MANTUA, Italie – Quatre survivants italiens de la Shoah qui ont vécu un raid tristement célèbre de la Gestapo dans le ghetto de Rome consacrent aujourd’hui leurs dernières années à enseigner les atrocités nazies commises pendant la Seconde Guerre mondiale – des atrocités qui auront coûté la vie à leurs parents ou à leurs proches.
Ces bénévoles, Silvana Ajò Cagli, Emanuele Di Porto, Attilio Lattes et Marco Di Porto, rencontrent régulièrement les visiteurs du musée de la Fondation de la Shoah, à Rome, et ils se rendent aussi dans les écoles pour partager leurs récits avec les jeunes dans tout le pays. Ils sont conscients d’être la dernière génération de témoins de l’Histoire vécue de la Shoah – et ces récits sont devenus, en quelques sortes, un testament qu’ils ont à cœur de transmettre. Avec un regret : cette année, il se sont largement trouvés dans l’incapacité de se déplacer en raison de la crise du coronavirus qui frappe encore le monde, et à laquelle l’Italie a payé un lourd tribut.
Le musée de la fondation de la Shoah, où ils accomplissent une grande partie de leur mission, a été établi en 2008 et il est installé à la Casina dei Vallati, ancienne maison médiévale située au cœur du quartier juif de Rome. Si l’objectif poursuivi par l’institution est de promouvoir la création d’un musée de la Shoah plus grand en collaboration avec la municipalité de Rome, le musée organise toutefois, de son côté, de très nombreuses activités.
En l’honneur de la Journée internationale de commémoration des victimes de la Shoah en cette année touchée de plein fouet par la pandémie, le musée a décidé d’offrir un aperçu sur internet de sa nouvelle exposition intitulée « de l’Italie à Auschwitz » sur sa page Facebook, le 27 janvier.
Sous l’autorité du président du musée, Mario Venezia, l’institution s’est impliquée dans une grande variété de projets, notamment dans la réalisation de documentaires, dans l’écriture de livres d’histoire, dans la production de pièces de théâtre, dans l’accueil de programmes d’enseignement ainsi que dans la préparation de cours affûtés qui ont été mis à la disposition des professeurs des écoles de tout le pays.
L’exposition « De l’Italie à Auschwitz » s’efforce de raconter l’histoire de la déportation, entre 1943 et 1944, de plus de 6 000 Juifs depuis les territoires italiens – notamment depuis les régions de la Grèce qui étaient alors occupées par l’Italie – ainsi d’environ 1 000 non-Juifs qui avaient été déportés pour des raisons politiques ou autres.
Venezia dit avoir pris la décision de recruter des bénévoles – faisant notamment appel à des survivants de la Shoah – pour intervenir auprès du public il y a cinq ans.
« Aujourd’hui, nous avons 26 bénévoles qui ont tous été formés pour ce travail et qui parlent plusieurs langues – l’italien, l’anglais, le français et l’hébreu. Certains ont été témoins des lois raciales et de l’occupation fasciste et nazie de l’Italie », déclare-t-il. « Avant la pandémie, ils rencontraient les plus jeunes dans les écoles mais ils apportent dorénavant leurs témoignages sur internet. Notre désir, c’est que les gens voient de vrais visages qui puissent leur raconter de vraies histoires ».
Les quatre bénévoles qui ont vécu les atrocités de la Shoah en Italie se sont entretenus avec le Times of Israel en amont de la Journée internationale de commémoration de la Shoah. Voici leurs histoires.
Silvana Ajò Cagli, 93 ans
Silvana Ajò Cagli, qui est âgée aujourd’hui de 93 ans, n’en avait que neuf quand elle avait été renvoyée de son école parce qu’elle était Juive et malgré l’excellence de ses résultats scolaires, en 1938.
« Je venais de terminer mon CM2 et je devais passer l’examen pour entrer au collège. Du jour au lendemain, nous, les élèves juifs, nous avons été renvoyés. C’est un concierge qui nous l’a annoncé », se souvient Cagli. « Imaginez-vous être un enfant sans la moindre idée de ce qui se passe. Vous vous demandez alors : ‘Mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire’? », ajoute-t-elle.
« L’année qui a suivi, mes sœurs et moi sommes restées à la maison alors que les autres enfants allaient à l’école. Nos familles étaient dévastées d’un point de vue psychologique. Nous avons travaillé à la maison, nos camarades de classe et nos professeurs nous donnaient des devoirs à faire », continue-t-elle.
