Pour tous ceux qui cherchent à comprendre la raison pour laquelle les crimes nazis des années 1940 sont encore source de controverses à travers toute l’Europe de l’est post-communiste, le livre Our People: Discovering Lithuania’s Hidden Holocaust, ouvrage qui provoquera assurément un choc, est une lecture déterminante.
À la fois road trip, « œuvre d’amitié » et exposé des crimes qui y sont narrés avec une réalité crue, « Our People » suit le chasseur de nazis vétéran Efraim Zuroff et la journaliste lituanienne Ruta Vanagaite dans leur plongée dans le passé sombre de la Lituanie.
Ecrit à quatre mains, le livre avait fait sensation dans ce pays à sa première publication en 2016. Il est devenu un best-seller et le choc a été tel qu’il a divisé des familles et entraîné un retour de bâton des institutions si intense que les éditeurs ont retiré de la vente tous les livres de Vanagaite, qui s’est sentie tellement menacée qu’elle a fui le pays. Le livre a été publié en anglais au mois de mars dernier.
Apprendre que la Shoah en Lituanie – qui accueillait 220 000 Juifs avant l’occupation nazie et dont environ 5 % seulement ont survécu – est en quelque sorte « cachée » choquera un grand nombre de lecteurs.
Les paysages de campagne magnifiques sont pourtant entachés par des douzaines de fosses, certaines ne portant aucune inscription, des fosses où des milliers de Juifs ont été massacrés, enterrés, recouverts de terre et de débris, et abandonnés là, laissés à la décomposition. La terre de la Lituanie est souillée du sang et de la pestilence des meurtres de masse qui ont été en grande partie perpétrés par des citoyens lituaniens, dont la grande majorité n’a jamais été identifiée et n’a donc jamais été poursuivie pour répondre de ces terribles crimes.
Zuroff, chasseur de nazis, tente depuis des années de retrouver les Lituaniens impliqués dans les crimes commis pendant la Shoah afin qu’ils soient enfin traduits devant la justice. Le grand-oncle dont il porte le prénom, Efraim Zar, vivait à Vilnius, capitale de la Lituanie, où il a été arrêté et tué en 1941.
« Il est indubitable, dans mon esprit, que les procès ont un impact autrement plus fort que les livres d’histoire », dit Zuroff. Mais les Lituaniens, à leur libération de la gouvernance soviétique, n’ont eu aucunement l’intention de gâcher la fête de leur indépendance en arrêtant des citoyens parmi les plus âgés d’entre eux.
Zuroff n’avait jamais rencontré Vanagaite avant qu’elle ne découvre que son grand-père et son oncle auraient pu être impliqués – directement ou indirectement – dans le meurtre de Juifs lituaniens et dans la saisie de leurs biens. Elle a voulu en savoir davantage sur ce chapitre largement non-écrit du passé de son pays et commencé à organiser des événements et des visites sur les sites où ces horreurs soigneusement tues ont eu lieu.
Cherchant des intervenants étrangers susceptibles de mettre un peu de piquant lors d’un débat sur l’histoire de la Shoah à Vilnius, il lui avait été conseillé de ne pas inviter Zuroff – un harceleur, lui avait-on dit, un provocateur anti-lituanien qui, sans aucun doute, travaillait à la solde de Vladimir Poutine, l’ennemi juré du pays. Il était agressif, avait-on ajouté, et il avait fait pleurer des enseignants dans les écoles.
Elle a quand même décidé de le rencontrer, pour voir s’il pouvait se laisser persuader de ne pas se livrer à un pugilat lors de l’événement.
Pour sa part, Zuroff a accepté de prendre un café avec Vanagaite – sans rien attendre de cette entrevue. Dans les années qui s’étaient écoulées depuis l’indépendance lituanienne, en 1993, il avait essayé, en vain, de persuader les autorités de regarder en face leur rôle dans les atrocités commises contre les Juifs pendant l’occupation nazie ainsi que de les convaincre de reconnaître leur échec continu à traduire en justice des centaines, voire des milliers de criminels de guerre lituaniens.
