Israël en guerre - Jour 496

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L'auteur Haim Beer chez lui à Ramat Gan, le 6 octobre 2024. (Tamar Mor Sela)
L'auteur Haim Beer chez lui à Ramat Gan, le 6 octobre 2024. (Tamar Mor Sela)
Interview

Selon Haïm Beer, le changement est en marche en Israël, mais cela pourrait prendre du temps

Favorable au sionisme, l’icône littéraire de 79 ans demande à la population de transcender les clivages droite-gauche ou religieux-laïcs et de prendre conscience des limites du pouvoir

L'auteur Haim Beer chez lui à Ramat Gan, le 6 octobre 2024. (Tamar Mor Sela)

Le 6 octobre dernier, c’est un peu avant la nuit que je suis arrivé chez l’auteur Haim Beer. Il m’a accueilli à la porte, tout sourire, alors que le premier anniversaire du massacre du Hamas du 7 octobre 2023 se profilait déjà.

Ce jour-là, il devait se rendre auprès des habitants du kibboutz ravagé de Nir Oz et, ne sachant pas quoi leur dire, il emporta avec lui un texte du pionnier de la littérature hébraïque Yosef Haim Brenner.

« Le 7 octobre a été un choc terrible », a déclaré Beer à propos de l’attaque dans le sud d’Israël lors de laquelle 1 200 personnes ont été sauvagement massacrées par des terroristes dirigés par le Hamas et 251 personnes, enlevées dans la bande de Gaza.

« Si même les rescapés de la Shoah ont réussi à se reconstruire, alors c’est qu’il y a une chance pour les forces de la vie. Cela prendra du temps. Ce ne sera pas simple. Mais si nous avons réussi à nous relever après le massacre de 6 millions de nos concitoyens, malgré toute la folie et les problèmes, alors peut-être y a-t-il de l’espoir », a-t-il dit.

Mais l’espoir ne dit pas tout de l’actuel état d’esprit de Beer. Il est mélancolique parce qu’à l’âge de 79 ans, il croit qu’il ne vivra pas assez longtemps pour voir ce changement, sorte d’écho à la célèbre prière « Ani Maamin » dans laquelle un pénitent croit avec une « foi parfaite » en la venue du Messie – quand bien même cela prendrait du temps.

Le changement radical qu’envisage Beer passe par un changement de gouvernement, de vision du pays et surtout, peut-être, de façon de nous percevoir nous-mêmes.

Le nœud du problème, il en est certain, n’est pas le clivage entre religieux et laïcs ou entre la droite et la gauche. Il s’agit de comprendre les limites du pouvoir, ce qui a des conséquences sur nous en tant que peuple.

« Je ne suis pas certain que nous ayons décidé de ce que nous voulons être. Quel genre de Juifs voulons-nous être ? »

« En 2 000 ans d’exil, l’homme juif n’a jamais été maître. Nous ne savons pas comment être des maîtres et des dirigeants, et nous ne savons pas être généreux. »

Beer nous a donné une interview un peu avant le premier anniversaire du pogrom et le jour saint de Yom Kippour – et 10 jours à peine avant l’élimination tant attendue par Israël du chef du Hamas et instigateur du 7 octobre, Yahya Sinwar.

Le célèbre auteur a évoqué la guerre du Kippour, en 1973, et ses cicatrices durables, le pays qui s’assombrit de plus en plus, les premiers jours du sionisme et de la littérature hébraïque, la guerre des Six Jours, le passage du mouvement du Grand Israël à une opposition ouverte à l’extrémisme messianique – qu’il compare à l’uranium – sans oublier son abandon du judaïsme orthodoxe et l’écriture.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’exprime au cours d’une cérémonie de commémoration de feu la Première ministre Golda Meir à Jérusalem, le 18 novembre 2018 (Crédit : AP/Ariel Schalit)

Beer est né à Jérusalem en 1945. Il est écrivain, professeur émérite de littérature hébraïque à l’Université Ben Gurion et professeur de littérature. Marié à Batya et père de trois enfants, il vit à Ramat Gan.