Après la reddition de l’Italie face aux forces alliées, le 8 septembre 1943, les Allemands avaient rapidement occupé Rome. Le 26 septembre, le commandant de la police allemande locale, Herbet Kappler, avait appelé le responsable de la communauté juive, lui demandant de venir dans ses bureaux et il lui avait donné l’ordre de lui livrer 50 kilos d’or dans les 36 heures. Le cas échéant, avait expliqué Kappler, 200 chefs de famille juifs seraient déportés. Les agents de sécurité nazis avaient affirmé aux responsables de la communauté juive que si, en revanche, l’or réclamé leur était livré, il ne serait fait de mal à personne.
On pensait que les Allemands, même s’ils étaient des ennemis, tiendraient leur promesse
« A l’époque, on pensait que les Allemands, même s’ils étaient des ennemis, tiendraient leur promesse », explique Cagli. « De nombreuses personnes, amies ou étrangères, ont amené ce qu’elles avaient chez elles et elles ont pris leur place dans la file d’attente qui s’était formée derrière la Grande synagogue ».
Une fois que la communauté avait rassemblé la quantité nécessaire de ce métal précieux, l’or avait été amené au siège de la SD (la Sicherheitsdienst, SS ou police sécuritaire).
« Les Allemands nous ont dit que nous n’avions rien à craindre puisque nous avions obéi aux ordres », poursuit Cagli. « Quelques jours plus tard, mon père a reçu un appel téléphonique d’un ami qui travaillait au sein du ministère de l’Intérieur et qui lui a dit qu’il s’inquiétait à notre sujet à cause de certaines rumeurs entendues au bureau. Il nous a conseillé de mettre en garde nos amis Juifs et de quitter la maison ».
« Cela n’a pas été une décision facile », soupire-t-elle. « Nous avions un magasin dans le centre-ville et il y avait tellement de problèmes à résoudre avant de prendre la fuite. Au début du mois d’octobre, nous sommes partis après avoir averti tous nos parents. Mes oncles, qui vivaient dans la ville, sont restés et le 16 octobre 1943, le jour de la rafle au ghetto de Rome, ils ont disparu. On ne les a jamais revus ».
Ce jour-là, 1 259 personnes dont 689 femmes, 363 hommes et 207 enfants, avaient été rassemblés. Presque tous appartenaient à la communauté juive de la ville. Le raid avait été mené par la Gestapo, avec le renfort de ses collaborateurs fascistes, entre 5 heures 30 du matin et 14 heures, le samedi 16 octobre – une journée restée célèbre sous le nom de « Samedi noir ». Et ce n’est pas du tout une coïncidence, note Cagli, que les nazis aient choisi de mener à bien cette opération le jour du repos juif.
Quarante-huit heures après la rafle, 1 022 personnes, dont un enfant né la veille, avaient été emmenés à la gare Tiburtina de Rome et ils avaient été embarqués dans 28 wagons à bestiaux, sans toilettes. De là, ils avaient été déportés au camp d’extermination d’Auschwitz. Seize d’entre eux seulement devaient en revenir – 15 hommes et une femme.
« Ce sont nos amitiés qui nous ont sauvés », estime Cagli. « Avant la rafle, un client du magasin, un carabiniere [membre de la police militaire], nous avait donné les clés de sa maison en nous disant que nous pouvions nous y cacher pendant que lui et sa famille quittaient la ville. Cela a été une démonstration de forte amitié et de grande loyauté », ajoute-t-elle.
« Je me suis cachée là-bas avec ma mère et mes sœurs tandis que mon père et deux de mes cousins se réfugiaient dans une maison du quartier San Lorenzo, qui avait été bombardé par les alliés pendant la guerre. Des amis nous amenaient de quoi manger parce qu’il était impossible pour nous de sortir. Nous sommes restés là-bas pendant neuf mois. Mon père venait nous rendre visite quotidiennement, à bicyclette », raconte-t-elle.
Emanuele Di Porto, 89 ans
Emanuele Di Porto, qui a aujourd’hui 89 ans, avait douze ans lorsque les nazis étaient entrés dans le ghetto de Rome et qu’il avait été arrêté en compagnie de sa mère.
