Rechercher
Franklin Delano Roosevelt quand il était gouverneur de l'état de New York, le 30 janvier 1932. (Crédit : AP Photo)
Franklin Delano Roosevelt quand il était gouverneur de l'état de New York, le 30 janvier 1932. (Crédit : AP Photo)
Interview

« The US and the Holocaust » perpétue des « mythes » sur Roosevelt, selon un historien

Le documentaire de Ken Burns présente mal les actions du président américain à l’égard des réfugiés juifs avant et pendant le génocide, affirme Rafael Medoff

Dès le début de son nouveau documentaire, « The U.S. and the Holocaust, » le réalisateur Ken Burns affirme que les États-Unis ont admis un plus grand nombre de réfugiés juifs cherchant à échapper à l’Allemagne nazie que n’importe quel autre pays.

Le problème avec cette affirmation, selon l’historien Rafael Medoff, c’est qu’elle va à l’encontre des données sur les réfugiés mises à la disposition du public concernant cette période.

Documentaire qui dure six heures dans son intégralité, « The U.S. and the Holocaust » a commencé à être diffusé sur PBS cette semaine. Dans des récentes interviews accordées aux médias, Burns a indiqué qu’il avait tenté d’aborder Franklin D. Roosevelt (FDR) « de manière plus critique » dans « The U.S. and the Holocaust » que dans d’autres documentaires consacrés à cette même époque, où FDR avait pu avoir droit à un traitement plus indulgent.

Disant que Burns « se trompe gravement » sur la question des réfugiés juifs, Medoff déclare au Times of Israel que cette erreur est liée à plusieurs « mythes éculés » qui font leur apparition dans « The U.S. and the Holocaust ». Ces mythes vont des raisons expliquant pourquoi les États-Unis n’avaient pas pu secourir Anne Frank au rôle tenu par FDR dans l’affaire du Saint-Louis, en plus de l’éternel débat sur l’opportunité du bombardement des lignes de chemin de fer qui menaient à Auschwitz, explique Medoff.

Le Dr. Rafael Medoff s’adresse aux élèves de New York leur expliquant comment les caricaturistes avaient essayé de tirer la sonnette d’alarmes au sujet de l’Allemagne nazie, mai 2016 (Réimprimé avec la permission de ‘Cartoonists Against the Holocaust’)

Medoff est un citoyen américain, professeur d’histoire juive et directeur fondateur du David Wyman Institute for Holocaust Studies, dont le siège est à Washington, DC. Il est l’auteur de « FDR and the Holocaust: A Breach of Faith, » parmi d’autres ouvrages consacrés à la Shoah et à l’Histoire sioniste.

Sur le sujet de l’immigration, par exemple, Medoff dit qu’il est vrai que les États-Unis avaient admis approximativement 200 000 Juifs dans le pays au cours des années qui avaient précédé la Shoah et pendant le génocide lui-même. Mais, ajoute-t-il, dans une période de seulement deux ans, de 1939 à 1941, l’Union soviétique avait ouvert ses portes à 300 000 Juifs qui fuyaient la Pologne occupée par les nazis. Et, poursuit Medoff, la Grande-Bretagne avait surpassé les États-Unis de manière notable en accueillant plus de 315 000 réfugiés juifs sur les territoires qui se trouvaient sous son contrôle.

« En 1942, le nombre de réfugiés admis par les gouvernements américain et britannique était similaire », écrit Medoff dans une récente Opinion. « Néanmoins, en 1943, il y avait eu un écart significatif entre les deux pays. Cette année-là, les États-Unis n’avaient accueilli que 1 286 immigrants allemands. Les Britanniques, en comparaison, avaient accepté l’entrée de 8 507 réfugiés juifs en Palestine en 1943, en plus d’un petit nombre sur d’autres territoires britanniques. Des tendances qui devaient continuer à s’affirmer en 1944 et en 1945. »

« Est-ce réellement impressionnant de voir le président d’un pays affirmant incarner les idéaux élevés de l’humanisme se montrer légèrement plus généreux dans l’accueil de réfugiés que, disons, les juntes militaires au pouvoir en Amérique du sud ? Est-ce là la norme morale que nous adoptons – nous, les Américains – pour émettre un jugement sur notre pays et sur nos dirigeants ? », s’interroge-t-il.

Le président Franklin D. Roosevelt, sa secrétaire Marguerite Lehand et l’ambassadeur en France, William C. Bullitt, se rendent de la gare à Hyde Park, à New York, le 22 juillet 1940, après un voyage à Washington. (Crédit : AP Photo)

Dans un entretien accordé au Times of Israel, Medoff évoque « les mythes éculés » que, selon lui, le documentaire « The U.S. and the Holocaust » contribue à perpétuer.

