Israël en guerre - Jour 368

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Merav Rahaf (Crédit : Dafna Talmon)
Merav Rahaf (Crédit : Dafna Talmon)
Les déracinés du 7 octobre

« On nous a menti, trahis, abandonnés. Depuis le 7 octobre, à qui faire confiance ? Ils ont massacré notre peuple, et personne n’a rien fait. »

Mariée et mère de quatre enfants, Merav Rahaf, qui travaille pour une entreprise agricole, a été évacuée vers un hôtel à Herzliya ● Voici son histoire

Cet article fait partie d’une série intitulée « Déracinés ». Chacun d’entre eux est le monologue de l’un des dizaines de milliers d’Israéliens déplacés en raison de la guerre contre le Hamas, évacués de la frontière nord du pays ou de l’enveloppe de Gaza.

Samedi 7 octobre

Samedi à 6h30 du matin, Inbal, ma fille de 16 ans, est partie faire un entraînement de vélo depuis le kibboutz Kfar Aza, avec son groupe de triathlon. Quelques minutes plus tard, la sirène de l’Alerte rouge s’est déclenchée et on a entendu de fortes déflagrations. Ils se sont réfugiés dans un abri anti-aérien non loin du kibboutz Saad.

Quinze minutes plus tard, mon fils Roee, 23 ans, qui sert dans une unité spéciale de l’armée, récupérait ses vêtements sur le séchoir, attrapait son arme et sortait du kibboutz avec trois amis pour se battre. C’est alors que nous avons entendu des coups de feu. À un moment, on les a appelés depuis une maison où il y avait un terroriste. Roee a réussi à le capturer. Il était concentré et calme malgré la pression.

Mon fils de 21 ans, Gil, qui est soldat en service actif, est allé là où ils évacuaient les blessés. C’est alors que, par la fenêtre, Avi, mon mari, et Noam, notre voisin, tous deux membres de l’unité d’intervention rapide du kibboutz, ont vu des terroristes au bout de la rue. Ils ont quitté la maison. Dix membres de l’équipe d’intervention aidés de cinq officiers en permission venus au kibboutz pour Simhat Torah, ont réussi à arrêter les terroristes. Ils se sont battus pendant près de quatre heures jusqu’à ce que, finalement, l’armée arrive.

Il y a de cela quelques mois, l’armée avait ordonné aux unités d’intervention rapide de stocker leurs armes dans les armureries de l’armée, mais le chef de notre unité locale avait refusé. Avec le recul, sa décision s’est avérée déterminante à Mefalsim. À Kfar Aza, il y a eu une embuscade près de l’armurerie, et ceux qui essayaient de récupérer des armes ont été abattus.

J’ai passé des heures avec ma fille de 14 ans, Neta, dans notre pièce sécurisée. La famille qui vivait dans la maison située derrière la nôtre a fini par nous rejoindre lorsque leur maison a été touchée de plein fouet.

L’évacuation

Le samedi soir, l’armée nous a conseillé de partir, mais nous avons préféré rester. Inbal était chez ma sœur au kibboutz Saad, et ce n’est que le dimanche à 7 heures du matin que nous sommes sortis pour la ramener. La route de Mefalsim à Saad était totalement surréaliste : il y avait des cadavres partout sur le bord de la route. J’ai eu la nausée. À Kfar Aza, la bataille se poursuivait.

Au retour, nous sommes passés chez mes parents à Tekuma, un moshav situé au nord-ouest de Netivot, pour dire à mon père de quitter les lieux sans tarder. Rien de plus douloureux que l’expression sur son visage. De retour à la maison, la famille s’est retrouvée. Roee est revenu à quatre heures du matin. Nous avons respiré un bon moment, dans le calmes puis nous avons fait nos valises. Les garçons pour retourner à l’armée, les filles pour elles-mêmes.

Nous ne savions pas où aller. Gil, qui sert sur le plateau du Golan, nous a recommandé de ne pas aller vers le nord. Nous nous sommes donc dirigés vers la maison d’un ami à Ein Yahav, dans le nord de l’Arava. Deux jours plus tard, des membres de Mefalsim commençaient à se retrouver dans deux hôtels de Netanya.

Nous avons traversé la mer Morte, où ma famille venue de Saad avait trouvé refuge. Plus tard, nous avons demandé à Avi, qui était resté avec le commandement du front intérieur de Mefalsim, de nous retrouver à Beit Kama, un kibboutz du nord du Neguev, et d’apporter quelques affaires que nous avions oubliées à la maison. Nous avons passé cinq jours à Netanya, et le dimanche, une semaine après ce terrible samedi, nous nous sommes installés dans un hôtel d’Herzliya.

