JTA — Paul Farber a été sous le choc quand il a vu pour la première fois « Rocky » et qu’il a remarqué une étoile de David sur la tombe du coach de Rocky Balboa, Mickey Goldmill.
Juif et fondateur du Monument Lab, à Philadelphie, qui explore la mémoire collective à travers les œuvres d’art de tout le pays depuis plus de dix ans, Farber était bien placé pour examiner la signification plus profonde de ce coup d’éclat.
« A chaque fois que je vois des funérailles juives dans un film, ça m’interpelle, ça attire mon attention. Et je veux toujours savoir ce que ça signifie, en particulier dans une production de Hollywood, en particulier quand le film ne peut pas réellement être considéré comme faisant partie de l’Histoire juive », a-t-il expliqué à la JTA.
« Nous ne sommes pas ici sur une longue scène de deuil – en l’espace d’une seconde, entrevoir ce lieu de mémoire juif est quelque chose de réellement fascinant », a-t-il ajouté.
C’est cette perspective qui est sous-jacente dans le travail de présentateur de Farber, un travail qu’il mène avec enthousiasme dans le cadre d’un nouveau podcast de la National Public Radio (NPR), « La Statue » – une plongée profonde dans l’histoire de la célèbre statue, à Philadelphie, de Rocky Balboa, le boxeur de fiction au centre de la saga « Rocky ».
Le podcast examine ce que les sports et sa société peuvent véhiculer sur la mémoire collective. Lors de ses recherches sur « Rocky », Farber a découvert quelques pépites juives rares – notamment le fait que le héros éponyme, interprété par Sylvester Stallone, était initialement amoureux d’une femme juive.
« Ils ont creusé une tombe [pour ce personnage féminin] et elle se trouve à Laurel Hill, le cimetière le plus connu de Philadelphie. Vous pouvez aller là-bas voir la stèle de cette tombe où un personnage de cinéma a été ‘enterré’, » a-t-il ajouté. « Les gens viennent et ils laissent des offrandes sur la tombe, notamment des petits cailloux – comme s’il s’agissait d’un lieu de mémoire juif. »
Dans un entretien accordé à la JTA, Farber relate ses sources d’inspiration, revenant sur la manière dont son éducation juive, quand il était enfant, a contribué à le décider à se lancer dans le travail de sa vie ; il évoque le rôle que les statues – comme celle de la légende juive du base-ball, Sandy Koufax — tiennent et doivent tenir.
Cet entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.
JTA : Pour commencer, je serais ravi de savoir comment vous avez été amené à vous intéresser à l’étude des monuments.
Paul Farber : Ce qui m’intéresse vraiment, c’est cette façon dont, en ville, nous innovons en avançant vers l’avenir tout en composant également avec notre passé – ce qui arrive souvent très exactement aux mêmes endroits. Ça peut être une statue, une rue, le magasin du coin… Ça m’est très cher.
Ce qui a vraiment été à l’origine de ce projet, c’est une conversation avec ma mère, il y a quelques années. Ma mère vit depuis toujours à Philadelphie. Ses parents étaient des immigrants juifs qui s’étaient installés dans le sud de Philadelphie. Et quand je lui avais dit que je donnais un cours, à l’université de Pennsylvanie, sur les quartiers de Philly, elle m’avait demandé si j’abordais « Rocky ». Quand je lui ai répondu que non, que ce n’était pas dans le programme – et je l’avais peut-être dit de manière un peu méprisante – elle m’a jeté ce regard qu’un grand nombre d’entre nous connaissons, du genre « mais comment peux-tu… ? » Alors pour son anniversaire, nous avons regardé « Rocky » et nous sommes allés voir « Creed ». Mon grand-père allait à South Philly High et il était inscrit au club de boxe. Il racontait des histoires dans notre famille sur ce que cela signifiait d’associer le sport, la culture et l’appartenance dans le sud de Philadelphie.
J’ai commencé à comprendre qu’à travers les générations – depuis bien avant « Rocky » et jusqu’à aujourd’hui, presque cinquante ans après la sortie du film – les histoires familiales d’un grand nombre de personnes peuvent se raconter au travers de cette statue, mon histoire ne faisant pas exception.
Ça a été suffisant pour me décider à faire le grand plongeon.
« Rocky » n’est évidemment pas tirée d’une histoire juive, mais il y a quelques pépites. Comme la scène des funérailles, et vous avez aussi mentionné quelque chose au sujet d’Adrienne, personnage presque juif. Je suis curieux de savoir ce que vous pensez de ces petits éléments juifs que vous êtes parvenus à tirer de cette célèbre histoire et de ce que cela signifie pour vous en tant qu’amoureux des sports à Philadelphie.
