NEW YORK – Personne n’aime les jurés qui s’accrochent. Soit on libère l’accusé, soit on l’envoie sur la chaise ! Mais ma réaction au film « Les 7 de Chicago » d’Aaron Sorkin est grande – le film a occupé énormément de place dans mon esprit – et je ne peux toujours pas vraiment vous dire si je l’adore ou si je le déteste. Je sais que le travail fondamental d’un critique est de dire si on a aimé ou pas un film, mais celui-ci m’a vexé. Je demande l’annulation du procès !
« Les 7 de Chicago » est basé sur l’affaire de complot dans laquelle l’administration Nixon a essayé de « mettre les années 60 en procès ». En tant que film, c’est un alignement fort de l’artiste et du répertoire.
Aaron Sorkin, dont la carrière a débuté comme dramaturge, est l’un des rares auteurs de dialogues qui travaillent aujourd’hui avec suffisamment d’imprimatur pour avoir une cadence reconnaissable. Perfectionnés au cours des sept saisons de « The West Wing », puis déployés dans des films comme « The Social Network », « Steve Jobs » et « Molly’s Game », les personnages de Sorkin ne parlent pas vraiment comme des êtres humains, mais disent les choses que nous aimerions tous être assez intelligents pour penser à les dire au milieu d’une conversation animée.
Une salle d’audience dans laquelle quelqu’un comme Eddie Redmayne dépeint le jeune militant anti-guerre Tom Hayden et dans laquelle Yahya Abdul-Mateen II déborde d’une fureur juste dans le rôle du co-fondateur des Black Panthers, Bobby Seale, face à un juge conservateur harassant joué par Frank Langella, est tout simplement trop parfaite.

Pour Sorkin, s’imprégner de détails politiques vieux de 50 ans puis tracer une ligne directe avec les questions « d’aujourd’hui », c’est de la pure herbe à chat. Il le fait en plus proprement, comme l’illustre la scène d’ouverture qui présente les nombreux personnages en leur faisant finir les phrases les unes des autres selon la technique « Joyeux Noël … et bonne année » de « Citizen Kane ».
Mais il peut aussi être maladroit. Toutes les musiques sont anachroniques. Certains termes n’étaient pas utilisés à l’époque et sont clairement destinés à faire écho à Donald Trump. Et, surtout, l’étreinte à la fin (que je ne gâcherai pas) n’est pas seulement fausse dans le ton, elle est aussi probablement fausse dans les faits. Les transcriptions des procès sont faciles à trouver en ligne.
Il se trouve que j’arrive à ce film avec un degré élevé de familiarité avec le sujet – le procès pour conspiration qui a eu lieu après les émeutes de la Convention nationale démocrate de 1968 à Chicago. Non, le fait que mon nom soit Hoffman ne signifie pas que je suis un parent d’Abbie Hoffman, leader du mouvement Yippie, (et voici un bonus supplémentaire : le nom de jeune fille de ma mère est Rubin, tout comme Jerry Rubin, co-accusé d’Abbie Hoffman). Je ne suis pas non plus apparenté au juge Julius Hoffman, qui, comme il le fait lui-même remarquer au jury, n’est pas lié au radical aux cheveux longs qui se trouve sur le banc des accusés. « Père,
non ! », s’esclaffe Abbie Hoffman lorsqu’il a fait cette distinction, l’une des nombreuses interruptions du procès qui a conduit à une série de condamnations pour outrage à magistrat (qui ont toutes été annulées par la suite).

Ce moment de repartie se retrouve dans le film de Sorkin, et se déroule à merveille entre Sacha Baron Cohen et Frank Langella. Le fait d’apprendre qu’Abbie Hoffman, l’ultime gobelet de la politique de la contre-culture, serait joué par le comique a fait naître de grandes attentes pour ce film. Et il est très bon dans son rôle. (D’accord, il n’a pas tout à fait saisi l’accent, mais aucun humain avant ou depuis n’a jamais vraiment parlé avec le dialecte de Boston spécifique à Hoffman, enrichi de THC).
Mais dans tout ça, Sorkin semble brider Sacha Baron Cohen. Et après avoir regardé le film deux fois, je me suis rendu compte de ce que c’est : cette histoire incroyablement juive a été considérablement dé-judaïsée.
Le procès était une manifestation de la promesse de Nixon de « rétablir la loi et l’ordre ». Des accusations ridicules de conspiration en franchissant les frontières de l’État de l’Illinois dans l’intention de créer une émeute ont été fabriquées. Le gouvernement a d’abord accusé huit hommes, dont Bobby Seale, l’un des fondateurs des Black Panthers, Dave Dellinger, un ancien homme d’État objecteur de conscience, Rennie Davis et Tom Hayden, deux dirigeants des Students for a Democratic Society, deux autres types (dont un juif) qui se sont retrouvés un peu pris entre deux feux et deux juifs très flamboyants.
Les grandes gueules, le centre d’attention, les clowns de la cour et ceux sur lesquels la presse est restée concentrée étaient Abbie Hoffman et Jerry Rubin. Et ils étaient fiers d’être des Juifs turbulents.

