Israël en guerre - Jour 431

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Des Druzes regardent au-delà de la frontière entre Israël et la Syrie, près de  Majdal Shams, sur le plateau du Golan, le 14 février 2014. (Crédit : AP/Oded Balilty)
Des Druzes regardent au-delà de la frontière entre Israël et la Syrie, près de Majdal Shams, sur le plateau du Golan, le 14 février 2014. (Crédit : AP/Oded Balilty)

Les Druzes du Golan de plus en plus nombreux à demander la citoyenneté israélienne

Après des années d’évitement, un nombre record de Druzes demandent la nationalité israélienne – pas de sionisme là-dedans, mais la commodité et l’éloignement d’avec la Syrie

Dans les quatre décennies qui ont suivi l’annexion concrète par Israël du plateau du Golan, les résidents druzes de ce plateau volcanique ont conservé avec jalousie leur identité syrienne, leur mode de vie syrien. Des panneaux de signalisation qui n’affichent aucune tolérance à l’égard de l’hébreu aux exploitations agricoles qui préfèrent faire passer leurs produits de l’autre côté de la frontière et les vendre en Syrie, les observateurs ont pu constater, au fil des années, combien cette communauté a rejeté l’intégration en Israël, conservant des liens commerciaux, sociaux et académiques forts avec Damas.

Ni l’amélioration de la situation économique de la population druze, ni les efforts concertés des gouvernements successifs pour briser ces liens ne sont parvenus à changer les choses.

Toutefois, ces dernières années, il y a eu un changement qui s’est opéré discrètement. Après des années de rejet presque total des offres faites aux Druzes d’obtenir la citoyenneté israélienne, le nombre de membres issus de cette communauté du Golan se portant candidats à la citoyenneté commence à augmenter.

Les chiffres officiels qui ont été obtenus par le biais d’une requête au nom de la liberté d’information qui a été soumise par Shomrim, via l’ONG Movement for Freedom of Information, montrent qu’au cours des cinq dernières années, le nombre de demandes de citoyenneté déposées par des résidents druzes du plateau du Golan est passé de 75 en 2017 à 239 en 2021.

Druze cross the border between Israel and Syria (photo credit: Flash90)
Des Druzes traversent la frontière entre Israël et la Syrie au poste de Quneitra. (Crédit : Flash90)

Et ces chiffres seront probablement encore plus élevés en 2022, car au cours des six premiers mois de l’année, 206 demandes avaient déjà été soumises.

Les raisons qui expliquent ce changement ne sont pas totalement claires – mais il semble qu’elles soient liées à la guerre civile syrienne, qui a rendu plus difficile le maintien des liens avec Damas et qui a aussi changé les attitudes à l’égard du régime syrien. Le changement générationnel peut avoir également joué un rôle, avec de nombreux jeunes adultes druzes, qui, sur le Golan, n’entretiennent plus avec la Syrie d’autre relation que celles créées par les récits racontés par leurs parents.

Shomrim a contacté des dizaines de résidents druzes du Golan, leur demandant un entretien pour les besoins de cet article. Parmi les Druzes fortement liés à Israël – notamment les responsables des autorités locales et les personnes très impliquées dans l’aide aux candidats désireux d’obtenir la citoyenneté israélienne – il y a eu un refus quasiment unanime de parler à Shomrim. La raison principale : leur inquiétude de subir des pressions de la part de leur communauté s’ils devaient s’exprimer ouvertement.

Même refus d’une interview chez ceux qui s’opposent à l’idée de prendre la citoyenneté israélienne, qui craignent de leur côté que parler aux médias ne fasse d’eux « des cibles » pour les autorités israéliennes.