Ça m’a sidéré que le coach de Rocky, Mick, décède et que le personnage de Rocky aille à ses funérailles – et d’y découvrir une étoile de David. A chaque fois que je vois des funérailles juives dans un film, ça m’interpelle, ça attire mon attention. Et je veux toujours savoir ce que ça signifie, en particulier dans une production hollywoodienne, en particulier quand le film ne peut pas réellement être considéré comme tirée d’une histoire juive.
Et ça a soulevé chez moi tout un tas de questionnements entraînant une confusion entre l’art et la vie, entre la saga et la ville de Philadelphie.
https://youtu.be/XT5DA4vLQAk
Dans le deuxième volet, nous présentons ce livre d’art monumental que Sylvester Stallone [qui jouait Rocky] a créé. Il y a un passage qui m’a époustouflé, dans la première version de « Rocky », où il dit « quant à Adrienne, elle était juive dans la première version ». Et il a fait des retouches et a coupé ce personnage. On n’entend jamais parler du judaïsme de Mickey. On n’entend jamais parler du lien entre Rocky et les autres cultures. Mais le fait que la première scène de la saga « Rocky » se déroule dans un lieu appelé Resurrection Gym – qui est une iconographie chrétienne évidente – et que l’on y place des personnages juifs m’a vraiment fasciné.
Il y a une autre tombe célèbre dans la saga. Le personnage d’Adrienne finit par mourir, et comme la statue, qui a été réalisée en bronze, pour la série des « Rocky », ils ont réalisé une véritable pierre tombale, qui se trouve dans le plus célèbre cimetière de Philadelphie, Laurel Hill. Et vous pouvez y aller et voir cette pierre tombale où un personnage de film est « enterré ». Les gens laissent des offrandes sur la pierre tombale, notamment des petits cailloux, comme s’il s’agissait d’un lieu de mémoire juif.
Les gens parlent de représentation à l’écran, et je ne suis pas sûr qu’un enterrement juif y contribue nécessairement, mais j’imagine que pour certaines personnes, voir Rocky Balboa dire le Kaddish a peut-être été leur première interaction avec le judaïsme. Qu’en pensez-vous ?
Chaque plan est délibéré. C’est d’ailleurs ce genre d’attitude et de perspective qui a permis de créer la statue de Rocky, car Sylvester Stallone était le réalisateur du film, et ils auraient pu faire une version en polystyrène ou une version temporaire, mais ils ont passé plus d’un an à fabriquer une statue de bronze pour que, lorsque la caméra était face à elle, elle fasse vraie. Je pense que, de manière très similaire, c’est une partie de l’art de Stallone qui se manifeste dans notre série de podcasts. Nous ne sommes pas avec lui lorsqu’il fait shiva (deuil rituel juif). Nous ne sommes pas là dans une série de deuils prolongés, mais en une fraction de seconde, voir le site juif d’un souvenir est vraiment fascinant. Et de voir l’entraîneur Mickey, de voir sa page Wikipedia dire qu’il est juif, tout ce que nous avons, c’est le deuil.
Je pense au fait que pour les communautés juives immigrées, il y a des lacunes dans nos récits. Tout au long de la saga, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu partager mon point de vue en tant que personne juive homosexuelle qui a grandi en aimant le sport à Philadelphie, je me suis inspiré de l’histoire de ma propre famille, de ce dont nous sommes capables de nous souvenir et des lacunes qui subsistent. Et je vois que cela fait écho à l’histoire de Rocky pour beaucoup de gens.
Il s’agit clairement d’une histoire très personnelle pour vous. Pourquoi avez-vous pensé qu’il était important de commencer le podcast avec votre propre identité, et d’inclure votre mère juive ?
Je pense qu’il est important que, lorsque nous parlons de mémoriaux, nous comprenions qu’il existe des façons communes et collectives d’évoquer le passé, et d’autres qui sont incroyablement personnelles. Mon espoir était de trouver, dans ce cas particulier, de mettre en lumière, un mémorial significatif dans la ville, mais de poser des questions à son sujet. Et je pense qu’il était important de noter quelle position je prendrais, parce que je ne crois pas qu’il y ait une seule histoire pour la statue de Rocky. Pour raconter l’historique d’une statue, il faut en fait raconter celle des personnes qui lui ont donné un sens.
Dans la saga, nous travaillons beaucoup pour connaître les histoires et les origines des gens, qu’il s’agisse de réfugiés afghans ou d’organisateurs communautaires de Kensington [un quartier de Philadelphie]. J’espérais qu’en plaçant cette histoire de mon point de vue, presque comme un mémoire en quelque sorte, cela ouvrirait un espace pour d’autres personnes afin que leurs expériences soient valorisées et aient un sens.
Que ce soit dans le cadre du podcast ou de votre travail au Monument Lab, comment pensez-vous que votre identité juive influe sur ce que vous faites ? Voyez-vous un chevauchement entre vos valeurs juives et les valeurs sur lesquelles vous travaillez dans votre organisation ?