Inbal porte un appareil dentaire et nous avions oublié de prendre les élastiques en partant. Donc, à Netanya, nous nous sommes arrêtés dans une clinique dentaire. En voyant que les magasins étaient ouverts, nous avons acheté des produits de première nécessité. A l’hôtel, on ne peut pas faire de lessive aussi souvent qu’à la maison, nous avions donc besoin de sous-vêtements, de soutien-gorges.

Sur la route en direction d’Herzliya, la voiture est tombée en panne. J’étais seule avec les filles et toutes nos affaires, échouées. Les gens ont été merveilleux. Un livreur Wolt s’est arrêté et a réussi à faire redémarrer la voiture. Un habitant de Mefalsim est venu à notre rencontre pour s’assurer que le mécanicien vienne remorquer notre voiture. Pour moi, c’était la goutte de trop.

Un abri de sécurité mobile à l’entrée du kibboutz Mefalsim. (Avec l’aimable autorisation du kibboutz Mefalsim)

Au début, je comptais les semaines. La première semaine, c’est celle de la survie personnelle et familiale – panser nos plaies, s’assurer que tout le monde aille bien -. La deuxième, celle des funérailles et des shiva. Il y avait tellement de morts à enterrer, on allait d’un enterrement à un autre.

J’ai accompagné les filles aux funérailles d’amis et de professeurs et nous avons rendu visites aux blessés. Neta a un camarade de classe de Nahal Oz qui n’a plus personne – toute sa famille a été assassinée.

Ce n’est que la troisième semaine que la routine du réfugié s’est installée. Les membres du kibboutz se sont réunis et on a parlé de mettre en place une sorte de système éducatif. Pour moi, c’était un nouveau choc. Cela voulait dire que nous étions ici pour un temps et qu’il n’y avait pas de retour en arrière.

La quatrième semaine a été celle des « shloshim » [la période de deuil de 30 jours après un enterrement juif], suivie de la première vague de libération d’otages.

Vivre à l’hôtel

Pour le moment, nous avons une chambre pour toute la famille, ce qui pose des problèmes d’intimité. Parfois, on a l’impression d’être dans une sorte d’expérience façon Big Brother. Il y a 500 personnes dans l’hôtel, toutes stressées, confrontées au deuil, à la tristesse et à la nécessité de continuer à vivre d’une manière ou d’une autre. C’est difficile. Il est vrai que nous avons survécu, que notre maison n’a pas été détruite et que le peuple israélien nous soutien très chaleureusement, mais l’évacuation et tout ce que cela suppose reste difficile.

J’essaie de ne pas m’effondrer. Je réprime mes émotions pour continuer à vivre. Ma famille n’avait jamais été évacuée, pas même pendant l’opération Bordure protectrice en 2014, alors qu’Avi était en service de réserve. Au pire, on partait le temps d’un week-end et on pouvait revenir.

Le kibboutz Mefalsim. (CC BY-SA Rikmal/Wikipedia)

Il nous était arrivé de quitter la maison un jeudi, en pensant revenir le dimanche. Les enfants étaient jeunes. C’est alors qu’avait éclaté la bataille de Golani à Shejaiya, l’une des plus sanglantes de la guerre de 2014 à Gaza. Les téléphones s’étaient mis à sonner pour nous dire de ne pas revenir.

J’avais emmené les enfants au zoo, dans le nord, puis au cinéma, après quoi nous avions mangé une pizza. A la pizzeria, je m’étais subitement immobilisée : impossible de passer ma commande. J’ai dit aux enfants : « Écoutez, je sais qu’ils nous ont mis en garde, mais on va prendre nos affaires et rentrer à la maison. »

Depuis, nous n’avions plus jamais quitté Mefalsim. Je préfère entendre les coups de feu depuis chez moi plutôt que d’être ici, dans un hôtel. Je préfère tout ce qui est de chez moi. Être absent si longtemps, c’est une expérience très troublante. Mais je sais que c’est différent cette fois. Je sais que nous ne serions pas en sécurité à Mefalsim en ce moment.

