Meirav Ayalon a des souvenirs forts de son enfance passée au Kibboutz Ein Gedi, dans les années 1960 et 1970, et elle se rappelle avoir emprunté la Route 90 pour faire un plongeon dans la mer Morte. Le déplacement, se souvient-elle, n’était pas long.
« A cette époque-là, on pouvait accéder à la mer depuis presque partout », s’exclame-t-elle.
Aujourd’hui, alors que ce plan d’eau salé situé au point le plus bas de la Terre est à son niveau le plus faible de mémoire récente, il n’y a plus de plage à Ein Gedi.
En effet, atteindre l’eau depuis Ein Gedi signifie aujourd’hui parcourir une portion de terre de 4,5 kilomètres à l’aspect vérolé, grêlée de cavités où la terre s’est entassée.

Au sud, le recul de l’eau – en plus de la pandémie de COVID-19 – a obligé le centre de bien-être et de loisirs d’Ein Gedi Spa à fermer ses portes en mars 2020. A cette période, l’eau se trouvait à environ 4 kilomètres de là et les touristes y accédaient en navette.
Pour gérer le problème des dolines, le gouvernement a mis en place, depuis des années, une carte des risques qui vise à garantir que les routes et les autres structures ne seront pas installées sur des terres qui courent le risque de s’effondrer. Et concernant le recul du rivage, des idées permettant de stabiliser le niveau de l’eau se sont succédées mais aucun projet à long-terme n’a été mis en œuvre.
Les problèmes de la mer Morte ont été exacerbés par des opérations minières qui ont pompé l’eau pour la placer dans des bassins d’évaporation massifs, au sud. Ces concessions sont ancrées dans la loi depuis presque sept décennies mais dans les prochaines années, le gouvernement aura enfin l’opportunité de rouvrir le contrat à la concurrence en lançant un appel d’offres – et il aidera ainsi peut-être à ralentir le lent déclin de la mer Morte.
Dans l’intervalle, le ministère de la Protection environnementale a appelé, cette semaine, le gouvernement à fixer une cible au-dessous de laquelle le niveau de la mer Morte ne pourra pas être autorisé à tomber davantage – c’est une recommandation parmi d’autres figurant dans un document de projet de loi qui a été présenté au public pour commentaire.

Il est difficile de dire si une telle proposition remportera l’adhésion du cabinet. Mais même si c’est le cas, de graves questions persistent concernant la manière de savoir comment – et si – l’État juif sera capable d’empêcher la mer Morte de périr davantage.
La mer Morte en détresse
Les deux raisons du déclin de la mer Morte sont bien identifiées.
L’une d’entre elles est qu’il n’y a pas suffisamment d’eau qui afflue des ruisseaux (Israël n’a pas de grosses rivières). L’eau est détournée par la Syrie, la Jordanie et par Israël pour la consommation humaine.
L’autre est que l’eau est pompée par les usines sur les rives israéliennes et jordaniennes pour extraire la potache, le bromure et le magnésium présents dans cette eau salée – une extraction qui se fait par le biais de bassins massifs d’évaporation. Les usines ne remplacent qu’environ la moitié de l’eau qu’elles utilisent.
Aucun de ces deux problèmes n’est facile à régler et il n’y a actuellement, au sein de l’État juif, aucun projet sur la table pour redonner réellement vie à la mer Morte.
Pendant un moment, le plan du canal mer Rouge-mer Morte avait redonné de l’espoir. Ce projet coûteux aurait impliqué de dessaler l’eau de mer à proximité de la ville portuaire d’Aqaba, en Jordanie, puis d’envoyer l’eau potable dans les villes du royaume en proie à la sécheresse tout en envoyant le surplus de saumure – environ 250 millions de mètres-cubes annuels – dans la mer Morte, ce qui aurait aidé à la réapprovisionner en eau.
Considéré comme réalisable au point de vue de l’ingénierie, ce plan – qui avait été estimé initialement à 10 milliards de dollars – avait dû faire face à des obstacles bureaucratiques et financiers et il a récemment reçu le coup de grâce de la part de la Jordanie, après l’échec d’Israël à approuver les financements nécessaires à la réalisation du projet au fil des années.
Toutefois, l’espoir d’une résurrection possible du plan a refait son apparition cette semaine, sous la forme du projet de loi qui a été proposé par le ministère de la Protection environnementale et qui est mentionné ci-dessus, et qui recommande de revenir à une version du plan dont le coût total dépasserait tout juste les 300 millions de shekels, une somme qui serait divisée entre l’État juif et les pays donateurs. La première phase de ce projet permettrait d’acheminer 400 millions de mètres-cubes d’eau saumâtre dans la mer Morte.
Si ce mélange préalable d’eau saumâtre et d’eau saline réussit – des études antérieures ont averti que toute quantité d’eau dépassant les 400 millions de mètres-cubes par an entraînerait le développement de gypse à la surface de la mer – une seconde phase prévoit toutefois un apport de 750 millions de mètres-cubes dans la mer Morte.
Le document présenté par le ministère laisse entendre qu’un approvisionnement en eau à hauteur de 750 millions de mètres-cubes par an qui serait assuré à partir de plusieurs sources, notamment à partir de la mer Méditerranée et de la mer Rouge, pourrait stabiliser la mer Morte, à présent en danger de disparition.
Jusqu’aux années 1930, environ 1 200 millions de mètres-cubes d’eau se déversaient vers le sud, jusqu’à la vallée du Jourdain, depuis le Lac de Tibériade, chaque année – comme la mer Morte, il s’agit d’un lac – dont une grande partie finissait dans la mer Morte, contribuant à la stabilité de son niveau. Mais à ce moment-là, un barrage a été créé au sud et au nord du lac, le transformant en réservoir approvisionnant en eau la population croissante de la Galilée.

