Ameer Abu Saleh, 16 ans, habitant de Majdal Shams, était l’arrière gauche de l’équipe de jeunes du club de football Bnei HaGolan VeHaGalil (MMBA) et un élève brillant de Kiryat Shmona. Il était l’une des vedettes de l’équipe et on lui prédisait un avenir prometteur en tant que joueur de football au sein du club et au-delà.
À la fin de la dernière saison, Ameer a été photographié avec un trophée remporté par son équipe lorsqu’elle a été promue dans une ligue supérieure, et il ressemblait à n’importe quel autre joueur ayant franchi une étape importante : ravi, souriant et décontracté.
Johnny Ibrahim, 13 ans, jouait également dans l’équipe de jeunes du club et en était un élément dominant et énergique. Hazem Abu Saleh, 15 ans, a joué dans l’équipe pendant deux ans et devait y retourner cet été.
Ameer, Johnny et Hazem ont été tués le 27 juillet avec neuf autres garçons et filles lorsqu’une roquette a atterri sur le terrain de football au cœur du village de Majdal Shams. Ce bout d’herbe verte au milieu du labyrinthe de béton de la ville était un épicentre de vie et de sport pour ses habitants.
« C’est un coup dur pour la communauté, le Golan, l’État, le football et le club », avait déclaré Wajdi Al-Kish, fondateur du club MMBA, le 28 juillet. « Nous sommes seulement 24 heures après la catastrophe et nous sommes encore sous le choc et la douleur. C’étaient des enfants merveilleux, éduqués et polis. Des enfants spéciaux ».
Vivre en Israël, s’identifier à la Syrie
MMBA n’est pas un club comme les autres. Fondé en 2015, l’histoire du club reflète la vie de la communauté druze dans le Golan et au Moyen-Orient – un peuple écartelé entre les États et les guerres qui a le désir simple de jouer, de s’intégrer et d’être apprécié.
Les Druzes sont un groupe ethnoreligieux qui s’est détachée de l’islam au 11e siècle et qui, depuis, vit comme une religion à part entière.
« Ils ont été persécutés par les musulmans parce qu’ils étaient considérés comme des hérétiques. C’est pour cela qu’ils vivent dans des zones montagneuses », explique le Dr Salim Brake, de l’Open University of Israel.
Ils sont dispersés dans tout le Moyen-Orient et environ 135 000 d’entre eux vivent en Israël, tandis que d’importants groupes vivent également aux États-Unis, au Canada et en Colombie.
Selon leurs préceptes religieux, « les Druzes ne sont pas autorisés à créer leur propre armée et doivent être loyaux envers le pays dans lequel ils vivent. La religion interdit l’établissement de leur propre nation », a expliqué Brake.
Cette restriction a défini la vie des Druzes en Israël. La plupart d’entre eux sont loyaux envers l’État d’Israël, servent dans l’armée et l’on parle souvent d’une « alliance de sang » avec l’État – en particulier au sujet de ceux qui vivent en Galilée. Certains d’entre eux, cependant, disent se sentir discriminés et rabaissés par la loi de 2018 sur l’État-Nation, qui définit Israël comme l’État-Nation du peuple juif.
Si les Druzes du Golan se sont activement intégrés à la vie israélienne depuis la guerre des Six Jours de 1967 et travaillent avec les Israéliens en parlant couramment l’hébreu, ils sont restés fidèles à leur patrie syrienne pendant des décennies.
Le nom du club de football est une abréviation des noms hébraïques de quatre villages druzes du Golan – Majdal Shams, Masade, Buqata et Ein Qiniyye. Ils font partie des quelques villages dont les habitants sont restés sur le plateau du Golan après la guerre des Six Jours, alors que le reste des citoyens syriens ont fui ou ont été expulsés.
Les quatre villages devaient servir de zone tampon pour les Druzes. Le plan a échoué et Israël s’est retrouvé avec une population druze fidèle à la Syrie. Cette situation s’explique par des raisons religieuses et culturelles, mais aussi par des raisons pratiques : Israël a négocié pendant des années avec la Syrie la restitution du Golan et il semblait évident que les villages ne resteraient pas sous gouvernance israélienne, de sorte que les résidents druzes ont estimé qu’il était préférable de continuer à faire preuve de loyauté envers les Syriens.
En 1981, Israël a annexé le Golan et des manifestations ont éclaté dans les villages où les habitants ont refusé d’accepter la citoyenneté israélienne. Ceux qui l’ont acceptée ont été boycottés et isolés par leurs concitoyens druzes.
Mais peu à peu, la réalité de la vie sous souveraineté israélienne les a forcés à se rapprocher d’Israël et des Israéliens. Les jeunes qui sont nés en Israël ont grandi avec des Israéliens, parlé hébreu, étudié et travaillé avec des Israéliens, et ont même déclaré qu’ils se sentaient davantage Israéliens que Syriens.
« J’ai été surpris lorsque des jeunes m’ont dit qu’ils se sentaient Israéliens et qu’ils ne savaient rien de la Syrie », a déclaré Brake de l’Open University.
