Pour la première fois, un universitaire israélien a été récompensé pour la promotion de la présence et de la culture catalanes dans le monde.
Le directeur des livres rares de la Bibliothèque nationale d’Israël, le Dr Idan Perez, a reçu le prix 2020 Josep Maria Batista i Roca – Enric Garriga Trullols Memorial Prize pour sa publication du « Siddour Catalunya », la première reconstitution complète d’un livre de prières utilisé par les Juifs de Catalogne, Valence et Majorque avant l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492.
Le choix de Perez et de son siddour, ou livre de prières, marque également la première fois en 32 ans d’histoire du prix que l’Institut pour la diffusion extérieure de la culture catalane (IPECC – Institute for the External Projection of Catalan Culture) choisit d’honorer un travail lié aux riches contributions des Juifs à la culture catalane au cours des siècles. L’IPECC est un membre fondateur de la Fédération internationale des entités catalanes (FIEC – The International Federation of Catalan Entities), une organisation qui chapeaute les associations catalanes du monde entier.
« J’ai le sentiment qu’avec ce projet, j’ai contribué à une certaine justice historique. La communauté juive de Catalogne disposait d’érudits de premier ordre, et il est dommage que si peu de gens soient au courant de cela, et que la communauté ait disparu et ait été oubliée », a déclaré M. Perez au Times of Israel dans une récente interview.
Perez lui-même ne connaissait rien des coutumes et traditions des Juifs de Catalogne bien qu’il soit né, élevé et éduqué à Barcelone.
« Je pensais que tous les juifs séfarades [juifs d’Espagne] étaient semblables », a-t-il dit.
Ce n’est que lorsqu’il a immigré en Israël en 2004 et étudié dans une yeshiva sépharade de la Vieille Ville de Jérusalem qu’il a découvert la littérature des érudits rabbiniques de Catalogne, qui mentionnait les coutumes uniques des Juifs de cette communauté. Son intérêt a été éveillé, ce qui a conduit à des années d’enquête sur le sujet et a culminé avec la publication de « Siddour Catalunya » en 2019.
Les Juifs de Catalogne ont fui à la suite des émeutes anti-juives de 1391, et ceux qui sont restés ont été expulsés en 1492. Ils ont ensuite recréé leurs communautés dans des endroits tels que Rome, Salonique (Thessalonique dans l’Empire ottoman) et Alger, mais celles-ci ont également été détruites en raison des persécutions subies au cours des périodes historiques suivantes. Seul un petit nombre de personnes connaissent encore les traditions uniques des Juifs de Catalogne.
Le « Siddour Catalunya » reconstitue l’ancien noussa’h Catalunya, ou coutume et traditions de prière catalane, à partir de six manuscrits datant du 14e au 16e siècle. Grâce à sa connaissance des manuscrits rares et à ses nombreux contacts dans le monde des archives, Perez a réussi à retrouver des manuscrits en Russie, en Italie et en Angleterre.
Le plus ancien, datant de 1352, fait partie de la collection Günzburg à Moscou. Un autre manuscrit du XIVe siècle a été trouvé à la Biblioteca Palatina de Parme, en Italie. Trois manuscrits du XVe siècle ont été retrouvés – un à l’Académie russe des sciences de Saint-Pétersbourg et deux à la Bodleian de l’Université d’Oxford. Le dernier manuscrit date de 1507 et se trouve à la Biblioteca Casanatense à Rome.
Après avoir retrouvé les manuscrits avec l’aide des archivistes et des érudits religieux Haredi, Perez, 45 ans, a passé plusieurs années à restaurer minutieusement le texte.
« Dans un premier temps, j’ai préparé des tables des matières pour tous les manuscrits. J’ai comparé toutes les parties du livre de prières telles qu’elles figuraient dans les six manuscrits et j’ai noté les différences. Dans le livre de prières [son « Siddour Catalunya »], j’ai utilisé la version la plus ancienne [le manuscrit A – celui de la collection Günzburg] comme base, en notant les différences de versions ou d’orthographe dans les notes de bas de page et parfois entre crochets dans le texte. Les parties du livre de prières qui ne se trouvent pas dans le manuscrit A ont été copiées à partir des autres manuscrits et cela a été noté dans les notes de bas de page », a expliqué M. Perez dans une interview pour un billet de blog sur le site de la BNI.
