C’est un secteur d’une importance historique, archéologique et religieuse déterminante pour les trois religions monothéistes que certains appellent « la Césarée de la Galilée » : c’est là que les manuscrits de la bible ont été écrits ; c’est là que le conseil des sages du Sanhédrin aurait compilé le Talmud de Jérusalem ; c’est là aussi que se situeraient une église antique, la mosquée les plus ancienne du monde et un énorme amphithéâtre romain et c’est là, enfin, que l’empereur romain Hérode Antipas aurait construit son palais.
Toutefois et pendant de très nombreuses années, ces sites de la Tibériade antique, dans le nord d’Israël, ont très largement été négligés, recouverts par les herbes et les gravats et pris d’assaut par les voleurs et par les vandales – un abandon qui n’a pas manqué d’entraîner une vive indignation de la part des experts.
Le fait que les sites concernés se situent dans le cadre des frontières municipales de la ville de Tibériade a amené les responsables du pays à rejeter la responsabilité de ces négligences et il faut reconnaître que les initiatives visant à changer la situation ont jusqu’à présent échoué.
Aujourd’hui, toutefois, un groupe de bénévoles placé sous la direction de l’Institut d’archéologie galiléenne de l’Institut Kinneret a décidé de prendre les choses en main et a commencé des travaux de nettoyage. Il a également lancé une collecte de fonds qui vise à la fois à pouvoir continuer cet ouvrage et à faire mieux connaître ces sites au grand public.
Tandis que les sites sont en bien meilleur état qu’il y a encore quelques mois seulement, les archéologues estiment que sans une solution à long-terme qui pourrait être la transformation du secteur en parc national par les autorités israéliennes, ce dernier retombera dans l’oubli et qu’il sera à nouveau laissé à l’abandon.
Un plan de ce type est bien en préparation. L’Autorité israélienne des antiquités (IAA) a affirmé qu’une avancée avait été réalisée et qu’elle permettrait de voir l’adoption d’une résolution gouvernementale dès le mois d’avril concernant l’établissement d’un nouveau parc national à Tibériade.
Il y a un théâtre romain de 7000 places, l’un des mieux préservés en son genre dans le monde ; un immense palais qui avait appartenu à Hérode Antipas ; l’une des mosquées les plus anciennes du monde, une prison et des bains – qui accueillent aujourd’hui un sans-abri
Mais d’autres instances et responsables dont l’approbation reste déterminante pour que ce projet soit mené à bien n’ont pas confirmé les affirmations enthousiastes faites par l’IAA.
Et d’éminents archéologues, de leur côté, font part de leur scepticisme, disant qu’une rare fenêtre d’opportunité – avec la promotion active d’une solution proposée à la fois par la mairie de Tibériade et par l’Autorité israélienne – pourrait bien se refermer.
« Un site de patrimoine national »
Les spécialistes font part de leur espoir que l’archéologie puisse aider à redorer l’image de Tibériade – une image publique qui, en Israël, est dominée par les conflits amers et parfois violents qui opposent ses communautés laïques et religieuses.
« Des sites de cette importance – une ville se satisferait d’un seul dixième de ce qui se trouve ici – sont de la responsabilité de l’État parce que ce sont des sites du patrimoine national, voire du patrimoine mondial », commente la docteure Katia Cytryn-Silverman, maître de conférences à l’Institut d’Archéologie et au Département des études islamiques et moyen-orientales au sein de l’Université hébraïque.
« Si on veut avoir une idée de l’importance de ces sites, on peut les comparer à ceux de Césarée et même se référer à eux en évoquant ‘la Césarée de la Galilée’, » continue-t-elle lors d’un entretien accordé au Times of Israel. « Et pas seulement parce qu’il y a un amphithéâtre et d’autres sites antiques mais aussi parce que Tibériade a été fondée par Hérode Antipas, le fils du fondateur de Césarée qui était Hérode le Grand ».
Tibériade avait été un centre cosmopolite et la plus importante ville juive de toute la terre d’Israël pendant des siècles après la destruction du Second temple de Jérusalem, en l’an 70 de l’ère commune.
Parmi les sites archéologiques découverts, un amphithéâtre de l’ère romaine pouvant accueillir 7000 personnes, avec une grande scène et une vue superbe sur le lac – c’est l’une des constructions les plus grandes et les mieux préservées en son genre à avoir été découverte au sein de l’État juif. Il y a également un immense palais qui avait appartenu au gouvernant de la Galilée, Hérode Antipas, au 1er siècle ; l’une des mosquées les plus anciennes du monde ; une prison ; un réservoir d’eau ; des bains (un sans-abri les occupe aujourd’hui) et de nombreux autres artéfacts étonnants.
