JTA – L’une des premières choses que la Jewish Federations of North America (JFNA) a faite dans les jours qui ont suivi l’assassinat de George Floyd a été d’offrir un emploi à Isaiah Rothstein.
La JFNA est un organisme à but non lucratif pesant plusieurs milliards de dollars, représentant des centaines d’organisations communautaires juives locales à travers les États-Unis et le Canada. Rothstein, lui, est un rabbin noir, actif de longue date sur les questions de diversité juive.
En tant que nouveau chercheur rabbinique et conseiller en affaires publiques de la JFNA, M. Rothstein a été chargé de diriger le travail de l’organisation en matière d’équité, de diversité et d’inclusion. Au cours de l’année écoulée, les initiatives de la JFNA en matière de diversité ont bénéficié à 30 000 employés et membres de la communauté dans 170 organisations, dont des synagogues, des écoles et des maisons de retraite, selon M. Rothstein. La JFNA a également lancé Moed, un réseau pour les Juifs de couleur, et Kamochah [« comme toi » en hébreu], un rassemblement de Juifs noirs orthodoxes.
Rothstein a déclaré avoir été encouragé par la réponse qu’il avait vue de la part du monde juif au mouvement national en faveur de l’équité raciale qui a pris forme à la suite de la mort de Floyd.
« Il ne fait aucun doute qu’au cours de l’année écoulée, il y a eu un éveil des consciences », a déclaré Rothstein. « En tant que Juifs, le moment est venu de nous mobiliser ».
Mais il a déclaré qu’il réservait pour l’instant son jugement quant à savoir si les juifs américains avaient répondu présent.
« Mesurer notre succès, c’est la question à un million de dollars, et c’est vraiment difficile à définir », a-t-il dit. « Vous devez poursuivre ces conversations année après année. Le travail doit être continu. Je sais que nous voulons trouver une solution au racisme aujourd’hui, mais c’est un problème générationnel. »
L’organisation de Rothstein n’est pas la seule dans le monde juif à se lancer tête baissée dans des efforts en faveur de la diversité suite à la mort de Floyd et au mouvement qu’elle a déclenché. La Jewish Telegraphic Agency (JTA) s’est entretenue avec une douzaine de professionnels travaillant au service de la lutte contre le racisme dans la communauté juive, essentiellement des Juifs de couleur, et beaucoup ont dit avoir constaté des progrès dans la volonté d’avoir des conversations qui dérangent et d’écouter les personnes de couleur, qu’elles soient juives ou non. Mais ils ont également déclaré qu’une année d’efforts intenses n’est pas suffisante pour créer les changements durables qui sont nécessaires dans les communautés juives américaines.
« L’éducatrice en moi est très enthousiasmée par tout ce qui est fait pour sensibiliser les gens. Tout le monde lit un livre, écoute un podcast ou fait partie d’un groupe de sensibilisation », a déclaré Yavilah McCoy, une Juive noire qui est PDG de Dimensions, un groupe de consultants sur les questions de justice raciale.
Mais elle ajoute que la militante en elle souhaite voir des changements plus profonds, soutenus par une réaffectation des ressources – et elle n’est pas sûre que ce soit le cas pour le moment.
« Beaucoup de gens pensent que la meilleure façon de faire changer les choses est d’intégrer des Juifs de couleur dans leur conseil d’administration, et beaucoup l’ont fait », a-t-elle déclaré. « Ce qu’ils n’ont pas nécessairement fait, c’est de revenir en arrière pour analyser leur histoire institutionnelle et examiner les conditions qui ont créé une justice sociale et un environnement institutionnel juif favorisant de facto les blancs.
« La responsabilité est une chose très juive. Avec la teshuva, vous devez identifier le mal qui a été fait, et retourner vers la personne que vous avez blessée », a déclaré McCoy, utilisant le mot hébreu pour pénitence. « Notre pratique historique de signature de lettres sonne creux si elle n’est pas suivie d’un investissement dans le changement des systèmes. »
Les institutions juives ont commencé à se remettre en question après l’assassinat de George Floyd il y a un peu plus d’un an par un policier de Minneapolis. La vidéo de cet acte, devenue virale, a horrifié une grande partie du pays, galvanisant les masses pour combattre l’héritage du racisme américain.
La communauté juive s’est jointe au chœur des voix qui se sont exprimées à la suite de la mort de Floyd. Des organisations représentant pratiquement toutes les composantes du judaïsme – des orthodoxes au mouvement reconstructionniste, de l’Anti-defamation League (ADL) à Hillel – ont publié des déclarations tentant de prendre en compte ce moment historique.
En quelques jours, 130 organisations juives ont signé une lettre dans laquelle elles s’engagent à lutter contre le « racisme systémique ».