Pour les défendre (enfin, pas pour défendre Seale, qui est une véritable boîte de Pandore qui l’a finalement conduit à être menotté et bâillonné dans la salle d’audience, puis jugé séparément), il y avait deux avocats juifs, William Moses Kunstler et Leonard Weinglass. Le juge, comme mentionné, était juif. Et l’un des deux procureurs, Richard Schultz, était juif.
La forte concentration de Juifs dans cette histoire est quelque chose d’impossible à ignorer, surtout pour 1969/70, et pourtant Aaron Sorkin, qui est juif, non seulement l’ignore, mais il l’occulte même.
Dans le vrai procès, il y a eu beaucoup de cris entre les accusés (et l’avocat Kunstler) et le juge. Ils l’ont traité de fasciste. Ils appelaient les policiers de la cour la Gestapo. Rubin leva le bras en signe de salut et cria « Heil Hitler » et, dans ce qui est peut-être la seule fois où cette expression fut utilisée au tribunal fédéral, Hoffman appela le juge « a shonda fur die Goyim » (une honte pour les Juifs). Rien de tout cela ne figure dans le film.

Hoffman et Rubin, connus pour avoir utilisé des costumes tout au long de leur carrière de militants/acteurs de rue, se sont rendus un jour dans la salle d’audience en robe noire pour se mesurer au juge Hoffman. Ce moment est dans le film, mais ce que nous ne voyons pas, c’est que dans la vie réelle, ils avaient aussi apposé des étoiles jaunes juives. Le fait est que tous les accusés étaient jugés en raison des idées qu’ils avaient et de la façon dont ils s’identifiaient. Les Yippies étaient des (Groucho) marxistes.

La seule chose explicitement juive dans « Les 7 de Chicago », c’est ce moment où Abbie Hoffman arrive à la barre et où il décline son nom, ajoutant que son grand-père s’appelait, à l’origine, Shaboznikov. « Il était un Juif russe qui s’insurgeait contre l’antisémitisme », dit-il au juge Hoffman, « alors on lui a donné un nom qui résonnerait comme le vôtre ».
Il y a beaucoup à dire ici. En premier lieu, il n’avait jamais prononcé cette phrase. Il y a un choix artistique de la part de Sorkin qui cherche à utiliser cet échange pour faire la différence entre Abbie Hoffman, ce terrien vertueux, et Julius Hoffman, cruel et isolé. Ceux qui, parmi nous, ont pu étudier ce type de choses peuvent extrapoler en disant que Sorkin fait une distinction entre les Juifs russes de l’Amérique du milieu du 20e siècle et les Juifs allemands, (d’habitude) plus riches. Mais je ne le pense personnellement pas.

J’ai découvert, même en vivant à New York City, que mes amis non-Juifs les plus débonnaires, qui ne nourrissent aucune amertume à l’égard des Juifs, disent régulièrement la phrase : « Oh, je ne savais pas qu’il était Juif ». Cela ne signifie pas qu’ils vont changer d’opinion ou nourrir un nouveau point de vue sur la personne concernée – cela signifie simplement qu’ils ne pensent pas aux Juifs et qu’ils s’en moquent. Ce que je veux dire, ici, c’est qu’il y aura des gens qui vont regarder le film sans réaliser que sept des personnages sont Juifs avant que Sacha Baron Cohen ne prenne la parole pour l’annoncer.

De plus, ils pourraient même penser que le juge Hoffman (interprété par un non-Juif) n’est pas supposé être Juif.
« Un nom qui résonnerait comme le vôtre », comme le dit Baron Cohen, peut signifier pour quelqu’un qui n’est pas sur la bonne longueur d’onde
comme : « Oh, je suppose que Hoffman n’est pas tout le temps un nom
Juif ! » (et en tant qu’un Hoffman juif moi-même, je peux vous garantir que c’est vrai).
Pour ce que ça vaut, sur les sept personnages juifs du film, seul Abbie Hoffman est interprété par un acteur « notoirement » Juif. En plus du juge Hoffman de Langela, Jerry Tubin est interprété par Jeremy Strong (qui, à moins que mes recherches soient incorrectes) n’est pas Juif et William Kunstler a les traits de l’acteur britannique Mark Rylance (qui n’est pas un Juif non plus). Les acteurs juifs Joseph Gordon-Levitt, Noah Robbins, et Ben Shenkman incarnent respectivement le procureur Richard Schultz, l’accusé Lee Weiner et l’avocat Leonard Weinglass.

Personnellement, cela ne me dérange pas trop : Je suis d’une école où les acteurs jouent la comédie, et c’est la raison pour laquelle j’achète dès maintenant mon billet pour le « Cléopâtre » de Gal Gadot même si les cinémas ne doivent plus exister d’ici-là.
Ce que je trouve en revanche troublant, c’est la manière dont Sorkin a manqué cette opportunité de raconter une histoire d’un passé encore récent et qui est encore si importante pour le moment présent, en montrant la manière dont les Juifs ont pu de battre pour la justice sociale sur tous les fronts. Je n’arrive pas à savoir pourquoi Sorkin a pris la décision d’enterrer ainsi cette information et je ne suggère aucunement qu’il ait eu une intention malveillante. Mais c’est extrêmement et fondamentalement décevant.
De plus – du point de vue divertissement – il gâche tout. Est-ce que cela n’aurait pas été bien mieux de voir Sacha Baron Cohen hurler en yiddish ?! et pas seulement ça : Il saute, dans l’histoire, le moment où le poète juif Allen Ginsberg, arrivant à la barre des témoins, se lance dans un « OMMMMM » interminable – et seulement interrompu sur ordre du juge. Une scène de bonne comédie.
Le film « Les 7 à Chicago » présente pourtant ce bagout rapide de Sorkin que désirent un grand nombre d’entre nous, et pourrait amener certains esprits paresseux à réaliser que ce qui est survenu en 2020 partage finalement beaucoup avec 1968. Sauf que pour le moment, il est impossible de dire comment sera actionné, à la fin des fins, le marteau du président du tribunal.