Le commissariat de police de Sderot avait été le théâtre de triste mémoire d’échanges de coups de feu brutaux après sa prise d’assaut par les hommes armés, lors du pogrom qui avait été commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023.
Les terroristes avaient envahi le poste de police et ils avaient tué vingt agents, se barricadant ensuite dans le bâtiment et échangeant des tirs nourris avec les forces de sécurité. Le commissariat avait finalement été détruit au bulldozer par les forces israéliennes au milieu des tirs, alors qu’elles s’efforçaient de tuer les terroristes qui se trouvaient encore à l’intérieur.
« Ils avaient réellement fait la conquête du poste de police », déclare Ilan Abecassis, un résident de Sderot qui organise dorénavant des visites touristiques sur le site. « Trois de leurs pick-ups se trouvaient très exactement là », dit-il en désignant du doigt un rond-point situé à proximité, « et ils avaient encerclé le commissariat. Ce bâtiment était devenu un piège mortel ».
Abecassis se tient sur la place où se situait le poste de police avant le 7 octobre – un site qui s’est transformé en mémorial qui a été édifié à la hâte, l’été dernier, pour commémorer l’attaque catastrophique qui avait touché la ville en plein cœur. 72 personnes avaient trouvé la mort, à Sderot, pendant le pogrom.
En cette fin d’après-midi, plusieurs personnes se tiennent sous les piliers en béton qui s’élèvent vers les cieux, en miroir à la tour centrale qui se trouvait, dans le passé, au centre du commissariat.
Ils lisent les phrases qui ont été gravées, en hébreu, sur les piliers, écoutant les haut-parleurs qui diffusent des bribes des enregistrements vocaux des appels téléphoniques qui avaient été passés ce jour-là, alors que des policiers et des citoyens pris d’assaut réclamaient de l’aide.
Parmi ces enregistrements, une petite fille de six ans dont les parents avaient été abattus par arme à feu devant elle, dans la voiture familiale. Alors que la police se ruait à son secours, elle avait demandé : « Est-ce que vous êtes la police d’Israël ? », ajoutant qu’elle avait dissimulé aux regards sa petite sœur de deux ans en la cachant sous des coussins, sur le siège arrière. Les deux enfants avaient été finalement sauvées.
Un autre groupe de visiteurs qui vient d’arriver en bus s’assied à proximité, chantant à voix douce des chansons de deuil. Un homme venu avec eux les accompagne à la guitare.
Une allée, bordée par les décombres du commissariat, sert de mur commémoratif. Des plaques en hommage à certaines personnes qui avaient perdu la vie à Sderot, lors de ce Shabbat noir, ont été apposées dessus. Abecassis revient sur les personnes qu’il connaissait, dont beaucoup étaient d’anciens élèves à lui.
Ayala Shakuri, la mère de Mor Shakuri, une agente de police qui avait été tuée sur le toit du commissariat, allume deux bougies – l’une en souvenir de sa fille, l’autre en souvenir de son mari, Roni Shakuri, qui était, lui aussi, membre des forces de l’ordre et qui a perdu la vie, au mois de septembre dernier, dans l’exercice de ses fonctions.
« J’ai deux héros », explique Shakuri. « Je préfère qu’ils soient morts en héros que dans un accident, ou suite à une maladie – mais ce ne sont pas des choses qu’on peut choisir. Pour ma part, j’ai fait le choix de vivre ».
Les cycles de deuil et d’angoisse ont semblé interminables cette année, dit Ilan Abecassis, serrant Shakuri dans ses bras.
Il se souvient de ce petit matin du 7 octobre, alors que les sirènes d’alerte à la roquette résonnaient dans tout Sderot.
Comme un grand nombre d’autres habitants, Abecassis avait pensé, dans un premier temps, qu’il s’agissait de l’une de ces attaques devenues presque une habitude depuis plus de deux décennies. Mais lorsque les premiers coups de feu s’étaient fait entendre, il avait compris que c’était quelque chose de bien pire qui s’annonçait dans cette localité dont la population s’élève à environ 33 000 personnes et qui est située à moins d’un kilomètre et demi de la bande de Gaza.
