Regardez les images filmées par la réalisatrice israélienne Hilla Medalia – et vous pourrez constater la manière dont elle gagne la confiance de ceux qu’elles prend sous son aile pour les amener doucement à s’exprimer sur des problématiques sensibles, devant sa caméra. Des parents racontent ainsi comment ils vivent le fait d’être l’abba ou l’ïma d’un enfant trans – ou de jeunes Juifs et Arabes palestiniens partagent leur expérience d’un cours de danse à Jaffa dont l’objectif est de renforcer l’envie de coexistence au sein de la nouvelle génération.
Le dernier projet de Medalia a cherché, une fois encore, à offrir une perspective unique sur une question particulièrement délicate, en particulier pour tous ceux qui ont été directement liés aux événements. Le film est une étude des familles musulmanes, juives et chrétiennes de Lod, une ville mixte, qui ont été impactées par les émeutes meurtrières qui, en 2021, ont frappé au cœur la localité et d’autres en Israël. Depuis la sortie du film, ce dernier a pu être considéré comme touchant une corde trop sensible pour être présenté à certains publics.
Réalisé en partenariat avec MTV Documentary Films, « Mourning in Lod » revisite un chapitre douloureux du mois de mai 2021, au cours du précédent conflit qui avait opposé Israël au Hamas. Alors que le groupe terroriste tirait des pluies de roquettes en direction d’Israël depuis la bande de Gaza, des échauffourées avaient éclaté entre Juifs et Arabes israéliens à Lod.
Le film s’intéresse à deux hommes ayant trouvé la mort dans des actes de violences distincts, à environ 24 heures d’intervalle : Musa Hassuna, un Arabe israélien musulman et Yigal Yehoshua, un Juif israélien. Le film souligne également un rare moment de réconciliation : la famille de Yehoshua a fait don de ses organes après son décès et l’un de ses reins a été offert à une résidente chrétienne de Jérusalem-Est, Randa Oweis.
Oweis et sa famille n’avaient appris l’identité du donneur que grâce aux médias israéliens – et l’information en elle-même avait entraîné des commentaires fanatisés de la part de certains lecteurs. Malgré le tollé, la famille d’Oweis avait éprouvé une telle reconnaissance qu’elle s’était rendue aux shloshim d’Yigal, qui marque la fin de la période de deuil de 30 jours. Son frère, Efi, les avait accueillis avec chaleur et, à une autre occasion, il avait rencontré, en signe de sympathie et de solidarité, le père de Musa, Abed al-Malik.
Pendant le tournage, la réalisatrice n’a jamais rencontré, dit-elle, aucune difficulté s’agissant de s’entretenir avec les familles des défunts. Toutefois, après le 7 octobre – date du massacre commis par le Hamas dans le sud d’Israël, un assaut qui avait été suivi par le lancement de la campagne militaire israélienne dans la bande de Gaza, une offensive qui vise à écarter le groupe terroriste du pouvoir – Medalia note qu’elle a dû faire face à un défi nouveau, inattendu : celui de pouvoir présenter son film au public international.
De manière émouvante, le film avait été projeté au Festival international du film des Hamptons le lendemain de l’attaque – la réalisatrice raconte que l’un des membres de l’équipe du tournage a perdu la vie lors de cette dernière, comme cela a aussi été le cas de 1 200 autres personnes, assassinées avec brutalité par les terroristes du Hamas qui avaient semé la désolation dans le sud du pays. 253 personnes avaient également été kidnappées par les hommes armés ce jour-là, prises en otage dans la bande de Gaza.
132 captifs se trouveraient encore dans les geôles du groupe terroriste et beaucoup ne seraient plus en vie.

