TORONTO – Les journaux du monde entier luttent pour leur survie, mais la communauté juive du Canada a récemment salué la naissance quasi simultanée de deux publications lorsque The Canadian Jewish Record (CJR) et TheJ.ca ont fait leurs débuts en ligne à seulement 20 minutes d’intervalle. Tels un phœnix, renaissant des cendres de leur prédécesseur, le Canadian Jewish News (CJN), qui a récemment rendu l’âme après 60 ans de publication hebdomadaire.
En avril, la disparition de CJN, parallèlement à la mort imminente du Jewish Chronicle et du Jewish News en Grande-Bretagne, a provoqué une onde de choc dans le monde du journalisme juif. Elle a rappelé brutalement la vulnérabilité de ce dernier, d’autant plus que la Covid-19 a mis à mal les économies nationales et locales. Un mois plus tôt, la New York Jewish Week avait lancé un « appel urgent » aux lecteurs, leur demandant un soutien financier pour se maintenir à flot.
La crise actuelle du coronavirus n’a fait qu’aggraver les problèmes préexistants – déclenchés en grande partie par l’essor d’Internet et des réseaux sociaux – auxquels la presse juive, une niche dans l’écosystème journalistique, ne sont pas à l’abri.
Les retombées financières de la pandémie ont mis à rude épreuve le secteur des médias, en particulier les journaux, longtemps éprouvés par la chute des revenus des abonnements et de la publicité et la hausse des coûts d’impression et de distribution. Depuis la mi-mars, les éditeurs, de plus en plus désespérés, ont pris des mesures drastiques de réduction des coûts – licenciements, réductions de salaire et congés – ou ont tout simplement fermé leur publication.
Ironiquement, ces difficultés pour la presse surviennent à un moment où les journalistes ont prouvé leur importance, en couvrant une histoire complexe, définissant une époque et ses ramifications mortelles pour un lectorat anxieux et captif, confiné chez lui.
Au Canada, la perspective d’une communauté juive de 400 000 personnes n’ayant plus son propre canal médiatique a incité le CJR et TheJ.ca à combler le vide créé par la disparition du CJN.
Bernie Farber, écrivain, chroniqueur, défenseur des droits humains et ancien directeur du défunt Congrès juif canadien, est l’éditeur et le co-fondateur du CJR. Son collègue co-fondateur et éditeur s’appelle Ron Csillag, il était jusqu’à récemment journaliste pour le CJN pendant 20 ans. Tous deux sont basés à Toronto.
« Parfois, avec des événements tristes comme la fermeture du CJN, il faut perdre quelque chose pour bien comprendre ce que l’on a perdu », commente Bernie Farber auprès du Times of Israel le matin du lancement de CJR. « Comme il n’y a plus de portail d’information juif canadien, Ron et moi avons fortement ressenti, surtout en cette période sombre, que les Juifs canadiens avaient besoin d’un fil conducteur reliant la côte ouest à la côte est. En créant le CJR, notre objectif est de le rendre aussi équilibré que possible, à gauche, à droite et au centre ».
Les Juifs canadiens ont besoin d’un fil conducteur reliant la côte ouest à la côte est
La première édition couvrait un large éventail de sujets. Parmi les sujets abordés, citons le dernier audit de B’nai Brith sur les incidents antisémites au Canada, un différend entre un responsable politique local juif et un centre communautaire islamique de Toronto au sujet d’une vidéo très anti-israélienne tournée récemment à l’extérieur du centre, le départ de l’ambassadeur du Canada en Israël, la réouverture des cimetières juifs de Toronto avec des restrictions liées au coronavirus, et une interview d’un médecin urgentiste local au sujet de la Covid-19 et de son impact possible sur les offices des fêtes de fin d’année et les écoles juives.
Comme dans la plupart des publications juives, il y a eu également une pléthore d’articles d’opinion, dont plusieurs ont été rédigés par d’anciens chroniqueurs du CJN, qui ont abordé tous les sujets, de la possible annexion de la Cisjordanie par Israël à la politique qui se cache derrière la série télévisée à succès « Fauda » et ses effets négatifs présumés sur les téléspectateurs, en particulier les Palestiniens.
Contrairement au CJN, le CJR est publié uniquement en ligne, et ne compte ni bureau de rédaction ni personnel rémunéré. Sans soutien financier et sans intention pour l’instant de solliciter la publicité, l’entreprise est entièrement gérée par des bénévoles. Certains observateurs se demandent combien de temps une opération gérée par des volontaires et à contenu libre peut survivre.