Et en effet, ce matin-là, environ 60 terroristes étaient entrés dans Sderot dans des pick-ups après avoir emprunté les Routes 232 et 34, qui sont les deux principales autoroutes qui permettent de pénétrer dans la ville. Ils avaient pris d’assaut le Boulevard Begin, qui est la principale artère de circulation de Sderot, avant d’encercler le commissariat.
Les hommes armés avaient immédiatement abattu les policiers qui étaient stationnés au rez-de-chaussée du bâtiment, utilisant des RPG, des grenades, ouvrant le feu autour d’eux.
« Ils ont fait du poste de police un piège mortel », indique Abecassis. « Tout le monde a trouvé la mort ici », ajoute-t-il en désignant la place.
« Les policiers qui ont entendu ces tirs complètement fous et qui sont venus aider, tous les civils qui se trouvaient là, les soldats qui n’étaient pas en service et qui sont arrivés en short en courant… Les terroristes ont complètement pris le contrôle du commissariat ».
Il avait fallu des snipers, des forces de l’unité antiterroriste d’élite Yamam, un hélicoptère militaire et enfin un bulldozer pour raser le bâtiment et éliminer les 26 derniers terroristes qui se terraient à l’intérieur.
Et cette attaque a changé Sderot pour toujours.
C’est une histoire qui est racontée en détail dans « La bataille du commissariat de police de Sderot », un documentaire de 82 minutes qui a été réalisé par Eyal Blachsan en partenariat avec la chaîne publique Kann et qui a été projeté le 14 novembre lors du festival du film de Sderot, dans la salle d’art et d’essai de la Cinémathèque de la ville.
Blachsan avait été invité par Kann à réaliser le film dans les jours qui avaient suivi le pogrom. Deux semaines plus tard, il était à Sderot – et il raconte que son équipe et lui-même y ont recueilli « des millions d’histoires ». Ils ont fait du porte-à-porte pour demander aux habitants de leur fournir des images des événements survenus au commissariat, ce qui a permis d’inclure des vidéos provenant des téléphones des policiers, des séquences filmées par les caméras de sécurité des maisons voisines et des images captées par les caméras GoPro que portaient les terroristes.
« Cela a été la guerre la plus filmée de l’Histoire », note Blachsan. « Nous avons frappé aux portes des habitants de Sderot et tout le monde a donné ce qu’il avait. Tout le monde s’est senti investi d’une mission. »
Le film raconte son histoire à l’aide d’images qui s’entremêlent à de nombreux entretiens avec des agents de police. Les plans rapprochés effectués sur un modèle 3D reconstituant le commissariat permettent de mieux montrer aux spectateurs les différents aspects de la bataille.
Parmi les témoignages des policiers survivants, plusieurs agents qui sont parvenus à survivre à la bataille intense qui, sur le toit du bâtiment, avait duré des heures – les forces israéliennes s’étaient retrouvées à court de munitions. Les policiers qui avaient réussi à échapper à la mort avaient finalement été secourus par les hommes de l’unité Yamam qui avaient utilisé des camions de pompiers pour les mettre en sécurité.
Shlomi Levi Wertheim, un agent qui était présent lors de la projection, se trouvait au poste de police dans la matinée du 7 octobre. Après avoir été touché par l’un des terroristes alors qu’il tentait d’éloigner les attaquants du toit, il avait fait semblant d’être mort pendant des heures.
« Je ne croyais pas que quelque chose comme ça pourrait se produire », s’exclame Levi Wertheim. « Nous pensions qu’il y avait trois ou quatre terroristes, que nous les éliminerions et que ce serait tout ».
Certains policiers, dont Levi Wertheim, n’avaient jamais tué quelqu’un dans l’exercice de leurs fonctions. Ils avaient passé la majeure partie de leur carrière à vivre et à travailler dans le commissariat d’une petite ville qui, selon eux, était chaleureuse, avec un fort sentiment d’appartenance à la communauté.