Aujourd’hui, seuls 10 millions de mètres-cubes par an s’écoulent hors du lac de Tibériade.
« La meilleure solution serait de laisser le fleuve Jourdain circuler à nouveau », explique Galit Cohen, la plus haute responsable du ministère de la Protection environnementale.
Israël doit terminer la construction d’une canalisation qui apportera de l’eau dessalée jusqu’au lac de Tibériade au début de l’année prochaine, ce qui pourrait permettre à une plus grande quantité d’eau de s’écouler vers le sud – mais aucun projet n’envisage, pour le moment, d’ouvrir les vannes pour sauver précisément la mer Morte.
Du point de vue de l’État, les eaux du lac de Tibériade serviront de réserve d’urgence pour le pays. Et d’autres acteurs ont aussi leurs propres projets pour cette précieuse eau, note Cohen.

« Les Jordaniens nous ont dit qu’ils n’ont pas d’eau au robinet et qu’ils ne permettront pas à l’eau d’être déversée dans la mer Morte, même si c’est ce qu’Israël décide. Non pas qu’une telle décision ait été prise ; elle reste pour le moment une hypothèse. »
Le projet de loi du ministère propose de faire transiter 100 millions de mètres-cubes d’eau douce entre le lac de Tibériade et la mer Morte, mais seulement dans le cadre de l’accord conclu avec la Jordanie et avec l’Autorité palestinienne (AP).
« Tout doit se faire dans le cadre d’un accord régional », insiste Cohen.
Construire de nouvelles usines de dessalement est aussi une solution problématique. La côte méditerranéenne d’Israël en accueille déjà un grand nombre qui utilisent d’importantes quantités d’énergie fossile, ce qui crée un dilemme environnemental difficile à résoudre.
Cinq usines sont déjà opérationnelles ; deux autres sont en phase de planification et le ministère de l’Énergie n’a pas encore décidé de la manière dont Israël mettra en œuvre son accord conclu par l’intermédiaire des Émirats arabes unis avec la Jordanie, dans lequel l’État juif s’est engagé à fournir de l’eau dessalée au royaume en échange d’énergie solaire.
Une déclaration d’intention établit qu’Israël fournira à la Jordanie 200 millions de mètres-cubes d’eau dessalée en plus des 100 millions de mètres-cubes que Jérusalem apporte déjà à Amman. Actuellement, le rendement combiné des cinq usines de dessalement en Israël est de 600 millions de mètres-cubes par an.

