Le 7 octobre, Chen Weitzman rendait visite à sa famille à Sderot pour célébrer Simhat Torah, marquant la fin des fêtes du Nouvel an juif, et se préparait à commencer un nouvel emploi après avoir passé son congé maternité à la maison, dans la ville voisine de Netivot, avec ses jumelles.
Mais le massacre perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas ce jour-là a non seulement fait de Weitzman une évacuée, mais a également mis un terme à ses projets professionnels. Déplacée à Netanya durant les premiers mois de la guerre, elle s’est retrouvée dans l’impossibilité de se rendre à Beer Sheva pour le recrutement et le poste a été attribué à quelqu’un d’autre.
Weitzman fait partie des quelque 200 000 Israéliens qui ont été forcés de quitter leur domicile à la suite de l’assaut du 7 octobre et de la guerre contre le Hamas qui a suivi, ainsi que des hostilités le long des frontières de Gaza et du Liban, au sud et au nord.
De nombreux évacués de guerre ont eu du mal à se motiver et ont trop perdu confiance en eux pour continuer à travailler, alors qu’ils se sont retrouvés coincés dans une chambre d’hôtel ou un appartement loin de chez eux.
Pour tenter de retrouver une vie normale, Weitzman et beaucoup d’autres se sont tournés vers une initiative conçue pour aider les personnes évacuées à trouver un emploi et une occupation adaptés à leurs besoins pendant cette période difficile.
« Avec tous les traumatismes de la guerre, les personnes que nous avons perdues, la peur pour les otages, dans tout cela, ne pas avoir de routine, ne pas avoir d’emploi ou de revenu régulier est très difficile », a expliqué Weitzman, qui n’avait toujours pas retrouvé de travail après son retour à Netivot, dans le sud du pays, à la fin du mois de novembre.

« Commencer à travailler, ne serait-ce qu’à distance, aide mentalement à retrouver une certaine forme de routine avec tout ce qui se passe », a-t-elle ajouté.
Lorsque Weitzman et les membres de sa famille ont été réveillés par une sirène de roquette lors de ce Shabbat noir du début du mois d’octobre, ils n’y ont pas prêté attention. Ce n’est qu’après avoir entendu des coups de feu et jeté un coup d’œil par la fenêtre pour y voir des terroristes qu’ils ont compris que quelque chose de beaucoup plus sinistre était en train de se produire, a-t-elle raconté.
« Nous avons entendu des gens frapper à la porte, mais nous en avons conclu qu’il devait s’agir des terroristes que nous avions vus par la fenêtre », a continué Weitzman. La famille est restée aussi silencieuse que possible et la personne qui frappait à la porte a fini par partir. « Heureusement, nous avons été sauvés car ils pensaient probablement qu’il n’y avait personne à la maison. »
Lorsqu’ils ont enfin pu quitter le mamad – la pièce sécurisée – deux jours plus tard, Weitzman, 28 ans, son époux, leurs trois jeunes enfants, ses frères et sœurs, ses parents et ses grands-parents se sont joints à l’exode massif du sud d’Israël, alors que les villes, les kibboutzim et les petites communautés étaient vidés de leurs habitants. Ils ont fini par trouver un appartement à Netanya, une ville située en bord de mer au nord de Tel Aviv.
« Nous sommes arrivés de Sderot avec presque rien, mais nous avons reçu beaucoup d’aide et de dons de vêtements, de jeux pour les enfants et de nourriture », indique Weitzman.
L’emploi prévu à Beer Sheva ayant été écarté, Weitzman a continué à chercher du travail, mais elle n’a pas eu beaucoup de chance. Le manque de possibilités de garde pour ses jeunes enfants pendant cette période d’incertitude lui a rendu la tâche encore plus difficile.
Aujourd’hui, de retour à Netivot, « nous entendons toujours les bombardements et les explosions à Gaza, mais nous disposons d’une pièce sécurisée et il n’y a pratiquement pas de sirènes ; les enfants ont lentement appris à vivre avec ce bruit de fond », a expliqué Weitzman, qui a grandi à Ashkelon, une ville côtière du sud qui subit des attaques incessantes de roquettes de Gaza depuis près de vingt ans.
Une partie du retour à la routine a consisté à chercher un emploi. Weitzman est diplômée en gestion des ressources humaines, mais « le marché de l’emploi est difficile à Netivot, il n’y a pas beaucoup de postes à pourvoir », a-t-elle déploré.

