Israël en guerre - Jour 538

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Tamar Noy (Dafna Talmon)
Tamar Noy (Dafna Talmon)
Les déracinés du 7 octobre

« Oui, des horreurs se sont produites, mais il y a eu tant de miracles. »

Tamar Noy, mariée, mère de cinq enfants et grand-mère de 25 petits-enfants, évacuée à Netanya ● Voici son histoire

Ce texte fait partie d’une série intitulée « Les Déracinés ». Chaque chronique est le monologue d’un individu parmi les dizaines de milliers d’Israéliens évacués de la frontière nord du pays et de l’enveloppe de Gaza à cause de la guerre contre le Hamas. Cet article a été publié en hébreu par Zman Yisrael le 30 mars dernier.

Samedi 7 octobre

J’ai été réveillée le matin par une terrible et interminable volée de roquettes. Je ne me souviens pas de quelque chose de semblable parce qu’il n’y a jamais rien eu de tel dans le kibboutz Alumim.

Ce matin-là, nous célébrions Simhat Torah, et mon mari Yair, qui part toujours tôt pour la synagogue, a dû passer par le réfectoire pour vérifier deux ou trois choses préparées pour le kiddouch (bénédiction dite sur le vin le jour de Shabbat et lors des fêtes juives) après les prières.

En chemin, il a trouvé Zvika, membre de l’équipe d’intervention d’urgence d’Alumim, qui lui a dit de rentrer chez lui, de se réfugier dans son abri et de verrouiller toutes les portes parce qu’il y avait des terroristes dans le kibboutz.

Yair et moi sommes les fondateurs d’Alumim. Nous avons déjà vécu des conflits avec Gaza, une ou deux fois, et nous n’aimons pas l’abri. Par le passé, quand il y avait une alerte rouge, nous nous arrêtions, comptions jusqu’à 10, entendions une explosion et reprenions notre chemin. Cette fois, nous avons fermé notre porte à clef, sommes allés dans l’abri et avons refermé la porte derrière nous.

C’est alors que Yair a entendu des coups de feu et su qu’il y avait des terroristes. Il a allumé son téléphone. Il existe un ordre permanent qui dispose que dans chaque maison, une personne au moins doit garder son téléphone allumé pendant le Shabbat. Nous n’étions pas au courant, mais Yair a dit que la situation imposait d’allumer le téléphone.

Nous avons reçu des messages de l’équipe de sécurité locale nous disant de rester dans l’abri. Nous ne voulions pas passer d’appels le jour de Shabbat, mais ma fille, Yael, a appelé et demandé : « Maman, comment allez-vous tous les deux ? À Beeri, c’est un désastre, comme la Shoah ! » L’un après l’autre, nos enfants nous ont appelés pour nous parler de Beeri, Kfar Aza et Nahal Oz – les trois kibboutzim situés tout prés d’Alumim.

Images d’un ancien du kibboutz, en mars 2024. (Dafna Talmon)

Très vite, nous avons entendu des coups de feu – des revolvers puis des armes automatiques – et réalisé que c’étaient des terroristes. Cela semblait sérieux. De temps en temps, nous recevions des messages pour nous dire que l’équipe d’intervention d’urgence travaillait et aussi l’ordre, maintes fois répété, de rester à l’intérieur des abris parce que c’était la guerre dehors.

À un moment, ils ont annoncé que des membres de l’équipe d’intervention d’urgence avaient été blessés, mais comme nous n’avons pas peur, nous sommes sortis une minute, avons fait le kiddouch, mangé quelque chose et sommes retournés dans l’abri. Nous n’avons pas allumé la lumière ou tout autre appareil électronique autre que le téléphone, que nous utilisions pour recevoir des messages importants et parler avec les enfants.

À 13 heures, notre fille Ayala a appelé pour demander comment nous allions. Je lui ai dit que je ne savais pas, que c’était la guerre dehors et que j’essayais de dormir. C’est alors que nous avons entendu des coups de feu terribles tout près.

C’est à peu près à ce moment-là que l’armée est arrivée : avec l’équipe d’intervention d’urgence, ils sont allés de maison en maison pour voir comment allaient leurs occupants. Certains étaient si bien cachés qu’ils n’entendaient pas les soldats frapper à la porte.

Trente terroristes ont envahi Alumim et ont été repoussés par notre équipe d’intervention d’urgence. Les combats ont duré de 6h30 à midi, heure à laquelle l’armée israélienne est arrivée.