Venant encore exacerber le problème, il y a le pompage effectué à des fins commerciales des deux côtés de la mer. L’entreprise jordanienne Arab Potash Company et Dead Sea Works, qui appartient actuellement à l’ICL Group du côté israélien, pompent actuellement environ 600 millions de mètres-cubes par an d’eau et ne restituent qu’à peu près la moitié de cette quantité après évaporation et après extraction des minéraux.
« Je déteste devoir dire cela mais en ce qui me concerne, je n’entrevois aucun espoir pour la mer Morte », s’exclame Clive Lipchin, directeur du Centre transfrontalier de gestion de l’eau au sein de l’Institut d’études environnementales Arava, dans le sud d’Israël.
Une mer en perdition
La mer Morte, aujourd’hui, fait environ la moitié de la taille qu’elle faisait en 1976. Actuellement à 436 mètres en-dessous du niveau de la mer, elle baisse de 1,1 mètre à 1,2 mètre chaque année.
Avec ce déclin, la mer laisse derrière elle un paysage aride et nu, posé sur une couche de roche salée. Avec les pluies hivernales d’eau douce qui sont descendues de la montagne et qui se sont jetées dans cette plaine autrefois inondée, la roche salée souterraine a été dissoute, ouvrant plus de 7 000 dolines sous la croûte mince – une croûte qui paraît s’écrouler au hasard.

Les premières dolines avaient été découvertes dans les années 1980 – mais la prise de conscience de l’ampleur du problème n’a eu lieu qu’à une date récente.
Les premiers signes réels des difficultés posées étaient apparus en 1998 à Ein Gedi, quand une jeune femme était tombée dans une fosse qui s’était soudainement ouverte dans le sol du village de vacances du Kibboutz. Et quelques jours plus tard, cela avait été un ouvrier qui avait chuté dans un cratère qui s’était créé sous ses pieds alors qu’il se trouvait dans une palmeraie située à proximité.
Ces deux incidents n’avaient pas fait de blessé mais le village touristique et la palmeraie avaient été immédiatement fermés au public.

Aujourd’hui, il ne reste que seulement trois plages le long de la rive occidentale de ce qui reste de la mer Morte, et les entrées sont payantes. Toutes les trois sont situées en Cisjordanie, mais placées sous le contrôle d’Israël (seulement une toute petite partie de la rive occidentale se trouve sur le territoire israélien, tandis que la rive orientale se trouve dans sa totalité en Jordanie).
La majorité des visiteurs qui se rendent à la mer Morte ne vont pas au lac. La zone de plage la plus populaire, du côté israélien, est à Ein Bokek, avec des hôtels touristiques qui entourent une grande plage ouverte le long de ce qui paraît être une expansion du lac. En réalité, Ein Bokek se trouve sur le rivage d’un bassin d’évaporation massif de 80 kilomètres-carrés, installé là où se trouvait le lac avant qu’il ne s’assèche.
L’ICL pompe de l’eau dans la mer Morte pour la transporter vers le nord dans des bassins d’évaporation, laissant derrière elle le sel et d’autres minéraux. L’accumulation du sel, sur le sol, rehausse le niveau de l’eau dans le cadre d’un processus qui, dans le passé, avait menacé d’inonder certains des hôtels d’Ein Bokek.

En plus des dolines, d’autres changements géologiques ont aussi lieu sous l’effet du déclin de la mer Morte.
Les ruisseaux d’eaux douce environnants sont dorénavant souterrains et lorsqu’ils se vident dans le lac, les racines des végétaux, au-dessus, ne sont plus suffisamment profondes pour accéder à cette ressource indispensable à leur survie, entraînant la mort des plantes.

Ce déclin a aussi un impact curieux sur la réserve naturelle Enot Tsukim (connue aussi sous son nom en arabe, Ein Feshkha) en Cisjordanie. Cette oasis de bassins d’eau douce, située à l’extrémité nord de la mer Morte, attire des milliers d’Israéliens et de Palestiniens, et en particulier pendant les mois où sévit la chaleur estivale. L’écosystème local est tellement fragile, là-bas, que certaines parties de la réserve sont clôturées de manière à limiter l’intervention humaine.
Alors qu’avec le niveau en baisse de la mer Morte, le site se trouve dorénavant à des kilomètres du rivage – un panneau sur le parking indique aux touristes que les lieux étaient sous l’eau, il y a seulement quelques décennies – le déclin du lac a aussi entraîné des changements hydrologiques qui ont obligé les ruisseaux qui alimentent les bassins à glisser davantage vers le sud, explique l’administrateur de l’oasis, Eldad Hazan.
Les personnels de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs œuvrent dorénavant à transférer les poissons des bassins, dont certains sont en cours d’assèchement, dans un secteur où l’approvisionnement en eau est plus stable.
Un Ofer difficile à refuser
Dead Sea Works, une entreprise nationalisée en 1951, est née d’une usine de potache privée qui s’était établie près de la mer Morte en 1930. En 1961, la Knesset a accordé à la firme les droit exclusifs, sur une période de 69 ans, de l’exploitation minière d’une large portion de la mer Morte, autorisant également la firme à utiliser un vaste périmètre de la zone environnante pour ses opérations.
Ce bail expirera en 2030 et la concession minière sera réouverte à la concurrence par le biais d’un appel d’offres.
La franchise est actuellement la propriété de l’ICL Group, ex- Israel Chemicals Ltd., une filiale d’Israel Corporation qui appartient à la famille Ofer et qui est la plus grande société israélienne de portefeuille. Une grande part des réussites commerciales enregistrées par l’ICL se sont appuyées sur cette véritable vache à lait que représente Dead Sea Works, et l’ICL a clairement fait part de son désir de remporter la nouvelle concession.