Zuroff était à l’opposé du stéréotype du Juif malingre et intellectuel auquel s’attendait Vanagaite. « Là, devant moi, se tenait un géant », se souvient-elle. « Une présence d’une puissance inattendue semblait se dégager de ce personnage. Je n’ai pas voulu m’asseoir à une trop grande proximité de lui. »
Zuroff, toujours sceptique, s’était interrogé sur la motivation de l’intérêt soudain porté par Vanagaite au passé juif de son pays, soupçonnant qu’il était lié à la mise à disposition d’un financement généreux de l’Union européenne. Mais l’infatigable chasseur de nazis, destructeur de réputations, a été pris par surprise.
« Non », a-t-elle alors répondu. « Je fais ça parce que j’ai découvert que certains de mes proches ont probablement participé à la Shoah. Et j’ai le sentiment qu’en rappelant les Juifs assassinés, qu’en rendant hommage à leurs mémoires, je pourrais un peu réparer ce qu’ils ont fait. »
Cette réponse a laissé Zuroff sans voix. « Elle était la première personne que je rencontrais en Lituanie qui admettait quelque chose », dit-il.
Un improbable road trip
Vanagaite s’est ainsi demandé à quoi ressemblerait un voyage avec Zuroff sur les sites des massacres, en tentant également de retrouver les derniers témoins encore en vie des événements terribles qui se sont déroulés dans les années 1940. Zuroff se posait la même question, mais le fait était qu’il avait enfin rencontré une Lituanienne connue, éloquente, qui avait admis le rôle tenu par sa famille dans la Shoah – et que peut-être, ses compatriotes sauraient l’écouter, elle.
« J’ai pensé que si le message était transmis par une Lituanienne ethnique, par Ruta Vanagaite, qui n’est pas Juive, qui n’a pas de lien avec les Juifs – peut-être que cela les convaincrait enfin de la vérité et de l’exactitude du narratif réel de la Shoah », dit Zuroff.
Comme souvent dans les belles histoires d’amitié, ils ont commencé leur voyage comme un couple improbable – profondément méfiants l’un de l’autre. Lorsque la jeep de Vanagaite a commencé à rouler, tous les deux ont ressenti de la nervosité. La réalité était que les témoins de l’époque étaient dorénavant très âgés. Trouveraient-ils quelqu’un qui accepterait de parler ?
J’ai pensé que ce voyage pourrait s’avérer être très déplaisant et que nous pourrions peut-être beaucoup nous quereller
Même si Zuroff et Vanagaite avaient tous les deux saisi l’importance de la révélation de l’histoire des événements, ils n’étaient d’accord que sur peu de choses en dehors de cette conviction partagée. Zuroff voulait que les criminels encore en vie soient traduits devant la justice – Vanagaite en était peu convaincue. Zuroff semblait ne rien avoir à dire d’agréable sur le beau pays de Vanagaite, qui célébrait sa libération de la tyrannie écrasante des Soviétiques. Le projet semblait être sur le point de s’écrouler à n’importe quel moment.
« J’ai pensé que ce voyage pourrait s’avérer être très déplaisant et que nous pourrions peut-être beaucoup nous quereller », se souvient Vanagaite. « Je me suis dit que si les querelles prenaient le pas sur le reste, alors on arrêterait tout. C’était vraiment une expérimentation totale, parce que je ne savais absolument pas ce qui allait se passer, s’il ferait preuve d’agressivité ou non, s’il allait me faire pleurer ou non. En fin de compte, il a beaucoup pleuré lui-même et, parfois, nous avons pleuré ensemble. »
Tous deux ont été parfaitement complémentaires dans la mission qu’ils s’étaient fixés. Zuroff connaissait tous les détails des événements terribles qu’ils tentaient de dévoiler, mais il n’en était pas moins un étranger – un étranger juif, à l’accent américain et à la présence physique imposante. Vanagaite, elle, était riche de décennies d’expériences diverses dans le journalisme, elle avait soif de connaissance et était d’un abord facile pour les personnes âgées qu’ils étaient amenés à interroger. Ensemble, ils allaient parvenir à briser le silence que les témoins avaient conservé jusqu’à présent. Relégués dans l’obscurité de leurs souvenirs, un grand nombre n’avait jamais évoqué jusqu’à présent les crimes horribles auxquels ils avaient assistés lorsqu’ils n’étaient que des enfants effrayés.