« C’est une grande expérience », reconnaît Bernie Farber. « Nous verrons. Pour l’instant, nous aimerions continuer de façon bénévole… Nous verrons comment le journal avance et nous réévaluerons littéralement au quotidien… Nous allons devoir trouver un moyen de maintenir la viabilité financière ».
En comparaison, le lancement de TheJ.ca s’est avéré plus éprouvant pour son équipe. Il est clair que quelqu’un ne voulait pas rendre les choses faciles. Quelques heures avant sa mise en ligne, le site a été piraté, ce qui a retardé son lancement de près de deux jours.
« Nous étions tous prêts à appuyer sur l’interrupteur, mais nous avons découvert que quelqu’un de très professionnel et d’astucieux attendait et était prêt à ce moment précis pour tirer les pièces du Jenga et regarder tout s’écrouler », explique Dave Gordon, rédacteur en chef et journaliste chevronné de Toronto. « Était-ce de l’antisémitisme ou simplement quelqu’un qui a vu un nouveau projet sur le point d’être lancé et qui a pensé qu’il serait amusant d’abattre un château de sable ? Tous les membres de notre équipe pensent au pire, qu’un antisémite se frotte les mains en se disant : ‘Oh, ne serait-ce pas amusant ?' ».
Dans sa version précédente, TheJ.ca était un site local axé sur la communauté juive de Winnipeg, Manitoba, dans l’ouest du Canada, où vivent son propriétaire Ron East et le rédacteur en chef Marty Gold. Après la fermeture du CJN, ils ont décidé d’accélérer les plans de transformation de l’entreprise en un nouveau service d’information national.
« Notre but ultime est d’être une source d’information pour les Juifs canadiens d’un océan à l’autre et de donner une voix à la communauté au sens large », indique Ron East, qui est né à Jérusalem et a grandi dans le nord d’Israël.
« Nous resterons fidèles à nos visions et à nos croyances, notamment en étant sionistes dans notre approche, et pro-israéliens dans nos croyances et en utilisant le test 3D de [Natan] Sharanksy [diabolisation, délégitimation et deux poids, deux mesures] pour déterminer l’antisémitisme », détaille le propriétaire du quotidien.
À en juger par la première édition, TheJ.ca sera visuellement plus percutant, plus prononcé dans son orientation éditoriale (à droite) et adoptera un style plus proche des tabloïds que le CJR. L’histoire principale, qui n’est pas exactement une information de dernière minute, s’intitule « L’amour de Dan Aykroyd pour la vodka et Israël ». L’acteur et comédien canadien y parle de son admiration pour Israël, basée en partie sur un voyage qu’il y a effectué en 2008. Sa ligne de vodka, Crystal Head, est populaire dans le pays. Il ajoute que c’est une excellente boisson à base de kiddouch et qu’elle « va bien avec le foie haché, le poisson gefilte et toute la nourriture juive ».
D’autres articles s’intéressaient à des sujets différents : une controverse à Vancouver qui a vu les Juifs locaux obtenir l’annulation de la lecture prévue du « Journal d’Anne Frank » par une actrice après l’avoir accusée de comparer l’isolement dû à la Covid-19 avec l’expérience de la Shoah vécue par la famille Frank ; la mise en avant d’un candidat à la direction du Parti conservateur qui se dit favorable au déménagement de l’ambassade du Canada de Tel-Aviv à Jérusalem ; une interview du nouveau ministre israélien de la Sécurité publique, Amir Ohana ; la mort de l’acteur juif américain Jerry Stiller et la chronique apparemment nécessaire sur l’ambiguïté morale de la nouvelle saison de « Fauda ».
Comme le CJR, tous les auteurs de TheJ.ca ne sont pas rémunérés. De même que son rédacteur en chef, son directeur de publication et son assistant de rédaction.
« Ils ont la même vision éditoriale que moi, c’est-à-dire qu’ils sont moins centrés sur Toronto ou Montréal que ne l’était le CJN », explique M. East, qui a quitté le Golan pour s’installer à Winnipeg en 1992.
Ayant financé le projet jusqu’à présent, Ron East – qui a déjà publié plusieurs magazines sportifs et un bulletin local en hébreu pour les Israéliens expatriés à Winnipeg – est optimiste quant à ses perspectives commerciales.