Cette vache à lait se nourrit de potache – ingrédient riche en potassium qui est utilisé dans la majorité des fertilisants et dont Israël est l’un des premiers producteurs au monde. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il y a une pénurie d’approvisionnement de potache ce qui a entraîné une montée en flèche des prix.
L’ICL ne publie pas de manière distincte les chiffres des bénéfices qui sont enregistrés par Dead Sea Works ; mais la déclaration trimestrielle la plus récente de ses revenus note les profits significatifs issus de son commerce de potache.
Au cours du premier trimestre 2021, l’ICL avait reçu 257 dollars par tonne de potache en moyenne. En 2022, ce prix est passé à 601 dollars par tonne, a précisé la firme.
L’ICL a des raisons de se montrer optimiste sur sa capacité à remporter une nouvelle fois l’appel d’offres. La nature de ses affaires et les dispositions de la concession existante lui apportent un certain nombre d’avantages prédéfinis, selon un rapport qui avait été établi en 2019 par une instance gouvernementale mise en place pour étudier la question et qui était dirigée par l’ancien économiste du ministère des Finances, Yoel Naveh.
Ces avantages portent notamment sur un meilleur savoir-faire industriel en ce qui concerne le processus d’extraction des minéraux et sur une meilleure connaissance des opportunités existantes. Le fait qu’ICL soit propriétaire de firmes qui ont la capacité de convertir les matières premières extraites de la mer Morte en produit fini entre aussi en compte. Et ces avantages sont susceptibles d’effrayer les autres compagnies qui pourraient même être réticentes à l’idée de prendre part à l’appel d’offres, notait le rapport de Naveh.
« L’ICL, qui est considérée comme la firme la plus importante du Neguev, qui emploie directement ou indirectement des dizaines de milliers d’employés, a accumulé des décennies d’expérience et des connaissances profondes, ce qui lui donne un avantage supplémentaire significatif s’agissant de cette concession », a, de son côté, fait savoir la firme dans un communiqué.
D’après son décompte, l’ICL soutient 4 200 personnes directement et près de 19 000 indirectement – comme des fournisseurs de service – et verse certains des salaires les plus élevés dans une région où les opportunités d’emploi restent limitées. L’entreprise se vante régulièrement de ces chiffres en matière d’effectifs et elle a utilisé la menace des licenciements pour tenter de gagner le soutien de politiciens inquiets d’être dépeints comme des personnalités ayant porté préjudice au marché de l’emploi dans le Neguev – même si un autre concessionnaire fournirait potentiellement les mêmes opportunités d’embauche.
Uri Shasha, comptable-général adjoint au ministère des Finances, a suggéré le mois dernier que le gouvernement envisageait de présenter plusieurs appels d’offres selon les activités à mener plutôt que d’essayer de trouver une seule firme qui assumerait tout.
« Nous voulons que l’appel d’offres soit réalisable et que les compagnies puissent soumettre leurs propositions dans ce cadre », a-t-il expliqué.
Toutefois, l’accord de 1961 offre au franchisé existant le droit de refuser en premier une nouvelle concession qui serait présentée « sous des termes moins favorables à ceux que l’accord aurait l’intention d’offrir à toute autre personne » et la conseillère juridique d’ICL, Lilach Geva Harel, a déclaré devant une commission de la Knesset, au début de l’année, que la firme continuait à investir dans l’extraction « comme si la mer Morte allait nous appartenir pour toujours ».
L’ICL se décrit comme « une compagnie professionnelle, responsable, qui s’efforce de minimiser l’impact environnemental de ses opérations » et le conglomérat a même tenté de se présenter comme le gardien de la mer Morte du point de vue écologique.
Mais il n’y avait aucun garde-fou dans l’accord original de 1961 au niveau environnemental – et aucun n’a été ajouté quand la concession a été renégociée dans les années 1990, au moment où Dead Sea Works devenait une entreprise privée, même si la prise de conscience de la nécessité de protéger l’environnement était déjà bien là à cette période.
Les critiques accusent l’entreprise de causer d’importants dégâts écologiques qui détruisent l’environnement en construisant des barrages et d’autres infrastructures. Le mois dernier, Ohad Karini, directeur de la politique au sein du ministère de l’Environnement, a déclaré devant une commission de la Knesset que Dead Sea Works rejetait des millions de tonnes de polluants – en majorité des gaz à effet de serre – dans l’atmosphère, tous les ans.
Il a indiqué que selon ses calculs, le coût indirect de ces émissions, pour la santé publique et pour l’environnement, était d’environ 240 millions de shekels par an.