Comment allez-vous ?

Depuis 50 ans, je suis hanté par un traumatisme qui a bouleversé ma vie. C’est ce traumatisme qui a fait de moi un écrivain. Cela m’a rempli d’anxiété et de douleur, des sentiments qui sont encore en moi à l’heure où je vous parle. Je veux parler de la guerre de Yom Kippour.

J’ai été rappelé dans la réserve, au sein de l’unité funéraire entre Simhat Torah [à l’automne 1973] et Pourim [au début du printemps 1974]. J’ai servi à Jenifa, de l’autre côté du canal de Suez, où je m’occupais de la collecte des corps et de l’inhumation des soldats.

J’étais déjà marié et père de deux enfants. Ma mère était encore en vie. Depuis, l’odeur de la mort ne m’a jamais quitté, surtout en rêve. De temps en temps, je me réveille de la puanteur nauséabonde de la mort.

Je ne pouvais pas serrer mes jeunes enfants contre moi, quand je rentrais à la maison en permission. Je ne pouvais pas toucher un autre être humain. C’est difficile de toucher quelqu’un après avoir vécu ce que j’ai vécu.

Quels sont vos autres souvenirs de la guerre du Kippour ?

Pour moi, Yom Kippour est un nuage. Une ombre. Après la guerre, j’ai eu d’innombrables conversations avec les gens qui ont fait la guerre. Je voulais comprendre comment cela nous était arrivé. J’ai parlé avec Yoel Ben-Porat, qui commandait l’unité 8200. Il savait qu’il y aurait une guerre, il l’avait dit partout, mais personne n’a voulu l’écouter.

J’ai eu des discussions approfondies avec Shlomo Gazit, qui était chef du renseignement militaire, et Tzvika Zamir, chef du Mossad, que je respectais et appréciais beaucoup. Je me souviens avoir demandé à Zamir comment il se faisait que personne n’ait tenu compte de l’avertissement d’une attaque imminente et combinée. Comment la Première ministre Golda Meir avait-elle pu être à ce point prisonnière du concept promu par le ministre de la Défense Moshe Dayan et le chef du renseignement de Tsahal Eli Zeira ?

Le ministre de la Défense de l’époque, Moshe Dayan, prononce un discours pendant la guerre du Kippour en 1973, sur une photo non datée. (Crédit : Unité du porte-parole de Tsahal/Archives du ministère de la Défense)

L’an dernier, à Souccot, je me suis rendu avec mon fils, qui est physicien, à une conférence à Würzburg, en Allemagne. Il m’a demandé de l’accompagner et nous y sommes allés ensemble. A la fin de la conférence, nous sommes allés boire un verre, puis nous sommes rentrés dormir à l’hôtel. Tôt dans la matinée du 7 octobre, le téléphone a sonné. Mon fils m’a réveillé et m’a dit : ‘Papa, la guerre a éclaté’. »

À Francfort, en attendant notre vol de retour, une femme était assise et pleurait amèrement. Elle m’a dit que son petit-fils se trouvait au festival de musique Nova. À ce jour, je ne sais pas ce qui lui est arrivé.

Nous sommes rentrés en Israël : au lieu d’entrer dans l’espace aérien israélien en survolant Tel Aviv, notre avion est entré par le nord, près de Hadera. Subitement, j’ai eu une sensation de déjà-vu.

Aujourd’hui encore, je reconnais les survivants de Yom Kippour à leurs cicatrices – et lorsqu’il fait froid, la cicatrice fait mal. Le 7 octobre est un Yom Kippour fois deux sinon plus.

Après la guerre du Kippour, pendant des années, j’ai haï Moshe Dayan. Je le détestais tellement que je rêvais de prendre un seau de peinture noire et de le verser sur sa tombe. Et soudain, depuis le 7 octobre il y a un an, il m’est venu une énorme empathie pour Golda Meir et Moshe Dayan.

