Au mois d’octobre 2016, après des mois de reportages du Times of Israel consacrés à l’industrie de la vente « d’options binaires », une vaste escroquerie qui a volé des milliards de dollars à des investisseurs du monde entier, le bureau du Premier ministre avait vivement recommandé auprès du ToI l’interdiction globale de l’industrie mise en cause.
Le bureau du Premier ministre avait condamné les pratiques des fraudeurs qui amenaient alors leurs clients à placer de l’argent dans ce qui était décrit comme un investissement qui s’avérerait lucratif à court-terme. Les employés du secteur utilisaient ensuite toutes sortes de ruses subtiles et moins subtiles – en mentant notamment sur leur identité et sur la localisation de leurs entreprises, en truquant les plateformes de transaction et en refusant de laisser les clients retirer leurs fonds, une liste non-exhaustive – pour garantir que leurs victimes perdraient la totalité ou la plus grande partie du capital investi. « J’espère que dans les autres pays, notre exemple sera suivi et que les options binaires seront mises hors-la-loi », avait fait savoir le bureau du Premier ministre dans sa déclaration.

À ce stade, Israël n’avait pas, en fait, interdit l’industrie toute entière – qui employait des milliers d’Israéliens dans des centaines d’entreprises qui escroquaient sans scrupule des victimes dans le monde entier, entraînant une misère dont il est impossible d’évaluer l’ampleur avec certitude et même des suicides. L’État juif avait néanmoins prohibé le commerce des options binaires un an plus tard, par le biais d’une législation adoptée par la Knesset, qui avait été directement motivée par la couverture du Times of Israel du scandale et pilotée par celui qui se trouvait alors à la tête de l’Autorité des titres, Shmuel Hauser. Après l’alerte lancée par le journal à Hauser concernant la fraude – ce qui avait entraîné un début d’enquête – Hauser avait indiqué au ToI que « en tant que régulateur, en tant que sioniste, en tant que père », l’industrie des options binaires « me paraît hideuse ». Il avait qualifié de « répugnantes » les firmes israéliennes travaillant dans le secteur et évoqué un « problème d’importance nationale ». Il avait juré que toutes les branches du système judiciaire sauraient se rassembler pour s’attaquer aux options binaires.
Ce que le bureau du Premier ministre ignorait presque certainement au moment où il avait émis sa déclaration digne d’éloges, c’était que Netanyahu avait accueilli le dirigeant de la compagnie au cœur de l’industrie, Malhaz Pinhas Patarkazishvili (connu aussi sous le nom de Pini Peter), chef de SpotOption, très précisément à son bureau et qu’une photographie des deux hommes avait immortalisé cette rencontre. Peter avait donné beaucoup d’argent à des causes caritatives et c’était dans ce contexte que le bureau du Premier ministre l’avait invité à venir assister, en toute bonne foi, à un événement organisé en 2011.

De telles donations financières auront en effet permis à Peter de se mélanger au gratin de la société et de fréquenter d’éminentes personnalités israéliennes au fil des années.
En 2015, par exemple, lors d’une cérémonie qui avait été coparrainée par SpotOption à l’occasion du 90e anniversaire de la Grande synagogue de Tel Aviv, Peter avait pris place au premier rang, entre l’ancien Grand-rabbin israélien Yisrael Lau et le président de la Knesset de l’époque, Yuli Edelstein. Le maire de Tel Aviv, Ron Huldai, était lui aussi resté à ses côtés pendant un moment, tandis que d’autres politiciens de premier plan se tenaient à proximité.
Alors que le député du Likud, David Bitan, terminait cérémonieusement l’écriture des dernières lettres de l’un des quatre nouveaux rouleaux de Torah de la synagogue sur une scène qui avait été installée en plein air, Peter l’avait regardé faire, debout à côté de lui, alors que derrière eux s’étendait le logo imposant de SpotOption.

Vendredi, SpotOption, Peter et un autre actionnaire majeur de la firme, Ran Amiran, ont été mis en examen par la SEC (Securities and Exchange Commission) aux États-Unis pour avoir dérobé aux investisseurs américains une somme supérieure à 100 millions de dollars – le sommet de l’iceberg pour une industrie qui a jonglé avec des milliards et des milliards de dollars.
La SEC place SpotOption au cœur de la fraude mondiale aux options binaires, notant que l’entreprise avait développé des « plateformes de trading » utilisées par d’innombrables compagnies de l’industrie pour escroquer des victimes du monde entier « par le biais de ventes en ligne frauduleuses et non-enregistrées ».