« Nous ne nous préoccupons pas de l’aspect financier de l’entreprise et nous avons déjà des annonceurs qui font la queue », dit-il. « Nous sommes assez confiants qu’au fur et à mesure que le lancement progressera et que nous continuerons à alimenter notre site et à nous faire connaître de la communauté, nous serons en mesure de générer les revenus nécessaires dans un court laps de temps. Nous sommes très enthousiastes pour l’avenir ».
Publier, avec un peu d’aide des amis ?
Lorsque le CJN a annoncé sa fermeture en avril, il a marqué le point culminant d’une existence chancelante ces dernières années, dont la Covid-19 a été le dernier clou du cercueil.
« Pendant longtemps, le CJN a subi les pressions auxquelles le secteur en général était soumis », explique Elizabeth Wolfe, présidente du CJN depuis 2013. « La baisse de la publicité et des abonnements fait pression sur sa capacité à fonctionner. J’ai été déçue que la communauté n’ait pas fourni plus de soutien. Il semble que les institutions et les individus aient supposé que d’autres nous apporteraient le soutien nécessaire. Beaucoup de gens considéraient le CJN comme acquis ».
Avec un tirage de seulement 31 000 exemplaires et un contenu éditorial inégal, le journal n’a jamais complètement rebondi financièrement après avoir suspendu sa publication pour quelques mois en 2013.
Adam Minsky, président et directeur général de la Fédération de l’UJA du Grand Toronto, se dit « profondément attristé » par la fermeture du CJN. « Pendant des générations, il a joué un rôle emblématique en unissant et en inspirant notre communauté », regrette-t-il. « C’est terrible que ces pages ne soient plus sur nos tables de Shabbat ».
La situation critique des journaux juifs et du journalisme juif touche une corde sensible chez beaucoup, comme le montrent les interviews réalisées pour cet article avec des personnes de plusieurs pays. Elle se manifeste également par une série d’articles d’actualité récents, de chroniques et d’éditoriaux sincères et de webinaires consacrés à ce sujet.
Alan Abbey, chercheur à l’Institut Shalom Hartman de Jérusalem, étudie et s’intéresse depuis longtemps aux journaux juifs.
« Les médias juifs devraient être une composante essentielle des communautés juives », indique cet ancien cadre du Jerusalem Post. « Dans de nombreux cas, ils ne le sont pas. Ils deviennent inutiles pour une série de raisons complexes, notamment l’assimilation, la couverture médiatique des questions juives par les grands médias et le manque d’indépendance, de ressources et de compétences ».
« Les médias communautaires juifs, tels que nous les comprenons aujourd’hui, pourraient mourir, laissant un désert d’informations dans les communautés juives. Mais les nouvelles technologies offrent également la possibilité de créer un journalisme de qualité pour moins d’argent que par le passé », nuance Alan Abbey.
Craig Burke est le PDG de Mid-Atlantic Media, qui publie le Washington Jewish Week et le Baltimore Jewish Times et dispose d’une division médias sur mesure au service d’autres publications juives. Ces dernières années, ses publications ont mis davantage l’accent sur l’engagement des lecteurs avec un contenu numérique fort et sur le développement de l’audience via les sites web, les bases de données de courrier électronique et les médias sociaux.
« Jusqu’à la pandémie, tout allait bien », dit Craig Burke, qui est basé à Washington. « Depuis la mi-mars, nous connaissons une baisse des recettes publicitaires ».
Il officie également comme président de l’American Jewish Press Association, dont les 109 membres comprennent 50 publications juives, toutes confrontées à une période difficile.
De nombreux journalistes et publications juifs devront être beaucoup plus compétents en matière de médias numériques
« De nombreux journalistes et publications juifs devront être beaucoup plus compétents en matière de médias numériques, qui n’ont malheureusement pas généré les revenus que la presse écrite apportait traditionnellement. Pour survivre, ils doivent trouver des moyens d’inventer de nouvelles sources de revenus. La collecte de fonds et les flux de revenus des médias numériques sont essentiels. Le plus important, c’est qu’ils doivent évaluer leur structure opérationnelle et trouver des moyens d’être efficaces », souligne Craig Burke.
Au milieu de la crise qui frappe les journaux juifs, on reconnaît de plus en plus que le journalisme juif est essentiel à la vie d’une communauté saine, même s’il nécessite une aide philanthropique. Avant le coronavirus, certains journaux juifs, comme le J. Jewish News of Northern California de San Francisco, sont devenus une association fédérale à but non lucratif (501c3) pour attirer les subventions des fondations et les grands donateurs qui peuvent ainsi bénéficier d’une exonération fiscale.