Incapables d’atteindre la zone résidentielle du kibboutz, les terroristes se sont rendus à la grange où ils ont assassiné 23 ouvriers agricoles venus du Népal et de Thaïlande et fait huit otages avant de mettre le feu au silo et à la laiterie.

Les travailleurs étrangers ont appelé leurs responsables pour leur
dire : « Venez, les gens de Gaza sont là », mais à cause des combats, il a été difficile de leur porter secours et de soigner les blessés.

L’étable laitière du kibboutz Alumim en flammes suite à l’attaque des terroristes, le 7 octobre 2023. (Stevie Marcus)

Retour aux sources

À 1 heure du matin, le dimanche, Ayala nous a appelés pour nous dire : « Levez-vous et préparez une valise. On va vous évacuer vers Tibériade à 3 heures. » À 02h50, on nous a dit que l’évacuation était retardée de quelques heures, alors je me suis rendormie. À 8 heures du matin, on nous a dit que l’on pouvait rejoindre un convoi qui partait à 8h30. Nous sommes restés et avons attendu l’évacuation en bus.

Vers 15 heures, nous sommes montés dans le bus et on nous a demandé de fermer les rideaux pour ne pas voir les horreurs. Les gens à bord de leur voiture ont tout vu. A la sortie d’Alumim, on nous a expliqué que nous allions dans un hôtel de Netanya.

Netanya est la ville qui m’a vu naître et dans laquelle j’ai grandi. J’ai épousé Yair quand j’avais 21 ans. Nous étions au Bnei Akiva et nous nous sommes rencontrés au kibboutz Saad, là où j’ai été formée pour fonder un kibboutz. En septembre 1966, huit mois avant la guerre des Six Jours, nous nous sommes installés à Alumim.

Quand j’étais au Bnei Akiva, mes amis étudiaient à l’université. Cela ne m’a jamais intéressée. Je n’ai jamais rien retiré de la lecture des livres.

Je savais que je voudrais aller vivre dans un kibboutz. Ma mère, qui voyait tous mes amis étudier, me disait que je perdais mon temps, me demandant pour quelle raison aucun de mes amis ne voulait travailler gratuitement dans un kibboutz ? Mais c’était ce que je voulais. Nous avons fondé Alumim à partir de rien. Nous vivions dans des cabanes. Il y avait un champ non labouré, un verger. Nous avons semé du blé et l’avons récolté avant de le mettre en silo.

Avant la guerre, l’identité du kibboutz avait changé avec la décision d’en privatiser les services. Depuis le 7 octobre, ce n’est évidemment plus le même kibboutz, et peut-être qu’il ne le sera plus jamais, mais notre famille continue de s’impliquer.

Vue globale de la ville côtière de Netanya, le 14 janvier 2024. (Crédit : Shahar Yaari/Flash90)

Avant la guerre, au moment des manifestations contre la refonte judiciaire, j’ai coupé les ponts avec ceux qui parlaient mal de mes proches qui n’avaient pas les mêmes opinions qu’eux. Je leur ai dit que je ne voulais pas parler de ça et j’ai quitté le groupe WhatsApp. Depuis, j’ai revu ma conception de la famille et j’ai demandé à y revenir.

Cinq mois à l’hôtel

Revenons à ce fameux dimanche : À 19 heures, nous sommes arrivés à l’hôtel, à Netanya, en état de choc. Des membres du Bnei Akiva nous ont accueillis en chantant « Am Israel Chaï » (le peuple d’Israël vit). Le personnel de l’hôtel nous a accueillis d’une manière absolument exceptionnelle : on nous a aidés et permis de vivre dans de très bonnes conditions. Dieu nous protège. Nous avons vécu tellement de miracles ce samedi-là.

Nous avions pris une valise avec des vêtements et des médicaments pour trois jours. Personne n’avait pris de vêtements pour le Shabbat. Très rapidement, des personnes généreuses de tout le pays nous ont fait parvenir des vêtements. Nos hommes d’État ne pourraient pas être plus nuls, mais les Israéliens nous ont accueillis avec chaleur.

Nous nous sommes répartis en deux hôtels : un pour les personnes âgées et un autre avec des appartements pour les familles avec enfants. Certaines familles ont quitté l’hôtel et trouvé un logement dans le quartier pour permettre aux enfants d’aller en cours dans les écoles spécialement ouvertes à Netanya. C’est la municipalité, Bnei Akiva, et les centres communautaires qui ont ouvert cette école.