Rami, un autre policier présent lors de la projection, avait quitté sa synagogue dès qu’il avait entendu les coups de feu. Il avait été blessé par balle alors qu’il tentait d’aider les deux fillettes restées dans la voiture, leurs parents morts sur le siège avant. Il avait passé des heures allongé sur le sol alors que la bataille faisait rage autour de lui.
« Je suis policier à Sderot depuis 18 ans », dit-il. « Jamais je n’aurais pu imaginer une chose pareille ».
Le film ne cherche pas à savoir comment l’attaque a pu se produire, note Blachsan. Il préfère se concentrer sur l’héroïsme dont ont fait preuve les policiers, les soldats et les civils qui ont combattu sur place, et sur la manière dont ils ont finalement sauvé la ville d’une destinée bien pire.
« Ils n’ont compris qu’à la fin qu’il y avait 26 terroristes [dans le commissariat] », explique Blachsan. « Cela a été la surprise énorme dont ils n’ont pris conscience qu’à la toute fin de l’assaut ».
Le festival annuel du film – un projet de l’École des arts audiovisuels du Sapir Academic College de Sderot – avait été annulé au mois de novembre dernier dans le sillage du pogrom du 7 octobre. Quelques semaines plus tard, le directeur du festival, Tamir Hod, avait imaginé et organisé un festival itinérant, avec la présentation de certains films aux personnes évacuées et déplacées dans tout le pays.
« Si notre public n’était pas là, il fallait que nous allions le chercher », explique Tamir Hod, qui a organisé des projections pour les évacués dans 17 villes et notamment à Eilat, Haïfa et dans la région de la mer Morte.
« Sapir était une sorte de Tchernobyl. Il n’y avait personne ici », déclare Hod, qui vit dans une communauté voisine qui n’avait pas été attaquée en date du 7 octobre.
Aujourd’hui, 13 mois plus tard, le festival de cette année s’est tenu dans l’intimité des petites salles de la cinémathèque de Sderot, où les auditoriums de taille modeste – et même les toilettes – ont été construits à l’intérieur de structures blindées, ce qui permet aux événements culturels de se dérouler même en cas de tirs de roquettes.
Alors que les soldats israéliens combattent en ce moment même le Hamas à Gaza, il n’y a pas eu beaucoup de sirènes d’alerte ces derniers temps, confie Abecassis, le guide touristique qui est rentré chez lui au mois de mars, après avoir passé cinq mois à mettre en place une école pour les enfants évacués de Sderot qui ont trouvé refuge à Eilat.
Les écoles ont rouvert à Sderot au mois de mars – environ 50 % des enfants et des personnels ont d’ores et déjà fait leur rentrée et ils devraient être 90 % d’ici la fin de l’année. Il y a également environ un millier de nouveaux résidents à Sderot, fait remarquer Abecassis.
« C’est une surprise pour moi », s’exclame-t-il.
La vie est calme dans les rues, les magasins sont ouverts et la circulation est fluide.
« Je me sens plus en sécurité, mais ce n’est pas le cas des autres », ajoute Abecassis. « Il y a beaucoup de stress post-traumatique et c’est quelque chose de très personnel ».
Il lève les yeux vers les deux fresques murales qui ont été peintes au-dessus du mémorial du commissariat. L’une d’entre elles représente deux lions, faisant peut-être allusion au verset biblique : « Voici qu’un peuple se lèvera comme une lionne » (Nombres, 23:24).
Sur l’autre peinture murale, sur un mur adjacent à la place, un rouleau de Torah avec des lettres écrites en hébreu qui flottent dans le ciel – une allusion à l’histoire du rabbin Chananya ben Teradyon, brûlé sur le bûcher par les Romains pour avoir enseigné la Torah. Les Romains l’avaient enveloppé dans un parchemin de la Torah humide, et il avait affirmé qu’il pouvait voir les lettres de la Torah flotter vers le ciel.
« C’est peut-être ce que cela nous dit », indique Abecassis. « Le poste de police a brûlé mais peut-être que les derniers SMS, les derniers appels téléphoniques, les derniers mots dits aux proches, ce sont ces lettres qui s’envolent vers les cieux ».