Times of Israel: L’histoire de la tentative d’Anne Frank et de sa famille de fuir l’Europe est l’un des éléments du film. L’obstacle majeur rencontré par la famille, selon le documentaire, c’est que 300 000 Juifs avaient déjà demandé un visa américain avant eux. Vous avez eu l’occasion de dire qu’il y avait eu un obstacle bien plus important, qui avait été l’effort livré par l’administration Roosevelt pour ne pas remplir le quota qui existait pourtant – et qui était modeste – régissant l’accueil des réfugiés juifs. Pouvez-vous expliquer pourquoi cette distinction est importante ?

Rafael Medoff: L’opinion publique n’était pas en charge de la politique d’immigration américaine : le président Roosevelt l’était. Cela avait été l’administration Roosevelt, certainement pas le public, qui avait décidé de supprimer l’immigration en dessous de ce que la loi existante autorisait, en cherchant partout où c’était possible des raisons pour refuser les demandeurs de visa.

L’une des principales raison de la longueur de la file d’attente, cela avait été que le quota allemand était resté vide pendant onze ans, sur les douze années où Roosevelt avait été président. Plus de 190 000 places auraient pu être utilisées pour des réfugiés juifs au lieu de rester vacantes.

L’année où la famille Frank avait essayé d’immigrer, en 1941, le quota d’immigration n’avait été rempli qu’à 47 % ; il y avait de la place pour Anne et sa famille – enfin, cela aurait été le cas si l’administration ne s’était pas donnée tout ce mal pour maintenir les Juifs hors des États-Unis.

Anne Frank (Crédit : Domaine public)

Le film évoque « l’affaire du St. Louis » – quand les États-Unis avaient refusé d’admettre un navire rempli de réfugiés juifs et que quatre pays européens avaient fini par accepter de se répartir les réfugiés. Mais dans un de vos livres, « The Jews Should Keep Quiet, », vous racontez comment le secrétaire au Trésor, Henry Morgenthau, avait eu l’idée d’envoyer les réfugiés dans les îles Vierges américaines. Comment expliquez-vous ce projet de Morgenthau ? Pourquoi, selon vous, Burns ne parle-t-il pas de cette partie de l’histoire dans son film ?

Après le pogrom de la Nuit de Cristal, le gouverneur et l’assemblée législative des îles Vierges américaines avaient offert d’ouvrir la porte aux réfugiés juifs. Et ainsi, quand le St. Louis s’était retrouvé au large de la côte de la Floride, six mois plus tard, Morgenthau avait interrogé le secrétaire d’État Cordell Hull sur la possibilité de laisser les passagers rester sur les îles Vierges, avec des visas de touriste. Hull avait consulté le président puis il avait dit à Morgenthau qu’un tel projet n’était pas envisageable parce que pour pouvoir obtenir un visa de touriste, les réfugiés devaient prouver qu’ils avaient un lieu sûr où ils pourraient retourner plus tard.

La situation était inextricable : Hull disait que parce que le pays d’où ils venaient alors n’était pas sûr, alors l’administration Roosevelt ne leur accorderait pas un asile – et qu’elle les renverrait donc dans cet endroit où ils n’étaient précisément pas en sécurité.

Même s’il avait semblé, de prime abord, qu’ils devraient repartir dans l’Allemagne nazie, quatre autres pays européens avaient finalement accueilli les passagers du St. Louis – mais trois devaient ensuite être envahis par les nazis moins d’un an plus tard.

Les passagers du MS St. Louis attendent de pouvoir désembarquer à Cuba. (Crédit : Domaine public)

Quelle que soit la raison pour laquelle Ken Burns a choisi de laisser de côté cette question des îles Vierges, il n’a pas rendu service à l’Histoire.

Sur la question de savoir si oui ou non les Alliés auraient pu bombarder les lignes de chemin de fer qui menaient à Auschwitz-Birkenau, le film prend le parti de dire que le bombardement des rails emmenant les trains dans le camp de la mort – ou du camp lui-même – n’aurait pas entraîné que du bon. Les historiens qui prennent la parole dans le documentaire parlent aussi du manque de précision des bombes, ou du fait que la destruction des chambres à gaz aurait pu entraîner la mort de centaines de prisonniers sur le terrain. Êtes-vous d’accord ?

L’administration Roosevelt n’a jamais dit que la raison pour laquelle elle ne bombarderait pas Auschwitz, c’était le risque mortel encouru par les prisonniers. En fait, les États-Unis avaient bombardé les usines de carburant d’Auschwitz et l’usine de fabrication de roquettes de Buchenwald en plein jour – en d’autres mots, en sachant pertinemment que les travailleurs réduits en esclavage seraient là – et en effet, il y avait eu des morts et il y avait eu des blessés. Ainsi, cet argument n’a jamais été un facteur intervenant dans les prises de décision de l’administration américaine à cette époque : ce n’est qu’une excuse imaginée, ces dernières années, par ceux qui défendent le bilan de FDR pendant la Shoah.