Pour Weitzman et d’autres personnes dans la même situation, une initiative connue sous le nom de « 710 West » promet de l’aide. Le projet a été créé conjointement par la Fondation Merage Israël, l’entrepreneuse sociale Hana Rado, le Conseil régional d’Eshkol, qui jouxte la frontière de Gaza, et le Conseil régional de Tamar, près de la mer Morte, où se sont retrouvés de nombreux déplacés. Les organisateurs espèrent contribuer à la réinsertion de milliers de personnes déplacées dans le Néguev occidental, qui sont en difficulté dans leur emploi actuel ou qui ont perdu leur travail à la suite de l’assaut du 7 octobre.
L’initiative a été lancée en réponse à une demande de la direction du kibboutz Saad, qui cherchait de l’aide pour trouver un emploi à ses résidents dans le cadre d’un processus de réhabilitation de la communauté. Contrairement à de nombreux kibboutzim environnants, Saad a été largement épargné par l’attaque et nombre de ses résidents sont rapidement revenus, même si tous n’avaient pas d’emploi.
Fin novembre, la Knesset a adopté une loi visant à garantir la sécurité de l’emploi aux évacués de guerre et aux membres des familles d’otages. La loi interdit de licencier des employés qui n’ont pas pu faire leur travail parce qu’ils ont été évacués d’une communauté proche de la frontière de Gaza ou du Liban, ou s’ils sont membres de la famille d’une personne disparue ou retenue en otage à Gaza, et ce, tant que durera la guerre.
Cependant, l’effort de 710 West est né de l’idée que les Israéliens déplacés ont besoin de plus qu’une protection de l’emploi. Nombre d’entre eux recherchent des solutions d’emploi adaptées à leurs besoins, car ils sont encore traumatisés par le fait d’avoir été déracinés de leur domicile et, parfois, par la perte d’êtres chers.

Près de 1 200 personnes ont été tuées lors de l’assaut du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre, et 253 autres ont été enlevées, plus de la moitié d’entre elles étant toujours retenues en otage à Gaza. Plus de 220 militaires ont également été tués depuis qu’Israël a commencé à se battre dans la bande de Gaza pour anéantir le groupe terroriste palestinien du Hamas.
L’équipe de femmes à la tête de 710 West, qui comprend des expertes en ressources humaines et en bien-être, offre un soutien personnel et professionnel pour motiver et encourager les évacués du Néguev occidental à chercher un emploi, ainsi que pour les aider à trouver les employeurs et les emplois qui leur conviendraient, même si beaucoup d’entre eux ne sont pas encore rentrés chez eux.
« Je pense que l’emploi est un élément fondamental et essentiel pour renforcer la confiance et la stabilité d’un individu, en particulier chez les personnes qui ont subi un traumatisme et ont perdu la capacité d’être autosuffisantes », a affirmé Rado.
« Notre objectif est de faciliter les possibilités de travail à distance afin qu’une personne qui a été évacuée d’une communauté du sud vers Eilat à cause de la guerre puisse obtenir un emploi dans une start-up à Tel Aviv et continuer à y travailler même après son retour dans sa région d’origine. »
Pour lancer l’initiative, 710 West a créé une plateforme numérique où les demandeurs d’emploi et les employeurs peuvent s’inscrire. Dans le cadre du projet, des opérateurs de terrain ont été envoyés, dont une femme à Eilat – où se concentrent de nombreux déplacés -, une autre à la mer Morte et une autre à Tel Aviv, pour parler aux personnes évacuées dans les hôtels où elles séjournent afin d’établir une relation de confiance et de comprendre leurs besoins, de les inscrire dans le système et de les aider à décrocher un emploi.
« Leurs besoins sont tellement élémentaires à ce stade, car certains ont tout perdu. Il se peut qu’ils aient besoin d’une baby-sitter pendant deux heures pour pouvoir passer un entretien ou que la chambre de l’hôtel où ils ont été évacués n’ait pas d’accès à Internet, et nous leur trouvons des solutions pour cela aussi », a déclaré Nicole Hod-Stroh, PDG de la Fondation Merage, un fonds philanthropique familial qui participe au développement du Néguev depuis de nombreuses années. « Dans d’autres cas, le soutien personnalisé que nous apportons peut consister à essayer de leur trouver une formation. »
Lorsque Weitzman est tombée sur 710 West par le biais d’un groupe WhatsApp destiné aux demandeurs d’emploi, elle a déclaré avoir tenté sa chance car elle était déjà de retour chez elle à Netivot.
« Je ne pensais pas qu’ils auraient quelque chose pour moi, mais j’ai quand même essayé. Et heureusement, car j’ai finalement eu de la chance », a-t-elle déclaré. « J’ai trouvé un poste dans mon domaine dans une petite entreprise située dans le centre de Modiin et, bien que n’ayant que peu d’expérience professionnelle, j’ai envoyé mon CV. »