De l’autre côté de l’Atlantique
En Grande-Bretagne, où vivent 265 000 Juifs, les deux principaux hebdomadaires à diffusion nationale – le Jewish Chronicle, dont la publication a débuté en 1841, et le Jewish News – ont retrouvé un nouveau souffle, tant sur papier qu’en ligne, malgré leur expérience simultanée de mort imminente en avril. Ceci après qu’un nouveau consortium a acheté le premier et que le propriétaire du second s’est engagé à poursuivre la publication.
« Je m’inquiète pour la viabilité des médias juifs », déclare Marie van der Zyl, présidente du Board of Deputies of British Jews. « Le secteur de la presse écrite dans ce pays a souffert du monde numérique et les médias juifs n’y échappent pas. Si l’on ajoute les données démographiques d’une communauté vieillissante, il est clair que les médias juifs ont des problèmes commerciaux – et cela avant même d’ajouter les effets de la crise du coronavirus ».
De son point de vue, sans le journalisme juif, la communauté serait beaucoup plus faible.
« Les médias juifs, tant en ligne que dans la presse écrite, ont une fonction vitale dans notre communauté, en fournissant des informations, une plate-forme pour des commentaires et des analyses informés et un rôle de campagne », ajoute-t-elle. « Cela a été particulièrement important récemment lors de la crise d’antisémitisme au sein du Parti travailliste. »
De l’autre côté de la Manche, en France, les journaux juifs ont aujourd’hui une présence bien moins importante dans la communauté juive de 450 000 personnes qu’en Grande-Bretagne, en partie grâce aux stations de radio juives, dont la plupart ont vu le jour dans les années 1980, après l’ouverture des ondes aux groupes privés décrétée par le gouvernement. Dans les grandes villes, il existe au moins une station juive, qui n’a pas d’équivalent dans les autres pays de la diaspora.
« Les radios françaises occupent une place centrale dans la vie des Juifs français », explique le journaliste Bernard Abouaf, qui dirige la station parisienne Radio Shalom, entièrement financée par la publicité. « C’est souvent une partie importante de leur réalité juive, comme l’école juive privée pour leurs enfants ou leur synagogue ».
Les quelques journaux juifs encore publiés en France – dont le plus important est Actualité Juive – souffrent de la crise que traverse l’ensemble de la presse écrite du pays, aggravée par l’épidémie lorsque les exemplaires n’ont pas pu être distribués et que les recettes publicitaires ont diminué. En revanche, les radios juives françaises, également disponibles sur Internet, ont vu leur audience augmenter avec leurs auditeurs confinés chez eux.
« Les juifs français ont un énorme besoin de s’exprimer et d’être entendus », ajoute Bernard Abouaf. « Ils ont le sentiment que personne en dehors de la communauté ne les écoute lorsqu’il s’agit de leurs préoccupations concernant l’antisémitisme, la couverture médiatique d’Israël ou même la pratique de leur religion. Ils ont l’impression d’être frappés par des informations et des reportages qui leur semblent erronés. Avec la radio juive, ils peuvent entendre d’autres voix que celles qu’ils entendent dans les médias français ».
Selon l’ancien homme d’affaires Francis Kalifat, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), les journaux juifs français ont été plus lents que leurs homologues traditionnels à s’adapter à l’essor de l’internet et des médias sociaux et à concevoir un nouveau modèle économique. Il en a résulté une diminution du lectorat et de l’influence qu’ils exerçaient autrefois sur la communauté, ce qui a réduit leurs recettes publicitaires, faisant sombrer plusieurs publications tandis que de nouvelles initiatives en ligne gagnaient en popularité.
Il y a six mois, un comité a été formé pour sauver Actualité Juive, fondée en 1981 et qui avait été dans les cordes ces dernières années, ne publiant que 17 000 exemplaires par semaine. Un gala de collecte de fonds a attiré les dirigeants de la communauté et atteint son objectif de fournir à AJ les ressources nécessaires à la transition vers un fonctionnement en ligne plus numérique.
Ces dernières années, Francis Kalifat a réuni des membres des médias juifs (presse écrite, radio et internet) pour une réunion à Paris au cours de laquelle les éditeurs, rédacteurs et écrivains discutent de leurs défis et préoccupations communs pour l’avenir du journalisme juif en France.
« Des médias juifs avec des journalistes professionnels restent essentiels pour informer la communauté, mettre en perspective les événements et les idées », juge Francis Kalifat. « Cela permet une évaluation plus juste et plus précise de la situation au Moyen-Orient, en corrigeant souvent la couverture plus partisane des événements que nous voyons dans les autres médias ».