Quoi qu’il en soit, si les responsables américains s’étaient inquiétés d’éventuellement frapper des prisonniers, ils auraient pu bombarder les lignes de chemin de fer et les ponts qui menaient à Auschwitz, où il n’y avait pas de détenu. Ils auraient pu ainsi interrompre la déportation de centaine de milliers de Juifs hongrois à Auschwitz. Il fallait en particulier beaucoup de temps pour réparer les ponts. Alors que 12 000 Juifs étaient gazés à Auschwitz chaque jour, même une brève interruption aurait pu sauver des vies.

Une photo aérienne d’Auschwitz-Birkenau prise par les avions alliés qui avaient été envoyés pour bombarder des usines allemandes dans la région, en 1944. (Crédit : Domaine public)

A ce moment-là, les responsables américains avaient affirmé qu’ils ne pouvaient pas bombarder ces lignes de chemin de fer parce qu’il aurait été nécessaire de faire appel à des avions qui auraient dû quitter des champs de bataille lointains pour cela. Mais c’était un mensonge. Les avions américains bombardaient déjà les usines de carburant d’Auschwitz et ils avaient bombardé des chemins de fer dans toute l’Europe – mais pas ceux qui allaient à Auschwitz.

La vraie raison, c’est que les responsables américains avaient rejeté toutes les propositions de bombardement, des demandes qui avaient été soumises par au moins 30 responsables et publications juives, parce que l’administration Roosevelt avait décidé et érigé en principe qu’elle n’utiliserait pas de ressources militaires à des fins humanitaires. Une politique qui avait été adoptée quatre mois avant que les demandes de bombarder Auschwitz ne se fassent entendre – et les officiels américains ont tout simplement appliqué cette politique quand ces requêtes ont été faites.

La terrible ironie de l’histoire, c’est que les États-Unis ont pu utiliser des ressources militaires à des fins qui ne l’étaient pas, comme lorsque les soldats américains ont été envoyés pour sauver des chevaux Lipizzans, ces chevaux de dressage, ou quand des personnels militaires avaient été déployés pour sauver des peintures médiévales et autres artéfacts culturels. Apparemment, les chevaux et les peintures avaient représenté une priorité plus déterminante que cela n’avait été le cas des Juifs.

Vous avez été l’un des historiens consultés pour l’édification d’un nouveau mémorial à Jérusalem en hommage à James G. McDonald, premier ambassadeur des États-Unis en Israël. En tant que principal conseiller du président Roosevelt sur les questions liées aux réfugiés, McDonald avait démissionné de son poste en 1935, frustré par son incapacité à convaincre Roosevelt et les autres dirigeants d’agir. Pourquoi Burns omet-il de parler de McDonald dans un film consacré aux réfugiés ?

Des réfugiés juifs allemands à bord du MS St. Louis, le 29 juin 1939. (Crédit : Domaine public)

Une mauvaise représentation de l’Histoire n’est jamais justifiée. Burns aurait pu dire la vérité sur la politique mise en œuvre par Roosevelt à l’égard des réfugiés juifs, sur l’échec à bombarder Auschwitz et il aurait encore réalisé un film précieux sur les problèmes d’antisémitisme et de racisme aux États-Unis dans les années 1930 – ce qu’a fait très exactement le réalisateur Martin Ostrow avec son film « America and the Holocaust », réalisé pour PBS en 1994.

Il faut pouvoir demander des comptes aux présidents pour leurs politiques. Burns a tort d’attribuer la responsabilité des choix de Roosevelt « à l’opinion publique ». Le public n’a pas obligé Roosevelt à ne pas permettre aux réfugiés du St. Louis d’aller dans les îles Vierges. Le public ne l’a pas obligé à laisser 190 000 places de quotas vacantes.

Est-ce qu’un réalisateur ou un autre, à l’avenir, tentera d’attribuer la responsabilité de l’ignorance manifestée par l’administration Clinton à l’égard du génocide du Rwanda, ou du manque d’action des administrations Bush et Obama face au génocide du Darfour au « public » ? J’espère que non.

Les réalisateurs de documentaire ont l’obligation de présenter les faits de l’Histoire, même si ces faits sont un triste reflet de leur président favori.

‘ »La marche des rabbins » à Washington pour protester contre l’extermination des Juifs d’Europe, le 6 octobre 1943. (Crédit : Domaine public)
En savoir plus sur :
comments
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à gal@rgbmedia.org.
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.