Je me souviens d’eux à la télé, face caméra. Je me souviens que c’est la nuit où j’avais fait une crise d’asthme et je n’étais pas allé à la synagogue. Golda était terne et Dayan avait l’air d’un enfant terrifié. À l’époque, j’étais furieux contre eux.

Mais ils sont venus parler au pays immédiatement après la fin de la fête. Ils ont regardé la population au fond des yeux. On a pu voir des dirigeants, qui, malgré leurs fautes, les reconnaissaient. Ils ont diligenté une commission d’enquête d’État.

Illustration : destructions causées par les terroristes du Hamas le 7 octobre dans le kibboutz Beeri, près de la frontière entre Israël et Gaza, dans le sud d’Israël, vue le 19 octobre 2023. (Crédit : Erik Marmor/Flash90)

Ils étaient loin d’être parfaits, mais par rapport à ce que je vois aujourd’hui ? Il a fallu quelques jours au Premier ministre Benjamin Netanyahu avant qu’il ne fasse une apparition publique – pas une vidéo pré-enregistrée. Et il l’a fait en costume, malgré une chaleur insupportable.

Cela vous a-t-il surpris ?

Je vais vous faire une confidence. Un jour, en 2023, en plein milieu du débat sur la refonte judiciaire, quelques mois avant le 7 octobre, le chef d’Etat-major [de Tsahal] Herzi Halevi – un homme très courageux – est monté dans sa jeep et s’est rendu à Jérusalem. Il voulait parler à Netanyahu, l’avertir du danger imminent pour la sécurité d’Israël, mais il s’est fait refouler. Cela s’est produit à deux reprises, jour après jour, et par deux fois, Netanyahu a refusé de le rencontrer. Une de ces trois fois, Netanyahu aurait été à ce moment-là en réunion avec son proche conseiller, l’expert de la télévision Jacob Bardugo.

À partir de ce jour, j’ai compris que nous étions condamnés. La voilà ma réponse à la question de savoir comment je vais. Nous sommes condamnés.

Il y a au moins quatre personnes qui, si elles se présentent au cabinet du Premier ministre, à son secrétaire ou à l’un des adjoints, doivent pouvoir obtenir que l’on dise : « Monsieur le Premier ministre, le chef d’Etat-major est arrivé. Le chef de la Commission de l’énergie atomique est arrivé. Le chef du Shin Bet est arrivé. Le chef du Mossad est arrivé. »

Si ces gens viennent et veulent parler au Premier ministre, il doit congédier tout le monde et les voir. Il doit entendre ce qu’ils ont à dire. Si Bardugo est plus important qu’Herzi Halevi, cela signifie que nous sommes condamnés.

C’est très dur. Je m’attendais de votre part à une petite lueur d’espoir.

Je ne vois personne ici aujourd’hui capable de renverser la vapeur, parce que le problème n’est pas seulement Netanyahu. Ce n’est pas non plus le groupe qui l’entoure.

Jacob Bardugo s’exprime lors d’une conférence du journal « Makor Rishon », le 8 décembre 2019. (Yonatan Sindel/Flash90)

Le problème est qu’une partie du pays voit et vit une toute autre réalité. Ce n’est pas une catastrophe isolée.

La guerre du Kippour a été un désastre isolé, et il y avait donc de la place pour le relèvement et le renouveau. Mais aujourd’hui, je ne vois pas les forces capables de conduire ce changement.

Nous arrivons ici à votre critique, que vous exprimez ouvertement depuis de nombreuses années, du sionisme religieux – celui qui a pourtant bercé votre enfance mais qui s’est transformé en une force messianique de plus en plus extrême, brûlante, poussant tout au bord du gouffre.