Une coalition juive encore plus large s’est réunie un mois après le meurtre de Floyd, déclarant que « le mouvement Black Lives Matter représente le [mouvement des] Civil Rights de notre époque dans ce pays, et c’est notre meilleure chance d’équité et de justice ».
La liste des plus de 600 organisations ayant signé la lettre de Black Lives Matter, qui a finalement été publiée en pleine page dans le New York Times, était si complète qu’il a été dit qu’elle représentait la position de la majorité des Juifs américains.
Bien plus qu’une condamnation du racisme, la lettre contenait une promesse d’action : « La tradition juive nous enseigne que la justice n’est pas quelque chose qui nous sera accordé, c’est quelque chose que nous devons poursuivre, et que cette poursuite est en soi un travail sacré ».
Même les organisations qui n’ont pas signé la lettre, y compris la JFNA, ont choisi d’agir. M. Rothstein a déclaré qu’il considérait son offre d’emploi comme le symbole d’un engagement sincère de la part de la direction de l’organisation, une invitation à initier un véritable changement autour de l’équité raciale.
Le meurtre de George Floyd a également été un moment décisif pour les interactions entre la communauté juive et d’autres groupes, et a suscité un vif engouement pour la réforme des politiques d’État et fédérales, a déclaré Melanie Roth Gorelick, vice-présidente senior du Jewish Council for Public Affairs (JCPA).
Mme Gorelick a déclaré qu’elle pouvait retracer le changement dans la réaction de la communauté à la campagne du JCPA pour la réforme de la justice pénale, qui est devenue un point central à partir de 2016. La campagne cible les pratiques policières biaisées, l’impunité pour les mauvais comportements des policiers et les taux d’incarcération élevés de la nation.
« Jusqu’à la mort de Floyd, nous recevions quelques réactions négatives », a-t-elle déclaré. « Les gens demandaient pourquoi la communauté juive était impliquée dans cette affaire. Est-ce une question juive ? Qu’est-ce que cela signifie pour nos besoins de sécurité ? »
Par la suite, la JPCA a été inondée de demandes de dirigeants juifs pour s’engager, selon Mme Gorelick. Le message central aux demandeurs, dit-elle, a été un encouragement à écouter et à apprendre des personnes de couleur et à s’engager avec elles sur les questions pressantes. Cette attitude s’est pleinement exprimée lors de la récente conférence annuelle de la JCPA, où la justice raciale a été présentée comme une question éminemment juive.
Des ateliers ont été organisés sur le droit de vote, les relations entre Noirs et Juifs et l’incarcération de masse, et le sénateur de Géorgie Raphael Warnock a fait un discours.
L’une des personnes qui a prêté une attention spéciale à ces thèmes lors de la conférence est Carin Mrotz, la directrice exécutive de l’Action communautaire juive. Voix de longue date pour la justice raciale, l’organisation de Mrotz est basée à Minneapolis, où Floyd a été tué, et a joué un rôle particulier dans la réponse aux événements.
« Voir la JCPA, qui a toujours été plus conservatrice, dire qu’il faut avancer sur la question de la justice raciale a été pour moi très encourageant », a-t-elle déclaré.
Cette énergie a été largement ressentie. Hillel, qui s’adresse aux étudiants juifs sur les campus universitaires, a créé deux postes concentrés sur la diversité, l’équité et l’inclusion. Des centaines de membres du personnel et de leaders étudiants de Hillel ont suivi une formation sur la justice raciale dispensée par des experts extérieurs, selon la directrice de l’expérience Mimi Kravetz, qui a également déclaré que Hillel avait mis en place un réseau pour une centaine d’étudiants juifs de couleur sur les campus du pays.
« En tant que mouvement, nous réfléchissons à la manière dont nos identités nous influencent dans le monde et nous nous efforçons de sensibiliser au racisme systémique », a déclaré Mme Kravetz.
Les efforts des institutions juives en matière de diversité ont peut-être aggravé un problème que les Juifs de couleur ont identifié depuis longtemps : ils se sentent trop souvent appelés à parler au nom de toute une communauté. Il y a un sentiment que les efforts de sensibilisation et de réponse aux appels à la diversité peuvent finir par faire peser un fardeau injuste sur les Juifs de couleur travaillant dans les institutions juives.
Ginna Green, qui est noire et juive et travaille en tant que directrice de la stratégie du cabinet de conseil progressiste Uprise, se souvient d’une période récente au cours de laquelle pas un jour ne passait sans un nouvel e-mail ou appel téléphonique d’un Juif de couleur se sentant aliéné.
« J’ai reçu des professionnels juifs de couleur qui m’ont fait part de leur frustration, de leur douleur et de leur colère à l’égard de leurs organisations, et qui parlaient de les quitter », a déclaré Mme Green. « Ce que cela signifie pour moi, c’est que nous avons encore beaucoup de travail à faire en tant que communauté ».