Pour sa part, le CRIF est devenu une sorte d’éditeur. Il dispose d’une équipe désignée qui produit un bulletin d’information quotidien en ligne et est très actif sur Facebook, Instagram, Twitter et YouTube.
L’aube d’une nouvelle ère médiatique (juive) en Afrique du Sud ?
En Afrique du Sud, le paysage médiatique juif actuel est loin de ce qu’il était il y a une génération, en raison à la fois des changements journalistiques et de la diminution de la communauté en raison du vieillissement et de l’émigration. Alors qu’il y avait trois hebdomadaires juifs il y a 35 ans, lorsque le pays comptait plus de 100 000 juifs, il y en a aujourd’hui un, le South African Jewish Report (SAJR), qui dessert une communauté très soudée, deux fois moins nombreuse qu’autrefois.
Bien qu’il diffuse des informations en provenance d’autres régions du pays, le SAJR sert en grande partie la communauté juive de Johannesburg, qui représente environ deux tiers des 52 000 Juifs d’Afrique du Sud. Les autres principaux centres de population juive, au Cap, à Durban et à Pretoria, ont leurs propres publications mensuelles.
L’année dernière, une importante étude sur la communauté juive du pays a mis en évidence la forte pénétration du marché par la SAJR. Près de la moitié (48 %) le lisent fréquemment, tandis que 31 % le lisent occasionnellement. Depuis la mi-mars, comme toutes les entreprises, la publication a dû s’adapter à la réalité imposée par la Covid-19.
« Pendant le confinement, nous nous sommes serrés la ceinture et avons évolué dans un espace différent », explique Peta Krost Maunder, rédactrice en chef depuis 2017, qui était auparavant reporter en Israël au Jerusalem Post. « Nous travaillons avec un personnel réduit et nous avons considérablement réduit le nombre de pigistes. Nous avons réduit notre tirage hebdomadaire pour l’instant car les gens ne peuvent pas y accéder dans les lieux habituels. Nous orientons les gens vers notre site web et notre édition en ligne qui reçoit un trafic beaucoup plus important ».
Les circonstances ont contraint le SAJR à élargir son champ d’action et son public par le biais de nouveaux canaux.
« Nous avons créé une vaste plateforme Zoom et YouTube qui touche non seulement notre communauté juive sud-africaine, mais aussi les juifs du monde entier et du reste de l’Afrique du Sud », ajoute-t-elle. « Nous avons abordé des questions difficiles lors de tables rondes et nous avons passé des soirées amusantes, attirant parfois 17 000 personnes et collectant beaucoup d’argent pour les personnes dans le besoin, tant dans notre communauté que dans la communauté sud-africaine dans son ensemble. Je ne crois pas qu’il y ait une autre maison de presse dans le monde qui fasse cela, surtout pas trois fois par semaine ».
Le rôle des médias juifs reste constant malgré son évolution, car ils cherchent à conserver un lectorat solide face à la concurrence constante des autres médias pour attirer l’attention.
« Un journal de la communauté juive devrait être une vaste tente qui reflète, dans la mesure du raisonnable, un large éventail de points de vue, que ce soit sur Israël, la religion, la politique ou les affaires communautaires internes », juge Wendy Kahn, directrice nationale du South African Jewish Board of Deputies, basée à Johannesburg.
Un journal de la communauté juive devrait être une vaste tente qui reflète un large éventail de points de vue
« Il devrait également être indépendant, sans avoir à répondre à une faction ou à un groupe d’intérêt particulier. Cela étant dit, il est déconseillé d’adopter une approche trop catégorique du type ‘la vérité avant tout, publiez et soyez maudits’. Je crois qu’un bon journal juif peut aider à former et à maintenir sa communauté, peut-être même plus aujourd’hui étant donné le défi croissant en dehors d’Israël des communautés essayant de résister à l’assimilation », dit Kahn.
Les défis en Asutralie
Les opinions divergent sur la question de savoir si les médias juifs devraient fonctionner comme une sorte de place publique accueillant des débats féroces et des reportages forts, plutôt que de servir davantage de véhicule de plaidoyer et d’éviter le journalisme de responsabilité.
Dans de nombreux pays, il y a souvent eu une tension entre ceux qui préfèrent que leur journal juif ne froisse pas les sensibilités et ceux qui préfèrent un fournisseur de vérité et de reportages indépendants. Dans les communautés où les journaux sont redevables à la Fédération locale pour le financement et d’autres services, la qualité du journalisme souffre.
