Par un lumineux après-midi d’automne, après une journée de peinture, Sergio Kopeliovich regarde la gigantesque fresque murale qui prend forme sur le mur du centre artistique qu’accueille le complexe du Conseil régional d’Eshkol, dans le sud d’Israël. Il le dit : Cette fresque est l’une des choses les plus importantes qu’il a été amené à réaliser dans sa vie.
Artiste juif originaire de Mexico – il crée des œuvres géantes dans différentes parties du monde, faisant participer le public – Kopeliovich consacre une semaine à cet ouvrage particulier. Il représentera la fleur sauvage qui est emblématique de la région – l’anémone rouge – ses champs de sable, des colombes de la paix, des papillons typiques du Mexique, des danseurs ou des instruments de musique. Une liste qui n’est pas exhaustive.
Kopeliovich raconte s’être rendu en Israël pour la première fois il y a deux ans. Il ajoute qu’il avait alors été frappé par la paix et par la beauté de la région d’Eshkol.
La fresque, explique-t-il, reflète cette réalité sereine d’avant le 7 octobre.
Chaque jour, des résidents différents prennent le pinceau, venant l’aider à peindre. « Ils me disent à quel point c’est thérapeutique pour eux », note-t-il.
La commande de la fresque a symbolisé un partenariat vieux de presque deux décennies qui avait été établi entre le Keren Hayessod, au Mexique, et le conseil régional d’Eshkol. Mais elle témoigne également de l’extraordinaire solidarité dont la diaspora juive a fait preuve à l’égard d’Israël depuis le 7 octobre 2023.
De nombreux habitants de la région d’Eshkol avaient été durement touchés quand les hommes armés du Hamas avaient pris d’assaut les communautés frontalières de Gaza. Les terroristes avaient commis un pogrom dans le sud d’Israël en cette matinée du 7 octobre 2023, massacrant plus de 1 200 personnes, des civils en majorité, et kidnappant plus de 250 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande.
Une enquête récente qui a été effectuée par l’organisation CCS Fundraising et dont les résultats ont été publiés sur le site e-Jewish Philanthropy reflète la hausse de ces dons.
L’enquête a été réalisée entre le 20 mai et le 10 juin, auprès de 73 groupes américains dont le budget de fonctionnement est variable – oscillant de moins d’un million de dollars à plus de 500 millions de dollars. Elle a été l’occasion de minutieusement étudier les tendances qui ont été celles des dons qui ont pu être faits entre le mois d’octobre 2023 et le mois de mai 2024.
L’étude a révélé qu’environ 37 % des organisations ont été soutenues par de nouveaux donateurs après le 7 octobre, tandis que 27 % d’entre elles ont reçu des dons plus importants de la part de leurs donateurs existants. 56 % d’entre elles ont enregistré les plus fortes augmentations en matière de dons au cours des trois mois qui ont suivi le 7 octobre.
Un nombre vertigineux d’organisations
Le volume des dons versés à Israël par les États-Unis et par le reste du monde donne le vertige – tout comme le nombre d’organisations impliquées dans la restauration des communautés frontalières de Gaza et des communautés proches de la frontière libanaise, qui ont été constamment prises pour cible par le Hezbollah jusqu’au récent cessez-le-feu.
Si de grandes fondations privées ont apporté leur contribution, la majorité des fonds les plus importants sont provenus d’institutions nationales qui avaient été créées en 1897, après le premier Congrès sioniste, pour préparer la création d’un État juif : l’Agence juive pour Israël (chargée de faire venir les immigrants et de gérer les services éducatifs et sociaux), le Keren Kayemeth LeIsrael-Jewish National Fund (responsable des achats et du développement des terres) et le Keren Hayesod-United Israel Appeal (chargé de collecter des fonds).
Toutes ces organisations existent encore et coopèrent à différents niveaux. Par exemple, la Jewish Federations of North America/United Israel Appeal et le Keren Hayesod (qui est présent dans 40 pays en dehors des États-Unis) aident à financer l’Agence juive, tout en soutenant directement de très nombreuses ONG en Israël.
Le Fonds national juif KKL-JNF met en œuvre des projets en utilisant de l’argent provenant de ses branches à l’étranger, mais ces dernières – en particulier le JNF-USA – entreprennent également des projets de manière indépendante.
Au lendemain du 7 octobre, les donateurs s’étaient concentrés sur l’aide d’urgence. L’Agence juive a déjà distribué la somme de 19 millions de dollars, un montant prélevé sur son Fonds pour les victimes du terrorisme, avec pour objectif de venir en aide à 11 500 familles. L’instance privilégie la distribution de subventions immédiates – qui sont versées dans les 24 à 48 heures suivant une attaque directe – et elle veut aussi soutenir les besoins à court et à long-terme.