Que ce soit sur les pas de porte des habitations dans les villages, dans les clairières des forêts où les massacres ont été commis ou dans les rues des petites villes du pays, ce couple étrange de chroniqueurs de la Shoah a su insuffler une nouvelle vie dans ces souvenirs longtemps oubliés d’événements si choquants que la force nécessaire pour les raconter après des décennies de silence – auxquelles venaient s’ajouter la culpabilité et la douleur – semblait alourdir l’air.
« Jamais je ne m’étais attendue à trouver des témoins. Et jamais je ne m’étais attendue à ce qu’ils parlent », dit Vanagaite.
Réunir les récits
À Svemcionys, ville où vivaient autrefois 8 000 Juifs, ils ont rencontré une vieille femme sortant d’une épicerie et qui semblait avoir l’âge requis. Elle a immédiatement raconté son histoire. Elle et sa soeur étaient très proches de deux sœurs juives, les filles Bentski, qui étaient âgées de 7 et 15 ans. Au mois d’octobre 1941, lorsque presque 4 000 Juifs ont été rassemblés pour être exécutés à bout portant dans une base militaire locale, lors de Yom Kippour, les parents de la femme ont évoqué la possibilité d’adopter son amie et de la recueillir chez eux. Ils ont finalement décidé que c’était trop risqué.
« Quand elles nous ont croisées, ma mère et moi avons pleuré parce que nous ne pouvions pas sauver cette petite fille », a déclaré la vieille femme à ses interlocuteurs.
« Vous aviez probablement très peur des Allemands ? », a interrogé Zuroff.
« Non, nous aurions pu la cacher pour toujours. Ce sont de nos voisins dont nous avions peur », a répondu la femme.
« Elle a commencé à pleurer », raconte Zuroff. « Cela m’a brisé le cœur. Il était évident qu’elle n’avait jamais raconté cette histoire à qui que ce soit. Elle vivait avec ça sur le cœur depuis 1941, depuis plus de 70 ans, et elle était enfin en mesure de le dire à quelqu’un. Je pense que cela a été un soulagement pour elle mais c’était déchirant, absolument déchirant. »
Et comme cela a été le cas dans un grand nombre de massacres de Juifs ou autres victimes dans tout le pays, l’escadron de l’Unité spéciale de Svemcionys, au mois d’octobre 1941, était largement constitué de Lituaniens. Et un grand nombre d’entre eux ne devaient jamais être poursuivis.
Il y avait environ 800 Juifs à Butrimonys, au mois de septembre 1941, quand le chef de la police locale a ordonné de rassembler tous les membres de la communauté dans l’école primaire locale, pour qu’ils puissent être exécutés le jour suivant. Ces exécutions devaient être réalisées par le 3e peloton du TDA, le bataillon national de Défense des Travailleurs, né des insurgés qui avaient affronté les Soviétiques lorsque ces derniers avaient quitté la Lituanie en 1941.
Le 3e peloton s’affairait alors à tuer les Juifs d’Alytus, une ville située à proximité. Ils s’étaient hâtés. Les Juifs avaient reçu l’ordre de se déshabiller sur la place de la ville et, nus, ils ont été emmenés dans une clairière de la forêt voisine de Klidzionys.
« Les fosses, dans la forêt, avaient déjà été creusées : tout le monde savait que les Juifs allaient être exécutés et attendait que ça se fasse », a raconté en 1998 Antanas Kmieliauskas, l’un des artistes lituaniens les plus célèbres, qui était alors âgé de neuf ans, à ceux qui l’interrogeaient au sein du musée du mémorial de la Shoah américain.
Kmieliauskas et ses amis s’étaient cachés derrière une maison et ont regardé les Juifs marcher, nus, en groupe de dix, jusqu’au bord de la fosse. C’était à ce moment-là, alors qu’ils se trouvaient au bord du trou, qu’ils étaient exécutés à bout portant.
« Après ces fusillades, j’ai fait des cauchemars. Sur les fosses. Peut-être que tous les enfants ont fait des cauchemars », avait-il ajouté.
Avant de se rendre dans la ville, Vanagaite avait appelé l’artiste, âgé de 83 ans, pour savoir s’il se souvenait d’autres détails.