Les premières semaines, nos enfants ou petits-enfants venaient nous voir chaque jour. Cela nous a redonné des forces et m’a permis de comprendre toute l’importance de la famille. Le jour de mon anniversaire, ils sont tous venus à l’hôtel et m’ont offert un pêle-mêle de photos.

Nos enfants (Ayala, Yael, Michal, Ofer et David) s’inquiétaient de savoir ce que nous faisions, toute la journée, à l’hôtel, mais nous ne restions pas constamment dans notre chambre. Nous allions à la synagogue, à la blanchisserie, nous promener à la plage ou faire du shopping, sans oublier la sacro-sainte sieste, l’après-midi.

Tamar et Yair Noy au kibboutz Alumim, en mars 2024. (Dafna Talmon)

Les journées passaient, pleines d’activités. Deux travailleurs sociaux venaient à l’hôtel dès 7 heures du matin : l’une d’entre eux, la merveilleuse Ayelet, avait du mal à repartir. Il fallait la renvoyer de force chez elle à la fin de la journée. Nous avions aussi un soutien psychologique et, deux fois par semaine, un médecin venait à l’hôtel.

Je n’ai que de bonnes choses à dire sur Netanya, ma ville natale, sur la municipalité, qui a été utile, sur les travailleurs sociaux, les habitants et toutes les réductions dont nous avons pu bénéficier en notre qualité d’évacués.

Au bout de deux semaines à l’hôtel, Yair devenait fou. Au kibboutz, il était le superviseur de la casheroute de la cuisine, faisait du bénévolat avec le ministère de la Défense auprès des familles touchées par le deuil et conduisait des patients de Gaza vers les hôpitaux israéliens dans le cadre de The Road to Recovery [NDLT : La Route vers la Guérison] que dirige Yael.

Un travailleur social nous a proposé de faire du bénévolat à la municipalité de Netanya à raison de deux heures par jour.

Pendant que Yair y était, je recevais dans notre chambre, pour des soins, des femmes du kibboutz, des membres du personnel féminin de l’hôtel et des femmes de Kiryat Shmona elles aussi évacuées. Depuis 25 ans, je m’intéresse aux traitements alternatifs comme bioargonomie. Cela m’a fait du bien de pouvoir traiter des gens.

La crise avec Gaza

Quand Israël a été fondé il y a 76 ans, c’était loin d’être un pays parfait et on ne nous avait rien promis. Mais une fois de plus, nous nous retrouvons en guerre pour notre indépendance. Il faut bien comprendre qu’ils ne veulent pas de nous. Ils veulent nous voir morts, dans la mer. Il faut nous battre, pas nous défendre. Nous battre !

Il y a quelque temps, un éducateur en tout point exemplaire est venu nous dire sa colère envers le Hamas, qu’il tenait responsable du fait qu’il n’avait plus aucune pitié pour les enfants de Gaza. Nous avons vu ce qui s’est passé, nous avons vu les foules attendre sur la colline d’en face, attendre pour nous prendre d’assaut, nous voler, nous violer et nous piller, mais ils ont compris que nous nous battions. Je crois vraiment que là où les habitants se sont battus, les Gazaouis sont passés à autre chose.

Des Palestiniens font la queue pour de l’aide alimentaire à Rafah, dans la bande de Gaza, le 16 février 2024. (Crédit : AP/Fatima Shbair)

J’ai toujours su que les Palestiniens étaient nos ennemis. Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans l’illusion. Ils n’acceptent pas l’existence d’Israël. Certes, ils ne sont pas tous des meurtriers, mais il nous faut admettre qu’ils sont nos ennemis et les combattre.

On en a trop fait pour eux : le temps est venu pour nous d’apprendre ce que nous ne voulons pas, de ne plus faire comme si nous étions des gens pacifiques d’Amérique et que nous ne vivions pas au Moyen-Orient. Cela fait 76 ans que nous voulons la fin de cette guerre, mais elle ne se termine pas, et je ne vois pas comment elle le pourrait.

Le 7 octobre, nous avons reçu un appel du père de Noha, Hamid. Noha est un peu la petite-fille de Yair à Gaza. Quand elle avait six ans, elle a été greffée d’un rein de sa mère : aujourd’hui, elle en a 13 et bénéficie de traitements constants.

Toutes ces années durant, à raison d’une à trois fois par semaine, Yair a conduit Noha et Hamid du passage d’Erez au centre hospitalier pour enfants Schneider dans le cadre de son travail bénévole avec The Road to Recovery. Il leur apportait des fruits et des bonbons. Ils sont devenus proches : cette crise, terrible, a fait surgir des sentiments mitigés.