Il y a des choses qui ne peuvent pas sortir du domaine des rêves et des fantasmes et devenir réalité. En 1982, mon livre « Au temps du rossignol » a été publié. J’y ai écrit – et je crois que j’ai été l’un des premiers – sur le messianisme toxique, mais personne n’a voulu en parler. Les religieux se moquaient de moi, et les laïcs disaient : « Qu’est-ce que c’est que ces bêtises ? Rien de tout cela n’est réaliste. »

Mais le messianisme est comme l’uranium. C’est comme une matière radioactive. C’est une substance qui doit être exploitée, mais avec modération. C’est-à-dire qu’il doit être contenu dans des murs en plomb, en petites quantités. Le sionisme, comme l’a dit Gershom Scholem, a essayé de ramener les Juifs, qui avaient été dispersés, dans l’histoire. Mais cela n’a pas marché. C’est un échec.

Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, cela semble être un échec complet, et je pense que la question n’est pas celle du clivage droite-gauche ou religion-laïcité, mais celle des limites du pouvoir. Les Juifs n’ont jamais compris les limites du pouvoir. Prenez Bar Kochba, par exemple : on ne peut pas se révolter contre Rome. On ne peut pas vaincre Rome. Il faut apprendre à vivre avec Rome. Il faut apprendre à vivre dans la réalité, et en tant que pays, nous en sommes incapables.

Nous n’avons pas compris pas que nous venions au Moyen-Orient et qu’il fallait apprendre à vivre ici. Trouver le moyen de s’intégrer. Sans que ce soit par la force.

Des hommes tiennent des drapeaux israéliens alors qu’ils dansent à la porte de Damas dans la Vieille Ville de Jérusalem, lors de la marche des drapeaux de la Journée de Jérusalem, le 5 juin 2024. (Chaim Goldberg/Flash90)

Le mouvement sioniste s’est développé en Europe. Le sionisme de Herzl et Pinsker a dirigé l’entreprise sioniste, et ils ont forgé une alliance avec l’option occidentale européenne. La grande erreur a été de venir ici, non dans l’idée de nous intégrer à l’environnement et de nous acclimater, mais avec le rêve de créer une réplique de l’Europe. Une colonie. Mais c’est une plante étrangère, et la greffe n’a pas pris.

Vous êtes presque en train de prononcer l’éloge funèbre du projet sioniste.

Avec le recul, oui. Mais la tragédie est que même si nous étions venus dans l’idée de faire partie du Moyen-Orient – ce qui n’est pas le cas – les musulmans n’auraient pas été prêts à nous accepter ici en tant que pays. Au mieux, ils nous auraient tolérés comme peuple protégé [le concept islamique des dhimmis]. Et « peuple protégé » signifie : « Je vous permets de vivre ici, mais je reste le maître. » Le fantasme juif était celui de l’autonomie. Les musulmans n’étaient pas prêts à l’accepter.

En 1965, j’ai édité le livre « Rencontres avec les dirigeants arabes », écrit par David Ben Gurion. À l’époque, j’étais correcteur pour cet éditeur. J’ai même rencontré notre Premier premier ministre pour clarifier certains points. Ben Gurion voulait rencontrer les Arabes et les a rencontrés, mais on a très vite vu qu’il n’y avait aucune base de discussion.

Quand je regarde en arrière, je me dis que nous aurions pu être plus gentils. Nous aurions pu être plus prévenants envers ceux qui vivaient ici. Mais en fin de compte, au fond, nous n’étions pas désirés par les peuples de la région. Et bien que nous ayons apporté des progrès, nous les avons surtout apportés pour nous.

Moshe Dayan a compris qu’une certaine flexibilité et une certaine considération étaient essentielles et qu’il ne fallait pas se frayer un chemin au bulldozer. C’était à la fois un faucon et une colombe, comme Yitzhak Rabin – contrairement à Ezer Weizman, qui était membre du mouvement révisionniste, ou Ariel Sharon, qui étaient des faucons.