Après les exécutions, les enfants s’étaient approchés pour voir si « certaines personnes, dans la fosse, étaient encore en vie », s’était-il souvenu. Un homme grièvement blessé a tenté de respirer à travers le sang qui obstruait son nez. « Les tueurs n’ont pas voulu gâcher des munitions pour cette victime, et ils sont allés dans la forêt pour prendre une pierre », a-t-il noté.
Kmieliauskas a dessiné la scène qui l’avait hanté pendant si longtemps, et il a finalement offert cette esquisse à Vanagaite. Mais après lui avoir raconté toute l’histoire, il s’était inquiété.
« Je vous en prie, Ruta, ne dites pas que ces hommes parlaient lituanien. Ne racontez pas ce que je vous ai dit dans le livre », a-t-il supplié. « J’aime profondément mon pays. Je le connais, vous le connaissez aussi. Ne racontons pas publiquement ces choses. Ne salissons pas notre propre nid. »
La même réticence face à ce nettoyage de linge sale en public a également hanté la famille de Vanagaite. Ruta n’a jamais rencontré le mari de sa tante, Antanas. Le couple avait émigré aux Etats-Unis après la guerre, d’où il lui avait fait parvenir en contrebande des jeans et autres produits occidentaux prisés quand la Lituanie faisait partie de l’Union soviétique. Après sa mort, elle a réalisé qu’il avait occupé le poste de chef de la police à Ponevezh, qui accueillait une célèbre yeshiva et où plus de 8 000 Juifs ont été massacrés à la fin du mois d’août 1941. Elle ne sait toujours pas s’il a aidé à faire exécuter les ordres donnés par les nazis de faire disparaître les Juifs de la ville et de confisquer leurs biens qui avaient été ultérieurement distribués au reste de la population – notamment les articles ménagers et les vêtements.
« Je me demande si ma grand-mère a reçu quelque chose ? Est-ce que ma mère, qui avait 14 ans, a elle-même porté des vêtements ? », s’interroge-t-elle.
Les mêmes soupçons nourris à l’encontre de son oncle planent, en réalité, sur des milliers d’autres responsables lituaniens, notamment sur certains héros nationaux du pays, qui sont salués, comme lui l’avait été, pour avoir dirigé l’insurrection contre les occupants soviétiques lorsqu’ils ont fui avant l’invasion nazie, en 1941. L’amertume à l’égard de l’occupation soviétique a fait naître en Lituanie un sentiment de gratitude envers les nazis, qui les ont libérés de Staline. Quand les nazis ont commencé à rassembler les Juifs et à les déporter comme prix à honorer pour leur présence, de nombreux Lituaniens l’ont accepté. Des décennies plus tard, les souffrances des Juifs leur apparaissent encore bien pâles par rapport aux nombreuses années de tyrannie soviétique.
Les nazis sont restés ici un laps de temps très court, il y a très longtemps… Et les Juifs n’étaient pas des nôtres
« Les nazis sont restés ici un laps de temps très court, il y a très longtemps, et ils n’ont jamais finalement rien fait de si mauvais à l’égard des Lituaniens », explique Vanagaite. « Bien sûr, nous devions donner nos produits à l’armée, mais il n’y a aucun crime dont le peuple a finalement à se souvenir. Et les Juifs n’étaient pas des nôtres. »
« Pour les Lituaniens, il n’y a pas de comparaison. Les Soviétiques étaient bien pires. Ils nous attaquaient tandis que les nazis attaquaient les Juifs », note-t-elle.
Le grand-père de Vanagaite était un héros national. Jonas Vanagas, prisonnier politique condamné pour des activités anti-soviétiques, est mort six mois après avoir été envoyé au goulag en 1945 pour avoir aidé à faire fuir les envahisseurs soviétiques en 1941. Il n’y a aucune preuve suggérant que Vanagas a pu être impliqué dans des crimes contre les Juifs, mais les registres indiquent que Balys Simke, arrêté et emprisonné avec le grand-père de Vanagait, avait aidé à forcer les Juifs à traverser Ukmerge jusqu’à la prison où ils ont été exécutés, en septembre 1941, par le Rollkommando Hamann, une unité spéciale constituée de huit à dix Allemands et de 80 Lituaniens qui ont commis des massacres dans toute la campagne de la Lituanie.