Une mariée, Arin, membre de la communauté Druze du Golan, se prépare à rencontrer son fiancé au poste-frontière de Qouneitra, le 25 septembre 2008. (Crédit : Hamad Almakt/Flash90)

Parmi les rares ayant accepté de s’exprimer auprès de Shomrim, une femme d’une vingtaine d’années qui a grandi dans une famille qui n’a jamais cherché à obtenir la nationalité israélienne. Mila – c’est un pseudonyme – évoque une communauté où un nouveau narratif s’est fortement développé, un narratif qui remet en question la loyauté du régime syrien à l’égard des Druzes du Golan et qui parle de la difficulté rencontrée par les jeunes druzes à s’identifier à la Syrie, un pays qui leur est inconnu.

« Je n’ai jamais ressenti une quelconque affinité à l’égard de la Syrie ou à l’égard d’Israël », explique-t-elle.

Sa décision de demander la citoyenneté – une décision qu’elle a caché à toute sa famille, sauf à ses parents – n’a été prise que par commodité.

Reconnaître la réalité

Contrairement aux Druzes du nord d’Israël qui ont largement accepté la gouvernance israélienne, les Druzes qui vivent sur le plateau du Golan ont continué à entretenir des liens étroits avec la Syrie, même après la capture par l’État juif du territoire, en 1967, et son annexion concrète en 1981. Sur les 21 000 Druzes qui vivent dans quatre villes du Golan israélien, les chiffres du ministère de l’Intérieur notent qu’environ 4 300 ont la nationalité israélienne, notamment certains qui ont hérité de la citoyenneté de leurs parents qui l’avaient obtenue dans le passé.

De son côté, la régime syrien a encouragé de manière active la préservation de liens privilégiés avec les Druzes du Golan, soutenant les liens commerciaux et autorisant les résidents Druzes du plateau à venir faire gratuitement leurs études dans les institutions universitaires syriennes, par exemple. Il y a eu des regroupements familiaux entre Druzes, d’un côté et de l’autre de la frontière, ainsi que des mariages reliant des familles qui se trouvent de part et d’autre dans ces deux pays en conflit.

Une ambulance de Tsahal qui a été attaquée par des résidents druzes du Golan israélien alors qu’elle transportait des blessés de guerre syriens pour être soigné en Israël, le 22 juin 2015 (Crédit : Basel Awidat / Flash90)

Les Druzes, pour leur part, se sont assurés de faire connaître haut et fort leur loyauté conservée au régime de Bashar al-Assad, organisant de manière régulière des manifestations et des mouvements de protestation condamnant le contrôle du plateau par Israël.

En 1982, les résidents avaient organisé une grève générale de six mois pour protester contre l’adoption par Israël d’une loi qui élargissait la souveraineté de l’État juif au plateau du Golan. Des manifestations ont lieu tous les ans à la date-anniversaire de la décision de l’annexion, même si le nombre de participants n’est généralement que de quelques centaines.

Les démonstrations de soutien ne sont pas vides de sens. En 2015, des Druzes qui manifestaient avaient attaqué des ambulances transportant des blessés syriens en Israël où ils allaient être pris en charge, convaincus qu’ils devaient être des combattants de l’opposition. Au même moment, les villages druzes subissaient l’offensive des rebelles djihadistes qui luttaient contre Assad.

En même temps, les Druzes du Golan ont fait preuve d’apathie à l’égard d’Israël. En 2018, 272 habitants de Majdal Shams – la population y est de 12 000 personnes – avaient voté aux élections locales, considérant que le vote était un moyen de donner une légitimité à la gouvernance israélienne.

L’État juif avait autorisé les Druzes à demander la citoyenneté dès le début des années 1980 – c’était peu après l’annexion du territoire – mais seulement quelques-uns s’étaient alors saisis de l’opportunité.

Les résidents du village druze de Majdal Shams dans le plateau du Golan, mettent le feu à de faux bulletins de vote, pour protester contre les élections municipales. le 21 ocotbre 2018. (Crédit : JALAA MAREY / AFP)

Jusqu’à une date récente.