Certains fondements culturels du judaïsme et de l’hébreu ont été définis ici, avec entre autres le calendrier fixe hébreu moderne ; la formulation de la bible telle qu’elle est utilisée à ce jour ou le manuscrit du Codex d’Alep.
« Hérode Antipas est un personnage très important dans le christianisme. C’est lui qui a exécuté Jean le Baptiste », a déclaré Eran Meir, archéologue, à la chaîne publique Kan l’année dernière. « Si 600 millions de chrétiens ou même la moitié d’entre eux avaient su à quoi ressemblait le palais de Hérode Antipas, je pense que cela les aurait ennuyés. »
Il y a encore beaucoup de fouilles à effectuer à Tibériade, mais ces dernières ne pourront se faire que si le site est préservé par ailleurs, explique Cytryn-Silverman, parce que les excavations entraînent certains dégâts en exposant les endroits fouillés aux intempéries ou aux fortes chaleurs, ainsi qu’à de potentiels actes de vandalisme. Juste en dehors de la ville, sur le site d’une ancienne église située au sommet du mont Bereniki, des piliers en pierre ont été détruits et des mosaïques anciennes ont été vandalisées par des extrémistes présumés issus de la communauté ultra-orthodoxe.
Et si rien n’est fait pour protéger et préserver ces sites, certains devront être recouverts pour être gardés en sécurité – jusqu’à ce que les conditions soient propices pour qu’ils soient intégrés dans un parc national.
Ce qui a été d’ores et déjà le cas pour une deuxième église, qui a fait l’objet de fouilles et qui a été ensuite recouverte à des fins de protection, note le docteur Motti Aviam, chef de l’Institut Kinneret d’archéologie galiléenne.
Quand ils ont été retrouvés, les bains étaient agrémentés d’une belle mosaïque dépeignant des lions, dit-il. Mais à ce moment-là, « tous les gamins de Tibériade sont venus prendre cinq pierres pour jouer avec » et il ne reste plus grand-chose aujourd’hui de l’œuvre d’art. « C’est ce qui explique que l’église soit recouverte aujourd’hui », dit-il.
Quand ils ont été retrouvés, les bains étaient agrémentés d’une belle mosaïque dépeignant des lions, dit-il. Mais à ce moment-là, « tous les gamins de Tibériade sont venus prendre cinq pierres pour jouer avec » et il ne reste plus grand-chose aujourd’hui de l’œuvre d’art
« Mais si un parc national est créé et qu’une protection est assurée vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qu’aucun vagabond ne peut s’y installer – alors là, bien sûr, l’église pourra être découverte et présentée au public », poursuit-il.
Beaucoup d’argent avait été investi dans la préservation de l’église qui n’a pas été recouverte, signale Aviam. Des points d’ancrage en bois avaient été placés tout autour, mais ils avaient été ultérieurement brûlés par des vandales qui n’ont jamais été identifiés, continue-t-il.
Cytryn-Silverman déclare qu’à de nombreuses occasions, les éventuelles clôtures installées pour protéger les sites ont pu être volées dans les semaines qui qui ont suivi, laissant les sites vulnérables.
« Des sites de cette taille nécessitent d’importants efforts de maintenance, de gardiennage et des clôtures. L’absence de ce type d’initiatives – et si on rajoute à cela les décharges sauvages qui s’installent de manière continue à proximité de ces sites – entraîne des dommages énormes », indique-t-elle.
Aujourd’hui, Tibériade – une ville qui accueille 45 000 habitants – est connue comme une ville plutôt terne où des constructions mal réfléchies ont gâché le site plutôt attrayant sur lequel elle est installée, sur les versants surplombant l’un des lacs les plus connus du monde.
La mairie de Tibériade – ses responsables ont beaucoup changé au cours de la dernière décennie – a fait savoir qu’elle n’était pas en capacité de s’occuper des sites archéologiques dont la préservation coûterait des millions de dollars.
Au fil des années, quand la municipalité a pu recevoir des fonds pour pouvoir préserver les sites en bon état, Aviam explique que les créanciers ont réclamé l’argent ou que les membres ultra-orthodoxes du conseil municipal l’ont attribué à d’autres causes.
« Tibériade a compris pendant la pandémie de la COVID-19 qu’il lui était impossible de compter seulement sur les touristes venus du monde entier, sur les pèlerins chrétiens ou sur ce que la ville offre actuellement – ce qui n’est malheureusement pas beaucoup », déclare Cytryn-Silverman.