« Pour garantir des pertes suffisantes du côté des investisseurs et rendre ainsi ses plans plus profitables, SpotOption aurait, entre autres, donné pour instruction à ses partenaires d’autoriser les investisseurs à ne retirer qu’une partie de l’argent qu’ils avaient déposé. SpotOption a mis en place une structure de paiement truquée pour le commerce des options binaires et conçu sa plateforme de trading pour augmenter la probabilité que les transactions des investisseurs soient perdantes », a noté la SEC dans un communiqué de presse, faisant écho aux révélations faites dans les reportages publiés au cours de ces dernières années dans le ToI.
Embarras, incompétence ou complicité ?
Tout au long du travail que nous avons mené sans relâche pour exposer la fraude – un travail qui a été principalement réalisé par notre journaliste d’investigation Simona Weinglass – le Times of Israel a été menacé par un grand nombre de cabinets d’avocats, parmi les plus connus dans le pays, de poursuites judiciaires coûteuses pour nous dissuader de révéler les activités illégales de leurs clients fortunés.
Nous avons aussi fait l’objet de menaces moins tolérables, bien plus directes.
Pas un seul, parmi les milliers d’Israéliens qui ont escroqué des investisseurs pendant la décennie et plus de prospérité de l’industrie des options binaires – qui s’élargissait au grand jour – n’a été inquiété au sein de l’État d’Israël… Les États-Unis, pour leur part, ont été l’un des pays à avoir fait le boulot du système judiciaire israélien
Malgré la loi qui, en 2017, a placé les activités de l’industrie des options binaires dans l’illégalité dans le pays et à partir du pays, il faut noter que pas un seul, parmi les milliers d’Israéliens qui ont escroqué des investisseurs pendant la décennie et plus de prospérité de l’industrie des options binaires, une industrie qui s’élargissait alors au grand jour, n’a été inquiété au sein de l’État d’Israël.

D’autres médias israéliens, dont certains qui avaient pu compter sur les revenus des publicités publiées par le secteur des options binaires, ont largement ignoré l’escroquerie. Quand Lee Elbaz, directrice américano-israélienne d’une firme d’options binaires, avait fait l’erreur de partir pour les États-Unis, qu’elle avait été arrêtée à l’aéroport et qu’elle avait été finalement condamnée, en 2019, à 22 ans de prison pour une fraude s’élevant à 140 millions de dollars, une arnaque qui, le juge l’avait souligné, avait particulièrement pris pour cible des personnes âgées et vulnérables, la couverture médiatique avait été disproportionnellement inverse à la longueur de la peine. Le soir de l’énoncé de la peine, l’une des principales chaînes de télévision israélienne avait préféré interviewer une tante qui avait affirmé que sa nièce était une femme adorable incapable de faire du mal à autrui.
Les États-Unis, pour leur part, ont été l’un des pays les plus importants à avoir fait le boulot du système judiciaire israélien. Plusieurs escrocs de l’industrie, comme Elbaz, ont été poursuivis en justice. Certains suspects de haut-rang sont actuellement en fuite. Le nouveau dossier de la SEC contre SpotOption frappe enfin, de son côté, le cœur de l’industrie.
Mais plutôt que de recevoir une aide de la part d’Israël, les polices et autres agences étrangères n’ont cessé de déplorer auprès du Times of Israel, ces dernières années, le manque de volonté de leurs homologues israéliens de leur faciliter la tâche dans les enquêtes. Les responsables internationaux se disent perplexes face à cet état de fait, hésitant entre plusieurs hypothèses : L’État juif est-il embarrassé d’avoir échoué à s’attaquer à cette fraude ? Est-il tout simplement dans l’incapacité de le faire ? Et pire, serait-il d’une manière ou d’une autre complice ?
Une société corrompue
La saga des options binaires en cours – et elle continue en effet, de nombreux escrocs israéliens ayant simplement relocalisé leurs entreprises à l’étranger tandis que d’autres ont réadapté la fraude de manière à pouvoir échapper aux dispositions figurant dans la loi de 2017 – souligne les dangers plus importants qui sont amenés à se poser quand des activités criminelles ont l’autorisation de se développer.
Des esprits criminels gagnent beaucoup d’argent et, à leur tour, ils en attirent d’autres dans la corruption (parmi ces milliers de fraudeurs aux options binaires, un grand nombre d’étudiants et autres jeunes Israéliens, et beaucoup d’immigrants parlant l’anglais et d’autres langues, qui étaient dotés des compétences cruciales pour convaincre les victimes qu’elles étaient en contact avec des experts de l’investissement). Et tout cet argent volé apporte l’influence, permet d’accéder aux responsables en position de pouvoir, notamment aux politiciens et autres régulateurs. Et ce sont donc la gouvernance, le système chargé de faire respecter la loi et la société au sens large qui s’en trouvent corrompus.