Elle soutient aussi les autorités locales et elle a offert des centaines de milliers de repas aux personnes évacuées, distribuant plus de cinq millions de dollars sous forme de subventions. Elle a également consenti à plus de 52 millions de dollars de prêts sans intérêt auprès des petites entreprises implantées dans les communautés frontalières du nord et du sud d’Israël.
Le programme Partnership2Gether de l’Agence, qui existe depuis 30 ans et qui met en relation des villes israéliennes et des villes du monde entier, a permis aux liens tissés entre les communautés israéliennes et étrangères intéressées d’arriver à maturité – comme c’est le cas des liens qui unissent le Mexique et le Conseil régional d’Eshkol.
Dans le cadre d’une initiative post-7 octobre appelée Communities2Gether, 18 communautés juives d’Amérique du Nord et du Canada se sont engagées à collecter 750 000 dollars sur trois ans au profit de 25 communautés qui sont touchées par la guerre actuelle. Les Fédérations juives d’Amérique du Nord soutiendront 15 localités et le Keren Hayesod dix.
Au moshav Ein Habesor, par exemple, le Keren Hayessod financera une salle de musique accessible avec un espace où les musiciens pourront répéter, ainsi qu’un studio d’enregistrement et un lieu où pourront se tenir des sessions de musicothérapie. L’organisation financera également des thérapies dans le village de Shlomit, ce qui permettra de soulager le Centre de résilience de la région qui croule sous la demande.
L’UJIA du Royaume-Uni, qui s’est séparée du Keren Hayessod il y a de nombreuses années et qui fonctionne dorénavant de manière indépendante, soutiendra le kibboutz Mefalsim par l’intermédiaire de Communities2Gether. Le groupe mettra l’accent sur le soutien à la santé mentale, les bourses d’études et la rénovation du centre pour jeunes adultes.
Avec le kibboutz Beeri, l’une des communautés les plus touchées par le pogrom du Hamas, l’UJIA travaille directement à la reconstruction des bâtiments éducatifs. Il y aura trois nouveaux jardins d’enfants, un espace en plein air pour les sports et un centre d’activités extrascolaires pour les enfants des écoles.
Edna Weinstock-Gabay, la directrice-générale du Keren Hayessod, déclare au Times of Israel que son organisation collecte également des fonds pour financer deux programmes de l’Agence juive qui sont destinés aux jeunes.
« Nous avons pu largement constater que les principales victimes sont les jeunes qui ont dû endurer l’épidémie de coronavirus et maintenant le 7 octobre », explique Weinstock-Gabay. « Un certain nombre d’entre eux ont été évacués dans des hôtels, en l’absence de tout cadre organisé. Il y a eu une augmentation de la consommation d’alcool et de drogues, et il y a même des signalements de faits de prostitution ».
Depuis le 7 octobre, le Keren Hayessod a collecté 153 millions de dollars. Sur cette somme, 46 millions de dollars ont été versés à l’Agence juive, 21 millions de dollars ont été donnés aux hôpitaux et aux services de premier secours, et 8,4 millions de dollars sont venus soutenir des municipalités.
De leur côté, les Fédérations juives d’Amérique du Nord (JFNA) ont collecté environ 855 millions de dollars – 87 millions en direction de l’Agence juive et 84 millions qui seront distribués à des ONG et à des dizaines de communautés, dans le cadre du programme Partnership2Gether de l’Agence juive.
Plus de 13 millions de dollars iront à ReGrow, un fonds créé après le 7 octobre pour aider les agriculteurs de l’Ouest du Néguev. Près de neuf millions de dollars sont destinés à l’Israel Trauma Coalition, une organisation qui a été créée il y a plus de 20 ans par la fédération UJA de New York, tandis que plus de huit millions de dollars iront à Brothers and Sisters for Israel (un groupe issu de Brothers in Arms, fer de lance du mouvement de protestation anti-gouvernemental). Plus de sept millions de dollars iront dans les coffres du Magen David Adom.
Les JFNA ont également envoyé de l’argent à l’organisation JDC (American Jewish Joint Distribution Committee). Connue simplement sous le nom de « The Joint », elle travaille en Israël et à l’étranger, apportant son soutien aux communautés juives vulnérables.
Avant la guerre, les services sociaux du JDC aidaient un million d’Israéliens chaque semaine. Après le 7 octobre, 450 000 Israéliens, durement touchés par les circonstances, sont venus s’ajouter, dévoilent les données de l’organisation.