« Nous transformerons Tibériade en Césarée »
Pour sa part, le directeur de l’Autorité israélienne des antiquités, Eli Eskosido, annonce au Times of Israel que les instances concernées ont convenu d’un investissement gouvernemental à hauteur de 70 millions de dollars sur cinq ans, et de l’ouverture d’un nouveau parc national. Il indique s’être entretenu avec de nombreux responsables du gouvernement, des représentants de la municipalité et autres et qu’il lui a été promis que la décision finale serait approuvée peu après la fête de Pessah, à la fin du mois d’avril.
« Nous allons transformer ces sites en sites internationaux et en parc national et nous allons, plus ou moins, transformer Tibériade en Césarée », déclare-t-il, estimant que la ville pourrait attirer trois millions de visiteurs par an.
Eskosido note que le plan est soutenu par le maire de Tibériade, Boaz Yosef, par le ministre de la Culture Chili Tropper, par le ministère du Tourisme, par le Bureau du Premier ministre et par l’Autorité de la nature et des parcs israéliennes, dont le directeur-général Raya Shourky participe au projet aux côtés de Zeev Margalit, directeur du Département de conservation et de développement.
Nous allons transformer ces sites en sites internationaux et en parc national et nous allons, plus ou moins, transformer Tibériade en Césarée
Le Bureau du ministre de la Culture a fait savoir que « ce serait une bonne chose pour l’État d’Israël de prendre la tête d’un plan approfondi visant à développer et à préserver le site », ajoutant que le ministère soutiendra toute initiative prise dans ce sens.
Néanmoins, l’Autorité de la nature et des parcs – l’instance autorisée à déclarer les parcs nationaux et chargée de leur préservation – refuse, de son côté, de confirmer les propos tenus par Eskosido. Le responsable du district du nord de l’Autorité, Guy Eilon, dit au Times of Israel que le potentiel touristique des sites doit encore être examiné et sa valeur confirmée avant que toute décision ne soit prise sur l’établissement d’un parc national.
Eilon précise que lors de réunion organisées, ces derniers mois, avec des représentants de la mairie et de l’Autorité des antiquités, l’importance historique et le potentiel touristique des sites n’ont pas été prouvés et que les responsables n’ont évoqué leur valeur « qu’en des termes généraux ».
Il explique que l’Autorités des parcs a suggéré l’embauche d’un urbaniste extérieur qui serait chargé d’étudier le potentiel offert par les sites et de déterminer s’ils méritent d’être intégrés dans le cadre d’un parc national. Eilon remarque qu’une telle évaluation coûterait 200 000 shekels et il ajoute que l’Autorité des parcs est prête à financer un tiers de la somme – déplorant de n’avoir obtenu aucune réponse à cette proposition de la part de l’Autorité israélienne des antiquités ou de la mairie de Tibériade.
Un porte-parole de l’Autorité des parcs a par ailleurs refusé de commenter la possibilité d’une décision gouvernementale imminente qui serait prise dans ce dossier, disant que toute décision portant sur l’avenir de ces sites devra être prise « de manière coordonnée et avec un débat entre l’ensemble des autorités concernées ».
S’il affirme que « l’optimisme est mon second prénom », Aviam est sceptique sur la possibilité que ces initiatives entraînent des résultats significatifs.
« A chaque fois qu’il y a des informations dans les médias sur ces sites laissés à l’abandon, il y a une opération de nettoyage dans la foulée mais aucun effort de maintenance n’est lancé à long-terme », regrette-t-il.
Son collègue à l’Institut Kinneret, Aharoni Amitai, accuse l’Autorité des parcs « de traîner les pieds » par « manque de vision à long-terme ou par lâcheté », et de réfléchir au profit au détriment de la conservation. Il accuse aussi le bureau de la ministre actuelle de la Protection environnementale Tamar Zandberg de ne pas s’être occupé de manière suffisamment minutieuse du dossier alors même que la fenêtre d’opportunité qui s’est présentée menace dorénavant de se refermer.
Contacté pour un commentaire, le ministère de la Protection environnementale renvoie le Times of Israel à l’Autorité de la nature et des parcs.
« La vision et tous les plans pour un parc national existent d’ores et déjà et cela fait de nombreuses années que ces plans sont sur les bureaux des ministères et des nombreuses instances concernées. Il ne s’agit pas ici de réinventer la roue », s’exclame Cytryn-Silverman.
« Je suis optimiste en ce moment parce qu’une rare opportunité a été offerte par la pandémie, quand les intérêts politiques étaient relativement dormants », a-t-elle conclu. « Si nous attendons encore un moment où les responsables divers voudront ne plus rien faire sinon récolter le mérite de ce qui sera éventuellement entrepris, alors les choses n’avanceront jamais ».