Ce samedi-là, Hamid a appelé Yair et lui a dit : « Prenez soin de vous, soyez prudents. » Lors des conflits, il appelait et prenait de nos nouvelles, s’intéressait à nous et s’assurait que nous allions bien. Cette semaine, il a rappelé pour nous dire que Noha était partie en Europe avec sa mère, en passant par l’Égypte, pour avoir ses traitements.

Le tour du propriétaire

Une fois absorbé le choc initial, Yair a fait du bénévolat dans un verger du kibboutz. Pour la huitième nuit de Hanoukka, une prière spéciale a été dite à la synagogue par le rabbinat de Tsahal à l’occasion de Rosh Hodesh (le premier jour du mois) Tevet (le quatrième mois hébraïque). C’était très spécial. Après les prières, ils ont organisé les obsèques d’un des membres du kibboutz, Stevie Marcus, qui travaillait à la laiterie et y est retourné cinq jours après le début de la guerre.

L’entrée du kibboutz Alumim, en mars 2024. (Dafna Talmon)

Stevie travaillait à la remise en état du kibboutz : c’est lui qui expliquait aux bénévoles ce qu’il fallait faire. Une nuit, il a eu une crise cardiaque et il ne s’est pas levé le matin suivant. Je pense qu’il a eu le cœur brisé.

Après les funérailles, nos enfants ont organisé un allumage de bougies de célébration à Alumim. Des représentants de tous les membres de la famille sont venus, c’était émouvant. Nous n’avions jamais chanté « Maoz Zur » (chant traditionnel de Hanoukka qui parle de la façon dont les Juifs ont survécu à ceux qui voulaient leur faire du mal) comme ça, en entier, avant, et nous avons même fait des latkes et senti l’odeur de la maison. Un mois après Hanoukka, ma belle-fille (la femme d’Ofer, Michal) a organisé un Shabbat familial à Alumim : tout le monde est venu.

Quand êtes-vous retournée vivre dans le kibboutz ?

Il y a de cela deux semaines. Yair voulait y retourner depuis le début, mais la plupart des habitants n’étaient pas prêts. Les maisons d’Alumim n’ont pas été touchées par les terroristes, mais l’opposition au retour était si forte que l’on ne pensait pas à ceux qui voulaient rentrer.

A ce jour, 15 familles sont revenues, surtout des personnes âgées sans jeunes enfants. Certaines familles parlaient de revenir après Pessah, qui a été célébrée cette année à l’hôtel. A chaque Shabbat, un de mes enfants vient avec de quoi manger parce qu’ils n’apprécient pas ma cuisine.

Le kibboutz n’est pas à l’abandon. Les membres de l’équipe d’intervention d’urgence sont là. La petite épicerie est ouverte une heure par jour et la nourriture est apportée à la salle à manger et distribuée, de sorte que l’on voit du monde.

Les bruits de la guerre sont constamment autour nous, mais ils sont surtout le fait de Tsahal.

L’avenir

Je ne suis pas très douée pour lire l’avenir. C’est le présent qui m’intéresse. Dans ma salle de traitement, qui est vide en ce moment, une affiche dit :
« La vie vient à moi facilement, joyeusement et pleine de lumière. » C’est comme ça que j’essaie de vivre. J’essaie de voir les bonnes choses et de ne pas m’accrocher aux mauvaises.

En ce moment, je suis dans mon bureau, chez moi. Je n’ai jamais pensé aller ailleurs et Dieu a fait des miracles. Oui, des choses atroces ont eu lieu, mais il y a aussi eu des millions de miracles. Quand on veut y croire, on peut voir des miracles un peu partout. Le simple fait de se lever le matin et de respirer en est un.

J’ai une amie proche, une charmante femme ultra-orthodoxe de Beit Shemesh. Suite au 7 octobre, elle m’a appelée pour me demander comment j’allais, ce à quoi j’ai répondu : « Nous avons eu tellement de chance. Dieu a fait tant de miracles pour nous, ce qui m’a fait me poser la question : « Pourquoi ? Pourquoi sont-ils morts et pas nous ? »

Mon amie m’a répondu : « Israël a respecté le Shabbat, mais c’est surtout le Shabbat qui les a respectés » [dicton religieux selon lequel le Shabbat protège le peuple juif]. Cela m’a profondément touchée.

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