« La majorité de nos investissements ont été faits en faveur d’organisations à majorité blanche pour mener un effort de sensibilisation et améliorer les relations avec les Juifs de couleur. Par conséquent, il n’y a pas beaucoup d’investissements dans les communautés dirigées par des Juifs de couleur. »
Mme McCoy, de l’organisation Dimensions, a déclaré qu’elle voyait une limitation dans la façon dont la communauté juive dépense les fonds philanthropiques vis-à-vis de la question d’équité raciale, en particulier par rapport au monde associatif au sens large. De plus en plus, dans l’ensemble des États-Unis, les dons pour la justice raciale vont directement aux communautés touchées ou aux organisations dirigées par des personnes de couleur. Ce n’est pas le cas dans le monde juif, selon Mme McCoy.
« La majorité de nos investissements ont été faits en faveur d’organisations à majorité blanche pour mener un effort de sensibilisation et améliorer les relations avec les Juifs de couleur », a-t-elle déclaré. « Par conséquent, il n’y a pas beaucoup d’investissements dans les communautés dirigées par des Juifs de couleur. »
Les montants en dollars alloués aux différentes initiatives n’ont pas été rendus publics, ce qui complique la tâche d’appuyer les impressions de Mme McCoy sur des données réelles. Mais, avec deux décennies à son actif de conseil au monde juif sur les questions de race et ses contacts au sein de la communauté, Mme McCoy dit qu’elle est bien placée pour savoir et suffisamment sûre pour s’exprimer.
« Je suis la référence pour beaucoup de personnes qui cherchent une formation et des conseils, et je suis aussi l’organisatrice de nombreuses initiatives dirigées par des Noirs et des Juifs qui ont besoin de collecter des fonds », a-t-elle déclaré.
Des signes de tension sont déjà apparus lorsque les organisations juives ont dû concilier leurs engagements en faveur de l’équité raciale et d’autres valeurs. À Boston, le Jewish Community Relations Council, qui a signé la lettre de Black Lives Matter l’été dernier, a envisagé d’éjecter un groupe membre qui, selon le conseil, « élevait les voix des suprémacistes blancs » sur Twitter. Mais finalement, les membres du conseil ont voté en faveur du maintien du groupe en raison de son histoire et de son importance pour les membres de la communauté juive de Boston.
La question qui se pose maintenant est de savoir combien de temps et dans quelle mesure les organisations juives vont continuer à se concentrer sur l’équité raciale. Le premier anniversaire du meurtre de Floyd a eu lieu au milieu d’une flambée de violence en Israël et d’incidents antisémites dans le pays, ce qui a détourné l’attention de ce qui aurait pu être un moment de réflexion et, pour certains, a menacé de raviver les inquiétudes concernant le mouvement Black Lives Matter que de nombreux groupes juifs ont surmonté l’année dernière.
Pour les personnes impliquées dans les efforts visant à impliquer les groupes juifs dans les questions d’équité raciale, les détournements à court terme ne sont pas surprenants – et les déclarations publiques de soutien de l’année dernière leur donnent confiance pour l’avenir.
« Il était important d’amener ces différentes institutions juives à mettre leurs sentiments par écrit, à y apposer leur nom pour que ce ne soit pas un sentiment éphémère mais quelque chose qui se traduise par un engagement politique », a déclaré Dove Kent de Bend the Arc : Jewish Action, qui a aidé à mettre en place la lettre Black Lives Matter.
Une autre lettre, signée par une partie moins importante mais néanmoins significative du monde juif, énonce sept obligations détaillées et concrètes.
Intitulée « Not Free to Desist », cette lettre a été rédigée par un trio ad hoc de Juifs de couleur. Ils ont inclus une date limite dans leur promesse de justice raciale. Au moins quatre des sept obligations devaient être remplies avant le 19 juin de cette année, et les sept dans un délai de trois ans.
La liste comprend la garantie qu’au moins 20 % des membres du conseil d’administration d’une organisation seront des personnes de couleur, la résiliation des contrats avec les services de police et le soutien à la création d’un nouvel organisme juif doté d’un budget d’au moins 1,5 million de dollars qui, entre autres choses, rendrait la communauté juive responsable de ses objectifs en matière de justice raciale.
Les créateurs de la lettre ont déclaré qu’il est trop tôt pour calculer exactement à quel degré les signataires ont respecté leurs engagements, mais qu’une enquête est en cours de préparation afin de le déterminer.
« Bien qu’il y ait eu quelques progrès positifs dans l’ensemble, y compris un soutien accru pour les espaces dirigés par la JOC au sein de la communauté juive en général, nous voyons également de nombreuses organisations confrontées à la réalité que la réalisation des engagements de justice raciale énoncés dans la lettre Not Free to Desist nécessitera un engagement soutenu sur de nombreuses années », ont souligné les organisateurs dans une déclaration.