Israël en guerre - Jour 375

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L'analyste et auteur américain d'origine égyptienne Hussein Aboubakr Mansour à son domicile de Washington DC, le 3 juillet 2024. (Capture d'écran : Interview sur Zoom)
L'analyste et auteur américain d'origine égyptienne Hussein Aboubakr Mansour à son domicile de Washington DC, le 3 juillet 2024. (Capture d'écran : Interview sur Zoom)
Interview

Un Égyptien ayant grandi dans la haine antisémite pousse aujourd’hui à l’alliance arabo-israélienne

Il avait fui le régime de Morsi en 2012 ; aujourd’hui, l’analyste Hussein Aboubakr Mansour rencontre des décisionnaires, à DC, pour créer une alliance contre l’extrémisme

Dans les semaines précédant le 7 octobre, Israël et l’Arabie saoudite étaient sur le point d’établir des relations diplomatiques – une initiative spectaculaire qui était susceptible de changer le cours de l’histoire au Moyen-Orient.

Le Hamas a depuis indiqué de manière répétée que l’un des objectifs poursuivis par son pogrom, qu’il avait commis dans le sud d’Israël en date du 7 octobre dernier, était de briser net l’élan de la normalisation – une normalisation qui aurait eu un impact dans toute la région et qui aurait été à l’origine de la signature d’accords de paix entre Israël et divers pays musulmans modérés.

Et alors que les groupes terroristes soutenus par l’Iran sont parvenus à mettre en pause les discussions avec Ryad, l’État d’Israël étant enlisé dans une guerre menée sur de multiples fronts, l’intégration de l’État juif au sein du Moyen-Orient modéré semble être devenu un parcours irréversible – avec une issue qui n’est dorénavant qu’une question de temps.

Un haut-responsable israélien a récemment insisté sur le fait qu’une normalisation des liens avec l’Arabie saoudite pouvait encore survenir avant les élections présidentielles américaines qui sont prévues au mois de novembre.

« Si la tendance à la normalisation continue, la prochaine génération d’Arabes sera culturellement immunisée face à l’arme qui est principalement celle de l’Iran : l’arme de l’idéologie », commente Hussein Aboubakr Mansour, un analyste américain d’origine égyptienne âgé de 35 ans, dans un entretien avec le Times of Israel qu’il accorde depuis son domicile de Washington, DC.

Ce sujet de la normalisation, cet expert né au Caire en est partie prenante. Il y a environ deux mois, il a été nommé chercheur au sein du Centre des Affaires étrangères de Jérusalem, un think-tank israélien de premier plan qui était connu, dans le passé, sous le nom de Centre de Jérusalem pour les Affaires publiques.

Sa mission : promouvoir la vision d’un nouveau Moyen-Orient avec les décisionnaires politiques à Washington, qu’ils soient Américains ou étrangers, à l’occasion d’entretiens individuels ou de conférences ouvertes au public.

L’objectif qu’il poursuit, explique-t-il, est de prôner « la création d’une nouvelle réalité politique régionale dans laquelle l’État d’Israël est accepté par les puissances arabes qui dominent dans la région, et la création d’une réalité culturelle qui viendra remplacer celle qui prévaut sur le terrain actuellement. »

« C’est cet élan que l’Iran a tenté d’arrêter le 7 octobre », ajoute-t-il.

Le plan ourdi par Téhéran – qui cherche à élargir ses tentacules sur toutes la région par le biais de ses proxies, ses milices armés, pour s’en prendre à Israël – a poussé à cran un grand nombre de pays arabes voisins.

Ismail Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, s’adresse à la presse après une rencontre avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, à Téhéran, le 26 mars 2024. (Crédit : AFP)

« Il y a aujourd’hui un alignement dans la manière dont certains Arabes voient les choses – les Arabes en mon genre – et dans la manière dont les Israéliens les considèrent de leur côté », déclare Mansour. « Nous comprenons qu’Israël restera là. Nous comprenons que ce n’est pas la question d’un état palestinien qui est à l’origine de la guerre et qui en est le catalyseur – c’est l’Iran ».

« Nous avons décidé de réunir ces voix juives et arabes parce que ce type de voix ne se faisait pas entendre à Washington. Il y a un gouffre entre la manière dont nous voyons la région et celle dont les gens l’entrevoient à DC, dans les universités occidentales et dans les médias occidentaux plus généralement. Nous voulons aider les gens, ici, à comprendre cette perspective différente et, avec un peu de chance, à changer la façon dont les politiques pour la région ont été formulées jusqu’à présent. »

« Un esprit arabe qui brise ses chaînes »

Le parcours de vie de Mansour est en lui-même une illustration des changements qu’il défend aujourd’hui.