Depuis le 7 octobre, le « Joint » a collecté 77 millions de dollars. Son objectif principal est d’aider les millions d’Israéliens déplacés, traumatisés et au chômage, à traverser les difficultés – sont aussi concernées les communautés qui se trouvent en première ligne dans le nord et dans le sud du pays. De manière plus précise, l’organisation soutient les personnes âgées et les personnes en situation de handicap, elle aide les Israéliens sans emploi à réintégrer le marché du travail et à redémarrer leur vie, et elle aide les municipalités du nord du pays à encore améliorer leurs services sociaux.
Les emblématiques boîtes bleues du KKL-JNF (Fonds national juif) sont habituellement connues pour collecter de l’argent qui sert à planter des arbres dans tout Israël. Mais le KKL-JNF, qui s’est reconverti en organisation environnementale, a investi plus de 26 millions de dollars dans des projets d’aide en lien avec le 7 octobre – des projets qui sont financés par ses branches internationales.
Par exemple, le KKL-Australia a soutenu des communautés installées le long de la frontière de Gaza en finançant les autorités locales, en fournissant des logements temporaires aux résidents du kibboutz Kfar Aza et en rénovant des espaces communautaires dans les kibboutz Sufa et Yad Mordechai. Le KKL-UK et le KKL Australia soutiennent tous les deux les survivants du festival Supernova qui était organisé aux abords du kibboutz Reim – 360 jeunes amateurs de musique électronique avaient été massacrés. Et parallèlement, le KKL-UK a aidé des communautés du nord de l’État juif à réparer des bâtiments qui avaient été endommagés par les attaques du Hezbollah.
Parmi d’autres branches, le KKL-Allemagne aide actuellement à remettre en état des crèches situées aux abords de Gaza et il finance des services de soutien psychologique à destination des résidents du moshav Netiv Haasara. Le KKL France a acheté des ambulances et des abris antiaériens pour le nord d’Israël, tandis que le KKL-Suède aide le kibboutz Nir Oz à remplacer le matériel agricole détruit pendant le pogrom.
De plus, le JNF-USA s’associera au KKL-Israël pour toute une série de projets qui n’ont pas encore été choisis. Chaque organisation s’est engagée à collecter 25 millions de dollars.
Toutefois, la plupart des activités du JNF-USA restent indépendantes du bureau de Jérusalem. Les bureaux américains ont collecté 107 millions de dollars pour aider à la reconstruction des communautés du nord et du sud ; 13,1 millions de dollars pour aider 30 000 personnes évacuées de la zone frontalière de Gaza ; plus de sept millions de dollars en faveur des services en charge des incendies et des secours, trois millions de dollars pour aider 300 soldats et civils gravement blessés à recevoir un traitement médical et une rééducation, et bien d’autres choses encore.
Trop de cuisiniers gâteront-ils la sauce ?
Les organisations sont très, très nombreuses dans le monde juif. En plus des groupes cités ci-dessus, il y a des fondations privées de toutes tailles, des entreprises, des donateurs individuels et des associations basées aux États-Unis (qui accordent des avantages fiscaux aux donateurs) qui versent de l’argent aux institutions – telles que les services de secours et d’urgence, le Magen David Adom, les universités et les hôpitaux.
Le P.E.F. Israel Endowment Funds, qui accorde des allègements fiscaux aux donateurs américains qui offrent de l’argent à certaines ONG israéliennes, a reçu la somme de 330 millions de dollars en dons au cours des douze derniers mois à cause de la guerre. Il avait engrangé la somme de 195 millions de dollars seulement l’année précédente.
Une multitude d’organisations créées depuis le 7 octobre font du crowdfunding sur des sites en ligne tels que JGive, ce qui complique encore la situation.
Il est pratiquement impossible d’estimer le montant total qui a été collecté, mais au mois d’avril, le ministère de la Diaspora indiquait que plus de 1,4 milliard de dollars avaient été récoltés depuis le 7 octobre.
De plus, il est difficile d’imaginer comment un si grand nombre d’intervenants peuvent travailler ensemble, sans se chevaucher, pour répondre aux besoins urgents ; pour coordonner leurs dons avec de si nombreuses parties prenantes en Israël – communautés et autorités locales et régionales en passant par les ministères, par les sociétés d’État, par les entreprises privées, par le monde universitaire et par toutes ces ONG.
Les institutions fondamentales évoquées ci-dessus ont fait savoir au Times of Israel qu’elles coordonnaient leurs activités dans la mesure du possible.