Perez a déclaré au Times of Israel que le traitement des différences entre les manuscrits était un défi.
« Je voulais être fidèle à la tradition, mais il m’a fallu parfois prendre moi-même une décision. C’est une grande responsabilité à assumer », a déclaré M. Perez.
Contrairement à un siddour standard qui ne contient que des prières pour les jours de la semaine et le Shabbat, le « Siddour Catalunya » est beaucoup plus étendu. Il comprend également des prières pour les fêtes comme Shavouot et Souccot, les grandes fêtes, les jours de jeûne, les événements du cycle de vie, et même la haggadah de Pessah.
En outre, le « Siddour Catalunya » propose une série de bakashot (supplications chantées avant l’heure du Shabbat) composées par des érudits catalans médiévaux et publiées pour la première fois, dont celles de Rabbi Moshe ben Nachman (Ramban), Rabbi Shlomo ben Adret (Rashba) et Rabbenu Zerachya ha-Levi. Le livre de prières comprend également des commentaires de rabbins anciens de Babylone et de rabbins médiévaux d’Espagne, de France, de Provence et des centres d’études catalanes de Barcelone et de Gérone.
« Une des choses qui distingue les offices de prière catalans sont les nombreux chants de piyyoutim [poèmes liturgiques]. Ils sont intercalés entre les prières, et j’ai inclus certains d’entre eux dans le ‘Siddour Catalunya' », a déclaré M. Perez.
La plupart des piyyoutim catalans ont été rassemblés dans un livre séparé appelé mahzor. Des versions imprimées de ce livre ont été utilisées dans les communautés juives de Salonique et de Rome au début de la première moitié du 20e siècle, avant leur disparition.
« Veillez à ne pas confondre ce mahzor avec le livre de prières pour les grandes fêtes que nous appelons communément un mahzor », a averti M. Perez.
Perez a expliqué qu’il n’avait jamais imaginé qu’il retrouverait les mélodies avec lesquelles les piyyoutim étaient chantés. Cependant, à sa surprise, il a découvert des cantors de la communauté juive algérienne vivant actuellement en Israël et en France qui chantent ces mélodies. Bien que les règles rabbiniques séfarades aient mis fin à l’intercalation des piyyoutim dans l’office de prière, les communautés algériennes descendantes des Catalans ont continué à les inclure.
« Ils m’ont dit que ce qu’ils chantent est à peu près à 90 % identique aux airs catalans originaux », a-t-il déclaré.
En outre, M. Perez a trouvé un projet commun d’ethnomusicologie de la BNI, de l’Université hébraïque et de l’Université Bar-Ilan de 2000 qui a enregistré le chant des prières catalanes.
Au cours de ses recherches, Perez a mis au jour plusieurs coutumes idiosyncrasiques chez les Juifs de Catalogne. L’une d’entre elles consiste à allumer les bougies de Hanoukka. Au lieu d’allumer comme le font la plupart des Juifs aujourd’hui, les Catalans allumaient la bougie de la première nuit à l’extrême gauche, puis ajoutaient une bougie à sa droite chaque nuit suivante.
Les deux grandes communautés juives de Catalogne se distinguent même parfois par des traditions particulières. À Barcelone, elles commençaient à réciter les seli’hot (prières pénitentiaires pendant la période des fêtes de fin d’année) le 25 du mois d’Elul, avant Rosh HaShana. À Gérone, ces prières n’étaient récitées que pendant les dix jours de repentance entre Rosh HaShana et Yom Kippour.
Reconstituer le « Siddour Catalunya » a été un travail d’amour pour Perez. Il espère qu’il sera utilisé par les universitaires, les spécialistes des questions religieuses et les laïcs.
« Je ne voulais pas écrire quelque chose qui resterait sur une étagère de bibliothèque ou serait consulté une fois tous les 36 du mois », a-t-il déclaré.
Bien que Perez ne se fasse pas d’illusions sur la résurrection du mode de prière catalan, il serait heureux que certains fidèles et congrégations l’utilisent. Perez a déjà entendu dire qu’un petit minyan [NdT : le quorum de dix hommes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah] à Barcelone l’utilise.
« Le moment le plus satisfaisant de tout ce projet pour moi a été lorsque j’ai apporté certaines des premières copies à ma synagogue pour les utiliser dans la prière », a déclaré M. Perez.