiffres les plus récents à la fin mars. Selon ses données, le produit intérieur brut (PIB) a augmenté au premier trimestre 2024 par rapport au dernier trimestre 2023.
Ce n’est pourtant pas aussi positif qu’il n’y paraît. En effet, le PIB a bondi au premier trimestre 2024 parce qu’il s’était contracté au dernier trimestre 2023. Selon les chiffres du CBS, le PIB au dernier trimestre de 2023 aurait diminué de près de 19 %.
Le PIB au premier trimestre 2024 a été inférieur de 1,3 % à ce qu’il était à la même période l’an dernier. En termes de croissance par habitant, le PIB a chuté au premier trimestre 2024 d’environ 3 % par rapport au premier trimestre 2023.
La variation du PIB par habitant est considérée comme l’indice de référence pour les changements de qualité de vie, ce qui signifie que la qualité de vie en Israël en avril était, selon les données du CBS, inférieure à celle d’avril 2023.
Le PIB par habitant en 2023 a chuté de 0,1 % par rapport à 2022, une variation très minime. La forte croissance enregistrée en 2022 et début 2023 a progressivement ralenti au cours de l’année avant de s’interrompre avec le début de la guerre.
La croissance a repris, début 2024, tirée par une hausse de la consommation. Selon le CBS, les dépenses privées ont augmenté d’environ 26,3 % au premier trimestre 2024, après avoir été à l’arrêt – ou presque – au début de la guerre et avoir chuté de près de 27 % au dernier trimestre 2023.

Depuis le déclenchement de la guerre, les dépenses publiques ont nettement augmenté, bien plus que ces dernières décennies, en raison de la mobilisation des réservistes, de l’achat d’armements et de l’aide aux populations évacuées ainsi qu’aux victimes de guerre. Les dépenses publiques ont augmenté de 88 % au dernier trimestre 2023 et continué de grimper au premier trimestre de cette année, de l’ordre de 7 %.
Les dépenses de sécurité ont, elles, augmenté de 27 % au quatrième trimestre 2023 et continué de croître de 39 % au premier trimestre 2024.
Les Israéliens continuent de beaucoup acheter, essentiellement des produits importés, mais l’industrie israélienne a moins de relations avec d’autres pays. Les exportations locales, qui avaient établi des records historiques en 2021 et 2022, n’ont que légèrement augmenté au premier trimestre 2023, malgré une forte hausse des exportations de matériels de sécurité, et sont en baisse depuis le début de la guerre.
Selon les données du CBS, les exportations de biens et de services israéliens ont baissé de 18 % au dernier trimestre 2023. Tout au long de l’année, elles ont diminué de 2,2 %. La principale raison en est les effets délétères de la guerre sur le secteur de la technologie et de l’agriculture.
Les exportations ont continué de baisser début 2024. Au premier trimestre de cette année, elles ont baissé de 5,5 % par rapport au précédent trimestre et de 26 % par rapport au premier trimestre 2023. Et ce, malgré la poursuite de la hausse des exportations de matériels de sécurité.
Dans leur ensemble, les économistes pensent que la reprise de la consommation est temporaire et découle des dépenses massives de l’armée et de l’aide aux populations évacuées, désormais accordée aux civils et aux entreprises.