L’opposition à Israël s’est dissipée et il ne restait plus qu’un seul symbole du refus d’accepter la pleine intégration dans la société israélienne auquel la génération plus âgée s’accrochait après 50 ans : le football.
Un rêve de plusieurs années
Le dernier tabou pour les personnes âgées de la communauté résidait dans la création d’un club de football local qui jouerait dans une ligue israélienne. Les habitants des villages ont dû se contenter d’une ligue interne limitée à quatre équipes, ce qui ne répondait pas à leur désir de participer à une compétition à armes égales en Israël.
En 2013, une première tentative a été lancée pour créer une équipe à Majdal Shams qui participerait aux championnats israéliens, mais des protestataires avaient dit aux jeunes que « c’est une terre syrienne et que s’unir au football israélien n’a aucun sens ici ».
L’entraîneur de l’équipe, Nadib Ayoub, avait déclaré à l’époque que c’était « un désastre pour nous et surtout pour nos enfants. Ce devait être un match historique pour nous, un premier match à domicile. Rien ne nous avait préparés à cette situation ».
Mais le processus était déjà enclenché et deux ans plus tard, MMBA voyait le jour. Cette fois, le club a réussi à s’enraciner dans le basalte du Golan.
L’un de ses fondateurs est Al-Kish, un professeur de sport de 41 ans originaire de Buqata et ancien joueur de l’Hapoel Kiryat Shmona.
« J’en ai rêvé pendant des années », avait-il confié au Times of Israel il y a quelques années. « J’ai vu qu’il y avait beaucoup de bons joueurs dans les villages et que si nous nous unissions, nous pourrions constituer une équipe forte. Ce n’est un secret pour personne que certains se sont opposés à l’idée et ont essayé de saboter l’initiative, mais la guerre en Syrie nous a donné un coup de pouce. Le temps a fait son œuvre. Ce qui est autorisé aujourd’hui ne l’était pas dans le passé ».
La guerre civile en Syrie se déroule de l’autre côté de la clôture de Majdal Shams, à portée de voix de Masade. Tous les habitants du village ont de la famille en Syrie et le souci de la famille est l’un des piliers de la vie druze.
انتهت قبل قليل المباراة الخارجية لممبع الجولان اشبال ب امام جليل جولان بالنتيجة 3-3سجل لممبع الجولان ريان ابو صالح(مشعل)- جواد الكحلوني- ليان طربية.
Posted by מ.ס בני הגולן והגליל ״ממבע״-הדף הרשמי- النادي الرياضي ابناء الجولان والجليل on Thursday, February 8, 2024
Entre la menace du terrorisme islamique, d’une part, et le régime barbare du président syrien Bachar el-Assad et les forces russes en Syrie, d’autre part, Israël est soudain devenu l’option la plus saine et certainement la plus sûre.
« Paradoxalement, il existe une menace existentielle pour le peuple druze au Moyen-Orient, sauf en Israël, y compris le Golan », a analysé Brake.
Les chances que les villages réappartiennent un jour à la Syrie s’amenuisent d’année en année, les liens affectifs avec l’ancienne patrie s’affaiblissent chez les jeunes qui ne l’ont même jamais connue, et le pouvoir des anciens du village est de plus en plus limité. Le moment était venu de créer un club de football qui jouerait en Israël.
Ancien joueur et entraîneur, Al-Kish est le visage de MMBA.
« Tout comme il y a des Israéliens d’origine marocaine ou yéménite, je suis un Druze d’origine syrienne qui vit en Israël de manière honorable et j’aime ma vie ici », a-t-il déclaré.
Mais pour convaincre les plus conservateurs, il a dû faire appel à de gros bras.
Samih Samara est un cultivateur de mangues et également fondateur du club. Il a nommé ses enfants Fidel et Havana et a assisté aux funérailles de Fidel Castro à Cuba.
« Je suis un révolutionnaire », a affirmé Samara.
C’est un extraverti qui aime les provocations et qui a été emprisonné dans le passé pour contrebande d’armes.
« Les gens changent », a déclaré Samara. « Le Yitzhak Rabin de 1987 n’était pas le Rabin de 1992, et le Samih de 2001 n’était pas le Samih de 2018. J’avais 20 ans et je faisais de la contrebande d’armes, je suis passé par la prison, j’ai appris et j’ai changé. Je travaille avec des Juifs tous les jours et presque tous me comprennent. Oui, j’ai été en prison, mais je n’ai jamais assassiné personne. Je n’ai pas fait quelque chose d’impardonnable. »
« Les gens m’ont demandé pourquoi je voulais une équipe dans les ligues israéliennes, et je répondais : ‘A vous de me dire pourquoi pas’. Les Druzes du Golan travaillent pour le ministère de la Défense, enseignent dans les écoles israéliennes et sont avocats dans les tribunaux israéliens, mais jouer au football avec les Israéliens était la seule chose qui n’était pas autorisée », a déclaré Samara.
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Posted by מ.ס בני הגולן והגליל ״ממבע״-הדף הרשמי- النادي الرياضي ابناء الجولان والجليل on Sunday, July 21, 2024
Le grand changement s’est produit lorsque les Druzes d’Israël ont vu leurs frères de Syrie déplacés et massacrés par le régime.