Medalia se trouvait aux États-Unis à ce moment-là, déchirée à l’idée de ne pas être auprès des siens, en Israël. Dans l’incapacité de réserver un vol en direction de Tel Aviv avant le lundi suivant, elle raconte avoir passé sa journée de dimanche au festival où, dit-elle, des ressortissants israéliens se trouvaient dans le public, partageant son désarroi et sa douleur.
Même si une deuxième projection du documentaire devait effectivement avoir lieu à Annapolis, dans le Maryland, deux autres avaient cependant été annulées. L’Autre festival du film israélien, qui avait inscrit à son programme « Mourning in Lod », avait été reporté. Et même si le Festival du film juif de Boston (BJFF) s’était tenu au mois de novembre, comme prévu, il avait renoncé à projeter le documentaire de la réalisatrice dans le sillage du massacre du 7 octobre.
« C’est d’une telle importance de discuter, de réfléchir, de parler les uns avec les autres en particulier à des moments comme ceux que nous sommes en train de vivre », dit Medalia au Times of Israel. « Même alors que nous sommes au cœur de cette période difficile, nous devons cultiver ce qui est nécessaire pour l’avenir, pour que cet endroit devienne celui que nous voulons vraiment. J’ai été tellement déçue par la décision prise par le Festival du film juif de Boston d’annuler la projection ».
Dans un communiqué, le président du BJFF, Ken Shulman, a pour sa part indiqué que « en raison de la nature sensible de ce beau film et en raison du climat politique excessivement volatile dans lequel nous évoluons, nous avons estimé qu’il était prudent de reporter cette projection ».
« [Shulman] m’a écrit un message vraiment gentil, en me disant que le film abordait des sujets dont il est probablement très, très important de discuter en ce moment », dit Medalia. « Les organisateurs ont eu le sentiment que le sujet était trop sensible… De mon côté, je leur ai dit que j’avais le sentiment que c’était une erreur. Que je savais que c’était dur. Chaque jour qui passe, je regarde les informations, je lis les informations – ça brise le cœur. Mais c’est exactement pour ça qu’il est temps de parler des thèmes qui sont abordés par le film. Plus que jamais. »
L’histoire de trois femmes « incroyables »

Medalia avait initialement réfléchi à tourner « Mourning in Lod » sous forme de court-métrage qu’elle aurait consacré à l’histoire d’une famille juive donnant un rein à une Palestinienne dans une période de crise internationale. S’il devait durer 45 minutes, le film fait finalement presque 90 minutes – le temps nécessaire pour que Medalia présente dans leur intimité les familles Hassuna, Yehoshua et Oweis qu’elle a appris à connaître. Sur l’écran, Randa et sa fille Sharihan récitent la prière du Notre père chrétien en arabe à l’église du Saint-Sépulcre et Efi prononce la prière de deuil du kaddish pour son frère à la synagogue Beit Eliyahu de Lod. Pendant tout le documentaire, le film permet au public de découvrir les familles dans des moments de grande vulnérabilité – chez eux, à l’hôpital, même dans des séquences qui, selon la réalisatrice, ont été filmées lors des émeutes qui avaient coûté la vie à Musa, qui avait été tué par balle, ou à Yigal, victime de jets de pierres.
Medalia dit avoir été particulièrement touchée par trois femmes : la veuve de Musa, Marwa ; la veuve de Yigal, Ira et Sharihan.
« Le film devient l’histoire vécue par ces trois femmes incroyables », explique Medalia. « Je pense qu’elles sont très fortes et je les considère comme des modèles, comme des sources d’inspiration… Ces hommes sont morts et ce sont ces femmes qui ramassent les morceaux. Elles doivent s’occuper de leurs enfants, s’assurer du fait qu’ils vivront une belle vie malgré la tragédie ».
Filmer ces images a impliqué de respecter des frontières tout en réagissant rapidement aux développements inattendus. Aucune scène ne résume mieux ces obligations que celle où la famille Oweis se rend aux shloshim de la famille Yehoshua, un moment bouleversant qui a été intégralement filmé.