Plus controversés encore sont les éminents dirigeants nationalistes ayant du sang sur les mains – comme Jonas Noreika, une personnalité déterminante de la résistance lituanienne à l’occupation soviétique après la Seconde Guerre mondiale, qui a été impliqué dans les crimes commis pendant la Shoah. Le Centre de recherche sur le génocide et la résistance de la Lituanie, fondé par le gouvernement, a officiellement, par le passé, disculpé Noreika des horreurs perpétrées. Le Centre a aussi mis en doute une liste de 23 000 criminels lituaniens de la Shoah mise en place par l’Association des Juifs lituaniens en Israël, en commençant dans un premier temps à la réduire à 2 055 personnes avant de la supprimer, purement et simplement, de ses publications.
Une partie de la société considère qu’ils ont commis des crimes et une autre estime qu’ils sont des héros. Les deux ont raison
« Une partie de la société considère qu’ils ont commis des crimes et une autre estime qu’ils sont des héros. Les deux ont raison », lance Vanagaite. « Noreika n’a tué personne lui-même. Mais la question est : Savait-il qu’en signant les ordonnances déterminant la ghettoïsation des Juifs et la redistribution des biens appartenant aux Juifs, il entrait dans le processus qui enverrait toutes ces victimes à la mort ? »
« Nous ignorons ce qu’il se passait dans sa tête. Hitler, personnellement, n’a jamais exécuté personne. Pour les Lituaniens, c’est plus agréable de pouvoir se dire que s’ils n’ont pas tué de leurs propres mains, alors ces gens sont innocents, en particulier s’ils ont ensuite combattu les Soviétiques après la Shoah », continue-t-elle.
Pour Zuroff, l’attitude de l’Etat lituanien moderne et de la majorité de ses citoyens concernant la Shoah a été tellement faussée par l’oppression soviétique qu’elle a créé un mythe de « double génocide » dans lequel les crimes nazis et soviétiques sont mis à égalité.
Plus dangereux encore, dit-il, sont les efforts livrés par les Lituaniens et par d’autres Etats de l’ex-Europe de l’Est pour tenter d’exporter cette doctrine du « double génocide » dans les commémorations de la Shoah et dans son enseignement dans le reste de l’Europe.
« Les Soviétiques se sont trouvés en Lituanie bien plus longtemps, les nazis sont restés pendant une période relativement brève, mais si un pays a le choix entre être un pays dont les citoyens ont commis des crimes et un pays de victimes, la réponse à ce dilemme sera évidente : il choisira de se placer du côté des victimes », explique Zuroff. « Je ne veux en aucun cas minimiser les crimes commis par les communistes contre les populations d’Europe de l’Est, mais cette théorie du double génocide est très dangereuse. Elle est compromettante. Les choses pourront changer lorsque les gens comprendront la vérité. »
« Mais ils méritent aussi que leurs victimes soient commémorées, et d’obtenir une indemnisation de la part des Russes », ajoute-t-il. « Une partie du problème, c’est que les Russes n’ont pas les mains propres. Et ils n’ont rien fait pour réparer cela. Ils n’ont pas reconnu leur culpabilité, ils n’ont pas indemnisé les victimes, ils n’ont exprimé aucun regret pour les choses horribles commises par l’Union soviétique – et ça a été horrible, absolument horrible. »
Vanagaite dit comprendre la réticence des Lituaniens à regarder en face leur passé compliqué. Elle espère néanmoins que son livre aura participé à faire chanceler des convictions de longue date – en particulier alors que les personnes impliquées s’estompent dans l’ombre de l’histoire.
« Perdre quelqu’un qui est à vos yeux un héros, ou perdre l’image que vous vous faites du passé ou de l’histoire de votre pays, c’est perdre une partie de vous-même », déclare-t-elle. « Tous ceux qui sont sensibles au sujet de nos pères et de nos grands-pères – ma génération – vont disparaître. Et la glace va se briser. »
« Mais je ne pense pas qu’elle se brisera avant que je n’ai moi-même quitté ce monde », conclut-elle.