Né en 1989 dans une famille musulmane du Caire, il raconte avoir grandi dans un environnement où l’antisémitisme et le sentiment anti-israélien étaient omniprésents.

« L’Égypte a été l’Iran de la région pendant des décennies. Elle était le bras idéologique et le leader de l’ensemble du projet anti-sioniste – une cause fédératrice pour la région », explique-t-il.

L’opposition à Israël était l’un des piliers idéologiques du régime de feu le président égyptien Gamal Abdul Nasser, un chef socialiste vénéré qui avait été à la tête du pays entre 1956 et 1970 et qui avait façonné ce qui est devenu l’identité nationale égyptienne.

Même si le successeur de Nasser, Anouar Sadate, avait signé un traité de paix avec Israël en 1979, cette avancée diplomatique n’avait jamais entraîné l’acceptation de l’État juif dans les rues égyptiennes. Une raison centrale à l’origine de ce rejet viscéral était la haine antisémite qui imbibait toute la société égyptienne.

Gamal Abdel Nasser, président de l’Egypte, s’adresse à une foule immense réunie sur la Place de la République, Le Caire, 22 février 1958, depuis un balcon du bâtiment de l’Union Nationale. (AP Photo)

« Pendant mon enfance et pendant mon adolescence, l’antisémitisme était partout – des histoires de complots, des récits d’espionnage avec des super-méchants juifs qui, dans les sous-sols, échafaudaient des plans diaboliques », se souvient Mansour. « Quand j’étais petit, j’adorais ça – j’étais obsédé ».

Parmi ses lectures privilégiées, à l’époque, les livres de la série « L’Homme de l’Impossible » – le récit des desseins héroïques d’un agent secret égyptien aux prises avec l’ennemi sioniste. Né dans une famille pieuse, il avait même rêvé d’être jihadiste pendant son adolescence – « comme presque tous les jeunes Arabes musulmans », dit-il – une anecdote qu’il avait racontée dans un essai publié en 2020 et où il se qualifiait de « jihadiste en herbe ».

Son passage à l’âge adulte, au début des années 2000, avait coïncidé avec une vague de radicalisation qui s’était abattue sur le monde arabe, une vague qui avait été engendrée par la Seconde intifada, par les attentats du 11 septembre, les guerres qui avaient eu lieu dans la foulée en Irak et en Afghanistan et par l’ascension d’Al-Jazeera et de sa rhétorique anti-israélienne et anti-occidentale incendiaire.

« Ma génération est probablement celle qui a été le plus endoctrinée dans toute l’Histoire moderne de la région », estime Mansour.

Des hommes égyptiens scandent des slogans anti-israéliens au cours d’une manifestation anti-Israël organisée par les Frères musulmans au Caire, le 11 mai 2013. (Crédit : Khalil Hamra/AP)

Intrigué par tout ce qui se rapportait d’une façon ou d’une autre aux Juifs, Mansour avait commencé à apprendre l’hébreu – d’abord seul, sur internet, avant de l’étudier ensuite à l’université du Caire. Et plus il a levé le voile sur la société israélienne, indique-t-il, plus il a réalisé « l’humanité totale des Juifs et l’absurdité de ce que les Égyptiens pouvaient penser d’eux », se souvient-il.

En 2009, il avait commencé à fréquenter le Centre académique israélien, un institut qui est rattaché à l’ambassade de l’État juif, au Caire. Des visites qui avaient éveillé les soupçons des agents des renseignements égyptiens. Il avait été placé sous surveillance, harcelé et finalement emprisonné.

La participation de Mansour aux manifestations qui avaient eu lieu dans le cadre des Printemps arabes, en 2011, sur la place Tahrir, au Caire, l’avaient encore davantage exposé, mettant sa vie en péril. Il avait donc pris la décision de fuir aux États-Unis en 2012.

Là-bas, il a obtenu l’asile politique.

Egyptian army soldiers arrest a woman protester during clashes in Cairo's Tahrir Square on December 16, 2011 (photo credit: AP Photo/File)
Des soldats égyptiens arrêtent une manifestante pendant des affrontements sur la place Tahrir au Caire, le 16 décembre 2011. (Crédit : AP Photo/File)

En Amérique, il avait rapidement trouvé un emploi, enseignant l’hébreu aux recrues d’une académie militaire située en Californie.

« Combien de pays prendraient-ils un parfait étranger en lui donnant un travail au sein de l’establishment de la sécurité simplement parce que son profil est le bon ? C’est toute la beauté de l’Amérique », commente-t-il. Il est devenu citoyen américain en 2017.

Ce parcours de vie est raconté dans le détail dans l’autobiographie qu’il a écrite et qui a été publiée en 2020 : Minority of One: The Unchaining of an Arab Mind.