Mais même par le passé, ce n’était pas sûr…

Si ce n’était « que » les détonations des coups de feu, je pourrais faire face. Au pire, je serais partie quelques jours, pas aussi longtemps. Le vrai problème, c’est l’incertitude sur la fin de tout ça.

J’ai l’impression qu’on nous a menti, qu’on nous a trahis, qu’on nous a abandonnés. Après l’opération Bordure protectrice, les gros bonnets de l’armée ont parlé de tunnels, de clôture intelligente, et nous les avons crus. Mais depuis le 7 octobre, à qui faire confiance ?

Un manifestant tient une pancarte appelant à la destitution du Premier ministre Benjamin Netanyahu devant la résidence du Premier ministre à Jérusalem, le 4 novembre 2023. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)

Je ne m’explique pas pourquoi le gouvernement est toujours là. Je méprise le Premier ministre et les membres de la Knesset. Je méprise toute cette clique plus intéressée par les postes et les avantages pour leurs amis que par les gens. Tout semble à l’évidence corrompu, et ils font comme si tout était parfaitement équitable.

Il est plus facile de charger l’armée mais, de toute évidence, quelqu’un là-bas aurait dû dire : « Ca suffit. » Il y a eu une défaillance systémique, ce n’est pas aux simples soldats qu’il faut le reprocher.

Comment voyez-vous ce qui s’est passé ?

Je vais le dire clairement : la Judée et la Samarie ne font pas
officiellement partie de l’État d’Israël. Jusqu’à leur annexion, ils étaient considérés comme des territoires occupés, soumis à un contrôle militaire et non à une gouvernance civile. En revanche, l’enveloppe de Gaza est reconnue comme faisant partie de l’État d’Israël.

Il est inacceptable d’établir des comparaisons entre ceux qui résident dans les limites de l’Etat d’Israël et ceux qui vivent dans les territoires sous contrôle israélien. L’État d’Israël doit assurer une protection adéquate à ses concitoyens qui vivent sur des portions de territoire reconnues. Mais on nous a massacrés et personne n’a rien fait. Alors qu’il y avait énormément de soldats en Judée et en Samarie au moment de Simhat Torah.

Mon travail

Je travaille pour Moshavei HaNegev, une entreprise agricole spécialisée dans les systèmes d’information géographique. J’informatise l’historique et l’état actuel des parcelles agricoles et je les mesure. Je passe beaucoup de temps sur le terrain et, avant le 7 octobre, j’avais déposé un permis de port d’armes à feu à cause des conditions dans lesquelles je travaille, sur le terrain, seule. Nous gérons des vergers d’avocats, et de nombreux travailleurs sont mobilisés au titre du Tzav 8, l’avis d’appel d’urgence d’Israël.

J’ai aménagé un espace de travail dans ma chambre d’hôtel, avec un grand écran et une chaise de bureau que j’ai fait venir du travail. Tout l’administratif est géré là. Je me rends dans les champs une fois par semaine, parfois même deux fois. J’ai repris ces déplacements très tôt, et ils ont été pour moi salvateurs – ils m’ont aidée à garder un semblant de normalité, une routine et, pour être totalement honnête, ma santé mentale.

Au départ, j’ai envisagé d’aller travailler dans un espace de coworking, mais je me suis vite rendue compte que ce ne serait pas pratique, surtout au début, lorsque tout était incertain. Être physiquement proche des filles est essentiel pour moi, d’autant plus qu’Avi est resté avec l’équipe d’intervention d’urgence à Mefalsim.

Des membres du kibboutz Mefalsim jouent au football sur la pelouse de l’hôtel Dan Accadia à Herzliya, en novembre 2023. (Avec l’aimable autorisation du kibboutz Mefalsim)

Les enfants du kibboutz sont inscrits dans des écoles locales. Neta fréquente un collège d’Herzliya, non loin de l’hôtel. Inbal, qui est en classe de Première, est au lycée Ben-Zvi de Givatayim. Les gens sont très accueillants, ce qui est formidable, mais cela reste difficile. À Shaar HaNegev, ils étaient quotidiennement en contact d’enfants d’autres localités du conseil régional. La plupart de leurs amis sont loin d’ici.

Le jour où ils ont annoncé l’inscription des enfants dans les écoles d’ici a été difficile pour moi. C’était un signal on ne peut plus clair : nous n’allions pas rentrer de sitôt. Cela prendrait du temps.

Comment les filles se sentent-elles ?