« Mon père était vendeur de souvenirs. Il s’était levé à trois heures du matin et il était parti à la gare Termini pour vendre sa marchandise aux soldats allemands qui revenaient du front », raconte Di Porto. « Le samedi 16 octobre, il est sorti très tôt. Mes frères et moi étions seuls à la maison. A 5 heures, ma mère a entendu du bruit et elle a regardé par la fenêtre. Elle a vu les nazis qui rassemblaient les gens dans les rues du ghetto. Pensant que les SS ne voulaient capturer que les hommes, ma mère est partie à la gare pour avertir mon père de ce qui était en train d’arriver », ajoute-t-il.
J’étais à la fenêtre et j’ai vu ma mère capturée par un soldat et embarquée dans un camion
Le père de Di Porto a alors dit à son épouse de rentrer à la maison et d’emmener les enfants chez sa sœur, qui vivait dans un autre quartier. Lui attendrait donc leur arrivée chez sa belle-sœur.
« J’étais à la fenêtre et j’ai vu ma mère capturée par un soldat et embarquée dans un camion », se souvient Di Porto. « J’ai commencé à hurler et je suis sorti dans la rue. Ma mère, me voyant arriver, m’a fait le signe de rebrousser chemin avec sa main mais les Allemands m’ont attrapé et ils m’ont fait monter dans le camion. Ma mère est parvenue à me faire redescendre, je ne sais plus comment – et j’ai erré sans but. J’étais mort de peur ».
Di Porto était finalement arrivé sur une place d’où partaient des tramways, et il était monté à bord de l’un d’entre eux qui faisait le tour de la ville. Lorsqu’il avait dit au conducteur qu’il était Juif et que les Allemands venaient de faire une rafle, l’homme l’avait fait s’asseoir à côté de lui, sur le devant.
« Il n’était que six heures du matin et il pleuvait ce jour-là », continue Di Porto. « A 11 heures du matin, le chauffeur m’a donné la moitié de sa collation. A deux heures, il devait être remplacé et il a dit à son collègue : ‘Occupe-toi de cet enfant’. Il s’est passé la même chose quand le conducteur a changé une troisième fois. Je suis donc resté dans le tram pendant deux jours, dormant et mangeant dedans. Le matin, au dépôt, ma présence avait été remarquée mais personne ne m’avait demandé de partir ».
Le troisième jour, un homme – une connaissance de la famille Di Porto qui vivait lui aussi dans le ghetto – était monté dans le tramway.
« Il m’a dit que mon père était convaincu que j’avais été arrêté avec ma mère », explique Di Porto. « Mon père se trouvait alors près de Saint-Pierre, au Vatican. Je suis allé le retrouver et j’y ai retrouvé également mes proches. Du mois d’octobre 1943 au 4 juin 1944, le jour de la libération de Rome, nous sommes restés dans notre maison, dans le ghetto, sans réaliser le danger que nous affrontions alors. Ma mère, déportée au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, avait été immédiatement tuée dans les chambres à gaz à l’âge de 37 ans ».
Emanuele aura été sauvé à deux reprises – la première fois par sa mère, et la seconde par les personnels de l’entreprise de tramway.
« Ma mère m’a fait naître par deux fois au monde », dit-il. « D’abord, quand elle m’a donné vie et ensuite, lorsqu’elle m’a débarqué de ce camion ».
Attilio Lattes, 79 ans
Attilio Lattes, 79 ans, est né à Rome en 1941. Au moment de sa naissance, son père, un major dans l’armée de l’air, avait d’ores et déjà perdu son emploi suite à l’adoption des lois raciales. Il était revenu en Italie après l’intervention militaire de son pays au cours de la guerre civile espagnole, qui avait eu lieu entre 1936 et 1939, et il s’était ensuite rendu au ministère royal de la Guerre pour y obtenir des instructions. Un colonel lui avait sèchement répondu que dans la mesure où il était Juif, aucune mission ne lui serait plus assignée.
La mère de Lattes, de son côté, était propriétaire d’un magasin sur la Via del Corso, une artère importante située au centre de Rome. A la fin des années 1940, deux fascistes s’étaient présentés à la porte de son commerce, lui faisant savoir qu’elle avait quarante-huit heures pour cesser ses activités ou pour confier la boutique à un Aryen. Sa mère avait préféré mettre la clé sous la porte.