Le directeur-général de l’Agence juive, Yehuda Setton, explique que « chaque organisation fait quelque chose de légèrement différent. Je ne pense pas que nos activités se chevauchent » et « si une seule organisation devait tout faire, alors elle ne le ferait pas aussi bien ».
Le rôle du gouvernement
Peu après le pogrom du 7 octobre, le gouvernement avait créé l’Administration Tekuma. Il a alloué à la nouvelle instance 19 milliards de NIS sur cinq ans (même si cinq milliards de shekels sont actuellement gelés).
Naomi Reem Tarshish, responsable principale des partenariats entre les différents secteurs au sein de cette nouvelle Administration – un poste qu’elle a pris au mois de mai – est chargée de diriger l’immense orchestre d’organisations en Israël et à l’étranger pour le compte de l’État.
Après une carrière à divers postes de direction, Reem Tarshish a commencé par dresser la liste des contributeurs et des partenaires potentiels – qu’il s’agisse des communautés locales, des autorités locales, des entreprises, des ONG, des ministères et des entreprises, des organisations philanthropiques à l’étranger, des donateurs individuels, etc…
« La liste ne cesse de s’allonger », fait-elle remarquer.
« Il n’y a pas d’autre organisme gouvernemental ou ministériel qui ait un rôle spécifique de partenariat entre les différents secteurs », dit-elle au Times of Israel.
En contact régulier avec les communautés de l’enveloppe de Gaza, au fait de leurs besoins, par le biais d’un réseau diversifié formé des plus grandes organisations – au même titre qu’un petit groupe de bénévoles chrétiens néerlandais – Reem Tarshish envoie tous les quinze jours des lettres à la base de données des donateurs. Elle se dit parfois surprise par la réponse.
« Dans une communauté, il fallait déplacer les étables pour donner la place à un nouveau quartier », se souvient-elle. « J’ai été contactée par une personne qui disait être intéressée par l’idée de moderniser les étables ».
Citant un exemple de coopération, elle évoque un programme d’aide aux jeunes enfants traumatisés et à leurs parents qui a été mis en place dans des hôtels accueillant des personnes évacuées de la frontière avec Gaza. Un service qui devrait devenir disponible dans les jardins d’enfants et sous forme itinérante – grâce à un partenariat qui a été conclu entre la Fondation Rashi, qui sera chargée de gérer le programme, les JFNA (y compris la Fédération de Toronto, qui entretient des liens de longue date avec la ville de Sderot), la Fondation Shashua et la Fondation Beracha. L’Administration de Tekuma est liée au ministère de la Santé, qui fournira des fonds en contrepartie.
Après une série de réunions sur Zoom et plusieurs projets communs, Reem Tarshish est sur le point de planifier une réunion en Israël entre les responsables des fédérations juives et les huit responsables de Tekuma – une réunion qui sera l’occasion de discuter santé, éducation et projets sociaux et communautaires. L’objectif est de planifier l’année 2025.
Elle déclare que le gouvernement pourrait apporter de nouveaux fonds à Tekuma afin d’élargir ou d’améliorer les projets envisagés – voire pour répondre aux besoins urgents des communautés qui sont situées immédiatement au-delà du périmètre de Tekuma, qui se trouve à 7 kilomètres de la frontière de Gaza.
Il est important de soutenir toutes les communautés dans le besoin, poursuit-elle, y compris celles qui attirent moins l’attention et dont les dégâts sont moins visibles pour les donateurs.
Yehuda Setton, de l’Agence juive, explique que son organisation se concentre sur les grands projets qui aideront la région de Tekuma à se redresser et à prospérer, tout en donnant aux habitants et aux autorités locales la direction des opérations. Il parle de l’importance de tisser une relation de confiance avec les résidents des zones concernées et de permettre aux Juifs de la diaspora de se sentir liés à Israël.
« Je ne pense pas que l’on puisse faire une micro-gestion de ces dons. Cela permet aux gens d’avoir le sentiment qu’ils font quelque chose d’important, qu’ils participent à l’effort de reconstruction. Nous ne sommes pas dans une situation fluide, nous sommes toujours en guerre, et la dynamique change constamment », indique Setton.
« Il y a beaucoup de bonnes choses qui se passent en dehors des grandes organisations. Il y a beaucoup de gens talentueux, ici et à l’étranger, qui ont le cœur là où il doit être et qui travaillent au nom de l’espoir », ajoute-t-il. « Je vois qu’il y a de l’engagement. Nous avons besoin de personnes qui s’impliquent à long-terme ».