Sans vouloir donner l’impression de me plaindre, je dirais qu’il y a quelques problèmes. Comme par exemple l’odeur de la lessive de l’hôtel – l’une de mes filles ne la supporte pas. Elle veut retrouver l’odeur de lessive de la maison. Au début, je me suis appuyée sur un ami qui ne s’était pas installé à l’hôtel et louait un appartement à Kfar Shmaryahu. Puis, j’ai commencé à prendre mon linge à laver quand j’allais à Mefalsim.

Le deuxième problème tourne autour de la salle de restaurant de l’hôtel. Les filles n’y mangent pas ; la nourriture les dégoûte, il y en a trop. La qualité a un peu baissé au fil du temps : il est difficile de faire preuve de constance avec de si grandes quantités. C’est quelque part une autre pièce de la maison qui nous manque.

Je me suis procuré quelques accessoires de cuisine pour notre chambre. Nous avons un grille-pain, un micro-ondes et un mini-réfrigérateur de 100 litres. C’est surprenant de constater à quel point ces petites choses ont changé la donne. Une fois par semaine, lorsque je me rends à Mefalsim, je cuisine, je fais la lessive, je mets le tout dans des cartons que je ramène à l’hôtel. Malgré la logistique que cela suppose, c’est bien car cela nous donne un goût de « chez nous ».

Je m’assure d’avoir des produits de base dans la chambre et je suis plutôt satisfaite de la façon dont j’ai organisé tout ça. Finalement, nous trouvons des satisfactions dans les plus petites choses.

Comment vous sentez-vous lorsque vous arrivez à Mefalsim ?

Les maisons de Mefalsim sont aujourd’hui pleines de poussière, laissées à l’abandon. Une maison vacante a tendance à accumuler de la poussière et à ne plus donner la sensation chaleureuse d’être chez soi. Mon mari y vit seul, et lorsque je lui rends visite, j’ai plus l’impression d’être dans un dortoir que chez moi. J’arrive, je travaille, je cuisine, je m’assure que la cuisine soit bien rangée, je m’occupe de ce qui doit être fait, puis je rentre à l’hôtel.

Il y a quelques semaines, nous avons réussi à y réunir les quatre enfants et à dîner en famille. Nous avons préféré ne pas y passer la nuit. Malgré la joie d’être ensemble, je ne pouvais m’empêcher de penser à ceux qui ne pourraient plus prendre de repas de famille après la guerre, à ceux qui ne reviendraient pas.

Je n’étais pas très à l’aise à l’idée qu’Avi publie une photo sur Facebook, de peur de donner le sentiment de narguer les gens. C’est différent des précédents combats où, à la fin, tout le monde rentrait chez soi et les choses reprenaient leur cours. Cette fois-ci, nous avons perdu beaucoup de monde, et rien n’est facile.

L’avenir

Chaque fois qu’ils parlent de « rayer Gaza de la carte », je ne peux m’empêcher de penser que c’est impossible. Si notre retour à la maison dépend de l’élimination du Hamas et de « l’anéantissement » de Gaza, alors nous ne reviendrons jamais.

Merav Rahaf. (Dafna Talmon)

Je voudrais simplement me sentir en sécurité, savoir que mon pays veille sur moi et assure ma sécurité. C’est ce en quoi je croyais quand je m’y suis installée. Si mon propre pays n’est pas capable de garantir ma sécurité, alors je suis dans une situation difficile.

À un certain moment, je me suis dit que les habitants de l’enveloppe de Gaza devaient s’unir et exposer leurs revendications pour que soit organisé leur retour en toute sécurité. Mais j’ai du mal à voir précisément la nature de ces exigences.

À mon sens, le gouvernement est responsable de tout ceci, et mon manque de confiance envers lui ne date pas d’hier. Je n’ai pas confiance dans des dirigeants comme Netanyahu. Des personnes non professionnelles et non qualifiées ont été nommées à des postes de direction. Je ne peux pas compter sur eux, et si ma maison n’est pas en sécurité, alors rien ne l’est ici.

Je suis surtout déçue et aussi désespérée parce que je ne vois pas comment les choses vont s’arranger. D’ordinaire, je ne suis pas pessimiste, mais en l’espèce, il me semble difficile de trouver une solution. Mais nous finirons par revenir à Mefalsim. Même si tout le monde n’y retournera pas.

Après chaque conflit, certains ne reviennent pas. J’espère sincèrement que la majorité de la communauté reviendra. Une maison, c’est merveilleux, mais je ne veux pas d’une maison vide.

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