Je le pense absolument. J’ai grandi dans une communauté juive à Philadelphie, et le tikkoun olam était un refrain constant. Le travail de tikkoun olam incarne une vision du monde qui nécessite de construire des ponts et de comprendre au-delà des clivages, de ne pas les diminuer ou les sous-estimer, mais d’apprécier la façon dont nous travaillons en solidarité, que ce soit autour de la justice raciale, de la justice de genre, dans diverses luttes.
Je suis co-fondateur et directeur d’une organisation qui se concentre sur la mémoire, et cela me vient des histoires de mon enfance au sein d’un foyer juif, dans une communauté juive, où la mémoire a été vécue de différentes manières. Nous avons toujours été conscients des histoires de traumatisme et de perte, mais aussi de réconciliation et de transformation, et de la manière dont on travaille avec les lacunes que l’on a, dont on écoute, dont on apprend et dont on porte l’histoire avec soi. Car c’est ainsi que l’on crée des liens entre les générations. La mémoire juive est vraiment à la base de ce que je fais, et je cherche à l’utiliser comme un outil pour en apprendre davantage et pour alimenter les liens au-delà des clivages.
Rocky a un statut presque mythique, divin, et sa statue à Philadelphie est un peu un lieu de pèlerinage. Y voyez-vous un problème en tant que Juif, étant donné l’interdiction du culte des idoles ?
Je pense à l’importance de la mémoire, contre les forces de violence et d’effacement. Je comprends aussi que, dans un monde rempli de douleur, de difficultés et de pertes, nous cherchons des lieux pour nous en libérer. Et je comprends donc l’attrait pour les monuments.
Ce que je voudrais voir, et ce que nous essayons de faire à travers cette série, « La Statue », et aussi avec le travail de Monument Lab, c’est de regarder sur et hors du piédestal, et de vraiment réfléchir à la façon dont l’Histoire vit avec nous.
Comme nous le disons dans la série et ailleurs, l’Histoire ne vit pas à l’intérieur des statues, elle vit avec les gens qui les gèrent, qui créent d’autres types de sites de mémoire, qui sont vigilants dans leurs modes de commémoration.
Ce que j’essaie de faire dans ce travail, c’est de comprendre l’ambivalence des monuments, la tendance à essayer de se souvenir et d’être durable à travers le temps, et ce rappel constant qu’à chaque fois que l’on essaie de figer le passé, ou de figer une image de pouvoir, on supprime le potentiel de trouver une connexion et une autonomisation, et donc des formes de survie.
Dans le sport, il y a tellement de façons d’honorer les gens, en particulier des façons différentes qui, comme une statue, prennent l’idée de permanence. À la mort de Bill Russell, la NBA a retiré son numéro 6 dans toute la ligue. Le 15 avril, lors du Jackie Robinson Day, toute les Ligues majeures de baseball ont rendu hommage à Jackie Robinson en portant son numéro de maillot. Mais les statues ont un autre niveau d’importance. Sandy Koufax a une nouvelle statue à Los Angeles qui a été inaugurée l’année dernière ; Hank Greenberg en a une. Selon vous, que faut-il pour qu’un athlète atteigne ce statut ?
Le summum du sport est d’avoir une statue qui vous est dédiée en dehors du stade. Et je crois que les cultures des réseaux sociaux ont amplifié cela, car nous avons grandi avec l’histoire de Sandy Koufax qui ne lançait pas dans les World Series pendant les fêtes du Nouvel an juif, et ce n’est pas parce que nous l’avons appris d’une statue ou d’une plaque. Nous l’avons appris parce qu’elle a été transmise et placée dans différentes formes de souvenir et de rappel de son importance. J’ai assisté à plusieurs Jeux des Maccabiades aux États-Unis – j’étais sprinter. Et la culture de la mémoire et le sport, était une seule et même chose.
Dans le sport professionnel, le pinacle est la statue, mais je pense que vous avez évoqué d’autres moyens vraiment importants de se souvenir qui fonctionnent sous des formes autres que la statue et qui donnent l’impression d’être des mémoriaux vivants.
L’idée de retirer le numéro de quelqu’un et de le conserver est une façon de reconnaître, dans cet espace public par excellence, une intimité et une attention, et surtout lorsqu’un athlète décède, comment cela transcende les lignes de la géographie urbaine.
La journée Jackie Robinson n’a pas eu lieu immédiatement après que Jackie Robinson a été le premier joueur noir à jouer dans les ligues majeures, mais elle est le produit d’un moment ultérieur où les gens des Ligues majeures de baseball ont cherché à activer sa mémoire. Donc oui, une statue à l’extérieur d’un stade est un type particulier de reconnaissance professionnelle. Mais d’autres formes sont également vraiment significatives.