C’est à cette époque que le Gush Emunim [Bloc des croyants] laïc a commencé à se former, avec des militants du parti travailliste qui croyaient en la Terre d’Israël dans son ensemble. Ce processus a commencé après la guerre des Six Jours, à la suite de la conquête des territoires. Et à ce jour, il m’est difficile de prononcer le mot « occupation ».

Pourquoi est-ce difficile pour vous de parler d’« occupation » ?

Parce que je ne pense pas que nous l’ayons fait pour occuper, mais à cause de la menace des fedayin – les infiltrés. C’est pourquoi Israël s’y est installé. Si vous voulez mon avis, notre plus grande occasion manquée a été après la guerre des Six Jours, qui, je crois, était la guerre la plus justifiée.

Après la guerre des Six Jours, il y a eu une occasion unique de résoudre le problème créé lorsque les Juifs sont arrivés sur la Terre d’Israël pour y établir une entité politique. Il y a eu une occasion d’approcher les Palestiniens de Cisjordanie et de leur dire : « Amis, créons une fédération. Vous gouvernerez votre part, nous la nôtre, et ensemble nous établirons des institutions communes. »

Des soldats de réserve acclamant le Premier ministre Levi Eshkol et le ministre sans portefeuille Menachem Begin dans le Sinaï, à la fin de la guerre des Six jours, juin 1967. (GPO)

Nous aurions pu leur dire : « Il y a une opportunité maintenant. Créez votre état. Vous ne serez pas nos sujets, et vous ne serez pas sujets de Hussein, le roi de Jordanie. Nous travaillerons ensemble. Mais nous ne l’avons pas fait. »

Et puis le diable messianique s’est réveillé. Les Palestiniens eux-mêmes étaient effrayés par la situation créée après la guerre, et au lieu de les rapprocher, notre désir nationaliste s’est renforcé – le désir de la patrie ancestrale. Je ne blâme personne, parce que moi aussi j’étais un militant pour la Grande Terre d’Israël. Nous voulions tout.

Mais personne ne voulait s’occuper de la question de savoir ce qu’il fallait faire avec les gens. Gandi [Rehavam Ze’evi] a été très décisif : les transférer. Mais je crois qu’après le coup de la guerre des Six Jours, quand les Jordaniens ont vu notre force, il y a eu une opportunité pour une fédération. Et maintenant, dans la situation actuelle, avec la Cisjordanie remplie d’implantations et de villages arabes entremêlés, hostiles les uns aux autres, c’est impossible.

À l’époque, j’ai passé beaucoup de temps avec Amos Oz et A.B. Yehoshua. Ils croyaient en la solution à deux États. Le premier à perdre ses illusions fut A.B. Yehoshua. Il a déclaré que la possibilité de deux États pour deux peuples était perdue et que seule l’option d’un « État pour tous ses citoyens » restait. Et s’il s’agit d’un « État pour tous ses citoyens », alors nos enfants passent en premier.

Je me souviens qu’après la guerre des Six Jours, Dayan a dit : « Nous sommes retournés à Anathoth, l’héritage de nos ancêtres. » Mais le bouleversement le plus spectaculaire s’est produit dans le sionisme religieux. Jusque-là, il était politiquement modéré. En fait, c’était le Mapaï religieux [Parti travailliste], et tous les gens nationaux-religieux faisaient partie du Mapaï religieux.

Et puis un drame s’est produit. Soudain, nous avions des actifs qui étaient autrefois les nôtres, du moins c’est ce que nous croyions. Hadera et Ramle, Bat Yam et Tirat Carmel, Shiloh et Bet El, Hébron et Kiryat Arba – ce sont aussi des noms que nous connaissons de la Bible. Nos ancêtres les ont connus. Jacob a dormi sur une pierre à Bet El et fait son rêve de l’échelle. Le roi David a été à Bethléem. Ruth la Moabite y est allée. Cela m’a submergé.