Dans un communiqué, l’ICL a assuré que la firme « travaille en toute transparence et en totale coordination avec les autorités dans tout ce qui est lié à ses projets environnementaux », se vantant par ailleurs de son projet de construction d’un champ d’énergie solaire de 1 000 mégawatts et de son plan de transition visant à tourner vers les énergies « vertes » sa centrale électrique de Sodom.
La compagnie a aussi remarqué que « la quantité nette d’eau pompée [dans la mer Morte] n’a pas changé depuis les années 1990, et il n’y a aucune intention de l’augmenter. »
L’ICL n’a aucun intérêt, toutefois, à réapprovisionner en eau la mer Morte. L’entreprise a par exemple noté dans son rapport annuel 2020 qu’avec moins d’eau, la concentration des minéraux était plus importante.
Un combat pour chaque shekel
Le rapport établi par Naveh recommandait que le gouvernement ouvre la concession aux appels d’offres à l’expiration du bail, avec l’établissement d’un prix minimum pour les droits d’extraction – qui permettrait de garantir que les droits sont vendus à un prix qui n’est pas sous-estimé – avec tout un travail de préparation prenant en compte la possibilité de renationaliser l’exploitation si les choses devaient mal tourner.
Les recommandations du rapport, qui devraient probablement être adoptées par le gouvernement, appellent également l’acte de concession à préciser les obligations environnementales du franchisé et les sanctions mises en œuvre en cas de violation.

Le contrat, qui devrait réduire de manière significative la zone de la concession à partir de son périmètre actuel de 160 kilomètres-carrés, devrait également limiter la quantité d’eau pompée dans le bassin du nord et garantir qu’elle est payée – ce qui inciterait le futur franchisé à moins gaspiller.
Il devrait aussi établir plus clairement les obligations fiscales et les informations qui doivent être fournies par le titulaire de la concession aux autorités de supervision de l’État.
L’ICL a acquis la réputation de se battre sans merci pour éviter de devoir se soumettre à certains paiements à l’État, ou tout du moins pour les reporter.
En 2011, par exemple, la firme avait dû passer devant une commission d’arbitrage après un conflit avec l’État, au début des années 2000, portant sur la question de savoir si elle devait payer des redevances uniquement sur la matière brute extraite par ses soins (c’était le point de vue qu’elle défendait) ou si ces redevances devaient également inclure les produits fabriqués à l’aide de cette matière première.
En 2014, avait écrit le journal Yedioth Ahronoth, les arbitres avaient découvert que l’ICL avait violé son obligation de payer des impôts sur les produits fabriqués également, et à le faire indépendamment de l’endroit où ils avaient été fabriqués.
Puis, en 2019, les mêmes arbitres avaient déterminé que l’ICL devait ajouter 300 millions de dollars au milliard de dollars de redevances qui avaient été versées à l’État à partir de l’an 2000 et jusqu’en 2017.
La compagnie avait exercé des pressions furieuses contre une proposition datant de 2014 qui prévoyait de mettre en place une redevance pour l’extraction des minéraux à la mer Morte à hauteur de 5 %, ainsi que la mise en place d’une taxe progressive allant jusqu’à 42 % sur les bénéfices, menaçant alors de licencier des ouvriers et de stopper ses investissements en Israël, affirmant que ses actionnaires à l’international ne manqueraient pas de porter plainte contre l’État.