« La guerre en Syrie a montré clairement que nous devions prendre soin de nous-mêmes. Les Druzes du Golan veulent vivre dans un endroit qui leur offre la sécurité malgré les liens avec la Syrie. Et où se trouve cet endroit ? En Israël. Une personne ne peut pas se sentir à sa place là où son fils a été assassiné, sa famille enlevée, et où elle n’a ni nourriture ni toit au-dessus de sa tête », a expliqué Samara.
« Je suis un leader par nature, et grâce à mon charisme et à mes talents d’orateur, j’ai réussi à convaincre les gens qui disaient : ‘Bon, d’accord, si Samih le politicien, celui qui a été emprisonné pour des crimes contre Israël, soutient le club, alors c’est peut-être une bonne chose' ».
« Je sais que notre destin n’est pas entre nos mains. Il y a une occupation depuis 1967 et l’incertitude est un élément permanent de nos vies. Nous n’avons pas choisi de vivre en Israël et ce n’est pas nous qui déciderons de retourner en Syrie. En attendant, je vis ma vie comme n’importe quel autre citoyen. L’occupation a commencé en 1967 et je ne pense pas qu’elle se terminera de sitôt. En attendant, je ne peux pas vivre sans football ».
C’est le principe simple de MMBA : réunissez les gens et ils créeront une équipe qui les représentera et qui représentera leur identité. Quarante-huit ans sans équipe de football à soutenir, à aimer, à suivre, de laquelle être fier ou déçu, c’est le prix à payer pour un conflit dans lequel personne ne se soucie des habitants druzes du Golan.
La formation locale de football est un symbole important, une plaque tournante de l’activité sociale et sportive, et une entreprise bien trop importante pour être confiée à des politiciens.
L’équipe a commencé à jouer en cinquième ligue et est montée en quatrième ligue dès sa deuxième année. C’est là qu’elle joue aujourd’hui, sur un terrain situé à Buqata, au pied du mont Hermon. Certains jours, c’est le plus beau décor d’Israël pour un match de football.
הופעה מכובדת לבני הגולן בהפסד 3-0 למכבי תל אביבכל הכבוד חבורה של גברים גאים בכם יאלללה ממב״ע ❤️❤️⚽️⚽️مباراة تاريخية…
Posted by מ.ס בני הגולן והגליל ״ממבע״-הדף הרשמי- النادي الرياضي ابناء الجولان والجليل on Saturday, January 6, 2018
L’apogée du club a été sa performance lors des championnats de 2018, lorsqu’il a surpris tout le monde et a joué contre le Maccabi Tel Aviv en finale à Netanya après une série de victoires. Ce match a valu au club publicité et reconnaissance lorsqu’il a été diffusé à la télévision, et MMBA est devenu l’équipe du Golan. La vision d’une équipe unie s’est concrétisée.
Depuis lors, le club est devenu une institution sociale importante. D’autres équipes d’adolescents et d’enfants ont été créées, y compris des équipes de filles. Il s’agit d’une structure sportive pour les habitants des villages ainsi que pour les membres de l’équipe. Outre les volcans inactifs, les sites commémoratifs, les squelettes de chars d’assaut et la faune, MMBA fait désormais partie du paysage du Golan.
Un coup fatal
En 2018, quand le club vivait ses plus belles heures, j’ai regardé l’équipe des jeunes jouer contre une équipe de Tamra sur les terrains en gazon synthétique de Kiryat Shmona. Les joueurs des deux équipes jouaient dans des formations mixtes, criaient en hébreu et en arabe, et sur le banc étaient assises trois filles dans des vêtements à la mode ainsi qu’un homme avec le pantalon large et le grand couvre-chef blanc traditionnels druzes.
Mais aujourd’hui, Kiryat Shmona est une ville fantôme, ses terrains de football ont été détruits, et les mêmes jeunes sont en deuil chez eux, ou sont peut-être à l’hôpital en train de lutter pour leur vie.
Le match qui s’est déroulé à Majdal Shams ce funeste samedi n’était pas une séance d’entraînement officielle – celle-ci devait avoir lieu la semaine suivante. Mais les jeunes de Majdal Shams se réunissaient souvent pour un match de football le week-end.
Lorsque la sirène a retenti, ils ont couru vers l’abri antiatomique qui avait été installé au bord du champ au début de la guerre, mais ils n’ont pas réussi à l’atteindre avant l’explosion et le massacre.
Ameer, Johnny et Hazem sont morts en portant l’uniforme de MMBA.
« Nous avons perdu 12 enfants, c’est un désastre terrible pour tout le monde, pour tout l’État, et personnellement, je ne sais pas comment réagir », a déclaré Al-Kish le lendemain de la catastrophe. « Je ne sais pas si nous pourrons inscrire des équipes de jeunes pour la saison prochaine. Les gens ne veulent pas jouer au football ou aller sur le terrain. »
« Le coup a été rude », a déclaré Al-Kish. « Nous allons nous ressaisir et nous préparer pour la suite. »