Par délicatesse, l’équipe avait accepté de tendre le micro à Efi, ce jour-là, plutôt qu’à Ira. Puis Medalia avait appris, de manière inattendue, que la famille Oweis viendrait. Elle se préparait, pour sa part, à filmer Randa pendant encore deux semaines alors qu’elle se rétablissait de son intervention chirurgicale. Elle avait néanmoins changé d’avis.
Les images qui ont été tournées dans ce contexte sont révélatrices, pour les spectateurs, de la complexité des narratifs personnels qui s’entremêlent et de celle de la situation plus largement. La famille Oweis n’était pas initialement sortie de son SUV quand elle était arrivée – mais Efi leur avait demandé de partager leur repas. Personne n’avait rejoint leur table avant que Sharihan n’invite Ira à prendre place avec elles – ce qu’elle avait fait. D’autres membres de la famille Yehoshua avaient alors suivi son exemple.
Une voix nuancée
Par ailleurs, le film se penche sur l’impact de la mort de Musa sur sa veuve et sur son père. Selon Medalia, Marwa n’était pas réellement religieuse avant que son mari ne soit tué. Elle avait ensuite commencé à porter le hijab – c’est ainsi qu’elle apparaît dans tout le film. Elle et Abed avaient aussi pris part au mouvement de protestation qui avait dénoncé la mort de Musa à Lod, et qui avait accusé le gouvernement de discrimination à l’encontre des citoyens arabes.
Comme l’explique le documentaire, sept suspects avaient été arrêtés après le meurtre d’Yigal. Après la mort de Musa, cinq suspects avaient été appréhendés mais ils avaient été remis en liberté : l’auto-défense avait alors été retenue comme mobile et, en conséquence, l’enquête avait été close.

Abed s’avère être une voix particulièrement nuancée. Il compare la situation difficile qui est celle des Arabes en Israël à la situation des Afro-américains à Chicago. Il critique pourtant le Hamas pour ses attaques à la roquette, cette année-là et lors d’une manifestation, au premier anniversaire de la mort de son fils, il prend le temps de serrer la main à un policier israélien.
Medalia déclare que le père de Musa « demande quelque chose de fondamental et de juste – l’égalité des droits pour les Arabes israéliens, pour les Palestiniens israéliens. Ils veulent l’égalité des droits ».
Elle cite les propos tenus par le député Ayman Odeh, chef du parti Hadash, qui avait partagé le même point de vue. Faisant part de ses pensées sur la situation actuelle dans une Opinion parue dans le New York Times qui déplorait le massacre commis par le Hamas, le 7 octobre, il disait éprouver de la sympathie à l’égard des milliers de civils palestiniens qui ont été tués à Gaza depuis.
« Je pense que c’est très compliqué, » indique Medalia. « J’ai le sentiment que nous, les Israéliens, nous devons nous battre en faveur des droits des communautés moins privilégiées, comme les Palestiniens israéliens ou les Arabes israéliens en Israël. Ils méritent l’égalité des droits ; ils méritent la sécurité et la justice tout comme c’est le cas pour les citoyens juifs, et ce, au nom de notre bien à tous. Les violences ne s’arrêtent pas aux frontières d’une seule communauté. Elles se propagent ».

Le film s’attaque à la complexité qui avait entouré la mort d’Yigal. Selon des informations retransmises par une station de radio, deux suspects dans cette affaire étaient des proches de Musa. En recoupant les informations, Ira et Abed expliquent comment les deux familles se connaissaient avant les faits : Yigal était un électricien qui était intervenu au magasin d’électro-ménager de la famille Hassuna. Ira dit espérer que le meurtrier de son mari n’a pas été quelqu’un qu’il avait connu dans ce cadre.
Abed, pour sa part, fait part de sa sympathie à l’égard d’Ira et Efi. Dans une scène, il boit une tasse de café en compagnie du frère d’Yigal. Efi explique que lui et Abed doivent devenir les ambassadeurs d’un modèle de coexistence pacifique.
Même si la projection du film dans les festivals a rencontré des difficultés inattendues, il est encore largement possible, pour le documentaire, de toucher un public plus large. Il sortira dans des cinémas choisis de New York et de Los Angeles le 19 avril et il sera à découvrir sur Paramount Plus à partir du 21 mai.
« Le moment est venu », s’exclame Medalia. « Ce n’est jamais le mauvais moment pour parler de pardon, de réconciliation, de coexistence et d’avenir. J’espère que nous pourrons continuer à retransmettre ce message et à lancer le débat à travers ce film ».