Les auteurs israéliens David Grossman, à gauche, et Amos Oz, au centre, écoutent A.B. Yehoshua, à droite, lors d’une conférence de presse conjointe à Tel Aviv le 10 août 2006. (Crédit : AP Photo/Ariel Schalit)

Avez-vous ressenti de l’euphorie ?

Oui. Pas tant en ce qui concerne notre conquête de Jérusalem-Est, parce que certains de mes amis y ont été tués, mais le sentiment de ces années-là était que nous retournions à l’héritage de nos ancêtres.

Même l’élite culturelle était ravie du retour sur les terres ancestrales. Et puis vint le réveil.

Parlez-moi de ce moment. Quand avez-vous réalisé que le sionisme religieux était en train de se transformer et que le messianisme devenait un problème ?

Je vais vous répondre avec une histoire. Un jour, l’un des militants de la Grande Terre d’Israël est revenu d’une visite de la bande de Gaza. Je lui ai demandé : « Êtes-vous sûr de revenir de Gaza ? Comment êtes-vous revenu si propre, sans poussière ? Il m’a dit : « Il y avait un garçon ismaélite, un cireur de chaussures. Avant que je ne montais dans le bus de retour, il s’est assis et a ciré mes chaussures. Je lui ai demandé : « Et combien cela a-t-il coûté ? » Il a dit : « Je suis le seigneur du pays, alors je lui ai dit combien je le paierais. »

C’est à ce moment-là que, intérieurement, tout s’est effondré en moi. Je suis allé voir mes amis et je leur ai dit que je voulais partir. Et quand j’ai expliqué pourquoi je partais, ils ont dit : « Ce n’est pas une raison de partir. »

Je suppose qu’ils ont vu votre décision comme une forme d’hérésie.

Peut-être. Aujourd’hui, la situation est différente. Aujourd’hui, c’est l’affaire des messianistes religieux, mais je parle des laïcs sérieux de l’ère pré-messianique. Nous avions le fantasme de créer un centre pour les non-musulmans au Moyen-Orient. De forger une alliance avec les Druzes, les Chrétiens libanais, les Coptes et les Circassiens – pour unir divers groupes minoritaires contre les forces panarabes.

Il ne fait aucun doute que tous ces fantasmes n’étaient ni vrais ni possibles, mais je pense que la seule chose qui aurait pu être possible – mais je n’en ai aucune preuve – était de former une alliance avec les Palestiniens de Cisjordanie.

Le roi Hussein de Jordanie et son garde du corps (à droite) avec le docteur Mohammed Al-Qutob (deuxième à gauche) et un membre de son équipe à l’aéroport de Jérusalem, dans les années 1960. (Crédit : Archives familiales du Dr. Mohammed Al-Qutob / De l’exposition « Passerelle vers le monde : l’aéroport de Jérusalem de 1948 à 1967 »)

Ils haïssaient le roi Hussein et le fait qu’il les exploite : ils le traitaient de Bédouin venu du désert. Ce n’est pas une coïncidence si un Palestinien a assassiné le grand-père de Hussein, le roi Abdallah, alors qu’il venait pour la prière du vendredi sur le mont du Temple.

Les Palestiniens se sont également moqués des Arabes syriens, qu’ils qualifiaient péjorativement de « Haurani ». Ils considéraient les Égyptiens comme une nation d’esclaves. Les Palestiniens étaient plus intelligents, et donc aussi plus difficiles à gérer. Nous et eux sommes de la même souche.

C’est un triangle à trois sommets – le peuple d’Israël, sur la terre d’Israël, selon la Torah d’Israël. La question centrale pour les groupes extrémistes est la Terre d’Israël. Mais de vastes segments du peuple juif s’en éloignent de plus en plus. Qu’est-ce qu’ils accomplissent ? Ils auront le Sud-Liban et ils auront le Gush Katif, mais ils n’auront pas de peuple. Combien de personnes ont quitté Israël l’année dernière, et personne ne semble s’inquiéter du sort de la nation, du peuple ?