Le Premier ministre de l’époque, Benjamin Netanyahu, avait alors poussé à l’adoption d’un compromis entre l’ICL et les recommandations faites par le professeur Eytan Sheshinski, qui avait aussi été l’auteur du code israélien régissant les profits enregistrés sur les activités d’exploitation du gaz naturel – mais cette tentative avait échoué et le principe des taxes plus élevées était venu s’ajouter à la loi des Arrangements qui avait finalement été approuvée en 2016.
De plus, selon le site d’information Calcalist, l’ICL n’a pas encore versé un centime dans le fonds souverain qui a été établi pour recevoir les taxes perçues pour l’extraction du gaz et des minéraux. Un porte-parole de l’Autorité fiscale n’a pas voulu faire de commentaire, citant les règles de confidentialité et le fait que le dossier fait encore l’objet de procédures juridiques.
L’ICL, de son côté, a estimé que le chiffre « devrait s’élever dans les dizaines de millions, et ceci en plus des redevances fixées par la loi qui sont versées par la firme ».
L’année dernière, l’État a finalement renoncé à collecter les 65 millions de shekels que l’ICL devait, selon lui, payer après la mise en vigueur d’une réforme, en 2017, qui impose aux compagnies de verser de l’argent lorsqu’elles utilisent de l’eau salée. L’État aurait craint de ne pas être en mesure de se défendre devant les tribunaux.
L’ICL affirme, de son côté, que l’accord de concession de 1961 a précédé la loi de 2017 ; sans davantage de pression de la part du gouvernement, la firme pourrait éviter de verser des centaines de millions de shekels pour son utilisation de l’eau jusqu’en 2030.
Le ministère de la Justice, pour sa part, a refusé de publier l’intégralité de l’opinion juridique sur laquelle il s’est basé pour décider de ne pas intenter de recours en justice contre l’ICL. L’organisation de protection de l’environnement Adam Teva VDin devrait rapidement faire appel de manière à ce que l’opinion juridique soit rendue publique, réclamant aussi que l’État puisse ordonner à l’ICL de payer toute l’eau utilisée.
L’ICL a d’ores et déjà fait part de son intention de se battre contre la proposition faite de réduire le pompage de l’eau dans le projet de loi politique qui a été soumis par le ministère de la Protection environnementale, cette semaine.
Tout en « saluant » le texte et en applaudissant le travail qui a été réalisé, la compagnie a fait savoir dans un communiqué qu’il y avait « une question professionnelle et substantielle concernant la limitation de la quantité d’eau pompée », dont les conséquences réelles « n’ont pas été pleinement prises en compte ».
Se référant apparemment au fait que sans Dead Sea Works, il n’y aurait pas de bassin d’évaporation et, en conséquence, qu’il n’y aurait pas d’eau pour que les touristes puissent se baigner à Ein Bokek, la firme a averti que limiter le pompage pourrait avoir un impact « au niveau du tourisme dans la zone touristique » ainsi que sur les capacités de production.
Un nouveau départ dans la vie de la mer Morte
Tandis que la majorité des spécialistes s’accordent sur le fait que la concession actuelle n’est pas suffisante pour répondre aux demandes financières et aux besoins environnementaux, il y a une grande variété d’opinions sur la manière de garantir que l’appel d’offres correspondra au mieux aux nécessités réelles actuelles tout en empêchant les entreprises de se soustraire à leurs obligations.
Naveh lui-même a déclaré dans un podcast du quotidien économique Globes que les dispositions figurant dans la concession devaient non seulement être amendées lors du prochain appel d’offres mais qu’elles devront être totalement et strictement réécrites, notant en plaisantant que les entreprises privées sont souvent plus rusées que les gouvernements.

Le député Mossi Raz, qui préside la commission de la Knesset chargée de superviser le fonds souverain alimenté par les travaux d’exploitation minière, a indiqué au mois de janvier qu’Israël devrait juger les candidats à l’appel d’offres sur la base de ce qu’ils accepteraient de payer pour les droits aux minéraux, et ce, au-delà des exigences fiscales préexistantes. Il faudra aussi prendre en compte leurs antécédents environnementaux, a-t-il ajouté.
La firme qui remportera l’appel d’offres devra s’engager en faveur d’émissions zéro-carbone et assumer le coût des réparations de tout dégât lié aux opérations d’extraction le long de la rive israélienne de la mer Morte, a-t-il insisté.
« Tout bail devra être conditionné à chaque mètre-cube d’eau utilisé qui est remplacé, ce qui devra relever de l’exclusive responsabilité du détenteur de la concession », a commenté de son côté le directeur israélien d’Ecopeace, Gideon Bromberg.