« Je ne considère pas notre journal comme un défenseur de la communauté puisqu’il n’est pas lu par les autres communautés », indique Robert Magid, éditeur de l’Australian Jewish News depuis qu’il l’a racheté en 2007. « Il a un rôle de défenseur au sein de la communauté, en contrant les informations inexactes et en faisant la promotion d’Israël… Nous avons, lorsque cela nous semblait approprié, critiqué les actions du gouvernement israélien ou des organisations israéliennes. Les écrivains sont invités à écrire sur divers thèmes et les auteurs de lettres présentent souvent des opinions variées ».
Un grand nombre des 115 000 Juifs d’Australie, répartis pour la plupart entre Melbourne et Sydney, considèrent l’AJN comme un tissu conjonctif de leur identité juive et de leur sens de la communauté. À une certaine époque, le journal était très lucratif, en partie grâce à un marché immobilier en plein essor qui générait des revenus publicitaires considérables avant un ralentissement ces dernières années. Le marché commençait à peine à revenir lorsque la pandémie a frappé.
« Le journal n’est pas rentable pour le moment », explique M. Magid. « Nous devrons probablement réduire les coûts pour qu’il reste viable ». Nous venons de nommer un nouveau directeur général qui a des idées sur la façon d’élargir la gamme d’activités associées au RJA. Nous restons optimistes ».
Unir et conquérir ?
L’AJN est le dernier en date des sept journaux juifs du monde entier qui ont conclu un accord de partenariat avec le Times of Israel pour partager leur contenu. L’initiative a été lancée en 2015 lorsque le New Jersey Jewish Standard est devenu le premier partenaire. Elle élargit l’empreinte numérique des deux parties afin d’augmenter le nombre de lecteurs, ce qui se traduit par des recettes publicitaires plus importantes.
« Le journalisme juif local est incroyablement important », souligne David Horovitz, rédacteur en chef fondateur du Times of Israel. « Le journal juif local est l’un des éléments fondamentaux qui contribuent à maintenir une communauté prospère et à la souder.
« Dans mon cas, pendant mon enfance à Londres, la norme du vendredi après-midi ou du soir était de s’asseoir et de lire le journal juif local pour savoir ce qui se passait dans votre communauté, qui était né, qui s’était fiancé et qui était mort, etc », indique David Horovitz, « ce qu’en Grande-Bretagne on appelait ‘hatched, matched and dispatched’ [naissance, mariage, décès]. Mais vous le lisez aussi pour tout ce que fait le journalisme sérieux – demander des comptes aux personnes en position d’autorité, raconter de bonnes histoires, informer. Ce sont là des rôles cruciaux que jouent les bons journaux juifs ».
Malgré les obstacles, David Horovitz est optimiste quant à l’avenir des médias juifs.
« Le défi pour les journaux juifs est de continuer à assurer une fonction essentielle et d’être économiquement capable de le faire. Les hebdomadaires juifs ont de meilleures chances de survivre dans la presse écrite et en ligne grâce à l’élément du Shabbat », dit-il. « De nombreux lecteurs juifs n’utiliseront pas l’internet ou un ordinateur le jour du Shabbat ».
« De plus, le repas du vendredi soir et la tradition familiale qui consiste à s’asseoir et à découvrir ce qui se passe dans sa communauté pendant le Shabbat donnent aux hebdomadaires juifs une meilleure chance de bien se porter, même en cette période très difficile. S’ils peuvent établir une présence en ligne, ils peuvent survivre. C’est très difficile et très important », reconnaît David Horovitz.
Jonathan Sarna, professeur d’histoire juive américaine à l’université Brandeis, a étudié et écrit sur les journaux juifs et a dirigé l’année dernière un groupe de travail pour la Fédération juive de Boston sur les difficultés de la presse juive locale.
« Nous oublions souvent à quel point le journalisme juif est important pour former et éduquer une communauté juive », a déclaré le spécialiste lors d’un webinaire organisé par The Forward en avril sur ce sujet.
« À bien des égards, les journaux juifs et le journalisme juif ont défini, maintenu et promu la communauté. Ils sont également le véhicule par lequel nous préservons l’histoire », a rappelé Jonathan Sarna.
« Dans mon esprit, si vous vous souciez de la communauté juive, vous devez vous soucier du bon journalisme juif. A bien des égards, s’il n’y a pas de journalisme juif solide, je ne suis pas sûre que vous aurez une communauté solide », a-t-il commenté.