Je suis un homme de sionisme religieux, et je sais que l’on ne peut pas maintenir une nation hébraïque sans la Terre d’Israël selon la Torah d’Israël. Mais pas de manière sauvage et coercitive, car nous pourrions bientôt perdre le peuple juif.

Comment caractériseriez-vous la littérature de votre génération ?

Je pense que pendant des années, la littérature hébraïque a traité d’un sujet envers lequel elle ressent une forte culpabilité. Et je fais référence à notre relation avec les Arabes. Mais à mon avis, la grande question qui devrait nous occuper en tant que gens de lettres n’est pas la nature de notre relation avec les Arabes, mais comment nous nous percevons. Et je parle ici de la littérature, comme d’une réflexion.

Le reflet d’un problème identitaire ?

Je ne suis pas sûr que nous ayons décidé ce que nous voulons être. Quel genre de Juifs voulons-nous être ? Voulons-nous être les libéraux, les Juifs de la diaspora ou les maîtres ? L’homme juif n’a pas été maître en 2 000 ans d’exil. Nous ne savons pas comment être des maîtres et des dirigeants, et nous ne savons pas comment être généreux.

Et je reviens ici à ce que je vous ai dit sur la période qui a suivi la guerre des Six Jours : nous aurions pu être généreux. Et « généreux » signifie dire : « J’ai du pouvoir, mais je suis prêt à le partager avec vous. Il y avait une guerre ; nous avons chassé Hussein, il n’y a plus de Jordaniens – mettons un point final à cette tragédie. »

Mais avant la générosité, il faut être sage. Et le gouvernement actuel, et les forces qui le soutiennent, ne sont pas sages. J’écoute les représentants légitimes du peuple et je vois des gens sans imagination et sans courage. Et c’est pourquoi je pense que la tragédie de la guerre du Kippour n’est rien comparée à la tragédie actuelle. Après la chirurgie, il y a toujours un effort de guérison de la part du corps. Je ne vois aucun effort pour guérir.

Y a-t-il de l’espoir ?

En avril 1945, la Seconde Guerre mondiale prend fin. Le peuple juif n’avait jamais fait face à une telle catastrophe. Il y avait eu des exils, des guerres et des pogroms, mais une telle extermination industrielle, jamais.

Illustration : La salle des noms du musée de la Shoah Yad Vashem à Jérusalem. (Crédit : Mendy Hechtman / Flash90)

Une grande partie du peuple juif a été anéantie dans la Shoah, et d’une manière étrange et miraculeuse – ce que mes amis religieux appelleraient sûrement « la grâce de Dieu » – le peuple juif a réussi à se reconstruire.

Le 7 octobre a été un choc terrible. C’est toujours le cas, parce que nous n’en sommes pas sortis. Mais si les survivants de la Shoah ont réussi à se reconstruire, il y a une chance pour les forces de la vie. Cela prendra du temps. Ce ne sera pas simple. Mais si nous avons réussi à nous relever après que 6 millions de nos concitoyens ont été massacrés, malgré toute la folie et les problèmes, alors peut-être y a-t-il de l’espoir.

Et je terminerai là où j’ai commencé : après la guerre du Kippour, je savais que je vivrais assez longtemps pour voir le changement. J’étais jeune. Mais aujourd’hui, la profonde mélancolie dans laquelle je me trouve, ce n’est pas parce que nous n’en sortirons pas, mais parce que moi, votre humble serviteur, je ne vivrai pas assez longtemps pour voir le changement. Et sur un plan personnel, primitif, égoïste, cela me dérange.

J’espère que mes enfants et petits-enfants vivront assez longtemps pour le voir. Et nous avons déjà une arrière-petite-fille. Ce sont les flèches que nous tirons vers l’avenir.

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