Selon les chiffres de l’Autorité de la population et de l’immigration, seuls quatre Druzes avaient pris la citoyenneté israélienne en 2010. Au cours des trois années suivantes, le nombre de naturalisations avait oscillé entre 14 et 18 par an. Mais alors que la guerre en Syrie continuait à faire rage et qu’Assad commençait à perdre le contrôle de vastes territoires de la Syrie, les chiffres ont commencé à augmenter lentement, atteignant le nombre record de 139 demandes de citoyenneté en 2019.

Et si les chiffres ont baissé en 2020 – largement en raison de la pandémie de coronavirus qui a fermé les bureaux du ministère de l’Intérieur – ils ont depuis repris leur tendance à la hausse et il semble qu’ils soient prêts à atteindre de nouveaux records.

Yusri Hazran, historien et maître de conférences au Shalem College de Jérusalem, qui a fait des recherches sur les tendances et sur les changements survenus dans la société druze du plateau du Golan, prédit que d’ici vingt ans, la moitié environ des résidents druzes du plateau seront des citoyens israéliens.

Selon Hazran, la guerre civile syrienne « a fracassé l’idée d’une nation syrienne » et elle a aussi rompu de nombreux liens tissés entre les Druzes du Golan et Damas, notamment les ventes transfrontalières de produits et les accords qui permettaient à la communauté d’aller faire des études gratuites dans les universités du pays.

« Il n’y a presque plus d’étudiant druze qui part en Syrie pour aller à l’université, malgré les bénéfices que cela présentait – comme l’acceptation automatique dans certaines matières, sans examen d’entrée, et la gratuité des études », note Hazran, qui prévoit de publier ses recherches dans les prochains mois.

Des habitants du Golan agitent des drapeaux syrien et druze face au portrait du président syrien Bachar al-Assad lors d’une manifestation contre la déclaration du président américain Donald Trump, qui a reconnu sur Twitter le Golan comme appartenant à Israël, dans le village de Majdal Shams, le 23 mars 2019. (Crédit photo : Jalaa MAREY / AFP)

Hazran, qui dit avoir rencontré des difficultés significatives à obtenir des entretiens avec les Druzes du Golan pour les besoins de ses recherches, note que les manifestations politiques contre Israël ont été moins nombreuses au cours de la dernière décennie. Il estime pourtant que les demandes de citoyenneté ne résultent pas du désir de devenir Israélien, mais du sentiment que l’attachement à la Syrie a dorénavant perdu de son attrait.

« L’effondrement de l’État syrien et les ravages dans le pays ont obligé les Druzes du Golan à choisir une option rationnelle : celle de l’intégration dans la sphère israélienne. C’est une intégration pragmatique. Je peux la résumer ainsi : c’est la reconnaissance de la réalité, ce n’est pas la reconnaissance du sionisme », ajoute-t-il.

Une idée qui semble démontrée par le taux de participation électorale de la communauté. Même les Druzes du Golan qui ont obtenu la citoyenneté israélienne n’ont pas jugé utile de jeter de bulletin dans l’urne lors du scrutin national.

A Majdal Shams, la plus importante ville druze, il y a environ 2 068 citoyens israéliens avec, parmi eux, 962 en âge de voter. Au cours des dernières élections à la Knesset, 169 résidents seulement se sont rendus dans les bureaux de vote avec un taux de participation de 17,5 %, ce qui est nettement inférieur à la moyenne nationale de 67 % et même au taux de participation des villes arabes, à 44 %.

(Crédit: Michael Giladi/Flash90)

Un taux de participation similaire à celui d’autres communautés druzes, avec 19 % à Masade, 15 % à Buqata et 10 % à Ein Qiniyye. (De manière intéressante, les suffrages ont accordé la préférence au parti du Likud de droite qui a remporté trois des quatre villes).

Parmi les raisons justifiant ce taux de participation faible, le manque d’identification avec Israël ou l’indifférence affichée à l’égard de l’État. Les résidents peuvent avoir également eu peur d’être identifiés en tant que citoyens israéliens en allant accomplir leur devoir civique.

« Je ne connais rien d’autre qu’Israël »

Mila, la jeune femme druze, explique avoir demandé la citoyenneté en 2021 et qu’elle l’a rapidement obtenue. Mais cette décision de prendre la nationalité israélienne, elle la cache dans la majorité des cas.