D’autres pensent que le gouvernement devrait envisager d’utiliser cette opportunité pour se débarrasser une bonne fois pour toute de cette concession.
« Nous ne pensons pas que cette concession doive être renouvelée », commente Meirav Abady de l’organisation Adam Teva V’Din. « Si elle l’est, il y a beaucoup de choses à faire et il faudrait commencer à travailler là-dessus dès maintenant. Mais rien n’est fait et nous craignons que tout ne se fasse qu’à la dernière minute ».
Lobby99, un groupe de pression politique qui se base sur le crowdfunding, a pour sa part proposé qu’une compagnie d’État prenne la responsabilité de définir la politique qui régira l’utilisation de la mer Morte, payant une entreprise privée pour faire le travail.

Les décisionnaires politiques, les actionnaires et les autres acteurs ont donc encore huit ans pour travailler sur les problèmes qui se posent avant l’expiration du bail. Mais le rapport de Naveh a aussi vivement recommandé au gouvernement et à l’ICL de faire avancer les choses plus rapidement au vu du temps important que le travail devrait prendre et de la période d’incertitude prolongée, pour l’État juif comme pour l’ICL, en ce qui concerne l’avenir de la concession.
Des sources du ministère des Finances se sont contentées de dire qu’une équipe avait été formée pour mettre un place un programme de travail.
Shasha, le responsable du Trésor, a déclaré à une commission de la Knesset, le mois dernier, que les officiels s’intéressaient actuellement à la méthodologie à employer pour évaluer les atouts de Dead Sea Works à la fin de la franchise. Il a ajouté que les responsables s’engageaient à soumettre à la commission un calendrier pour tout l’ouvrage lié à l’appel d’offres en lui-même.

Sauver la mer Morte, un travail collectif
Selon le professeur Nadav Lensky, chef de l’Observatoire de la mer Morte au sein du Geological Survey of Israel, le niveau de la mer Morte finira par se stabiliser une fois que la concentration de sel sera si forte que le degré d’évaporation diminuera et qu’il sera compensé par le peu d’eau douce qui continue à s’écouler depuis le lac de Tibériade et depuis les ruisseaux, à l’Est et à l’Ouest. Il faudra quelques centaines d’années avant qu’un tel phénomène se produise et même avec le déclin rapide du lac.
Pour qu’il retrouve ses niveaux d’eau d’autrefois, il faudrait un apport de plus d’un million de mètres-cubes annuels dans la mer Morte – ce qui représente presque ce que le secteur agricole utilise en une année, selon les chiffres de 2019. Ce qui serait un défi de taille partout – sans même parler de l’un des lieux les plus politiquement sensibles et les plus frappés par la sécheresse de toute la Terre.
« Il n’y a pas de solution magique », note Galit Cohen. « Il faut comprendre que le sujet de la mer Morte est très complexe et que les solutions à envisager sont, elles aussi, très complexes ».
Selon Cohen, Israël, seul, ne parviendra pas à sauver la mer Morte.
« Il doit y avoir un accord géopolitique », explique Cohen. « Ce n’est pas possible qu’Israël prenne les décisions seul. Le pays doit collaborer en cela avec les Jordaniens ».
Après deux décennies passées à tenter de mobiliser les soutiens, Meirav Ayalon, d’Eid Gedi, estime que la mer Morte « n’intéresse personne ». La mort d’un individu entraînée par une doline n’est qu’une question de temps, maintient-elle.
« Je pense que la nature est en train de nous dire que nous sommes allés trop loin, elle riposte », déplore-t-elle, regardant le paysage aride et vérolé.
« Je ne m’oppose ni à l’agriculture, ni à l’industrie, ni aux gens qui veulent faire des profits. Il n’y a pas de ‘méchant’ ici ; la question porte sur la manière dont l’État divise ses ressources », continue-t-elle.
« Mais en tant que citoyenne, j’ai juste envie de dire qu’il ne faut pas se montrer cupide. On ne frappe pas quelqu’un qui est à terre. Et je demande à l’État de nous donner un peu d’eau. Je demande aux compagnies minières : ‘OK, faites des profits, mais utilisez moins d’eau.’ Ne faisons pas mal à la nature. Venons-lui en aide », conclut-elle.