« Nous nous acheminons vers une profonde récession »
Selon l’économiste en chef du cabinet comptable et de conseil économique BDO, Chen Herzog, « L’armée joue ici le rôle d’amortisseur en aidant les entreprises incapables d’avoir une activité économique productive. Les entreprises ont une faible productivité parce que leurs personnels réservistes sont au front. Certaines sont même fermées, mais leurs employés sont payés par le ministère de la Défense. »
« Grâce aux versements de l’armée et aux subsides du gouvernement, les gens ont encore de l’argent à dépenser, ce qui explique que les dépenses publiques aient augmenté au premier trimestre et que le sentiment d’opulence soit revenu. À cela s’ajoutent les achats massifs d’armes et d’équipements militaires par le gouvernement auprès des entreprises. Pour autant, exportations, investissements et production des entreprises ont eux considérablement diminué. »
« Le marché n’a pas les moyens de financer toutes les dépenses publiques qui se multiplient », assure-t-il. « Tous les indicateurs montrent que nous nous dirigeons vers une profonde récession, que nous y sommes déjà. »
Les prévisions macro-économiques du ministère des Finances publiées en avril faisaient état d’une croissance du PIB de l’ordre de 2 %. Le taux de croissance démographique est plus élevé, ce qui induit une légère baisse du PIB par habitant et de la qualité de vie.
Selon ces prévisions, « l’offre se redresse après une réduction significative de la portée de la mobilisation des réservistes par rapport au début de la guerre. Nous pensons que le pessimisme des consommateurs va continuer de peser sur la demande.
« La demande émanant des touristes étrangers a chuté, et la situation sécuritaire ne laisse pas présager de changements… Les taux de chômage élevés vont continuer de baisser progressivement en 2024 pour retrouver les niveaux d’avant-guerre en 2025. »
« En 2024, le déficit budgétaire public devrait tourner autour de 6,6 % du PIB. La dette devrait atteindre 67 % du PIB. Le budget public actualisé pour 2024 fait état d’une hausse des dépenses par rapport au budget initial de l’ordre de 70 milliards de shekels – 55 milliards pour les dépenses de sécurité et 15 milliards pour les dépenses civiles liées à la guerre -.
« Par ailleurs, le gouvernement devrait verser des indemnisations, puisées dans son fonds éponyme, à hauteur de 18 milliards de shekels non répertoriés comme dépenses du budget mais présupposant un financement public. »
Les prévisions pessimistes du Trésor s’adossent à l’hypothèse d’une fin prochaine de la guerre – hypothèse tout sauf certaine.
Certains ministres, comme celui des Finances, Bezalel Smotrich, et, parfois, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, disent vouloir que l’armée israélienne reste à Gaza pour y établir un régime militaire, ce qui coûterait des dizaines de milliards de shekels. Le ministère des Finances n’a pas tenu une seule réunion sur les coûts associés à ce projet.
En outre, les prévisions du Trésor supposent que la guerre restera à son rythme actuel et ne s’aggravera pas. Selon le Trésor, « les prévisions partent du postulat que la guerre va rester concentrée sur un front à Gaza et que ses conséquences macroéconomiques vont continuer à affecter modérément 2024. »
« Selon la tournure des événements – la durée et la portée de la guerre -, les conséquences économiques seront variables », note-t-il cependant. « Plus précisément, l’extension de la guerre au front nord aurait sans doute un considérable impact économique négatif. »
« Cette extension emportera davantage d’effets délétères sur la croissance et pourrait même affecter l’économie quotidienne. Elle aura des effets sur les marchés, l’inflation, le déficit et la dette publique, pour ne parler que de ça. »
« Un autre risque pour le déficit vient des incertitudes qui pèsent sur l’aide financière américaine pour ses achats d’équipements de sécurité aux Etats-Unis », note la prévision. « Ceci nous amène à estimer que l’équilibre des risques concernant les prévisions de croissance est à la baisse. »

Selon des sources sur le marché des capitaux, l’inquiétude concernant l’escalade des combats avec le Hezbollah, qui pourrait également conduire à une guerre contre la Syrie et l’Iran, n’a pas affecté la bourse ni les taux de change. En effet, les investisseurs espèrent toujours la conclusion d’un accord de cessez-le-feu à Gaza et de libération des otages, propre à empêcher l’escalade dans le nord.
Selon une source dans la salle des marchés d’une organisation financière de tout premier plan, « la situation affecte le commerce. La bourse s’agite et le shekel est faible. On n’y voit pas encore très clair parce que les grandes bourses étrangères connaissent une forte hausse et que l’argent des investisseurs israéliens y est investi, donc il semble y avoir de la croissance, surtout avec tous ces investissements reportés sur des places étrangères l’an dernier. Ils gagnent des dollars et achètent des shekels avec, ce qui fait monter le shekel. »
« Mais il y a une différence de niveau entre la croissance des bourses internationales et celle de Tel Aviv. Nous sommes loin derrière. Il y a un écart énorme entre le shekel actuel et celui qu’il aurait dû être si la situation israélienne avait été différente. Le dollar aurait dû valoir trois shekels. »
Le Times of Israel a posé à cette source la question : La baisse du shekel a commencé début 2022 et l’écart entre bourses israéliennes et étrangères s’est creusé fin 2022. Au début de la guerre, le shekel et la bourse de Tel-Aviv ont chuté mais sont, depuis, revenus aux taux d’avant-guerre. Comment l’expliquez-vous ?
La source a répondu : « Parfois, les investisseurs anticipent les choses et vendent avant que les événements ne se produisent. »

Nous lui avons également demandé : Certaines personnes disaient que les politiques du gouvernement pourraient conduire à un désastre sécuritaire avant même qu’il n’ait lieu. Est-il possible que l’anticipation d’une guerre ait affecté le marché avant le début de la guerre ?
« Oui », a répondu la source. « Apparemment, la guerre était déjà perceptible dans la baisse des taux amorcée avant même son déclenchement. Elle s’est ajoutée aux inquiétudes des investisseurs quant aux effets possibles de la réforme judiciaire – à ce jour mise entre parenthèses – sur leur argent. La faiblesse des tribunaux est un problème pour l’économie.
Enfin, nous lui avons posé la question : Que pensent les investisseurs d’un possible cessez-le-feu et des risques d’escalade ?
« Ils ne savent pas ce qui va se passer, alors ils sont sur la brèche. Les cycles de trading sont plutôt réduits, dans leur ensemble, parce que les investisseurs ne veulent pas agir sans savoir ce qui va arriver. On voit des taux plus bas, en bourse et en shekel, lors des grands cycles, le jeudi, parce que les investisseurs veulent se débarrasser de leurs actions et de leurs shekels avant le week-end, en cas d’escalade. »
« Si quelque chose d’important se produit dans le nord, le dollar et l’euro vont s’envoler et la bourse s’effondrer », explique notre source. « Et vice versa : s’il y a subitement accord et cessez-le-feu, il y aura une forte tendance haussière. »
Traduit et amendé de l’original paru dans Zman Yisrael, la version en hébreu du Times of Israel.