« Mes parents ne sont pas citoyens israéliens et ils ont accepté et respecté ma décision. Le reste de la famille ne le sait pas et je suppose que s’ils devaient le découvrir, certains de mes proches rompraient les relations qu’ils entretiennent avec moi », confie-t-elle.

Selon Hazran, certains redoutent aussi de possibles représailles contre des membres des familles qui se trouvent encore en Syrie s’il devait être révélé qu’ils ont obtenu un passeport israélien.

Des Druzes sur le plateau du Golan se réunissent sur la frontière syrienne en brandissant le drapeau de la communauté après un attentat kamikaze à la bombe dans le village druze syrien de Hadar, le 3 novembre 2017 (Crédit : AFP PHOTO / JALAA MAREY)

Mila affirme comprendre la large opposition à l’idée de demander la citoyenneté israélienne, en particulier de la part des personnes âgées qui « ont vécu directement l’expérience d’une guerre sanglante ».

Mila fait remarquer que le narratif entourant la Guerre des six jours de 1967 – lors de laquelle le Golan avait été capturé par Israël – a changé, ces dernières années.

Selon les historiens, entre 90 000 et 130 000 personnes qui vivaient sur le Golan avaient été déplacées par les combats – des musulmans sunnites en majorité, même si certains Druzes ou membres d’autres communautés avaient, eux aussi, franchi la frontière. L’État juif n’avait pas cherché à expulser les Druzes, autorisant certains qui avaient pris la fuite à revenir en 1969.

« Il y a des gens qui disent qu’Israël n’a pas vraiment capturé le plateau du Golan mais que le régime syrien nous a vendus », indique-t-elle. « Il y en a d’autres qui disent qu’Israël a pris le plateau et que ce faisant, Israël a commis des massacres en masse et que le pays a expulsé de nombreux Druzes, les obligeant à quitter leur maison. Un grand nombre de gens ne connaissent pas l’Histoire et ils n’ont aucune idée de ce qu’est la vérité ».

Elle-même est née plus de trente ans après la guerre. « Je ne connais rien d’autre qu’Israël », dit Mila.

(Crédit : Moshe Shai/Flash90)

La guerre civile a rendu impossible la réalisation de son rêve, qui était de faire des études de médecine à Damas. Elle a finalement fait ses études en Israël et elle a travaillé depuis pour plusieurs entreprises israéliennes. Elle a aussi trouvé le temps de voyager à l’étranger en compagnie de sa famille.

Ne pas avoir la citoyenneté compliquait beaucoup son existence dans de nombreux domaines et dans de nombreuses démarches à entreprendre – c’était en particulier compliqué quand elle voyageait – et c’est notamment ça qui l’a déterminée à demander la citoyenneté israélienne : la nécessité d’améliorer sa qualité de vie et de simplifier son quotidien.

Malgré la possible évolution des mentalités, Hazran déclare que la plus grande partie des membres de la communauté druze du Golan qu’il a pu interroger pour ses recherches s’identifient soit en tant que Druzes syriens, soit en tant que Druzes arabes.

« Le nombre de personnes qui prennent la citoyenneté israélienne peut être élevé mais, à ma connaissance, il n’y a pas de changement fondamental en matière de vision du monde au sein de la communauté », indique-t-il.

« Malgré la crise immense qui déchire la Syrie, ils continuent d’adhérer à leur identité nationale syrienne », ajoute-t-il. « Pour eux, prendre la citoyenneté israélienne, ce n’est pas par amour pour Israël, ce n’est pas par amour du sionisme : c’est un choix rationnel qui, espèrent-ils, améliorera leur qualité de vie ».

Des enfants druzes passent devant un panneau d’avertissement faisant état d’un champ de mines alors qu’ils rentrent d’une école à Majdal Shams sur le plateau du Golan (Crédit : Lior Mizrahi / FLASH90)

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