Pour son premier entretien, le PDG de la start-up, qui était en service de réserve dans le sud, a rencontré Weitzman dans un café Aroma à Netivot, où il lui a indiqué qu’elle pouvait travailler à domicile, à l’exception d’un jour par semaine – où elle devrait se rendre au bureau de Modiin, situé à environ une heure et 15 minutes de route.
Après le second entretien, cette fois via Zoom, Weitzman a été embauchée en tant que responsable des ressources humaines de la start-up.
« C’est grâce à 710 que j’ai trouvé cet emploi, car si j’avais cherché uniquement dans la région de Netivot, je n’aurais pas trouvé ce poste et je n’aurais pas envisagé de chercher un emploi dans une entreprise située dans le centre et pour laquelle je pourrais travailler depuis chez moi », a affirmé Weitzman.
« Cet emploi me permet d’évoluer plus rapidement vers le poste que je vise, car il s’agit d’une petite entreprise en démarrage qui a besoin de moi pour ses embauches planifiées et, une fois qu’elle aura recruté des travailleurs, je serai le gestionnaire des ressources humaines pour les nouveaux employés. »
Le nom de l’initiative fait référence à la date de l’attaque et à l’ouest du Néguev, près de la frontière de Gaza, dont les résidents et anciens résidents sont la cible.
L’initiative compte deux volontaires chargées d’aider les employeurs à se joindre à l’effort afin de pouvoir offrir un large éventail d’emplois, des emplois de base tels que les postes de vente dans les magasins aux emplois technologiques dans les multinationales.
Pour l’instant, 710 West a noué des partenariats avec Check Point Software, qui a ouvert la porte à des postes pour 15 personnes, et qui assure la formation, a déclaré Rado. Lahav 433, la division des enquêtes criminelles de la police israélienne, est un autre lieu de travail qui s’est engagé à embaucher des travailleurs, a-t-elle ajouté.
Parmi les autres employeurs travaillant avec 710 West figurent les compagnies d’assurance Migdal et Menorah, des entreprises high-tech telles que Ness Technologies, ainsi que la chaîne de dispensaires dentaires MaccabiDent.

« Ils sont nos partenaires de coopération, ce qui signifie qu’ils comprennent que le processus d’embauche n’est pas normal, qu’il implique une assistance telle que la formation et la satisfaction d’autres besoins des personnes évacuées », a expliqué Rado. « Nous avons réussi à trouver du travail pour des évacués juniors ainsi que pour des travailleurs ayant plus d’expérience sur le marché du travail. »
Au cours des dernières semaines, environ 650 évacués se sont inscrits sur le site web de 710 West, environ 120 de leurs CV ont été envoyés aux employeurs pour lancer le processus d’embauche, et 25 ont réussi à trouver du travail. Dans le cadre de cette initiative, 710 West a collecté environ 500 000 dollars de fonds et cherche à réunir la même somme dans les semaines à venir.
Rado a indiqué qu’elle s’était fixée pour objectif de faire travailler 710 résidents du Néguev occidental d’ici le 7 octobre 2024.
Rado et Hod-Stroh espèrent que le modèle qu’elles créent pour les personnes évacuées, qui favorise des arrangements de travail adaptés et flexibles en mettant l’accent sur le travail à distance, sera transformé en une initiative nationale que le gouvernement pourrait soutenir et financer.
Le gouvernement israélien cherche depuis longtemps des moyens de déplacer les emplois et les personnes du centre surpeuplé du pays, autour de Tel Aviv, vers les zones périphériques, souvent sous-développées.
« Le travail à distance est un modèle parfait pour le Néguev, qui pourrait favoriser la croissance économique et démographique en permettant aux personnes et aux familles de rester dans la périphérie ou de s’installer dans des kibboutzim, à Ofakim, Arad et Dimona, tout en conservant un emploi à Tel Aviv », a déclaré Hod-Stroh. « Une fois qu’il y aura une quantité critique d’habitants travaillant en dehors des grandes villes, cela pourrait inciter davantage d’entreprises à s’installer dans la périphérie. »
« Si nous tirons parti de cette crise, tant pour le Néguev que pour la Galilée, nous pourrons créer une économie qui permettra à Israël de se développer également dans la périphérie », a-t-elle ajouté.
De nombreux employeurs sont encore réticents à adopter des modèles de travail à distance qui permettraient aux employés de travailler dans des villes éloignées du désert comme Yeruham plutôt que dans les gratte-ciel de Tel Aviv.
« Pendant la guerre, de nombreux employeurs ouvrent leurs portes et leurs cœurs », a déclaré Rado. « Plus nous pourrons persuader les employeurs et prouver qu’il est possible d’effectuer le travail à distance, plus nous sauverons le pays. »
« Cela permettra de combler les écarts sociaux entre la périphérie et le centre, entre le sud et le nord, et de changer le pays de manière à ce que tout le monde ait un emploi, et pas seulement les personnes vivant dans le centre du pays », a-t-elle ajouté.