Dans la soirée du vendredi 15 octobre – la veille de la rafle dans le ghetto – Lattes, qui avait alors deux ans et demi, se trouvait dans l’habitation de sa tante en compagnie de sa famille. Cette dernière avait reçu un appel téléphonique, à 5 heures et demie du matin, les informant que les Allemands arrivaient. Sa tante avait rapidement quitté la maison avec son mari et ses enfants.
Ce monsieur a fait un geste à mon père lui intimant de me couvrir la bouche et de garder le silence
« Nous n’avons pas immédiatement réagi peut-être parce que le petit enfant de deux ans et demi que j’étais a retardé mes parents », dit Lattes. « Le surintendant de l’immeuble, en voyant mon père – qui, dans l’intervalle, était descendu au rez-de-chaussée – l’a empêché de sortir. ‘Major, mais où allez-vous ? Il y a les Allemands’, lui a-t-il dit. Il lui a ordonné de descendre avec moi et ma mère dans une petite pièce obscure et d’attendre, qu’on nous aiderait à nous échapper. Ce monsieur a fait un geste à mon père lui intimant de me couvrir la bouche et de garder le silence ».
Quatre nazis et un membre fasciste des Chemises noires étaient alors arrivés. L’un d’eux avait monté la garde à la porte du bâtiment et un autre était resté derrière pour observer le camion dans lequel deux familles avaient été précédemment embarquées. Les autres étaient montés directement à l’appartement de la tante de Lattes, qui se trouvait au quatrième étage. Pendant ce temps, le surintendant s’était faufilé derrière le garde et il s’était dirigé vers le sous-sol, où il avait frappé à la porte de la pièce minuscule.
Cela avait été le signal du début de l’évasion.
« L’homme qui nous avait dit de garder le silence a dit à mon père : ‘Soyez prêt à m’envoyer votre fils comme s’il était un ballon’, » explique Lattes. « Sur le mur, il y avait une affiche encadrée qui montrait Benito Mussolini avec Adolf Hitler, qui marchait sur un serpent qui arborait un visage typiquement juif. L’homme a soulevé l’affiche, et il y avait un trou dans le mur et une trappe. Elle avait probablement déjà été utilisée par d’autres auparavant – peut-être par des opposants au régime – qui avaient dû s’échapper eux aussi ».
L’étranger avait ouvert la voie et le père de Lattes lui avait confié le petit garçon comme convenu.
« On était dans les égouts, à trois mètres de profondeur », raconte Lattes. « On a marché et rampé pendant deux heures, à quatre pattes, à contre-courant. On a suivi cet homme qui nous guidait à travers les tunnels des égouts, parmi les excréments, les animaux morts et même les morceaux de cadavre ».
Ils étaient ressortis sur un versant du Monte Mario, une colline située au nord-ouest de la ville qui, à l’époque, était très verte. Ils s’étaient cachés dans les bosquets jusqu’au matin suivant, lorsque le père de Lattes avait estimé qu’il était suffisamment sûr de s’aventurer à l’extérieur. Ils s’étaient ensuite rendus chez des amis catholiques qui leur avaient réservé un accueil chaleureux.
« Nous nous sommes lavés et rafraîchis, et nous sommes restés là-bas pendant dix jours. On s’est ensuite cachés dans sept appartements différents et, au mois de janvier 1944, nous nous sommes réfugiés dans deux monastères, et ce jusqu’au 4 juin, le jour de la libération de la capitale », continue Lattes.
Je n’ai appris toute cette histoire qu’en 1983, vingt jours avant le décès de mon père
Lattes était trop jeune à ce moment-là pour avoir des souvenirs de cette échappée.
« Je n’ai appris toute cette histoire qu’en 1983, vingt jours avant le décès de mon père », explique-t-il. « Quand je lui ai demandé pourquoi il m’avait caché cela pendant tant d’années, il m’a répondu qu’il avait estimé qu’il m’était impossible de comprendre ce que lui et ma mère avaient traversé à ce moment-là. Le traumatisme avait été absolument dévastateur ».
Marco Di Porto, 79 ans
Marco Di Porto (qui n’est aucunement lié à Emanuele Di Porto) est âgé de 79 ans et il travaille encore en tant qu’agent commercial et historien. Ses parents s’étaient mariés au mois de juin 1939, après avoir perdu leurs emplois en raison des lois raciales. La mère de Di Porto s’était consacrée à sa famille ; son père avait, pour sa part, retrouvé un travail de représentant de commerce en Lombardie.