David Bitan, le député du Likud qui avait écrit les dernières lettres d’un rouleau de Torah lors de la cérémonie organisée à la grande synagogue de Tel Aviv qui avait été financée par SpotOption, en 2015, avait tenté, deux ans plus tard, de déjouer la loi interdisant l’industrie des options binaires. (Dans une enquête sans lien avec ce dossier, le procureur-général a annoncé l’année dernière que Bitan, l’ancien chef de la coalition de Netanyahu, devrait répondre de pots-de-vin et autres faits de corruption, sous réserve d’une audience).

Cette loi avait été finalement diluée au cours d’un processus en coulisses, qui avait eu lieu avant la première des trois réunions de la Commission des réformes du parlement sur la législation, pendant l’été 2017. Et même cette législation, déjà dénuée de sa substance, n’a finalement jamais été réellement appliquée, ce qui a donné aux escrocs un sentiment d’impunité malheureusement légitime et ce qui leur a aussi donné l’assurance nécessaire pour tenter d’intimider ceux qui révélaient leurs crimes.
A l’époque de la cérémonie organisée à la grande synagogue de Tel Aviv, la firme de Peter – c’est incroyable – recevait des subventions du gouvernement pour élargir ses activités en Chine. De 2014 à 2016, SpotOption, entreprise au cœur de « l’arnaque mondiale aux options binaires », pour reprendre les mots de la SEC, a obtenu environ 270 000 dollars sortis de la poche des contribuables israéliens.

Ce financement gouvernemental avait été approuvé par le ministère de l’Économie, même si des documents vus par le Times of Israel montrent que les responsables du ministère, à l’époque, avaient connaissance du fait qu’au moins une partie de l’industrie des options binaires était frauduleuse. Ces fonds, de plus, avaient été distribués en secret, une violation des obligations légales du ministère. Ces subventions avaient été seulement rendues publiques et reconnues lorsque le ToI avait interrogé le ministère à leur sujet.
Les criminels israéliens présumés, habitués à interagir avec de hauts politiciens, ont reçu ainsi l’argent des contribuables, alloué secrètement par le gouvernement israélien, pour continuer à mener des infractions pénales dans le monde entier. Eux, et d’autres comme eux, continuent leurs forfaits sans menace de sanctions du côté israélien
Et c’est ainsi que la boucle de la corruption a été bouclée : Les criminels israéliens présumés, habitués à interagir avec de hauts politiciens, ont reçu l’argent des contribuables, qui leur a été alloué secrètement par le gouvernement israélien, pour continuer à mener des infractions pénales dans le monde entier. Eux, et d’autres comme eux, continuent leurs forfaits sans menace de sanctions du côté israélien.
La SEC, aux États-Unis, travaille dorénavant sur ce dossier particulier. Mais quelle est la profondeur de la pourriture en Israël ?
SpotOption, riche d’argent volé et de subventions gouvernementales cachées au public, avait donc financé une cérémonie dans la synagogue la plus importante de la première ville sioniste, une cérémonie à laquelle avait assisté le gratin israélien, une cérémonie pendant laquelle des rouleaux de Torah sacrés – les textes essentiels du judaïsme y sont écrits à la main, avec son code en termes de comportement moral, l’interdiction du vol telle qu’elle est présentée dans les précieux Dix commandements – avaient été solennellement consacrés.
Mais dans quel autre pays le crime financier, sous la protection du système judiciaire et face aux menaces, encouragé par des politiciens indifférents ou complices et favorisé par l’indolence des forces chargées de faire respecter la loi, est-il donc autorisé à étendre ses tentacules comme c’est le cas en Israël ?