Aux États-Unis, il avait rapidement commencé à donner des conférences et à écrire des articles pour divers médias juifs – il a notamment une page de blog sur le site du Times of Israel où il évoque une grande variété de sujets qui vont de l’Histoire moderne du monde arabe au marxisme, en passant par l’antisémitisme et par la politique occidentale. Il est aussi devenu éducateur et intervenant auprès de diverses organisations œuvrant dans la défense d’Israël.

Il insiste aujourd’hui sur le fait qu’il ne veut pas être considéré comme un pion – un Arabe qui ferait la promotion de la hasbara (un terme qui renvoie aux stratégies de communication de l’État d’Israël à destination de l’étranger) pour le compte de l’État juif. Il maintient que les commentateurs arabes pro-israéliens sont souvent définis comme tels avec pour objectif de « marquer des points », déclare-t-il, auprès des progressistes, conformément aux règles de la politique identitaire américaine.

« Je ne veux pas commencer mes déclarations par des phrases comme ‘en tant qu’Arabe et en tant que musulman,’, » précise-t-il. « Je refuse d’entrer dans le jeu d’un segment de la société qui se replierait sur lui-même ».

Et le conférencier et auteur a donc décidé de pousser encore un peu plus loin son activisme en faveur du Moyen-Orient dans son ensemble dans une direction moins académique – mais plus pragmatique.

« Les intellectuels sont excellents s’agissant de parler des problèmes mais quand on en vient aux solutions qu’ils proposent, c’est une catastrophe », plaisante-t-il.

Les racines philosophiques allemandes de l’islamisme

En échangeant avec Mansour, difficile de ne pas être frappé par son honnêteté intellectuelle, sa lucidité et par la capacité qui est la sienne de résumer en quelques phrases les sujets complexes sur lesquels il réfléchit depuis des années.

« J’ai passé ma vie à tenter de comprendre comment j’ai pu grandir de cette façon, à tenter de comprendre pourquoi le Moyen-Orient est dans cette situation, pourquoi l’antisémitisme est tellement fort dans les sociétés arabes », explique-t-il.

« Quand vous voyez les images de familles palestiniennes qui font du cosplay en déguisant leurs petits enfants en combattants du Hamas, il faut se demander pourquoi. Je ne suis pas Palestinien mais je suis Arabe. Je suis issu de ce peuple, je le connais. Ce ne sont pas des démons, ce sont des êtres humains. Ce sont des membres de ma famille. Je passe beaucoup de temps à essayer de comprendre comment tout ça est arrivé », ajoute-t-il.

Pour Mansour, l’origine de l’extrémisme arabe – laïc et religieux – remonte à l’influence qu’a pu avoir une branche spécifique de la philosophie allemande sur le Moyen-Orient, au début du 20e siècle.

« Les idéologies allemandes révolutionnaires focalisées sur l’accomplissement d’une vision mystique à travers le combat dans le cours de l’Histoire – comme le marxisme ou le nationalisme romantique – ont eu un impact profond sur les intellectuels arabes de la fin du 19e siècle et depuis, à un moment où les sociétés arabes de masse étaient en train d’émerger », indique-t-il.

« Ce sont leurs principes qui ont façonné l’identité et le nationalisme arabe mais aussi l’identité musulmane. C’est la ligne de pensée qui a donné naissance à l’islamisme, ce combat visant à matérialiser le message de l’islam dans l’Histoire », continue-t-il. « Et une composante qui se trouve au cœur de ce mode de pensée est l’antisémitisme, en partie à cause de la campagne de propagande intensive qui avait été menée par le Troisième Reich au Moyen-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale. »

L’acceptation d’Israël, une épreuve de vérité pour le monde arabe

Toutefois, en fin de compte, l’analyse intellectuelle ne peut qu’aider à comprendre les causes qui sont à la racine de l’extrémisme qui frappe les sociétés arabes mais elle n’offre aucune réponse concrète, selon Mansour.

« La solution, elle se trouve du côté des décisionnaires politiques, des hommes d’État et dans la stratégie qui vise à rassembler Arabes et Israéliens dans la lutte contre l’Iran et contre l’islamisme qui est promu à Téhéran », déclare-t-il.

Dans son nouveau costume d’activiste arpentant les coulisses du pouvoir à Washington, il arrive à Mansour de s’entretenir avec des diplomates originaires des pays arabes et il raconte qu’un grand nombre d’entre eux partagent sa vision des choses.

« Au niveau personnel, il y a des questions qu’ils comprennent également, comme le problème de la profondeur de l’antisémitisme dans la région. Ils comprennent que de manière fondamentale, l’acceptation d’Israël est la nouvelle épreuve de vérité pour les Arabes, entre ceux qui revendiquent un siècle passé de destructions et les autres », dit-il.

« Les Juifs incarnent aujourd’hui la ligne de front », conclut-il.

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