« Quand elle était tombée enceinte, ma mère avait dû accoucher à la maison parce que lorsqu’elle s’était rendue à l’hôpital San Camillo, à Rome, elle avait été jetée dehors parce qu’elle était juive », raconte Di Porto. « Les Juifs ne pouvaient pas être soignés par des médecins ‘aryens’. Quand je suis né, ma mère a été aidée par une sage-femme qui était, elle aussi, juive. C’est un épisode que je raconte toujours aux enfants quand je vais témoigner dans les écoles », ajoute-t-il.
En 1941 et en 1942, la situation avait encore davantage empiré pour les Juifs italiens. Parmi les lois votées par Mussolini, une législation avait envoyé les hommes juifs âgés de 18 à 55 ans aux travaux forcés.
Parmi les lois votées par Mussolini, une législation avait envoyé les hommes juifs âgés de 18 à 55 ans aux travaux forcés
« Mon père, comme tant d’autres de ses coreligionnaires, avait été obligé d’aller sur les rives du Tibre pour déblayer à la pelle le sable qui s’était accumulé quand le fleuve avait pu déborder », explique Di Porto. « Ce travail n’était évidemment pas payé. Et on s’inquiétait beaucoup de ce que le travail forcé ne soit l’antichambre des camps de concentration. »
Selon Di Porto, lorsque la communauté juive de Rome était parvenue à collecter les 50 kilos d’or demandés par les nazis à la fin du mois de septembre 1943, elle avait pensé qu’elle avait acheté sa sécurité.
« Deux semaines plus tard, le 16 octobre 1943, le jour du raid à Rome, mon père s’est caché dans un couvent de la ville », dit Di Porto. « J’étais resté à la maison, dans le quartier de Monteverde Vecchio, avec d’autres membres de la famille. Ma mère était sortie très tôt pour faire des courses, dès 5 heures 30 ».
« Un voisin nous a averti de l’arrivée imminente des Allemands », continue-t-il. « Ma tante et ses sœurs m’ont emmitouflé dans une couverture et elles ont fui vers une église qui n’était pas très loin de la maison. Le prêtre de la paroisse a vu accourir ces trois filles qui portaient un petit enfant dans les bras. Mes tantes se sont présentées en disant qu’elles étaient juives et que les nazis voulaient les emmener. Le prêtre a immédiatement ouvert la porte et elles ont pu entrer ».
La mère et la grand-mère de Di Porto les ont rejointes plus tard. Elles ont dormi dans un cellier et, le matin suivant, le religieux a dû les renvoyer avec réticence, n’ayant rien pour leur permettre de s’alimenter.
« Ma mère a décidé de prendre un bus pour aller à la gare de Termini. C’était un risque important mais nous sommes parvenus à arriver à l’église du sacré-cœur », raconte Di Porto. « J’y suis retourné des années plus tard et j’ai pu consulter les registres du prêtre de l’époque qui avait noté que le 17 octobre 1943, il avait accueilli une famille juive formée de cinq femmes et d’un enfant appelé Marco Di Porto ».
« Dans la matinée du 18 octobre, alors qu’un train qui transportait 1 022 Juifs à destination d’Auschwitz quittait la gare Tiburtina, le prêtre de la paroisse nous a dit que nous ne pouvions plus rester. Ma mère était désespérée mais le prêtre lui a dit d’aller dans le quartier de Trastevere où se trouvait un couvent dans lequel des Juifs s’étaient réfugiés. »
150 autres Juifs se trouvaient dans le couvent
La mère supérieure leur avait ouvert la porte et les avait laisser entrer, sans demander aux femmes qui elles étaient ou la raison de leur présence. 150 autres Juifs se trouvaient dans le couvent.
« Un jour, les fascistes étaient venus, mais les religieuses s’étaient alignées à l’entrée en disant que si ces messieurs voulaient entrer, ils devraient les arrêter d’abord. Ils n’étaient pas entrés », note Di Porto.
« Nous sommes restés dans cette vie clandestine du 18 octobre 1943 au 4 juin 1944, quand la ville de Rome a été libérée. De nombreuses années plus tard, je suis retourné dans ce couvent, j’ai retrouvé ces endroits où j’avais vécu neuf mois durant, et cela a été une expérience très forte. J’ai été très ému et je n’ai pas pu retenir mes larmes », raconte Di Porto.